Tchad
Le changement dans la continuité
Extraits
du discours d’Emmanuel Macron prononcé à N’Djamena, le 23 avril 2021, lors des
obsèques d’Idriss Deby. « Chers
membres du conseil de transition, mesdames et messieurs les chefs d’Etats et de
gouvernements, madame, cher Président, cher maréchal, cher Idriss, nous voilà
réunis devant votre dépouille, après 3 décennies passées à la tête de votre
pays et tant de combats livrés avec bravoure ».
Quelques
explications, et précisions sont nécessaires pour bien apprécier l’hypocrisie,
le cynisme dont a fait preuve « notre » président, ce jour-là. Et ça
commence très, très fort : ces premiers mots saluent les 15 membres du
Conseil de transition. Ces 15 personnes sont des militaires tchadiens, tous
issus de la garde présidentielle d’Idriss Déby. Ces 15 personnes assurent le
pouvoir depuis la mort du président tchadien, et ceci, dans une totale
illégalité.
La
Constitution prévoyait, en effet que le Président de l’assemblée nationale
devait assurer l’intérim et organiser des élections dans les 90 jours. Or, ces
militaires ont dissous l’assemblée, de même que le gouvernement en place,
abrogé la Constitution, séquestré le président. Cela s’appelle un coup d’Etat et ce conseil de transition,
une junte.
Ils
ont nommé un autre gouvernement et vont prendre la direction du Tchad,
jusqu’aux prochaines élections, prévues dans… 18 mois, ou peut-être même encore
plus tard car cette période est renouvelable une fois, donc ces élections se
dérouleront, si elles se déroulent, peut-être dans… 3 ans. Le Conseil de
transition assure qu’elles seront, bien sûr, libres et démocratiques…
Dans la
famille Déby : le fils, la mère…
Emmanuel
Macron commence donc son discours en saluant un groupe de militaires qui
viennent de faire un coup d’Etat. Il les adoube donc, reconnaît, entérine et
soutient leur action. Bref, il se rend complice
d’un putsch militaire sans aucun état d’âme ! Gabriel Attal, le porte-parole
du gouvernement, va même ajouter : « La France a pris acte des conditions dans lesquelles la transition
commence et espère une transition pacifique vers une gouvernance civile et
stable ». Cerise sur le gâteau : le chef de cette junte s’appelle
Mahamat Idriss Deby… le fils du président défunt. Et cela ne semble poser aucun
problème aux autorités françaises.
Emmanuel
Macron va ensuite saluer Hinda Deby Into, veuve d’Idriss Déby, tchadienne,
naturalisée française en 2017 – il nous semblait qu’il valait mieux vivre en
France pour être naturalisé mais, apparemment, ce n’est pas le cas pour certaines
personnes… Le fait que cette dernière ne soit que l’une des huit épouses
connues du président, ne semble pas encore une fois, poser le moindre souci au
président. Idriss Déby respectant, en effet, l’une des coutumes de l’ethnie
Zaghawa dont il est issu, qui consiste à se marier en fonction de ses intérêts.
Par exemple, en 2005, il s’est marié avec la fille d’un chef de tribu Hinda,
pour qu’ils ne se rallient pas aux rebelles soudanais ou en 2012, il épouse la
fille d’un chef de milice Janjawid.
Puisque
l’on parle de la famille Deby, attardons nous sur le chef actuel du Tchad, Mahamat
Idriss Déby. Sa mère n’est pas l’une des épouses officielles d’Idriss Déby, n’étant
pas de l’ethnie Zaghawa. A la naissance, son fils lui fut retiré et élevé par
la mère de l’ex-président… J’espère que vous suivez. Il a donc été élevé par la
même personne que son père. On comprend mieux la fulgurante ascension du jeune
homme : à 25 ans, il est général de brigade, à 31 ans, général de corps
d’armée et à 38 ans « président » tchadien.
… le père
Etonnant,
au même âge, son père prenait lui aussi le pouvoir au Tchad, c’était en 1990.
Après avoir suivi une formation
militaire en France, Idriss Déby rentre au Tchad en 1979 et collabore avec
le sinistre Hissène Habbré, alors opposant au pouvoir en place. En 1980, il
devient commandant en chef des forces armées du nord. A noter qu’il était sorti
de l’école militaire avec le titre de pilote d’hélicoptère. Dans l’armée
tchadienne, quand on est ami avec le chef, on monte très vite en grade.
