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lundi 31 mai 2021

 

Tchad

Le  changement dans la continuité

 

Extraits du discours d’Emmanuel Macron prononcé à N’Djamena, le 23 avril 2021, lors des obsèques d’Idriss Deby. « Chers membres du conseil de transition, mesdames et messieurs les chefs d’Etats et de gouvernements, madame, cher Président, cher maréchal, cher Idriss, nous voilà réunis devant votre dépouille, après 3 décennies passées à la tête de votre pays et tant de combats livrés avec bravoure ».

 

Quelques explications, et précisions sont nécessaires pour bien apprécier l’hypocrisie, le cynisme dont a fait preuve « notre » président, ce jour-là. Et ça commence très, très fort : ces premiers mots saluent les 15 membres du Conseil de transition. Ces 15 personnes sont des militaires tchadiens, tous issus de la garde présidentielle d’Idriss Déby. Ces 15 personnes assurent le pouvoir depuis la mort du président tchadien, et ceci, dans une totale illégalité.

 

La Constitution prévoyait, en effet que le Président de l’assemblée nationale devait assurer l’intérim et organiser des élections dans les 90 jours. Or, ces militaires ont dissous l’assemblée, de même que le gouvernement en place, abrogé la Constitution, séquestré le président. Cela s’appelle un coup d’Etat et ce conseil de transition, une junte.

 

Ils ont nommé un autre gouvernement et vont prendre la direction du Tchad, jusqu’aux prochaines élections, prévues dans… 18 mois, ou peut-être même encore plus tard car cette période est renouvelable une fois, donc ces élections se dérouleront, si elles se déroulent, peut-être dans… 3 ans. Le Conseil de transition assure qu’elles seront, bien sûr, libres et démocratiques…

 

Dans la famille Déby : le fils, la mère…

 

Emmanuel Macron commence donc son discours en saluant un groupe de militaires qui viennent de faire un coup d’Etat. Il les adoube donc, reconnaît, entérine et soutient leur action. Bref, il se rend complice d’un putsch militaire sans aucun état d’âme ! Gabriel Attal, le porte-parole du gouvernement, va même ajouter : « La France a pris acte des conditions dans lesquelles la transition commence et espère une transition pacifique vers une gouvernance civile et stable ». Cerise sur le gâteau : le chef de cette junte s’appelle Mahamat Idriss Deby… le fils du président défunt. Et cela ne semble poser aucun problème aux autorités françaises.

 

Emmanuel Macron va ensuite saluer Hinda Deby Into, veuve d’Idriss Déby, tchadienne, naturalisée française en 2017 – il nous semblait qu’il valait mieux vivre en France pour être naturalisé mais, apparemment, ce n’est pas le cas pour certaines personnes… Le fait que cette dernière ne soit que l’une des huit épouses connues du président, ne semble pas encore une fois, poser le moindre souci au président. Idriss Déby respectant, en effet, l’une des coutumes de l’ethnie Zaghawa dont il est issu, qui consiste à se marier en fonction de ses intérêts. Par exemple, en 2005, il s’est marié avec la fille d’un chef de tribu Hinda, pour qu’ils ne se rallient pas aux rebelles soudanais ou en 2012, il épouse la fille d’un chef de milice Janjawid.

 

Puisque l’on parle de la famille Deby, attardons nous sur le chef actuel du Tchad, Mahamat Idriss Déby. Sa mère n’est pas l’une des épouses officielles d’Idriss Déby, n’étant pas de l’ethnie Zaghawa. A la naissance, son fils lui fut retiré et élevé par la mère de l’ex-président… J’espère que vous suivez. Il a donc été élevé par la même personne que son père. On comprend mieux la fulgurante ascension du jeune homme : à 25 ans, il est général de brigade, à 31 ans, général de corps d’armée et à 38 ans « président » tchadien.

 

… le père

 

Etonnant, au même âge, son père prenait lui aussi le pouvoir au Tchad, c’était en 1990. Après avoir suivi une formation militaire en France, Idriss Déby rentre au Tchad en 1979 et collabore avec le sinistre Hissène Habbré, alors opposant au pouvoir en place. En 1980, il devient commandant en chef des forces armées du nord. A noter qu’il était sorti de l’école militaire avec le titre de pilote d’hélicoptère. Dans l’armée tchadienne, quand on est ami avec le chef, on monte très vite en grade.

