Lagarde, la bande à Sarko et le prétoire
Le procès grandguignolesque de
Christine Lagarde illustre parfaitement la rime de Jean de La Fontaine :
« Selon que vous serez puissant ou
misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » !
La grande oie blanche(1) s’en est tirée. Finalement on ne retiendra que la
« légèreté négligente »
dont elle a fait preuve dans l’affaire de « l’arbitrage privé » au
profit de Tapie.
Rappel des faits d’abord.
En
2005,
dans la « ténébreuse » affaire opposant Tapie au Crédit Lyonnais,
lors de l’achat et la vente d’Adidas, la Cour d’appel de Paris tranche
(définitivement !) : les époux Tapie sont condamnés à rembourser (le
prêt consenti) à la banque, 405 millions d’euros. En 2007, l’entregent du spécialiste de la rapine, du rachat, du
dégraissement et de la revente d’entreprises s’en ouvre à Sarko qu’il a soutenu
lors des présidentielles : l’Etat (le Crédit Lyonnais était à l’époque du
prêt nationalisé et les Tapie introduits dans la Mitterrandie) « ne peut me mettre sur la paille »…
Christine Lagarde est à l’époque ministre de l’économie et des finances mais
prétend ne rien savoir des délibérations opaques qui se sont tenues en vue de
concocter une innovation pour sortir Tapie de la panade : l’institution
d’une Cour d’arbitrage privée composée à convenance. Seuls Sarko, Guéant le
secrétaire général de l’Elysée, Stephane Richard le directeur de cabinet de Lagarde,
les conseillers Ouart et Perol auraient été à la manœuvre et auraient tenu à
l’écart l’ancienne avocate d’affaires spécialiste de ces marchandages ! En
tout état de cause, le 14 juillet 2007, dans l’ombre, « l’escroquerie en bande organisée »
semble scellée avec la complicité non équivoque d’un ex-magistrat Pierre
Estoup.
Rapidement, un nouveau verdict est rendu,
qu’importe qu’il bafoue celui de la justice de droit commun : l’Etat est
condamné par la Cour d’arbitrage à verser 280 millions d’euros à Tapie dont 45
au titre du préjudice moral qu’il aurait subi… Mais cette décision fait quand
même grand bruit dans le landerneau.
En effet, quelques députés socialos
iconoclastes osent porter plainte contre cette décision inique. La justice,
tout en délicatesse pour ce type d’affaires qui met en cause des hauts
responsables de l’Etat, prend son temps. Faut-il d’abord juger en droit commun
les sous-fifres, ces « collaborateurs » du Président intouchable et
de la ministre qui elle, relève de la Cour de justice de la République (2)?
En 2016, après moult
tergiversations, auditions et même perquisitions, il est décidé (par
qui ?) de réunir d’abord la Cour de Justice de la République pour mettre
en cause Christine Lagarde désormais directrice du FMI, l’une des femmes dite
la plus puissante du monde ( !) selon les médias. En fait, depuis
l’affaire DSK, on peut en douter.
Devant
le prétoire
C’est devant un tribunal très spécial
qu’est convoquée la prévenue Lagarde. Il est composé de 12 parlementaires,
députés et sénateurs, et de 3 magistrats. Cet entre soi sans jurés tirés au
sort, peut faciliter quelques arrangements. Pas si simple néanmoins dans la
mesure où ceux qui ne relèvent pas de la Cour de justice de la République sont
accusés « d’escroquerie en bande organisée » pour avoir spolié l’Etat
donc les contribuables.
Lorsque Madame paraît, elle a pris
soin de troquer sa robe rouge bordée d’hermine pour un strict costume sombre.
Forte de son aura, elle se dit « profondément
choquée » que l’on ose l’accuser « d’un complot imaginaire ». Mais la grande oie blanche va
devoir en rabattre. Sa défense : « Je ne savais pas » ; la décision de recourir au comité
d’arbitrage ? Son directeur de cabinet ne lui en aurait rien dit, car
« cela relève d’un niveau de
granularité de l’information qui ne remonte pas au Ministre ». Reste
qu’elle a bien signé un avis favorable pour recourir à l’arbitrage privé !
Et que, 15 jours plus tard, elle a récidivé pour introduire la notion de
préjudice moral qu’aurait subi Tapie : « J’ai fait confiance » et elle ose encore « Ai-je été abusée ? Je ne l’exclue pas »
et, péremptoire « Je veux le savoir » !
Gênante toutefois la perquisition de
son ordinateur qui révèle une lettre adressée à Sarko où, en dehors de son
« immense admiration »,
elle lui déclare : « Utilise-moi
pendant le temps qui te convient et convient à ton action et à ton
casting ». Elle pérore encore : « Je suis lucide mais je n’ai pas commis de négligence ».
Aïe ! Il y a les témoins
convoqués. Bon ! Stephane Richard, son directeur de cabinet, arguant de
son refus de répondre à la cour pour préserver sa défense dans la procédure
pénale, n’a pas été amené à la barre entre deux pandores. Quant à Guéant, à la
mémoire défaillante, il ne se souvient de rien, tout comme François Perol.