En
1982, Hissène Habbré prend le pouvoir par la force, Deby devient alors son
conseiller pour la Défense. Il est un très proche collaborateur d’un des
dictateurs les plus féroces qu’a connu le continent africain. De 1982 à 1990,
il fait régner la terreur sur le Tchad, il sera responsable de la mort de plus
de 40 000 personnes. Il sera d’ailleurs condamné par le Tribunal spécial
africain, à la prison à perpétuité, pour crime contre l’humanité, crimes de
guerre, tortures, viols, esclavage, enlèvements…
Habbré
sera renversé en 1990 par… Idriss Déby. Pourquoi l’a-t-il renversé ? Pour
mettre fin à ses pratiques inhumaines ? Pas du tout. C’est parce qu’il
commençait à s’en prendre à l’ethnie Zaghawa que Déby va agir, car concernant
ses pratiques, Déby, même si cela sera un peu moins violent, continuera à s’inspirer
de H. Habbré. Ce coup d’Etat se fera
avec l’aide des services secrets français,
jamais très loin quand il s’agit de la « gouvernance » des anciennes
colonies. Déby devient donc président du Tchad, il sera réélu 6 fois, dans le
cadre, bien sûr, d’élections libres et démocratiques, comme par exemple, celle
d’avril 2011, avec 88.7 % des voix…
Durant
ses 30 années de pouvoir absolu, soutenu
sans faille par la France, mieux vaut ne pas être un opposant. La garde
présidentielle suréquipée, sur-préparée, surmotivée, se charge de les ramener
dans le « droit » chemin. Cette garde est issue de l’armée
tchadienne, elle-même très bien équipée et très efficace. Durant ces années, de
nombreux opposants disparaissent, comme Ibn Oumar Saleh, arrêté par l’armée en
2008 qui n’a jamais réapparu ; d’autres croupissent dans des prisons
spéciales, où la torture et pratique courante.
Pendant
ces 30 années, Déby, malgré le pétrole découvert dans le sud, l’or présent dans
le nord, ne va absolument pas améliorer la situation économique et sociale du
pays. Par contre, celle de son clan va, elle, évoluer très bien. En 2018, les Panama Papers indiquent que le clan Déby
s’est considérablement enrichi, en détournant plus de 10 milliards de dollars
placés dans des paradis fiscaux.
Cette
même année, le Tchad est classé 3ème pays le plus pauvre du monde
(Indice de Développement Humain) et les salaires des fonctionnaires sont
baissés de 30 %. La situation des femmes, malgré une idée répandue en France,
ne s’est pas du tout améliorée. 68 % des filles sont mariées avant 18 ans, 30 %
avant 15 ans, 38 % subissent toujours des mutilations génitales. Il est vrai
qu’avec l’exemple donné par le chef de l’Etat, on comprend que la situation
aura du mal à évoluer.
La
« gouvernance » Déby a eu pour conséquences, pour le peuple tchadien,
la misère, la violence, l’absence de liberté.
… et les
« chers » amis français
« Notre »
chef d’Etat a profité, bien sûr, de cette tribune pour critiquer cette
situation, pointer les responsables de ce désastre, donner des perspectives
d’avenir démocratique au peuple tchadien… Jugez vous-mêmes : « Les batailles que vous avez menées ont
toujours eu pour but la défense de l’intégrité territoriale de la patrie, la
préservation de la stabilité et de la paix, la lutte pour la liberté, la
sécurité, la justice… vous avez donné votre vie pour le Tchad, ses citoyens,
ses citoyennes. Je partage le deuil d’un ami et allié fidèle ; Idriss,
vous étiez un chef exemplaire, un guerrier valeureux… ». Pour résumer,
Macron a, dans sa prise de parole, au nom de la France, de son peuple, fait
l’éloge d’un dictateur sanguinaire et il a adoubé ses successeurs qui partent
sur les mêmes bases de « gouvernance ».
On
comprend mieux le sentiment anti-français qui se développe en Afrique. Au
Tchad, le peuple est descendu dans la rue pour protester contre le coup d’Etat
du clan Déby, et contre le soutien français. L’armée a, comme d’habitude, tiré
dans la foule : 9 morts. « Notre » président et la diplomatie
française n’auraient-ils pas une part de
responsabilité dans ces assassinats ?
