Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 28 juin 2021

 

Chronique d’une campagne dérisoire

(éditorial de Gérard Deneux, dans PES n° 74)

 

On connaissait le préfet aux champs mais Macron au village, non. Le roitelet de l’Elysée avait en effet décidé de faire un tour dans « ses » provinces afin de regagner les faveurs des Français. C’était juste après l’épisode flattant la jeunesse où, avec Carlito, il multipliait les singeries pour façonner l’image cool d’un président en reconquête. En immersion à Tain-l’Hermitage dans la Drôme, puis à Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot, il entendait se façonner un véritable village Potemkine, comme la tsarine Catherine II en son temps. Les petits bourgs furent cernés des bleus, harnachés, bloquant toute entrée, d’autres stationnant dans les chemins vicinaux, pour accueillir le résident de l’Elysée. Suivi d’une escorte de journalistes embarqués et de gens de cour, l’illustrissime personnage délivra à la France son message formaté. A part une poignée d’entre eux, les villageois furent claquemurés mais l’on eut de belles images pour le petit écran. On gomma toutefois le bruit d’un hélicoptère qui rassurait la compagnie, vis-à-vis de cohortes de jaunes, de rouges ou de verts, qui auraient pu donner un peu plus de couleur au paysage : seul le bleu casqué seyait aux macroniens triés sur le volet. Mais cette virée campagnarde se termina malencontreusement : une petite trentaine d’éléments choisis se trouvant derrière une barrière, l’attendait. Le petit tsar se précipita, en courant, laissant derrière lui ses gardes du corps surpris de ce démarrage, pour serrer quelques mains et faire quelques selfies. En effet, un intrus s’était introduit dans ce groupe, et sans vergogne, balança une claque retentissante sur l’illustre joue présidentielle. Toute la classe politique en fut choquée ; on  ne peut gifler ce personnage qui représente la sacralité de la démocratie, même si, en toute tranquillité, on peut, sans trop émouvoir les médias, tabasser, encercler, mutiler, museler dans ce régime parlementaro-capitaliste. Puis on minimisa, Valls avait été giflé, Sarkozy aussi, Hollande enfariné. Le peuple manifestant se rappela qu’une balle de LBD c’était plus qu’une gifle et des lacrymos, plus qu’un soufflet. Cette tournée fut abrégée. Deux petits tours et Macron rentra à l’Elysée, élections obligent.

 

Il mobilisa ses ministres, envoya cinq d’entre eux, et non des moindres, dans les Hauts-de-France, pour contrer le baron Bertrand qui s’invitait déjà dans les présidentielles. Il s’agissait de faire vivre le macronisme dans les terres ingrates. En fait, ce fut peut-être là qu’on assista à la Berezina du petit Bonaparte. Les électeurs, à près de 70 %, avaient boudé les urnes, révélant ainsi le peu d’appétence des Français pour les politiciens qui, presque tous, les avaient enfoncés dans le néolibéralisme destructeur. On assista, à cet égard, à l’élasticité des Verts et des Socialos qui, les uns contre les autres, s’alliaient avec Macron ou avec ce qui restait de la Gauche, LFI et le PC. Certains avaient pourtant pris le soin de gommer leurs appartenances politiques pour tenter de sortir la tête de l’eau. Mais rien n’y fit. On incrimina, peut-être à juste titre, la décision des petits génies de l’Elysée, qui avaient confié à une boîte privée, la distribution du matériel électoral. Force est de constater que la Poste, encore publique, faisait mieux que le privé. Le Conseil des ministres qui suivit la proclamation des résultats donna lieu à un épisode cocasse. Darmanin, le satrape, toujours prêt à nasser et à tabasser les manifestants, proclama son soutien à son ex-ami Bertrand, provoquant ainsi la fureur de Dupond-Moretti, ce maître des envolées rhétoriques du Barreau. A cette occasion, malgré les consignes de Macron, l’anecdote filtra, tournant ainsi en ridicule les deux personnages s’invectivant.