Borloo, pas trop gênant ce ministre qui a précédé Lagarde, goguenard, prétend
que si Tapie est « son copain de
bac à sable » il n’est pour rien dans cette affaire. Un rien
condescendant, il déclare que, lui, lisait toutes les notes qu’on lui envoyait
et qu’en outre « un directeur de
cabinet n’est pas un filtre mais un chef d’orchestre ». Beaucoup plus
déstabilisante et agaçante est l’audition de Bruno Brezard, ce haut
fonctionnaire dirigeant à l’époque l’Agence des Participations de l’Etat qui
suivait le contentieux Crédit Lyonnais/Tapie. Soucieux des deniers publics, il
fait état des notes envoyées à la Ministre. Il y déconseillait l’arbitrage :
« c’est une concession à la partie
adverse, contraire aux intérêts de l’Etat ». Et lui et son avocat d’affirmer
que tout l’appareil d’Etat, Matignon, le Président de la République, les
cabinets des ministres agissaient en faveur de l’arbitrage.
L’oie blanche se fait taiseuse au
cours des deux derniers jours d’audience. Quand elle parle, « c’est la voix voilée par l’émotion » :
comment ose-t-on attenter à l’image de la directrice du FMI ! Les
magistrats n’osent pas l’appeler à la barre pour réagir aux propos entendus et
encore moins procéder à la confrontation entre les acteurs et témoins de
l’escroquerie, ce serait indécent !
La
grande mansuétude de la Cour
Reste pour les juges qui ne retiennent
que le délit de négligence, ce délit mineur non
intentionnel, à contourner l’expérience tant vantée de cette avocate
d’affaires. Reste aussi à ignorer la loi qui prévoit en la matière une
condamnation d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende. Mais la
loi… est flexible pour ces gens-là. Et les juges d’argumenter en faveur de
Madame. Certes, la prévenue est peu convaincante, ses arguments légers, voire
affligeants. Certes, elle n’a même pas consulté en la matière ni son service
juridique, ni le Conseil d’Etat. Mais, voyez-vous : « prendre une mauvaise décision n’est pas en
soi répréhensible, c’est un choix politique malheureux ». Et puis,
« l’arbitrage est une décision
politique, la Cour n’a pas à s’ériger en juge du gouvernement ; que
(celle-ci) ait été truquée, c’est possible mais ce sera jugé ailleurs ».
Les sous-fifres trinqueront au besoin. Toute cette casuistique pour dire que Madame
n’est ni responsable, ni coupable, seulement négligente vis-à-vis de
l’appropriation frauduleuse des deniers publics dont elle était pourtant la
gardienne en sa qualité de ministre des finances ! Mais, eu égard à ses
éminentes fonctions internationales (sic) on ne peut relever qu’une « décision dont la précipitation est critiquable ».
Les juges s’instituant avocats de Madame, il ne restait plus qu’aux
parlementaires à s’incliner toute honte bue. Ni responsable, ni coupable et comme la relaxe pure et simple
n’était guère possible, de la déclarer négligente
mais « dispensée de peine, sans
inscription au casier judiciaire ». Fallait oser…
Avant même l’énoncé du verdict, la
grande oie blanche s’était envolée à Washington, invoquant de hautes raisons
professionnelles. Sûrement que la décision lui ayant été préalablement
communiquée, elle se voyait mal pontifier devant les caméras sur ce qui
demeurait une condamnation, même de pure forme.
Le FMI, sans attendre, lui exprimait
sa confiance et louait même son intransigeance vis-à-vis des gueux qui, en
Grèce et ailleurs, persistaient à résister aux purges austéritaires. Et puis,
tout compte fait avec ses dirigeants de l’institution, il ne fallait pas
ajouter un scandale à ceux qui avaient déjà entaché le FMI. Il y avait eu DSK
et ses frasques sexuelles, son prédécesseur Rodrigo Rato, poursuivi pour
détournement de fonds quand il était banquier en Espagne… Alors, il fallait
faire bonne figure avec cette madone qui, en matière de communication, versait
dans le people. N’avait-elle pas été honorée par le magazine Glamour : l’ancienne gymnaste
aquatique, en robe longue d’un blanc immaculé, posait en compagnie de la chanteuse
américaine Stephani et du mannequin Graham en plus petite tenue. Mais bon…
comme chacun devrait le savoir, elle est tenue de respecter « les principes les plus élevés de conduite
éthique ».
Quant à Hollande, son mutisme fut à la
hauteur de sa promesse électorale, celle de supprimer cette Cour de justice de
la République où le droit se meurt (3). Pour les manants, ces gens de peu, les
tribunaux de droit commun et les comparutions immédiates doivent rester la
règle. Il suffit d’évoquer les affaires Deltour, Tarnac, Traoré ou encore Dominique
Henry(4) pour s’en convaincre. L’heure n’est pas à la séparation mais à la
confusion des pouvoirs, afin de préserver les intérêts du système. Cette
banalisation de l’injustice provoque écoeurement et désintérêt plutôt que
révolte… c’est bien ce que nous devons combattre pour « rendre la honte plus honteuse ».
Gérard Deneux., le 25.02.2017
(1) Expression
employée par Marc Roche dans son livre Histoire secrète d’un krach qui dure
(voir notre rubrique Nous avons lu dans ce numéro)
(2) La Cour de
Justice de la République a été créée en 1993 (après l’affaire du sang contaminé
et la multiplication des affaires politico-financières ; elle est
compétente pour juger les crimes et délits commis par les membres du gouvernement
dans l’exercice de leurs fonctions (la Haute Cour est désormais uniquement compétente
pour le Président de la République dans l’exercice de ses fonctions).
(3) Titre d’une
pièce de théâtre « gesticulée » de l’ex-magistrat Alain Bressy. Il
récidive dans la revue Ravages avec
l’article « Aux larmes, citoyens »
(4)
Voir nos éditions précédentes et dans ce numéro
l’article Crise du lait. Pour qui ?
Pourquoi ?