Passé
l’écoeurement que provoque cette situation, on peut se demander pourquoi un tel
soutien, une telle partialité, une telle injustice dans le comportement
français vis-à-vis du Tchad. Cette ancienne colonie, située au cœur de
l’Afrique, a toujours été sous la tutelle française. La France a toujours
soutenu les différents régimes tchadiens, souvent militairement. En échange, le
Tchad a soutenu les actions françaises dans la région. Actuellement, l’armée
tchadienne est le fer de lance de l’opération Barkhane, dont le commandement se
trouve à N’Djamena. Le Tchad a également souvent été mêlé au financement des partis
politiques français et à leurs campagnes électorales. Ceci était quasiment officiel
à la grande époque de la Françafrique, mais il semble que ces pratiques soient
toujours d’actualité. En 2017, Benalla (Alexandre)(2) s’est rendu 5 fois au
Tchad… Marine le Pen a également fait le voyage. Pas de preuves bien sûr, mais
beaucoup de présomptions.
Macron
qui se présente comme le fossoyeur de la Françafrique n’en serait-il pas plutôt
le parfait continuateur ?
Thomas
Dietrich (1), dans une interview au Média,
déclare : « On est revenu aux
heures les plus sombres de la Françafrique. La France nomme les dirigeants
africains comme les préfets de Meurthe-et-Moselle (ou d’ailleurs), on est revenu comme à l’époque de
Foccart. 14 pays utilisent encore le franc CFA, contrôlé, imprimé par Paris ».
Le constat est des plus justes. Il ajoute : « Les peuples africains en ont marre des dictateurs choisis, soutenus par
la France ».
On
comprend mieux pourquoi Macron conclut en disant : « La France ne laissera jamais personne
menacer le Tchad ».
Et le
peuple ?
Ll’avenir
sera peut-être plus compliqué à gérer. On présente la mort de Déby comme celle
d’un chef de guerre mort au combat. On a un peu de mal à imaginer un chef
d’Etat en première ligne, face à des rebelles ; Il semblerait plutôt qu’il
ait été avec son état-major, en retrait, pour diriger les combats et que les balles
qui l’ont tué soient venues de son propre camp. En effet, Déby, même avec ses
collaborateurs, avait des méthodes assez fermes… Récemment, un membre de son
clan a émis quelques réserves concernant sa façon de gouverner, celui-ci a reçu
un coup de téléphone de Déby pour le ramener à la raison, et pour être sûr
qu’il avait bien compris, Déby a fait tirer sur sa maison au char d’assaut,
tuant au passage des membres de sa famille. On peut comprendre que certains
puissent ressentir une certaine animosité, même dans leur clan, envers le
président. De plus, Mahamat Idriss Déby, le nouvel homme fort du régime, est loin
de faire l’unanimité, au sein même du pouvoir tchadien. Sa mère, et sa femme
sont de l’ethnie Gorane et non Zaghawa. Cette ethnie est celle dont sont issus
les rebelles du Front Pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT). C’est
également de cette ethnie que provenait le sinistre Hissène Habbré.
La
situation de l’exécutif tchadien actuel est très instable. Beaucoup espèrent,
beaucoup redoutent une « nuit des longs couteaux ».
Macron
tient à ce que le Tchad reste un « protectorat » français pour
conserver l’appui de ce régime dictatorial. Apparemment, cela n’a pas perturbé,
n’a pas choqué, ne semble même pas avoir surpris les éditorialistes des grands
médias français. Ce discours semble ne pas les avoir dérangés le moins du
monde.
L’on
ne peut qu’espérer que ce moment pathétique, méprisable, de la diplomatie
française aura permis au peuple tchadien de se rendre compte qu’il ne peut
compter que sur lui-même, surtout pas sur l’ancien colonisateur. Cela ne sera
pas simple car les Tchadiens subissent actuellement une pression policière
terrible et une désinformation de tous les instants. Pourtant, un grand
soulèvement populaire est le seul moyen
qui s’offre à eux, pour espérer, un jour, vivre dans un pays qui connaîtra
enfin de vraies « élections libres et démocratiques ».
Jean-Louis
Lamboley, le 26.05.2021
(1) Thomas Dietrich, collaborateur au Média, romancier, ex-haut fonctionnaire, porte-parole d’un mouvement
d’opposition tchadien - le M3F (le mouvement du 3 février) écrivain
(2) lire l’article Alexandre
Benalla, pour tout l’or du Tchad de Thomas Dietrich, publié le 21.01.2019
sur https://www.liberation.fr/