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lundi 4 mars 2019


Tchad : frappes aériennes françaises. Ingérence ?

Attention ! Un média-mensonge peut en cacher un autre !  A occuper les écrans et les radios de contre-informations sur les Gilets Jaunes, les affublant de qualificatifs de violents, casseurs, extrémistes, ultras… et  antisémites, les faiseurs d’opinion en oublient ( !) de nous dire que Macron et son gouvernement sont en train de fignoler leurs réformes antisociales, contre la fonction publique, contre les chômeurs… Ils en ont même omis ( !) de nous dire que l’’aviation française a bombardé le nord est du Tchad début février ! On ne peut tout de même pas classer dans les faits divers les Mirage 2000 larguant quelques bombes et repartant aussitôt ! Pour quoi faire ? Défendre les Tchadiens contre les « terroristes » ou le dictateur Idriss Déby contre son opposition ? En tout cas, la France, fidèle à ses garants de la Françafrique, a volé au secours du dictateur Déby sans trop s’interroger sur la légalité de la procédure. Ce n’est, hélas, pas la première fois.

Idriss Déby, verrou stratégique de la France en Afrique

Du 3 au 6 février, des Mirage 2000 des forces armées françaises ont bombardé une colonne de rebelles tchadiens venant de Libye et entrant dans le nord est du Tchad. En coordination avec l’armée tchadienne, une vingtaine de frappes ont détruit une vingtaine de véhicules - pouvant convoyer chacun jusqu’à 10 combattants. Y a-t-il eu des morts, des blessés ? Zéro journaliste dans la zone des bombardements. Silence total. Un fait divers, de la Françafrique en quelque sorte !

Rien de bien exceptionnel au Tchad, qui après son indépendance en 1960 (sous protectorat français en 1900 puis colonie de l’Afrique Equatoriale Française à partir de 1920), a connu le plus grand nombre d’interventions militaires. Au cours des années 1960/1970, la France a mené une véritable guerre contre-insurrectionnelle contre les troupes du Front de libération nationale du Tchad (Frolinat). A partir des années 1980, le Tchad avec l’aide de Kadhafi met en place Goukouni Oueddei ; il sera renversé par Hissène Habré en 1982, aidé par la France qui interviendra, dès 1986, sous forme de l’opération Epervier pour maintenir en place cet allié indispensable dans la politique contre la Libye de Kadhafi. En 1990, Hissène Habré sera renversé à son tour par Idriss Déby, à la tête d’une rébellion armée partie du Darfour soudanais, toujours avec le soutien de la France. Si les causes d’intervention et les modes opératoires ont varié, le constant soutien aux régimes mis en place a subsisté au nom de la nécessaire « stabilité » du pays permettant, surtout, le maintien de la présence française dans cet espace stratégique d’Afrique centrale. C’est ainsi que l’opération Epervier de 1986 prend fin… en août 2014 pour laisser la place à l’opération Barkhane « contre le terrorisme », le plus important déploiement français en opération extérieure.

Idriss Déby, depuis 1990, fait face à diverses rébellions. Il a toujours bénéficié du soutien des gouvernements français, plus ou moins discrètement, sous forme de renseignements pour l’armée tchadienne, de coups de semonce, de contrôle de l’aéroport, aujourd’hui, sous forme d’une attaque aérienne contre les rebelles tchadiens ! C’est dire que la présence  française et l’opération Barkhane dans cette région de l’Afrique n’est pas prête de se clore ; le gouvernement Macron se permettant, sous son couvert, une intervention directe, alors même qu’il s’agit d’une rébellion menée par une colonne d’opposants armés, se revendiquant de l’UFR (Union des Forces de la Résistance) ayant l’objectif de prendre le pouvoir à N’Djamena.

Légalité des frappes aériennes de février 2019 ?

