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lundi 26 avril 2021

 

Privatisation. A qui le tour ?

La RATP

 

Depuis 30 ans (traité de Maastricht), se succèdent législations européennes et nationales pour privatiser les services publics. Au tourniquet, cette fois : la RATP qui subit, depuis quelques années, à bas bruit, une prédécoupe, par secteurs, préparant son ouverture à la concurrence, selon les mêmes procédés qu’à France Télécom, Air France, SNCF (1), EDF (2), Aéroports de Paris, la Poste. La SNCF a été dépecée pour être livrée, par « paquets ferroviaires », aux prédateurs, qui s’arrachent les parts les plus goûteuses : fret, transport des voyageurs, gestion du réseau, jusqu’à sa mue définitive en société anonyme au 1er janvier 2020… Abandon du statut d’établissement public, « ouverture au capital », gestion calquée sur celle des groupes privés, fin du statut de cheminot, suppression des dessertes jugées non rentables : les gouvernements successifs ont tous appliqué cette ligne libérale.

30 ans de luttes syndicales contre ce processus que rien n’arrête, malgré les grèves massives, les coordinations avec les usagers, les résultats catastrophiques constatés dans certains pays, comme au Royaume Uni où l’on s’interroge sur le retour à une gestion publique des transports ferroviaires.

Ce mouvement libéral semble inéluctable. En tout cas, les forces politiques aux gouvernements (de droite et de « gauche ») l’ont fait leur, admettant l’idée qu’il n’y a pas d’alternative à la logique capitalo-financière de l’Union Européenne et des Etats qui la constituent.  Est-il possible de sortir de ce système destructeur de solidarité, d’égalité ?

 

Le désossement

 

La régie autonomie des transports parisiens (RATP) a 73 ans. Cette « vénérable » institution est un Etablissement Public à caractère industriel et commercial (EPIC) regroupant l’ensemble des activités en monopole, à savoir l’exploitation des réseaux franciliens RER/métro/tramway/bus à Paris et Petite Couronne, la gestion des infrastructures métro et RER, l’ingénierie, la maintenance industrielle et la gestion du patrimoine immobilier. Elle pèse lourd en notoriété sociale, en tradition militante, en services rendus aux usagers : l’Ile de France représente 3.3 milliards de voyages/an, 21 milliards d’euros en investissements pour la période 2021-2024… Il convient, en conséquence, d’être stratège dans son démantèlement.

 

Ça commence au détour du vote de la loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) en 2000. Le gouvernement y introduit un article additionnel, autorisant la RATP à développer des filiales pour concevoir et exploiter des réseaux de transport sur tout le territoire national et à l’international. Et, pour maintenir une totale étanchéité entre les contributions publiques de la RATP et les comptes de ses filiales privées, ce même article prévoit la séparation de la gestion financière et comptable entre la RATP-EPIC et ses filiales. Deux ans plus tard, RATP-Dev (développement) voit le jour sous forme d’une société anonyme détenue à 100 % par RATP-EPIC, rendant possible la vente en Bourse d’une partie du capital. Implantée dans 13 pays sur 4 continents : Royaume-Uni, Italie, Suisse, Etats-Unis, Canada, Arabie Saoudite, Qatar, Corée, Chine, Inde, Philippines et Maroc, Algérie, Afrique du Sud, elle affiche une politique accrue de la productivité par l’investissement et l’exploitation des réseaux (en 2018, elle compte 16 000 salariés, son chiffre d’affaires est de 1.2 milliard €).

 

S’éloigne, dès lors, la mission première du service public, à savoir, développer l’offre de transports au regard des besoins des usagers. Les marges bénéficiaires deviennent la boussole des dirigeants. Le mode de financement de la RATP a été modifié en conséquence : jusqu’en 2000, l’Etat versait chaque année une subvention d’équilibre. Ce système d’indemnité compensatrice a été remplacé par une contractualisation pluriannuelle avec l’autorité organisatrice (qui peut être une commune, une agglomération, une région, etc. En Ile-de-France, c’est le syndicat des transports d’Ile-de-France, dénommé IDFM  (Ile-de-France Mobilité), présidé par Mme Pécresse.

