Privatisation. A qui le tour ?
La RATP
Depuis
30 ans (traité de Maastricht), se succèdent législations européennes et
nationales pour privatiser les services publics. Au tourniquet, cette
fois : la RATP qui subit, depuis quelques années, à bas bruit, une prédécoupe,
par secteurs, préparant son ouverture à la concurrence, selon les mêmes
procédés qu’à France Télécom, Air France, SNCF (1), EDF (2), Aéroports de
Paris, la Poste. La SNCF a été dépecée pour être livrée, par « paquets
ferroviaires », aux prédateurs, qui s’arrachent les parts les plus goûteuses :
fret, transport des voyageurs, gestion du réseau, jusqu’à sa mue définitive en société
anonyme au 1er janvier 2020… Abandon du statut d’établissement
public, « ouverture au capital », gestion calquée sur celle des groupes
privés, fin du statut de cheminot, suppression des dessertes jugées non
rentables : les gouvernements successifs ont tous appliqué cette ligne libérale.
30
ans de luttes syndicales contre ce processus que rien n’arrête, malgré les
grèves massives, les coordinations avec les usagers, les résultats
catastrophiques constatés dans certains pays, comme au Royaume Uni où l’on s’interroge
sur le retour à une gestion publique des transports ferroviaires.
Ce
mouvement libéral semble inéluctable. En tout cas, les forces politiques aux
gouvernements (de droite et de « gauche ») l’ont fait leur, admettant
l’idée qu’il n’y a pas d’alternative à la logique capitalo-financière de
l’Union Européenne et des Etats qui la constituent. Est-il possible de sortir de ce système
destructeur de solidarité, d’égalité ?
Le
désossement
La
régie autonomie des transports parisiens (RATP) a 73 ans. Cette
« vénérable » institution est un Etablissement Public à caractère
industriel et commercial (EPIC) regroupant l’ensemble des activités en monopole,
à savoir l’exploitation des réseaux franciliens RER/métro/tramway/bus à Paris
et Petite Couronne, la gestion des infrastructures métro et RER, l’ingénierie,
la maintenance industrielle et la gestion du patrimoine immobilier. Elle pèse
lourd en notoriété sociale, en tradition militante, en services rendus aux
usagers : l’Ile de France représente 3.3 milliards de voyages/an, 21
milliards d’euros en investissements pour la période 2021-2024… Il convient, en
conséquence, d’être stratège dans son démantèlement.
Ça
commence au détour du vote de la loi
SRU (Solidarité et renouvellement urbain) en 2000. Le gouvernement y introduit
un article additionnel, autorisant la RATP à développer des filiales pour
concevoir et exploiter des réseaux de transport sur tout le territoire national
et à l’international. Et, pour maintenir une totale étanchéité entre les
contributions publiques de la RATP et les comptes de ses filiales privées, ce
même article prévoit la séparation de la gestion financière et comptable entre
la RATP-EPIC et ses filiales. Deux ans plus tard, RATP-Dev (développement) voit
le jour sous forme d’une société anonyme détenue à 100 % par RATP-EPIC, rendant
possible la vente en Bourse d’une partie du capital. Implantée dans 13 pays sur
4 continents : Royaume-Uni, Italie, Suisse, Etats-Unis, Canada, Arabie
Saoudite, Qatar, Corée, Chine, Inde, Philippines et Maroc, Algérie, Afrique du
Sud, elle affiche une politique accrue de la productivité par l’investissement
et l’exploitation des réseaux (en 2018, elle compte 16 000 salariés, son
chiffre d’affaires est de 1.2 milliard €).
S’éloigne,
dès lors, la mission première du service public, à savoir, développer l’offre
de transports au regard des besoins des usagers. Les marges bénéficiaires
deviennent la boussole des dirigeants. Le mode de financement de la RATP a été
modifié en conséquence : jusqu’en 2000, l’Etat versait chaque année une
subvention d’équilibre. Ce système d’indemnité compensatrice a été remplacé par
une contractualisation pluriannuelle avec l’autorité organisatrice (qui peut
être une commune, une agglomération, une région, etc. En Ile-de-France, c’est le
syndicat des transports d’Ile-de-France, dénommé IDFM (Ile-de-France Mobilité), présidé par Mme
Pécresse.