 

En 1982, Hissène Habbré prend le pouvoir par la force, Deby devient alors son conseiller pour la Défense. Il est un très proche collaborateur d’un des dictateurs les plus féroces qu’a connu le continent africain. De 1982 à 1990, il fait régner la terreur sur le Tchad, il sera responsable de la mort de plus de 40 000 personnes. Il sera d’ailleurs condamné par le Tribunal spécial africain, à la prison à perpétuité, pour crime contre l’humanité, crimes de guerre, tortures, viols, esclavage, enlèvements…

 

Habbré sera renversé en 1990 par… Idriss Déby. Pourquoi l’a-t-il renversé ? Pour mettre fin à ses pratiques inhumaines ? Pas du tout. C’est parce qu’il commençait à s’en prendre à l’ethnie Zaghawa que Déby va agir, car concernant ses pratiques, Déby, même si cela sera un peu moins violent, continuera à s’inspirer de H. Habbré. Ce coup d’Etat se fera avec l’aide des services secrets français, jamais très loin quand il s’agit de la « gouvernance » des anciennes colonies. Déby devient donc président du Tchad, il sera réélu 6 fois, dans le cadre, bien sûr, d’élections libres et démocratiques, comme par exemple, celle d’avril 2011, avec 88.7 % des voix…

 

Durant ses 30 années de pouvoir absolu, soutenu sans faille par la France, mieux vaut ne pas être un opposant. La garde présidentielle suréquipée, sur-préparée, surmotivée, se charge de les ramener dans le « droit » chemin. Cette garde est issue de l’armée tchadienne, elle-même très bien équipée et très efficace. Durant ces années, de nombreux opposants disparaissent, comme Ibn Oumar Saleh, arrêté par l’armée en 2008 qui n’a jamais réapparu ; d’autres croupissent dans des prisons spéciales, où la torture et pratique courante.   

 

Pendant ces 30 années, Déby, malgré le pétrole découvert dans le sud, l’or présent dans le nord, ne va absolument pas améliorer la situation économique et sociale du pays. Par contre, celle de son clan va, elle, évoluer très bien. En 2018, les Panama Papers indiquent que le clan Déby s’est considérablement enrichi, en détournant plus de 10 milliards de dollars placés dans des paradis fiscaux.

 

Cette même année, le Tchad est classé 3ème pays le plus pauvre du monde (Indice de Développement Humain) et les salaires des fonctionnaires sont baissés de 30 %. La situation des femmes, malgré une idée répandue en France, ne s’est pas du tout améliorée. 68 % des filles sont mariées avant 18 ans, 30 % avant 15 ans, 38 % subissent toujours des mutilations génitales. Il est vrai qu’avec l’exemple donné par le chef de l’Etat, on comprend que la situation aura du mal à évoluer.

 

La « gouvernance » Déby a eu pour conséquences, pour le peuple tchadien, la misère, la violence, l’absence de liberté.

 

… et les « chers » amis français

 

« Notre » chef d’Etat a profité, bien sûr, de cette tribune pour critiquer cette situation, pointer les responsables de ce désastre, donner des perspectives d’avenir démocratique au peuple tchadien… Jugez vous-mêmes : « Les batailles que vous avez menées ont toujours eu pour but la défense de l’intégrité territoriale de la patrie, la préservation de la stabilité et de la paix, la lutte pour la liberté, la sécurité, la justice… vous avez donné votre vie pour le Tchad, ses citoyens, ses citoyennes. Je partage le deuil d’un ami et allié fidèle ; Idriss, vous étiez un chef exemplaire, un guerrier valeureux… ». Pour résumer, Macron a, dans sa prise de parole, au nom de la France, de son peuple, fait l’éloge d’un dictateur sanguinaire et il a adoubé ses successeurs qui partent sur les mêmes bases de « gouvernance ».

 

On comprend mieux le sentiment anti-français qui se développe en Afrique. Au Tchad, le peuple est descendu dans la rue pour protester contre le coup d’Etat du clan Déby, et contre le soutien français. L’armée a, comme d’habitude, tiré dans la foule : 9 morts. « Notre » président et la diplomatie française n’auraient-ils  pas une part de responsabilité dans ces assassinats ?