Si l’on se réfère au droit international, il s’agit d’une intervention à l’intérieur du pays mais, précise la ministre des armées, « à la demande de l’Etat » en question. Il n’y a donc pas besoin de cadre légal international (de type traité, résolution de l’ONU, etc.) pour l’autoriser (ce que confirme l’association Survie dans une analyse reprise dans ce texte (1). Il est en revanche nécessaire de questionner la légitimité politique d’une telle assistance directe dans un conflit armé interne.

Sur le plan légal franco-tchadien, la France n’a plus « d’accord de partenariat de défense » avec le Tchad (depuis 1975) (contrairement au Cameroun, à la Centrafrique, aux Comores, à la Côte d’Ivoire, Djibouti, au Gabon, Sénégal et Togo). Elle a, par contre, signé avec le Tchad un « accord de coopération militaire technique » en 1976 consistant à mettre à disposition des militaires français pour l’organisation et l’instruction des forces armées tchadiennes. Cependant, ces personnels militaires « ne peuvent en aucun cas participer directement à l’exécution d’opérations de guerre, ni de maintien ou de rétablissement de l’ordre ou de la légalité ».

En l’occurrence, l’accord de 1976 ne couvre pas le stationnement de forces armées françaises au Tchad et l’opération Epervier est close depuis 2014. Pour couvrir l’opération du 3 février, le premier ministre s’est empressé d’appliquer l’alinéa 1 de l’article 35 de la Constitution : « le gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote ». Il a donc adressé un sibyllin courrier aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, ce 6 février « J’ai l’honneur de vous informer… que le gouvernement a décidé de faire intervenir ses forces armées au Tchad contre des groupes armés venus de Libye, en réponse à la demande d’assistance des autorités tchadiennes…). Il a omis de préciser dans quel cadre cette intervention était programmée ; ce ne peut être au nom de l’accord de coopération militaire technique de 1976 puisqu’il interdit l’intervention directe à des opérations de guerre. Alors, au nom de l’opération Barkhane, sans le dire, car celle-ci est menée en violation de la Constitution française. En effet, le 2ème alinéa de l’art. 35 précise : « lorsque la durée de l’intervention excède quatre mois, le gouvernement soumet sa prolongation à l’autorisation du parlement. Il peut demander à l’assemblée nationale de décider en dernier ressort ». Or, la prolongation au-delà de 4 mois de l’opération Barkhane, déclenchée le 1er août 2014, avec des forces militaires françaises importantes à N’Djamena au Tchad et à Gao au Mali, n’a jamais été soumise au Parlement. Interpelé par l’association Survie en 2015, Le Drian a prétendu que cette opération s’inscrivait dans le prolongement des opérations Serval et Epervier (autorisées par le parlement), sauf que Barkhane couvre 5 pays du Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Tchad, Burkina Faso) alors que « Serval » couvrait le seul Mali et Epervier le seul Tchad et que leurs objectifs affichés ne sont pas les mêmes. En conséquence, l’intervention des Mirage 2000 dans un conflit tchado-tchadien n’aurait pas lieu d’être légalement. Il ne faut pas compter sur le Parlement pour relever cette « anomalie », devenue « système de la Françafrique ». Le 19 janvier 2015, l’association Survie a dénoncé, par un courrier aux présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat, l’illégalité de Barkhane mais ceux-ci ne se sont jamais saisi de cette opportunité de rouvrir le débat sur le rôle de l’armée française au Sahel, tout comme aujourd’hui au Tchad (1). 

C’est dire combien le néocolonialisme imprègne les esprits des parlementaires, ceux-ci considérant que toute intervention en Afrique, sur l’ancien pré carré de la France, est légitime, donc, peut être menée illégalement. Au fond, ils sont d’accord avec le régime présidentialiste français qui donne pouvoirs au Président, seul, pour faire la guerre !  
   
