Externalisation
de l’action publique
Un
quart du budget de l’Etat s’évapore en sous-traitance en confiant à des acteurs
privés la réalisation de tout ou partie de l’action publique, qu’elle soit
nationale ou territoriale. C’est le constat du Collectif Nos Services Publics.
Ces pratiques se sont développées dans les années 1990 dans le cadre de la « modernisation
de l’administration » (Rocard), puis de « réforme de l’Etat »
(Juppé). L’action publique est devenue un marché qui se met en œuvre sous
différentes formes : contrats de partenariats public-privé (créés en
2004), contrats avec des prestataires pour la gestion de tâches dévolues
jusqu’alors aux institutions publiques, etc. Les politiques d’austérité et de
réduction des dépenses publiques menées par les gouvernements successifs, ont
contraint, par la norme ou la réglementation : ainsi, le gouvernement Jospin a mis en place la
fongibilité asymétrique des crédits, c’est-à-dire la possibilité de redéployer
le budget du personnel pour financer d’autres dépenses mais l’interdiction de faire le mouvement inverse ; plus
contraignant encore, il a imposé un plafond d’emplois en équivalent temps plein
par ministère. Cela s’est amplifié avec Sarkozy et la Révision Générale des
Politiques Publiques (RGPP) pour réduire les coûts budgétaires notamment d’emploi
public, avec le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, partant en
retraite. Le démembrement des services publics s’est accompagné (dans les
années 2010) de la création de multiples agences sous statut d’établissements
publics, comme les ARS – Agences Régionales de Santé ou Santé publique France… Toutes
ces modifications dans la gestion de l’action publique ont engendré l’éclatement
des donneurs d’ordre, l’enchevêtrement des compétences, la concurrence entre
ces entités rendant toute coordination impossible. Hollande a pris sa place
dans ce processus : dans son « plan de modernisation de l’action
publique », il a, par exemple, offert aux entreprises privées la
délivrance de titres officiels (visas, cartes grises).
Macron accélère
le mouvement
De
la droite à la gauche de droite, chacun a mis sa touche, Macron veut laisser sa
marque de fabrique : projet Action publique 2022, dans lequel, notamment,
il élargit la sous-traitance à l’accompagnement des demandeurs d’emploi, au
contrôle réglementaire, à la protection du consommateur et à la répression des
fraudes, etc. De manière plus profonde, lui qui veut « renouveler le
modèle politique français », lui, le défenseur de « la méritocratie »
pour « une société de la mobilité et non de la rente », a décidé dans
la dernière année de son mandat, de se débarrasser du système trop rigide,
selon lui, fondant les carrières des hauts fonctionnaires sur l’ancienneté. Dès
son élection, il a donné le « la » en s’entourant, pour son cabinet,
de personnes issues du secteur privé, des cabinets de consultants notamment. Il
vient d’annoncer la suppression de l’ENA pour la remplacer par l’Institut du
Service Public, puis la fin programmée des grands corps des inspections
générales (IGAS, IGF, IGA) (1) et, enfin, la fin de l’institution bonapartiste
du corps préfectoral ; non pas que les préfets et sous-préfets
disparaîtront, leur fonction est maintenue, mais il s’agit de casser la
structure trop corporative à ses yeux et d’ouvrir ces responsabilités à de
nouveaux profils, en recrutant dans un vivier hors de la rigidité des corps constitués.
La réforme de la fonction publique sera présentée en conseil des ministres le
26 mai prochain.
Liquidation
totale, tout doit disparaître ?
L’externalisation
se met en place sous différentes formes juridiques et concerne tous les pans de
l’action publique, du nettoyage des locaux à l’élaboration des politiques, y
compris la rédaction de l’exposé des motifs d’une loi ( !). Ce n’est pas
une opération de liquidation totale affichée, mais c’est un travail de sape qui
au profit d’autres acteurs.
Les
membres du Collectif Nos Services Publics
alertent sur les dysfonctionnements de la puissance publique. Ils ont chiffré
l’externalisation à 160 milliards d’euros
par an, soit 7 % du PIB ou un quart du
budget de l’Etat qui s’évapore en sous-traitance à tous les échelons :
Etat, collectivités territoriales, hôpitaux, entreprises publiques. (120
milliards pour les délégations de service public et 40 milliards pour les
prestations de service). Ils relatent l’ampleur du phénomène, « limitant la capacité des pouvoirs publics à
confier des missions à leurs propres opérateurs publics » afin de
favoriser la mise en concurrence. Cela va avec la réduction du nombre d’emplois
publics.