La
brèche est ouverte et va s’élargir.
Pour
l’UE, le service public doit être l’exception, et celui de la RATP (comme la
SNCF…) est une distorsion au principe de la concurrence libre et non faussée,
les marchandises et services qu’ils produisent ne peuvent échapper à la loi du
marché et au concept de rentabilité. Il « faut » donc privatiser les
transports urbains : fin 2007, le règlement européen OSP (Obligations de
service public) voit le jour et prévoit notamment l’obligation d’un
contrat entre l’exploitant et l’autorité organisatrice des transports et
l’obligation de l’ouverture à la concurrence pour l’attribution de la gestion
de ces services.
Peaufinant
la boîte à outils de la privatisation, le parlement français vote, en 2009, la
loi relative à la régularisation des transports ferroviaires (ORTF) fixant les
conditions d’application de l’OSP à l’Ile-de-France : toute nouvelle
desserte devra passer par un appel d’offres et ne relèvera plus du monopole de
la RATP. Dans cette loi, il fixe le calendrier de l’ouverture à la concurrence du réseau RATP-EPIC des lignes de bus au 1er janvier
2025, des lignes de tramway en 2030, des lignes de métro et de RER en 2040.
La RATP perd son « cœur », son réseau historique sur lequel elle
bénéficiait de droits de lignes à durée illimitée. La propriété du matériel
roulant sera transférée à IDFM.
Pour
préparer la vénérable dame à sa mue totale, les dirigeants de la RATP, la
découpent en « centres de profits »
(ou business units - BU). Cette fois, c’est la loi LOM, loi d’orientation
mobilité, en 2019, qui en a décidé. Elle
a créé trois BU : sûreté (police du métro), services urbains, réseau de
surface (bus et tram) ; cette dernière est découpée en petites unités
multiples (de 1 ou plusieurs dépôts) fonctionnant comme des mini-entreprises. Les
comptabilités ont été séparées entre gestion du métro/RER et service de transports
publics voyageurs en 2012. Et début 2021, la RATP a été évincée du processus de
privatisation, remplacée, pour cette tâche par la société CAP Ile-de-France, support
des appels d’offres pour les lignes de bus. C’est Ile-de-France Mobilités
(IDFM) qui, avant fin 2024, attribuera des lots de lignes au plus offrant pour
être opérationnel au 1er janvier 2025.
Ainsi
se met en place la privatisation rampante. Dans 20 ans, l’incontournable RATP
de 1948 sera totalement désossée. Elle va tout perdre, ses moyens d’agir, ses
milliers de kilomètres de réseaux, stations de métro, matériels roulants, son
ingénierie et ses compétences… et ses 45 000 salariés sous statut
particulier (quelque 18 000 salariés sont déjà sous statut privé et notamment à
RATP-Dev).
Préparer
le terrain de la « libéralisation », les technocrates des
gouvernements en accord avec la majorité des parlementaires, savent faire.
Usagers et salariés ne la voient pas venir. Elle s’installe au fil du temps et
quand ils en subissent directement les effets, il est trop tard pour renverser
le processus. Et pourtant les expériences citées en introduction devraient
servir de leçon !
Musellement
des salariés
C’est
que les dirigeants de la RATP, eux, se sont appuyés sur l’expérience et ont
adopté une tactique différente de la SNCF qui avait fait le choix d’attaquer le
personnel sédentaire et roulant en même temps. La RATP a décidé de diviser pour
mieux régner, espérant ne pas mettre en grève le réseau ferré au côté du réseau
Bus.