Survie s’interroge sur l’existence ou non d’un accord spécifique entre la France et le Tchad - semblable au « traité de coopération en matière de défense » qu’elle a signé avec le Mali le 16 juillet 2014 - sans que cela soit officialisé… Ce qui est certain, c’est que la présence permanente de l’armée française au Tchad, au titre de l’opération Barkhane, n’est encadrée ni par un accord ni par un traité public. 


Une opération contre le terrorisme ou contre les rébellions ?

La « guerre contre le terrorisme » est le prétexte au renouvellement du soutien de la France à Déby, ce dictateur, « ami de la France », engagé militairement dans le dispositif français au Mali notamment, pour être considéré comme le maillon central en Afrique centrale.

Les rebelles de l’Union des Forces de la Résistance (UFR) menacent le pouvoir de Déby, tout comme existent d’autres factions armées tchadiennes, au sud de la Libye, prêtes à franchir la frontière. Un certain nombre de Tchadiens sont partis pour combattre en Libye, contre rémunération, aux côtés du pouvoir de Tripoli ou aux côtés d’Haftar (ancien officier de l’armée de Kadhafi passé à l’opposition et devenu l’homme fort de l’est du pays). Une partie de ces combattants, en conflit avec Haftar, risquent de rentrer au Tchad, ce que redoute Déby. Quant à Firman Erdimi, chef de l’UFR – cousin du président proche du pouvoir en 2004, vivant maintenant au Qatar – il promet démocratie et liberté tout comme Déby l’avait fait en 1990…

Que vient donc faire Barkhane dans une affaire tchado-tchadienne ? La puissante armée tchadienne ne serait-elle pas capable de régler ce conflit ? A moins que l’armée tchadienne n’ait pas voulu se battre ? C’est une  armée tribale où soldats et rebelles appartiennent à la même tribu des Zaghawas (celle à laquelle appartient aussi le président). Mais, surtout, l’armée subit les restrictions et injustices flagrantes qui affectent aussi l’ensemble de la population. Les soldes des militaires sont totalement disparates, à la tête du client. Certains des 1 400 soldats engagés au Mali dans les forces des Nations Unies n’ont jamais reçu le salaire de 1 500 dollars par homme qui est versé au gouvernement tchadien par l’ONU. La situation pour Déby est explosive. L’intervention aérienne de février est donc le résultat de la conjonction des intérêts de Déby qui a besoin du soutien spectaculaire de la France et de ceux de la France, qui veut pérenniser sa présence en Afrique centrale et pérenniser son opération antiterroriste.

La situation sociale au Tchad est aussi explosive. Depuis sa réélection en 2016, au prétexte de juguler la crise financière (et notamment après la chute du prix du pétrole) Déby a abaissé de façon unilatérale le salaire des fonctionnaires qui gagnent environ 400 euros /mois. La répression s’est abattue sur les opposants et les organisations de la société civile, notamment les jeunes de la plateforme Iyina (« Nous sommes fatigués !»). La police politique, aux ordres de Déby, la très redoutable agence nationale de sécurité (ANS) traque, arrête, emprisonne et torture impunément. Disparitions, enlèvements. Aucune voix discordante n’est tolérée. La répression vise toutes les couches sociales. Depuis plusieurs mois, les écoles sont en grève, les fonctionnaires non payés, le système de santé s’effondre, le revenu des officiers a été divisé par 4. Si l’extraction du pétrole correspond à environ 65% des revenus de l’Etat, cela ne bénéficie nullement à la population : près d’un Tchadien sur deux vit en dessous du seuil de pauvreté.

Cette conjonction de situations de mécontentement a laissé penser aux rebelles que le moment était venu pour renverser le régime.