En
fait, cette politique sert deux objectifs : la suppression des postes de
fonctionnaires et la privatisation de l’action publique. Les défenseurs du
service public et des agents qui le rendent font valoir les risques de
perte de compétences pour la mise en œuvre des actions de la puissance publique,
de dévoiement possible de l’intérêt
général, de la dégradation du service public et de l’inféodation des
salariés aux politiciens qui se succèderont… Le recours à des prestataires
privés pour tout, ou presque, revient à déposséder la puissance publique de ses
compétences. Pour ne prendre qu’un exemple : dans le secteur de la
certification, des organismes privés sont accrédités par une instance nationale
(le comité français d’accréditation) pour délivrer des labels publics (certificat
phytosanitaire, agriculture biologique…). C’est le savoir-faire des agents
publics qui est remis en cause, leur compétence métier. L’externalisation
aboutit à un recul de la souveraineté
et de la capacité de pilotage des décideurs publics, qui ne se donnent plus les
moyens de contrôler le délégataire dans les missions qu’ils lui confient.
Cela
ne résout en rien les moyens financiers des acteurs publics, qui se sont vus,
au fil des « réformes » spoliés par les décisions arbitraires dans la
mise en œuvre de la décentralisation-déconcentration, donnant plus de
compétences aux collectivités territoriales, et, parallèlement, leur retirant
des recettes (dotation globale de fonctionnement - non compensation intégrale des recettes lors
des transferts de compétences, suppression de la taxe d’habitation, etc.). La sous-traitance est un surcoût
financier sur le temps long, et rend impossible la mutualisation des compétences
entre territoires ; elle favorise le recrutement de personnels non formés
et dénature le service public.
Macron
préfère les start-up
Dans
le dernier acte de son mandat, la réforme de la fonction publique qu’il
s’apprête à poser, Macron jouet-il son dernier atout avant les présidentielles
ou achève-t-il « son » œuvre avant un échec ? Quoiqu’il en soit,
il tente de mettre de son côté ceux qui considèrent que les fonctionnaires sont inutiles, font carrière sans risques et
coûtent cher. Cette politique n’est pas nouvelle. Depuis une quinzaine
d’années, le nombre d’agents recrutés sous
contrat s’est considérablement accru
dans la fonction publique : de 755 307 en 2005 à 1 125 900
en 2019, soit + 49 %. Le modèle européen, et allemand, est défendu par ceux qui
prônent un statut public aux seules fonctions régaliennes ou d’autorité
(magistrats, policiers). L’entreprise de liquidation totale de la fonction
publique, menée sur un temps long, a lézardé, cette construction préservant « l’intérêt
général », sans que l’on s’en rende compte, sauf quand surgit une crise.
Outre
que la pandémie a révélé au grand jour l’état de délabrement du service public
de santé faute de lui donner les moyens suffisants, elle a permis à d’autres
d’en tirer profit. Ainsi, la start-up
Doctolib est devenue un acteur central dans la campagne de vaccination Covid ;
c’est le champion français de la prise de rendez-vous en ligne. La petite PME
des origines, gérant les rendez-vous médicaux ordinaires, compte désormais plus
de 1 400 salariés. Elle s’est
hissée au rang de licorne, terme désignant les start-up ayant atteint une
valorisation financière supérieure à un milliard de dollars. En à peine 6 ans
d’existence, elle rejoint les champions, BlaBlaCar, l’hébergeur OVH et la
plate-forme de streaming musical Deezer. Sucess
story à la française clame avec enthousiasme le secrétaire d’Etat au Numérique,
Cédric O. Succès qui ne réjouit pas certains acteurs de la santé, inquiets sur
le contrôle des données et leur utilisation.
Est-ce
cela que nous voulons pour demain ? Une société gérée par des start-up qui
se valorisent en Bourse pour le profit des ultra-riches, une société totalement
numérisée ouvrant la boîte de Pandore de la surveillance généralisée ?
Odile
Mangeot, le 20 mai 2021
sources :
nosservicespublics.fr – Politis
(1)
IGAS : inspection
générale de l’action sociale – IGF – inspection générale des finances – IGA –
inspection générale de l’administration
Encart
Deux poids,
deux mesures
Silence de
mort pour une assistante sociale
Dans
l’Auge, un millier de personnes ont participé à la marche blanche en hommage à
Audrey Adam, une assistance sociale de 36 ans, vraisemblablement tuée par balle
dans l’exercice de ses fonctions.
Une
semaine plus tôt, un autre homicide était commis, celui d’un officier de police
à Avignon. Aussitôt, le gouvernement déclarait la France entière en deuil,
saluant un homme « exemplaire », dont la fonction était érigée comme
« la priorité du gouvernement ».
Nul
mot ne fut prononcé pour notre tout aussi brave et cruciale travailleuse
sociale, nul ministre ne se hâta de
faire le constat d’une profession précarisée et de conditions de travail
dégradées. Depuis, le collectif Le
Travail social de demain (formé en réaction au drame – fait circuler une
pétition de soutien qui a déjà recueilli plus de 42 000 signatures. (paru dans Politis 27.05.2021)