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Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 31 mai 2021

 

Externalisation de l’action publique

 

Un quart du budget de l’Etat s’évapore en sous-traitance en confiant à des acteurs privés la réalisation de tout ou partie de l’action publique, qu’elle soit nationale ou territoriale. C’est le constat du Collectif Nos Services Publics. Ces pratiques se sont développées dans les années 1990 dans le cadre de la « modernisation de l’administration » (Rocard), puis de « réforme de l’Etat » (Juppé). L’action publique est devenue un marché qui se met en œuvre sous différentes formes : contrats de partenariats public-privé (créés en 2004), contrats avec des prestataires pour la gestion de tâches dévolues jusqu’alors aux institutions publiques, etc. Les politiques d’austérité et de réduction des dépenses publiques menées par les gouvernements successifs, ont contraint, par la norme ou la réglementation : ainsi, le gouvernement Jospin a mis en place la fongibilité asymétrique des crédits, c’est-à-dire la possibilité de redéployer le budget du personnel pour financer d’autres dépenses mais l’interdiction de faire le mouvement inverse ; plus contraignant encore, il a imposé un plafond d’emplois en équivalent temps plein par ministère. Cela s’est amplifié avec Sarkozy et la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP) pour réduire les coûts budgétaires notamment d’emploi public, avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, partant en retraite. Le démembrement des services publics s’est accompagné (dans les années 2010) de la création de multiples agences sous statut d’établissements publics, comme les ARS – Agences Régionales de Santé ou Santé publique France… Toutes ces modifications dans la gestion de l’action publique ont engendré l’éclatement des donneurs d’ordre, l’enchevêtrement des compétences, la concurrence entre ces entités rendant toute coordination impossible. Hollande a pris sa place dans ce processus : dans son « plan de modernisation de l’action publique », il a, par exemple, offert aux entreprises privées la délivrance de titres officiels (visas, cartes grises).

 

Macron accélère le mouvement

 

De la droite à la gauche de droite, chacun a mis sa touche, Macron veut laisser sa marque de fabrique : projet Action publique 2022, dans lequel, notamment, il élargit la sous-traitance à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, au contrôle réglementaire, à la protection du consommateur et à la répression des fraudes, etc. De manière plus profonde, lui qui veut « renouveler le modèle politique français », lui, le défenseur de « la méritocratie » pour « une société de la mobilité et non de la rente », a décidé dans la dernière année de son mandat, de se débarrasser du système trop rigide, selon lui, fondant les carrières des hauts fonctionnaires sur l’ancienneté. Dès son élection, il a donné le « la » en s’entourant, pour son cabinet, de personnes issues du secteur privé, des cabinets de consultants notamment. Il vient d’annoncer la suppression de l’ENA pour la remplacer par l’Institut du Service Public, puis la fin programmée des grands corps des inspections générales (IGAS, IGF, IGA) (1) et, enfin, la fin de l’institution bonapartiste du corps préfectoral ; non pas que les préfets et sous-préfets disparaîtront, leur fonction est maintenue, mais il s’agit de casser la structure trop corporative à ses yeux et d’ouvrir ces responsabilités à de nouveaux profils, en recrutant dans un vivier hors de la rigidité des corps constitués. La réforme de la fonction publique sera présentée en conseil des ministres le 26 mai prochain.

 

Liquidation totale, tout doit disparaître ?

 

L’externalisation se met en place sous différentes formes juridiques et concerne tous les pans de l’action publique, du nettoyage des locaux à l’élaboration des politiques, y compris la rédaction de l’exposé des motifs d’une loi ( !). Ce n’est pas une opération de liquidation totale affichée, mais c’est un travail de sape qui au profit d’autres acteurs.

 

Les membres du Collectif Nos Services Publics alertent sur les dysfonctionnements de la puissance publique. Ils ont chiffré l’externalisation à 160 milliards d’euros par an, soit 7 % du PIB ou un quart du budget de l’Etat qui s’évapore en sous-traitance à tous les échelons : Etat, collectivités territoriales, hôpitaux, entreprises publiques. (120 milliards pour les délégations de service public et 40 milliards pour les prestations de service). Ils relatent l’ampleur du phénomène, « limitant la capacité des pouvoirs publics à confier des missions à leurs propres opérateurs publics » afin de favoriser la mise en concurrence. Cela va avec la réduction du nombre d’emplois publics.