 

La brèche est ouverte et va s’élargir.  

 

Pour l’UE, le service public doit être l’exception, et celui de la RATP (comme la SNCF…) est une distorsion au principe de la concurrence libre et non faussée, les marchandises et services qu’ils produisent ne peuvent échapper à la loi du marché et au concept de rentabilité. Il « faut » donc privatiser les transports urbains : fin 2007, le règlement européen OSP (Obligations de service public) voit le jour et prévoit notamment l’obligation d’un contrat entre l’exploitant et l’autorité organisatrice des transports et l’obligation de l’ouverture à la concurrence pour l’attribution de la gestion de ces services.

 

Peaufinant la boîte à outils de la privatisation, le parlement français vote, en 2009, la loi relative à la régularisation des transports ferroviaires (ORTF) fixant les conditions d’application de l’OSP à l’Ile-de-France : toute nouvelle desserte devra passer par un appel d’offres et ne relèvera plus du monopole de la RATP. Dans cette loi, il fixe le calendrier de l’ouverture à la concurrence du réseau RATP-EPIC des lignes de bus au 1er janvier 2025, des lignes de tramway en 2030, des lignes de métro et de RER en 2040. La RATP perd son « cœur », son réseau historique sur lequel elle bénéficiait de droits de lignes à durée illimitée. La propriété du matériel roulant sera transférée à IDFM.

 

Pour préparer la vénérable dame à sa mue totale, les dirigeants de la RATP, la découpent en  « centres de profits » (ou business units - BU). Cette fois, c’est la loi LOM, loi d’orientation mobilité, en 2019, qui  en a décidé. Elle a créé trois BU : sûreté (police du métro), services urbains, réseau de surface (bus et tram) ; cette dernière est découpée en petites unités multiples (de 1 ou plusieurs dépôts) fonctionnant comme des mini-entreprises. Les comptabilités ont été séparées entre gestion du métro/RER et service de transports publics voyageurs en 2012. Et début 2021, la RATP a été évincée du processus de privatisation, remplacée, pour cette tâche par la société CAP Ile-de-France, support des appels d’offres pour les lignes de bus. C’est Ile-de-France Mobilités (IDFM) qui, avant fin 2024, attribuera des lots de lignes au plus offrant pour être opérationnel au 1er janvier 2025.

 

Ainsi se met en place la privatisation rampante. Dans 20 ans, l’incontournable RATP de 1948 sera totalement désossée. Elle va tout perdre, ses moyens d’agir, ses milliers de kilomètres de réseaux, stations de métro, matériels roulants, son ingénierie et ses compétences… et ses 45 000 salariés sous statut particulier (quelque 18 000 salariés sont déjà sous statut privé et notamment à RATP-Dev).

 

Préparer le terrain de la « libéralisation », les technocrates des gouvernements en accord avec la majorité des parlementaires, savent faire. Usagers et salariés ne la voient pas venir. Elle s’installe au fil du temps et quand ils en subissent directement les effets, il est trop tard pour renverser le processus. Et pourtant les expériences citées en introduction devraient servir de leçon !

 

Musellement des salariés

 

C’est que les dirigeants de la RATP, eux, se sont appuyés sur l’expérience et ont adopté une tactique différente de la SNCF qui avait fait le choix d’attaquer le personnel sédentaire et roulant en même temps. La RATP a décidé de diviser pour mieux régner, espérant ne pas mettre en grève le réseau ferré au côté du réseau Bus.