 

Passé l’écoeurement que provoque cette situation, on peut se demander pourquoi un tel soutien, une telle partialité, une telle injustice dans le comportement français vis-à-vis du Tchad. Cette ancienne colonie, située au cœur de l’Afrique, a toujours été sous la tutelle française. La France a toujours soutenu les différents régimes tchadiens, souvent militairement. En échange, le Tchad a soutenu les actions françaises dans la région. Actuellement, l’armée tchadienne est le fer de lance de l’opération Barkhane, dont le commandement se trouve à N’Djamena. Le Tchad a également souvent été mêlé au financement des partis politiques français et à leurs campagnes électorales. Ceci était quasiment officiel à la grande époque de la Françafrique, mais il semble que ces pratiques soient toujours d’actualité. En 2017, Benalla (Alexandre)(2) s’est rendu 5 fois au Tchad… Marine le Pen a également fait le voyage. Pas de preuves bien sûr, mais beaucoup de présomptions.

 

Macron qui se présente comme le fossoyeur de la Françafrique n’en serait-il pas plutôt le parfait continuateur ?

 

Thomas Dietrich (1), dans une interview au Média, déclare : « On est revenu aux heures les plus sombres de la Françafrique. La France nomme les dirigeants africains comme les préfets de Meurthe-et-Moselle (ou d’ailleurs), on est revenu comme à l’époque de Foccart. 14 pays utilisent encore le franc CFA, contrôlé, imprimé par Paris ». Le constat est des plus justes. Il ajoute : « Les peuples africains en ont marre des dictateurs choisis, soutenus par la France ».

 

On comprend mieux pourquoi Macron conclut en disant : « La France ne laissera jamais personne menacer le Tchad ».

 

Et le peuple ?

 

Ll’avenir sera peut-être plus compliqué à gérer. On présente la mort de Déby comme celle d’un chef de guerre mort au combat. On a un peu de mal à imaginer un chef d’Etat en première ligne, face à des rebelles ; Il semblerait plutôt qu’il ait été avec son état-major, en retrait, pour diriger les combats et que les balles qui l’ont tué soient venues de son propre camp. En effet, Déby, même avec ses collaborateurs, avait des méthodes assez fermes… Récemment, un membre de son clan a émis quelques réserves concernant sa façon de gouverner, celui-ci a reçu un coup de téléphone de Déby pour le ramener à la raison, et pour être sûr qu’il avait bien compris, Déby a fait tirer sur sa maison au char d’assaut, tuant au passage des membres de sa famille. On peut comprendre que certains puissent ressentir une certaine animosité, même dans leur clan, envers le président. De plus, Mahamat Idriss Déby, le nouvel homme fort du régime, est loin de faire l’unanimité, au sein même du pouvoir tchadien. Sa mère, et sa femme sont de l’ethnie Gorane et non Zaghawa. Cette ethnie est celle dont sont issus les rebelles du Front Pour l’Alternance et la Concorde au Tchad (FACT). C’est également de cette ethnie que provenait le sinistre Hissène Habbré.

 

La situation de l’exécutif tchadien actuel est très instable. Beaucoup espèrent, beaucoup redoutent une « nuit des longs couteaux ».

 

Macron tient à ce que le Tchad reste un « protectorat » français pour conserver l’appui de ce régime dictatorial. Apparemment, cela n’a pas perturbé, n’a pas choqué, ne semble même pas avoir surpris les éditorialistes des grands médias français. Ce discours semble ne pas les avoir dérangés le moins du monde.

 

L’on ne peut qu’espérer que ce moment pathétique, méprisable, de la diplomatie française aura permis au peuple tchadien de se rendre compte qu’il ne peut compter que sur lui-même, surtout pas sur l’ancien colonisateur. Cela ne sera pas simple car les Tchadiens subissent actuellement une pression policière terrible et une désinformation de tous les instants. Pourtant, un grand soulèvement populaire  est le seul moyen qui s’offre à eux, pour espérer, un jour, vivre dans un pays qui connaîtra enfin de vraies « élections libres et démocratiques ».

 

Jean-Louis Lamboley, le 26.05.2021

 

(1)   Thomas Dietrich, collaborateur au Média, romancier, ex-haut fonctionnaire, porte-parole d’un mouvement d’opposition tchadien - le M3F (le mouvement du 3 février) écrivain

(2)   lire l’article Alexandre Benalla, pour tout l’or du Tchad de Thomas Dietrich, publié le 21.01.2019 sur https://www.liberation.fr/