 

Las ! Sans mot dire, le petit prince se réfugia auprès de ses parrains, à la Samaritaine rénovée, ce temple du consumérisme, et s’exclama « Que c’est beau ! ». Une photo, peut-être volée, le fixa en compagnie de Bernard Arnault (LVMH), cette première fortune de France qui, avec quelques autres milliardaires, l’avaient fait roi. Ils tenaient la laisse… Allaient-ils encore le soutenir ? Un autre épisode révéla que la comtesse Pécresse n’était de fait qu’une vraie ganache prête à tout pour conserver son poste. Elle affirma sans ambages que tout ce qui  n’était pas elle, à gauche comme à la droite extrême, n’était pas républicain. Etait-elle donc une partisane non déclarée d’un parti unique ? Valls qui avait viré à l’extrême droite en Espagne et Huchon, en retraite du PS, s’empressèrent de la soutenir. Pécresse n’en n’était pas à son premier coup tordu. Mediapart se souvint du meeting fantoche qu’elle avait réalisé, avec de faux militants, acheminés par centaines, par bus spéciaux. « Librement » ces gens, appartenant à des associations communautaires (Chinois, Berbères, Cambodgiens…) devaient assurer la claque vis-à-vis de celle qui se présentait comme une future présidentiable. On sut que toutes ces associations étaient subventionnées par la Région. Quant au voyage d’agrément, rien ne filtra sur son financement. Dans la photo de groupe, on émascula tous ces visages qui n’avaient rien de « Gaulois » ; le plus drôle dans l’affaire, c’est que tous ces benêts, en rang d’oignons, croyaient pouvoir obtenir soit le droit de vote, soit la nationalité française. Pouvaient-ils ignorer que la grande dame avait affirmé sans ambages qu’elle était contre le droit de vote des étrangers et contre le clientélisme !

 

Tout cela ne nous éloigne pas vraiment de la dernière pantalonnade démocratiste, en attendant le 2ème tour. Certes, la droite sort la tête de l’eau en rameutant l’électorat fillonniste. Le FN se tasse, au grand dam de Le Pen qui intimide ses troupes électorales défaillantes. Quant à LREM, elle est restée dans les choux, privée de deuxième tour. La « gauche », malgré ses rabibochages, ne parvient pas à percer.

 

Assiste-t-on au début d’un long processus de décomposition de ce régime, où défiance et indifférence « apolitiques » se conjuguent pour déserter les urnes ? Ce qui est sûr, c’est que le règne de l’oligarchie, articulant médiocratie et médiacratie, connaît de réelles difficultés pour séduire les électeurs.

 

GD, le 26 juin 2021      

 

Un ciel serein

couvre de bonheur

la nuit d’une terre endormie

 

soudain

dans cette obscurité céleste

s’ouvre sinistre

une soupape d’insécurité

 

cruellement cramponnés

à la crainte de compromettre

la crapulerie de leurs crises

dont le décryptage donne crimes

créateurs

de crasse de crève de cri de croc de

crucifiement

 

précautionneusement perplexes

pieusement précautionneux

prudemment pieux

pertinemment prudents

périlleusement pertinents

particulièrement périlleux

 

les faibles fidèles frémissent

face au fossé financier

faussant la fraîcheur de la fraternité

frelatant la folie de la félicité

fragilisant la force de la franchise

 

peu à peu

prévoyants sûrs de leur pouvoir

ils déploient leurs arsenaux mortifères

contre tout soupçon de révolte

 

un ciel serein

couvre alors de malheur

une humanité endormie

 

Pedro Vianna

Paris, 9.VIII.2016

in Climats

poesiepourtous.free.fr/ 

 

Grèce. La solidarité est un acte de résistance

 

Yannis et Maud Youlountas organisent, depuis plusieurs années, un soutien international, avec l’association ANEPOS, finançant en Grèce des lieux de résistance autogérés. Ils lancent un nouvel appel urgent.

Tenir bon et continuer !

Au cœur des luttes, la solidarité n’est pas seulement une nécessité pour les plus précaires. C’est aussi un moyen de donner à voir la société que nous désirons. Depuis plusieurs semaines, les moyens de nos collectifs solidaires autogérés se sont asséchés. Les listes de besoins s’allongent de jour en jour, tant sur le plan alimentaire que dans d’autres domaines. Ces dernières années, nous  n’avons pas ménagé nos efforts sur tous les terrains (voir liste en encart), aux côtés de dizaines de lieux et collectifs partout en Grèce.