Depuis
2015, Elisabeth Borne PDG, puis Catherine Guillouard devenue PDG en 2017 (la
première étant devenue ministre des transports) ont eu comme mission la remise
en cause du caractère public de la RATP et le statut des personnels. Au 1er
janvier 2025, 18 000 agents (conducteurs, mainteneurs et encadrement, des
lignes de bus, ne travailleront plus dans l’Epic. Demain, la RATP sera une
holding composée de multiples filiales à statut de société anonyme : RATP
Paris-Région, avec des filiales d’exploitation pour chaque marché (un découpage
se prépare par centres de dépôts), RATP infrastructures, RATP ingénierie, RATP
maintenance, RATP-dev et autres filiales à l’étranger ou dans d’autres régions
françaises. Au final, les 45 000 salariés de RATP-EPIC ne seront plus
agents de la RATP, transférés chez un concurrent (Transdev, Keolis…) qui aura
emporté le marché, ou à CAP Ile-de-France, ou encore « remerciés » « grâce »
à une rupture conventionnelle collective, la première a été signée fin 2020 !
Un
«dialogue social » avec les
syndicats et l’Union des Transports publics est mis en place pour parvenir à un
accord pour l’ensemble des entreprises de transport urbain. Si ça passe pour
les agents des lignes Bus, il s’appliquera à l’ensemble du groupe RATP et, dès
2021, à tous les salariés des filiales privées existantes. L’expérience de la
SNCF et des deux grosses grèves de 2016 contre la réglementation du travail
interne et celle de 2018 contre l’ouverture à la concurrence du secteur
ferroviaire, a décidé le ministère des transports, la RATP et l’union des
Transports publics à combiner l’attaque contre les conditions de travail des
agents RATP et l’ouverture à la concurrence. Ils négocient ce deal avec les
représentants syndicaux (l’UNSA notamment favorable au « dialogue
social ») qui prévoit des régressions sociales importantes pour les
anciens agents « statutaires » comme la perte de 6 jours de repos/an,
de 5 jours de congé, l’obligation de travailler 1 heure de plus par jour (7h30
au lieu de 6h30). L’objectif est de développer sans recruter, sans remplacer
les départs alors que le service public
tourne 7 jours sur 7 avec de larges amplitudes horaires et une pénibilité au
travail importante. « Les gens se
moquent : RATP = ResteAssisT’esPayé, mais qu’ils viennent faire
7h30 d’affilée de conduite en région parisienne » !
C’est
un bouleversement total de culture qui est entrepris. La direction a préparé le
terrain en créant un « accompagnement pour l’adaptation » :
formation des « managers » sur l’individualisation des rémunérations
et des déroulements de carrière. Des responsables de la transformation ont été
nommés. Redéploiement des postes, arrêt des recrutements, reconversions
externes et aide à la création d’entreprises, recours à des licenciements et à
des méthodes de harcèlement contre les salariés militants. Un management très
agressif est mis en place, la méthode est rôdée, les salariés d’Air France ou
de France Télécom la connaissent, avec les phénomènes d’isolement, de
fragilisation des individus, de perte de sens et de montée du mal-être au
travail. Les agents sont pris de vertige. Les réorganisations se succèdent.
Ce
vendredi 2 avril 2021, l’appel à mobilisation de la CGT pour soutenir un
militant en procédure de licenciement n’a pas eu d’incidence sur le trafic
RATP. Et pourtant, ce sont les mêmes salariés qui, le 13 septembre 2019, entamaient, avec d’autres,
la grève la plus longue dans l’histoire du mouvement ouvrier, notamment à la
RATP et SNCF : 60 jours de grève contre la contre-réforme des retraites,
ayant permis de bloquer le projet. On pouvait espérer qu’un an plus tard, le 19
novembre 2020, les grévistes, à l’appel des syndicats, allaient remettre le
couvert contre la privatisation, contre les régressions annoncées des conditions de travail. Mais l’atmosphère a
changé et la direction a choisi la répression pour effacer de la mémoire le
blocage des dépôts de bus, etc… de 2019, pour ne garder que l’image des
militants réprimés. L’UNSA RATP a tout fait pour isoler sa propre base, jouant
le rôle d’accompagnement de la direction. Quant à la CGT, deuxième organisation
dans l’entreprise, elle est au centre d’attaques d’ampleur contre certaines
figures de la grève (procédure de licenciement, harcèlement de militants…).