 

Depuis 2015, Elisabeth Borne PDG, puis Catherine Guillouard devenue PDG en 2017 (la première étant devenue ministre des transports) ont eu comme mission la remise en cause du caractère public de la RATP et le statut des personnels. Au 1er janvier 2025, 18 000 agents (conducteurs, mainteneurs et encadrement, des lignes de bus, ne travailleront plus dans l’Epic. Demain, la RATP sera une holding composée de multiples filiales à statut de société anonyme : RATP Paris-Région, avec des filiales d’exploitation pour chaque marché (un découpage se prépare par centres de dépôts), RATP infrastructures, RATP ingénierie, RATP maintenance, RATP-dev et autres filiales à l’étranger ou dans d’autres régions françaises. Au final, les 45 000 salariés de RATP-EPIC ne seront plus agents de la RATP, transférés chez un concurrent (Transdev, Keolis…) qui aura emporté le marché, ou à CAP Ile-de-France, ou encore « remerciés » « grâce » à une rupture conventionnelle collective, la première a été signée fin 2020 !

 

Un  «dialogue social » avec les syndicats et l’Union des Transports publics est mis en place pour parvenir à un accord pour l’ensemble des entreprises de transport urbain. Si ça passe pour les agents des lignes Bus, il s’appliquera à l’ensemble du groupe RATP et, dès 2021, à tous les salariés des filiales privées existantes. L’expérience de la SNCF et des deux grosses grèves de 2016 contre la réglementation du travail interne et celle de 2018 contre l’ouverture à la concurrence du secteur ferroviaire, a décidé le ministère des transports, la RATP et l’union des Transports publics à combiner l’attaque contre les conditions de travail des agents RATP et l’ouverture à la concurrence. Ils négocient ce deal avec les représentants syndicaux (l’UNSA notamment favorable au « dialogue social ») qui prévoit des régressions sociales importantes pour les anciens agents « statutaires » comme la perte de 6 jours de repos/an, de 5 jours de congé, l’obligation de travailler 1 heure de plus par jour (7h30 au lieu de 6h30). L’objectif est de développer sans recruter, sans remplacer les départs alors que le service  public tourne 7 jours sur 7 avec de larges amplitudes horaires et une pénibilité au travail importante. « Les gens se moquent : RATP = ResteAssisT’esPayé,  mais qu’ils viennent faire 7h30 d’affilée de conduite en région parisienne » !

 

C’est un bouleversement total de culture qui est entrepris. La direction a préparé le terrain en créant un « accompagnement pour l’adaptation » : formation des « managers » sur l’individualisation des rémunérations et des déroulements de carrière. Des responsables de la transformation ont été nommés. Redéploiement des postes, arrêt des recrutements, reconversions externes et aide à la création d’entreprises, recours à des licenciements et à des méthodes de harcèlement contre les salariés militants. Un management très agressif est mis en place, la méthode est rôdée, les salariés d’Air France ou de France Télécom la connaissent, avec les phénomènes d’isolement, de fragilisation des individus, de perte de sens et de montée du mal-être au travail. Les agents sont pris de vertige. Les réorganisations se succèdent.

 

Ce vendredi 2 avril 2021, l’appel à mobilisation de la CGT pour soutenir un militant en procédure de licenciement n’a pas eu d’incidence sur le trafic RATP. Et pourtant, ce sont les mêmes salariés qui, le  13 septembre 2019, entamaient, avec d’autres, la grève la plus longue dans l’histoire du mouvement ouvrier, notamment à la RATP et SNCF : 60 jours de grève contre la contre-réforme des retraites, ayant permis de bloquer le projet. On pouvait espérer qu’un an plus tard, le 19 novembre 2020, les grévistes, à l’appel des syndicats, allaient remettre le couvert contre la privatisation, contre les régressions annoncées des  conditions de travail. Mais l’atmosphère a changé et la direction a choisi la répression pour effacer de la mémoire le blocage des dépôts de bus, etc… de 2019, pour ne garder que l’image des militants réprimés. L’UNSA RATP a tout fait pour isoler sa propre base, jouant le rôle d’accompagnement de la direction. Quant à la CGT, deuxième organisation dans l’entreprise, elle est au centre d’attaques d’ampleur contre certaines figures de la grève (procédure de licenciement, harcèlement de militants…).