 

En fait, cette politique sert deux objectifs : la suppression des postes de fonctionnaires et la privatisation de l’action publique. Les défenseurs du service public et des agents qui le rendent font valoir les risques de perte de compétences pour la mise en œuvre des actions de la puissance publique, de dévoiement possible de l’intérêt général, de la dégradation du service public et de l’inféodation des salariés aux politiciens qui se succèderont… Le recours à des prestataires privés pour tout, ou presque, revient à déposséder la puissance publique de ses compétences. Pour ne prendre qu’un exemple : dans le secteur de la certification, des organismes privés sont accrédités par une instance nationale (le comité français d’accréditation) pour délivrer des labels publics (certificat phytosanitaire, agriculture biologique…). C’est le savoir-faire des agents publics qui est remis en cause, leur compétence métier. L’externalisation aboutit à un recul de la souveraineté et de la capacité de pilotage des décideurs publics, qui ne se donnent plus les moyens de contrôler le délégataire dans les missions qu’ils lui confient.      

 

Cela ne résout en rien les moyens financiers des acteurs publics, qui se sont vus, au fil des « réformes » spoliés par les décisions arbitraires dans la mise en œuvre de la décentralisation-déconcentration, donnant plus de compétences aux collectivités territoriales, et, parallèlement, leur retirant des recettes (dotation globale de fonctionnement -  non compensation intégrale des recettes lors des transferts de compétences, suppression de la taxe d’habitation, etc.). La sous-traitance est un surcoût financier sur le temps long, et rend impossible la mutualisation des compétences entre territoires ; elle favorise le recrutement de personnels non formés et dénature le service public.

 

Macron préfère les start-up

 

Dans le dernier acte de son mandat, la réforme de la fonction publique qu’il s’apprête à poser, Macron jouet-il son dernier atout avant les présidentielles ou achève-t-il « son » œuvre avant un échec ? Quoiqu’il en soit, il tente de mettre de son côté ceux qui considèrent que les fonctionnaires sont inutiles, font carrière sans risques et coûtent cher. Cette politique n’est pas nouvelle. Depuis une quinzaine d’années, le nombre d’agents recrutés sous contrat s’est considérablement accru dans la fonction publique : de 755 307 en 2005 à 1 125 900 en 2019, soit + 49 %. Le modèle européen, et allemand, est défendu par ceux qui prônent un statut public aux seules fonctions régaliennes ou d’autorité (magistrats, policiers). L’entreprise de liquidation totale de la fonction publique, menée sur un temps long, a lézardé, cette construction préservant « l’intérêt général », sans que l’on s’en rende compte, sauf quand surgit une crise.

 

Outre que la pandémie a révélé au grand jour l’état de délabrement du service public de santé faute de lui donner les moyens suffisants, elle a permis à d’autres d’en tirer profit. Ainsi, la start-up Doctolib est devenue un acteur central dans la campagne de vaccination Covid ; c’est le champion français de la prise de rendez-vous en ligne. La petite PME des origines, gérant les rendez-vous médicaux ordinaires, compte désormais plus de 1 400 salariés. Elle s’est hissée au rang de licorne, terme désignant les start-up ayant atteint une valorisation financière supérieure à un milliard de dollars. En à peine 6 ans d’existence, elle rejoint les champions, BlaBlaCar, l’hébergeur OVH et la plate-forme de streaming musical Deezer. Sucess story à la française clame avec enthousiasme le secrétaire d’Etat au Numérique, Cédric O. Succès qui ne réjouit pas certains acteurs de la santé, inquiets sur le contrôle des données et leur utilisation.

 

Est-ce cela que nous voulons pour demain ? Une société gérée par des start-up qui se valorisent en Bourse pour le profit des ultra-riches, une société totalement numérisée ouvrant la boîte de Pandore de la surveillance généralisée ?

 

Odile Mangeot, le 20 mai 2021   

 

sources : nosservicespublics.fr – Politis     

 

(1)   IGAS : inspection générale de l’action sociale – IGF – inspection générale des finances – IGA – inspection générale de l’administration

 

Encart

 

Deux poids, deux mesures

Silence de mort pour une assistante sociale

 

Dans l’Auge, un millier de personnes ont participé à la marche blanche en hommage à Audrey Adam, une assistance sociale de 36 ans, vraisemblablement tuée par balle dans l’exercice de ses fonctions.

Une semaine plus tôt, un autre homicide était commis, celui d’un officier de police à Avignon. Aussitôt, le gouvernement déclarait la France entière en deuil, saluant un homme « exemplaire », dont la fonction était érigée comme « la priorité du gouvernement ».

Nul mot ne fut prononcé pour notre tout aussi brave et cruciale travailleuse sociale,  nul ministre ne se hâta de faire le constat d’une profession précarisée et de conditions de travail dégradées. Depuis, le collectif Le Travail social de demain (formé en réaction au drame – fait circuler une pétition de soutien qui a déjà recueilli plus de 42 000 signatures.  (paru dans Politis 27.05.2021)