 

Six mois après notre appel à soutien de décembre, nous sommes dans l’impérieuse nécessité de renouveler cet appel. Des renforts ont déjà pris la route depuis la France avec du chargement et d’autres sont attendus prochainement. Grecs et réfugiés prennent part à cette belle synergie, mais le nerf de cette guerre contre la misère et le pouvoir reste l’argent. En attendant la sortie de notre 4ème film Nous n’avons pas peur des ruines l’automne) nos moyens sont extrêmement modestes.

 

Si vous pouvez, merci de participer à cet appel. Si la situation est difficile pour vous aussi, ne vous mettez pas en danger : partager l’info c’est déjà nous soutenir.

Pour nous permettre de savoir au plus vite quels vont être nos moyens d’agir, participez plutôt par virement ou paypal plutôt que par chèque :

1 – pour effectuer un virement à ANEPOS : IBAN : FR46 2004 1010 1610 8545 7L03 730

BIC : PSSTFRPPTOU     Objet : Action Solidarité Grèce

2 – pour participer via PAYPAL, suivre le lien :

https://www.paypal.com/donate/?cmd=_s-xclick&hosted_button_id=LMQPCV4FHXUGY&source=url

 3 – pour envoyer un chèque à l’ordre de ANEPOS – 6 allée Hernando 13500 Martigues

ordre : ANEPOS - Objet : Action Solidarité Grèce

 

contact : solidarite@anepos.net  tél. Grèce (1130) 6945939080  -  tél. France 0624066798    

 

Merci de votre soutien, quelle que soit la forme. Vous pouvez aussi utiliser la publication de cette lettre, ici : http://blogyy.net/2021/06/21/tenir-bon-et-continuer/

 

Solidairement,

Maud et Yannis Youlountas po/ Collectif artistique et solidaire ANPOS

 

PS : si vous avez prévu de venir à Athènes en juillet et que vous avez une place pour une personne dans un véhicule, contactez-nous.

Si vous avez prévu de venir en Crète en van ou en fourgon cet été et que vous disposez d’un peu de place pour acheminer du matériel solidaire situé dans le sud-est de la France, contactez-nous.

Si vous avez des livres en anglais, ourdou, arabe ou farsi à offrir pour des bibliothèques sociales en Grèce, contactez-nous solidarite@anepos.net 

 

 

 

 

 

encart

Liste des lieux et collectifs aidés

Soutien à l’initiative contre les forages pétroliers en Crète, que tentent de déployer Exxon-Mobil et la firme française Total,

 

Collectif Livas dans le département de Réthymnon en Crète : soutien aux actions solidaires, notamment à la cuisine populaire fondé par ce club de sport,


Centre social autogéré Alimoura à Ioannina : réparation du local saccagé par une attaque fasciste,

 

Usine autogérée Bio.Me à Thessalonique : soutien et achat de savons et produits fabriqués par les ouvriers, alors que l’électricité venait de leur être coupée,

Mikropolis à Thessalonique : soutien au plus grand espace social libre de Grèce qui est actuellement en train de déménager,

 

Initiative antifasciste d’aide aux réfugiés près d’Évros (au moment où ces derniers étaient pris au piège entre les deux Etats grec et turc, et où des identitaires européens étaient venus pour tenter de pratiquer la chasse à l’homme, ainsi qu’à Lesbos,

 

Réseau Solidaire de Crète et soutien à la création de nouveaux lieux dans l’île,

 

Initiative de Kastelli en Crète contre le nouvel aéroport : financement de la procédure de Justice contre l’aéroport alors que 120.000 des 200.000 oliviers ont déjà été coupés et que l’opinion est de plus en plus opposée au projet : soutien des paysans en lutte,

 

Centre Social autogéré Favela au Pirée : soutien financier et achat de tee-shirts pour épauler ce lieu situé dans une zone où les fascistes rôdent souvent et où l’un d’entre nous a été agressé violemment en juin 2019 par un groupe de néo-nazis,

 

K*Vox à Athènes : base d’un des groupes les plus actifs en Grèce,

 