Les
reculs sociaux subis, malgré les mobilisations, ont marqué les « anciens
militants » et les appels à la grève de novembre et décembre 2019 n’ont
pas réussi à mobiliser largement. Malgré tout,
une nouvelle génération s’est levée et la grève de 2018 contre la « réforme »
des retraites a permis de renouer avec la construction de l’auto-organisation,
avec notamment l’émergence de la coordination RATP-SNCF. La base et donc
capable de revenir sur le terrain des luttes coordonnées entre les agents SNCF
et RATP mais aussi avec ceux qui relèvent des transports privés, et pourraient,
comme les agents de Total Grandpuits l’on fait, élargir leur lutte au-delà même
des salariés directement concernés, en expliquant, informant, les usagers, les
citoyens, les défenseurs de l’environnement, les habitants des quartiers
populaires qui ont besoin des services publics de transport franciliens… et qui
verront les lignes « non rentables » fermer, des augmentations de
tarifs s’appliquer, des emplois supprimés…
Alors, à qui
le tour ou ça suffit ?
Il
est plus qu’urgent de se mobiliser contre le « système » qui réussit
à nous imposer la disparition des services publics, les uns après les autres.
L’on ne peut se contenter de proposer des mesures plus « humaines »
ou des aménagements du capitalisme. Sortir du modèle ultra-libéral est la seule
solution pour revenir à des services publics répondant à l’intérêt général et
non à la rémunération des actionnaires. Cela passe par la remise en cause des
législations européennes, par l’instauration d’un contrôle des usagers et des
salariés. Toutes les promesses affichées dans le « dialogue social »
sont vaines : il n’y a rien à négocier ! Le transport en commun c’est
comme l’hôpital ou l’éducation, un
service public à part entière, les logiques d’entreprise n’ont rien à y faire. Il
suffit de regarder les conséquences de la privatisation de la SNCF (cf encart)
pour être assurés que face à ces politiques, il est plus que nécessaire
d’exiger un service public de transport en commun gratuit à même d’assurer les
enjeux sociaux et écologiques sans que cela ne se fasse au détriment des salariés
et des usagers. La période électorale qui s’annonce peut permettre de poser des
exigences aux « prétendants »… sans illusion aucune sur leur capacité
à décider mais pour dévoiler leur capacité à mentir.
Odile
Mangeot, le 17.04.2021
(1)
PES mars 2018 (n°
42) « la bataille du rail aura-t-elle lieu ? »
(2)
PES janvier 2021 (n°
69) « Combattre Hercule »
sources : NPA RP, CGT RATP, SUD Rail
Zéro sur
toute la (les) ligne (s)
Bilan de la
casse de la SNCF
7 000 emplois en moins en 3 ans (2017-2019). Au
prétexte d’être « plus attractif et engagé » la SA SNCF a réalisé le principal plan de
suppression d’emplois en France ! (selon SUD Rail).
Sur le plan de
la rentabilité ? Une catastrophe !
-
ouverture à la
concurrence du fret = désastreux en raison de son manque de compétitivité, elle
a réduit les coûts au détriment de salariés
-
ouverture à la
concurrence des trains régionaux avec système de franchise, c’est-à-dire :
mêmes trains, mêmes infrastructures – mêmes cheminots, mais logo différent et
conditions de travail dégradées = désastreux
-
ouverture à la
concurrence des LGV = échec, aucune autre compagnie n’a mis en circulation des
LGV
Bilan social catastrophique : violences
managériales – fin des embauches au statut – recherche de la productivité à
tout prix – dégradation des conditions de travail – salaire figés depuis 7 ans…
Bilan économique
lamentable : le passage en SA a multiplié les entités autonomes,
les frais de structure et le recrutement de personnels d’encadrement = la SNCF
a dû faire un emprunt de 2 milliards supplémentaires sur 30 ans !
et tout ça pour un service aux usagers dégradé
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