La France comme tous ceux qui soutiennent ce dictateur, ferment les yeux sur l’étouffement et la répression féroce qu’il fait subir aux opposants et sur la misère de la population. Elle a trop intérêt à faire durer le G5 Sahel,  cette instance dite de coordination en matière de politique de développement et de sécurité. Cette structure se réduit, de fait, à sa seule force armée conjointe, avec l’objectif de regrouper 5 000 hommes, même si le fonds fiduciaire devant gérer les contributions financières reste une coquille vide. Sur les 414 millions d’euros promis par la communauté internationale pour 2018, 200 millions ont été engagés. Et l’on ne voit pas bien comment ces pays pourraient devenir responsables de leur propre sécurité alors même qu’ils restent dépendants des financements extérieurs aléatoires. La France, quant à elle, souhaite déléguer une partie du coût financier des opérations, mais surtout récolter les fruits de cette structure, comme un renouveau du système concessionnaire colonial sur le mode sécuritaire.  L’UE vient de décaisser 50 millions pour l’achat de gilets pare-balles français, l’Arabie saoudite promet 100 millions pour l’achat d’équipements militaires français… Une visite récente de l’ANS tchadienne à la DGSE permet de discuter de la coopération franco-tchadienne : dons de matériels de guerre, d’équipements de maintien de l’ordre… à la garde nationale nomade tchadienne… sachant que celle-ci participe à la garde des frontières.

Au titre de la lutte contre le terrorisme, le contrôle aux frontières permet à Déby de classer « terroristes » tous les rebelles tchadiens même s’ils ne figurent pas sur la liste des mouvements terroristes de l’ONU, ou des orpailleurs que la clique de Deby souhaite chasser pour s’accaparer les mines de Miski, ou encore des migrants qui transitent entre les territoires libyen et soudanais. Les bombardements de l’armée tchadienne dans les localités aurifères du Tibesti illustrent la confusion pratique dans l’emploi du terme terroriste pour  contrôler les mines d’or.

Pour conclure

En plus de 28 ans de pouvoir sans partage, le clan Déby a su asseoir un pouvoir prédateur, corrompu, répressif, clientéliste, despotique et… porté à bout de bras par les gouvernements successifs français, depuis François Mitterrand. « A l’heure où j’écris ces lignes, ce dictateur, ami de la France, refuse de payer les salaires des fonctionnaires ; il continue de faire enlever des activistes, des opposants mais le soutien de la France demeure intact, sur la plan politique et militaire. Nous ne demandons pas à la France d’agir en notre place ni de chasser Déby de son palais : nous exigeons de la France qu’elle ne soutienne plus des dictatures abjectes et prédatrices comme celle de Déby ». Al Khatib Noor (2). « Les jeunes tchadiens sont désabusés et ne voient qu’une seule alternative : partir coûte que coûte ! La France et l’UE voudraient que cette dictature qui nous pousse à fuir, serve à retenir les candidats à la migration ? Qu’elle devienne la gardienne des frontières extérieures de l’Europe ? ».

Cette opération de février 2019 est un acte de soutien symbolique, par lequel la France affirme que son armée interviendra quand Déby lui demandera. Les partenaires européens sont aphones alors que cette partie du territoire tchadien compte des enjeux en termes de migrations à venir. Quant à tous les questionnements que pose cette acte d’ingérence dans les affaires interne du Tchad, ils laissent indifférents les parlementaires français qui n’éprouvent pas le besoin de lancer un débat politique de fond sur le soutien de la France au dictateur Déby.

Odile Mangeot, le 26.02.2019

(1)   https://survie.org
(2)   un lecteur tchadien de Billets d’Afrique (dans le n° déc 2018/janvier 2019)

Sources : Billets d’Afrique, site de l’association Survie, Médiapart 




Contre le colonialisme français au Tchad
Les Tchadiens et Tchadiennes immigré-e-s en France, affirment que le bombardement par l’aviation française du 4 au 6 février a fait plus de 160 morts et a arrêté puis remis à l’armée tchadienne plus de 250 personnes. Ils appellent à manifester le 7 mars, devant l’Assemblée Nationale : « Nous n’avons pas besoin de la France pour régler nos problèmes. Nous exigeons le départ immédiat de l’armée française du sol tchadien. La colonisation est terminée ! »