Frais de Justice de plusieurs compagnons de luttes, pour leur éviter d’aller en prison suite à des actions pourtant exemplaires,

 

Squat Notara 26 à Athènes, le plus ancien lieu d’accueil des réfugiés dans le quartier d’Exarcheia,
Plusieurs cuisines sociales : soutien financier et livraison de produits alimentaires,

 

Structure autogérée de santé d’Exarcheia : soutien financier et livraison de matériel médical,
Réseau École Buissonnière-Pédagogie Freinet : soutien financier et livraison de fournitures en aide aux enfants précaires,

 

Actions solidaires à Lesbos : nombreuses initiatives, surtout, après l’incendie du sinistre camp de Moria et l’errance de nombreuses familles en difficultés.

 

Grèce. Retour au 19ème siècle (1)

 

Le Parlement vient d’adopter la monstrueuse loi contre les travailleurs, proposée par le gouvernement libéral de Mitsotakis. Elle abolit la journée de travail de 8 heures et la semaine de 5 jours, supprime l’obligation pour les employeurs de fournir un salaire supplémentaire lorsqu’ils demandent un travail supplémentaire, qui sera compensé par des jours de congé. Cet « aménagement » du temps de travail flexible a été introduit pour la première fois par les sociaux-démocrates, début des années 1990, dans des secteurs marginaux. Aujourd’hui, le gouvernement généralise cet « arrangement » et l’étend à l’ensemble de la classe ouvrière. Il est désormais légal pour les ouvriers d’industrie de travailler 150 H de plus par an, sans aucune rémunération supplémentaire ! Par ailleurs, cette loi détruit tout droit de regard collectif sur les questions du temps de travail. Elles seraient résolues dans des « contrats individuels » en contournant les syndicats ! C’est le coup final porté à la légitimité des conventions collectives déjà sérieusement dévalorisées pendant les mémorandums d’austérité imposés par la Troïka européenne.

 

Afin de mettre en œuvre cette politique, qui se heurtera à la résistance des travailleurs, une série de dispositions draconiennes affectent le fonctionnement légal des syndicats. Désormais, ils sont obligés de tenir un « registre des membres » sous forme numérique qui sera à la disposition du ministère du travail et des organisations d’employeurs. Pour pouvoir déclarer une grève, la décision devra d’abord être approuvée (par vote électronique) par 50 % + 1 de l’ensemble du personnel.

 

Même l’association des juges et des avocats et le « comité d’experts » du Parlement ont jugé que la loi était en violation des articles de la Constitution : malgré ça, le projet a été voté par la majorité parlementaire de Nouvelle Démocratie. Ce qui est tragique, c’est que Syriza a voté en faveur d’une série d’articles de la loi « distinguant les bonnes et les mauvaises parties » plutôt que de rejeter cette loi  réactionnaire (comme l’a fait le parti communiste). Tsipras lance un message à la classe dirigeante : malgré les volontés de sa base, Syriza restera un parti « responsable » qui ne « brûlera pas les ponts » des relations, même face à des défis extrêmes !

 

Dans les rues, la réaction a été importante, même si la bureaucratie syndicale a tout fait pour saper la grève générale. Les manifestations ont été nombreuses et la colère s’est exprimée ; le « peuple de gauche » a constitué le gros des troupes (parti communiste, gauche anticapitaliste et un secteur de Syriza). Une partie importante du mouvement refuse de se soumettre à cette nouvelle loi. Elle n’est pas isolée, les sondages révèlent une majorité sociale qui estime que les manifestants « ont raison ». Ce « bras de fer » sera déterminant pour une grande partie de l’évolution sociale de la Grèce d’autant que cette contre-réforme brutale ne sera pas la seule : des plans sont élaborés pour la privatisation du système public de retraite et de sécurité sociale ainsi que des privatisations massives de ce qui reste encore de bien public.  

