Qui a cousu
mon jean ?
Qui
a produit le jean que j’ai acheté 29.99€ chez H&M ? Des femmes bangladaises,
voire des enfants qui, pour 15 % de 6 à 14 ans vivant dans les bidonvilles de
Dhaka, travaillent 64H/semaine… Le Bangladesh est 2ème exportateur
mondial de textile derrière la Chine. H&M, comme les autres grandes marques
de vêtements, ne possède pas ses propres usines et se fournit auprès de
sous-traitants : 850 000 petites mains dans plus d’un millier
d’ateliers de confection, de filage, de tissage et de teinture éparpillés sur
une quarantaine de pays pauvres.
Les
ouvriers textiles ne se contentent pas de coudre des ourlets et des boutons.
Pour que mon jean neuf ait cet air usé tant recherché, ils doivent griffer, poncer ou blanchir le tissu,
l’aspergeant de permanganate de potassium avec la technique de pulvérisation à
haute pression, exposant les ouvriers à la silicose. Mais qu’importe, car côté
salaire, le couturier bangladais est très attractif : 83€/mois, moins cher
que celui du Kenya (185€) et celui de Chine (291€). Mais il y a mieux :
l’Ethiopie, où les ouvriers sont payés 23 €/mois !
La production du jean est une aberration
écologique. Les matériaux pour
confectionner un jean vendu en France ont parcouru 65 000 kms (une fois et
demie le tour de la terre !). Les fils textiles sont trempés dans une
teinture d’indigo synthétique faite de produits chimiques comme le formol et le
cyanure d’hydrogène. Puis vient le tissage, au Bangladesh ou ailleurs (Inde,
Chine…) avant la phase de couture. Enfin, « mon » jean subit une
cinquantaine de traitements pour user et patiner le tissu.
Près
de 11 000 litres d’eau pour un seul futal. Le 100% coton a un coût
écologique vertigineux. C’est la culture la plus polluante de la planète. Alors
qu’elle n’occupe que 2.5 % des surfaces cultivées mondiales, elle
engloutit 25% des insecticides et 10%
des herbicides. Elle nécessite d’immenses quantités de flotte, au point d’avoir
asséché 90 % de la mer d’Aral, en Asie centrale, où s’approvisionnent certains
des principaux pays producteurs. Parmi eux, mention spéciale à l’Ouzbékistan.
Jusqu’à la mort de son dirigeant Islam Karimov en 2016, le gouvernement ouzbek
a contraint, pendant des décennies, des centaines de milliers de fonctionnaires,
d’étudiants et d’écoliers à se rendre aux champs chaque automne pour cueillir
la fibre végétale : du travail forcé.
Qui
j’engraisse en l’enfilant ?
Après
avoir symbolisé la ruée vers l’or américaine, après avoir moulé les fesses des icônes
américaines de la rébellion, le jean remplit désormais les poches de la plus
grande fortune suédoise. H&M (n° 2 mondial de l’habillement après Zara),
l’inventeur de la « fast fashion » et de ses collections renouvelées
en permanence. Erling Persson ouvre, en 1947, sa première enseigne de
prêt-à-porter féminin Hennes et
devient, en 1952 H&M (Hennes et Mauritz –celui-ci est spécialisé dans les
vêtements de chasse et de pêche), pour devenir un mastodonte de 5 000
magasins dans plus de 60 pays. Coté à la Bourse de Stockholm depuis 1974, la
fortune de H&M reste dans le cercle familial. Le fils, Stefan Persson,
riche de 22 milliards de dollars, a perçu en 2017 658 millions d’euros de
dividendes. Son fils, Karl-Johan, est aussi milliardaire. Eux sont fort bien
payés pour vendre ce qui fut, un temps, le bleu de travail des ouvriers.
Extraits
de l’article de Laura Raim et François Thimel dans Fakir (n° 98 mai-juin
2021), Journal fâché avec tout le monde.
Ou presque. www.fakirpresse.info
Alors, aller
cul nu ou détruire le capitalisme ?
On
peut peut-être commencer par défendre la relocalisation des productions en
fonction des besoins des populations, tout en respectant les droits de l’Homme
et du salarié et de la Nature. Ce serait un bon début de programme politique,
non ? (OM)