 

Les reculs sociaux subis, malgré les mobilisations, ont marqué les « anciens militants » et les appels à la grève de novembre et décembre 2019 n’ont pas réussi à mobiliser largement. Malgré tout,  une nouvelle génération s’est levée et la grève de 2018 contre la « réforme » des retraites a permis de renouer avec la construction de l’auto-organisation, avec notamment l’émergence de la coordination RATP-SNCF. La base et donc capable de revenir sur le terrain des luttes coordonnées entre les agents SNCF et RATP mais aussi avec ceux qui relèvent des transports privés, et pourraient, comme les agents de Total Grandpuits l’on fait, élargir leur lutte au-delà même des salariés directement concernés, en expliquant, informant, les usagers, les citoyens, les défenseurs de l’environnement, les habitants des quartiers populaires qui ont besoin des services publics de transport franciliens… et qui verront les lignes « non rentables » fermer, des augmentations de tarifs s’appliquer, des emplois supprimés…

 

Alors, à qui le tour ou ça suffit ?

 

Il est plus qu’urgent de se mobiliser contre le « système » qui réussit à nous imposer la disparition des services publics, les uns après les autres. L’on ne peut se contenter de proposer des mesures plus « humaines » ou des aménagements du capitalisme. Sortir du modèle ultra-libéral est la seule solution pour revenir à des services publics répondant à l’intérêt général et non à la rémunération des actionnaires. Cela passe par la remise en cause des législations européennes, par l’instauration d’un contrôle des usagers et des salariés. Toutes les promesses affichées dans le « dialogue social » sont vaines : il n’y a rien à négocier ! Le transport en commun c’est comme l’hôpital  ou l’éducation, un service public à part entière, les logiques d’entreprise n’ont rien à y faire. Il suffit de regarder les conséquences de la privatisation de la SNCF (cf encart) pour être assurés que face à ces politiques, il est plus que nécessaire d’exiger un service public de transport en commun gratuit à même d’assurer les enjeux sociaux et écologiques sans que cela ne se fasse au détriment des salariés et des usagers. La période électorale qui s’annonce peut permettre de poser des exigences aux « prétendants »… sans illusion aucune sur leur capacité à décider mais pour dévoiler leur capacité à mentir.

 

Odile Mangeot, le 17.04.2021

 

 

(1)   PES mars 2018 (n° 42) « la bataille du rail aura-t-elle lieu ? »

(2)   PES janvier 2021 (n° 69) « Combattre Hercule »

 

sources : NPA RP, CGT RATP, SUD Rail

 

 

Zéro sur toute la (les) ligne (s)

Bilan de la casse de la SNCF

 

7 000 emplois en moins en 3 ans (2017-2019). Au prétexte d’être « plus attractif et engagé » la SA  SNCF a réalisé le principal plan de suppression d’emplois en France ! (selon SUD Rail).

 

Sur  le plan de la rentabilité ? Une catastrophe !

-        ouverture à la concurrence du fret = désastreux en raison de son manque de compétitivité, elle a réduit les coûts au détriment de salariés

-        ouverture à la concurrence des trains régionaux avec système de franchise, c’est-à-dire : mêmes trains, mêmes infrastructures – mêmes cheminots, mais logo différent et conditions de travail dégradées = désastreux

-        ouverture à la concurrence des LGV = échec, aucune autre compagnie n’a mis en circulation des LGV

 

Bilan social catastrophique : violences managériales – fin des embauches au statut – recherche de la productivité à tout prix – dégradation des conditions de travail – salaire figés depuis 7 ans…

 

Bilan économique  lamentable : le passage en SA a multiplié les entités autonomes, les frais de structure et le recrutement de personnels d’encadrement = la SNCF a dû faire un emprunt de 2 milliards supplémentaires sur 30 ans !

 

et tout ça pour un service aux usagers dégradé

 

https://www.revolutionpermanente.fr