 

(1)   Extraits de l’article « Les attaques de la droite contre la classe ouvrière en Grèce. Retour au 19ème siècle » de Antonis Ntavanellos (DEA – Gauche ouvrière internationaliste) le 20 juin 2021, paru sur alencontre.org

 

 

 

Italie. Homicide d’un syndicaliste

 

Abdil Belakhdim, du syndicat autonome Si-Cobas, italien d’origine marocaine, a été écrasé par un camion qui a forcé le piquet de grève, lors d’une énième action de lutte contre le travail au noir dans le secteur de la logistique où se pratique une super-exploitation qui parfois atteint le néo-esclavagisme : 12 à 13 H travaillées,  8 H payées, des salaires minables de parfois 4 à 5€/H.  De fausses coopératives oeuvrent dans la logistique, l’agriculture, le BTP et même dans des grandes entreprises comme Fincatieri. Elles ont des pratiques mafieuses : menaces, tabassage, recours aux gros bras pour donner la leçon à ceux qui osent se révolter. La réalité de ce caporalat violent s’exerce envers les immigrés et  aussi des Italiens. Cette situation est bien connue et l’on estime que l’ensemble des économies souterraines (demi-noir et noir) a généré en Italie environ 30 milliards d’€ et 8 millions de travailleurs oscillant entre précarité demi-noire, noir total et néo-esclavagisme. Toute l’économie s’en nourrit. C’est le triomphe du néolibéralisme qui se poursuit, voire se renforce avec le gouvernement Draghi. En Italie, tous les partis ont épousé cette cause ainsi que la plupart des syndicats, même si la CGIL essaie de sauver la face. Cette réalité existe aussi dans tous les pays dits démocratiques européens.

La mobilisation générale a spontanément éclaté dans tout le pays en réaction à l’assassinat d’Adil ; elle promet une nouvelle possibilité de convergence des luttes et des organisations syndicales et en particulier une grande participation des jeunes les plus touchés par la précarité.

https://blogs.mediaprt.fr/   

 

Colombie. Resistencia popular

 

Cela fait presque 2 mois que la Colombie est secouée par une vague de protestation, de colère sociale de la population la plus précarisée. Ce pays compte 21 millions de pauvres (dont 7.5 millions de très pauvres), soit 45 % de la population. Les jeunes sont particulièrement touchés par le chômage : entre 2019 et 2020, les 18/28 ans sans emploi et sans diplôme (les NiNi) sont passés de 19 à 33 %.

Depuis le 28 avril 2021, le pays est au bord de l’explosion : les manifestations, marches et autres protestations n’ont cessé (elles ont rassemblé 5 millions de personnes), contestant les décisions du gouvernement ultralibéral qui, en retour, réprime, tue, blesse, comme il sait « si bien » le faire… Mais les révoltés affirment « ils nous ont tellement pris qu’ils nous ont même enlevé notre peur ». Les raisons de la révolte sont profondes. Comment les Colombiens peuvent-ils s’en sortir sans une force politique interne, permettant d’éliminer les nuisibles et leurs accointances et soutiens intéressés de la communauté dite internationale ?    

 

Que s’est-il passé le 28 avril ?

 

Des flots de manifestants sont descendus dans la rue des principales villes de Colombie, à l’appel du Comité national de grève, suite à la loi de « solidarité durable » ( !), en fait, une contre-réforme fiscale de l’ultra-libéral Duque qui consiste à piocher dans les poches des classes moyennes et  populaires, 6.3 milliards de dollars pour renflouer les caisses de l’Etat. L’élément déclencheur de la révolte est l’augmentation de  la TVA sur les produits de première nécessité,  passant de 5 % à 19 % et celle des taxes sur l’eau, le gaz et l’électricité. Ces mesures s’ajoutent à la contre-réforme de la santé et autres politiques publiques qui précarisent encore plus la vie des Colombiens des classes moyennes et pauvres.  

 

Face à ce soulèvement populaire, le 2 mai, Duque retirait la réforme fiscale contestée et le ministre géniteur du projet démissionnait. Mais la contestation s’est amplifiée. Au-delà des centrales syndicales et de divers mouvements sociaux, ce sont des travailleurs, des salariés, des étudiants, des organisations paysannes, la Minga indigène et surtout les jeunes précarisés des quartiers populaires qui organisent des marches, des manifestations, des fêtes malgré la répression du gouvernement… Du 28 avril au 6 mai, on a dénombré 13 tués, 47 victimes de blessures aux yeux, 234 victimes de violence physique, 22 victimes de violence sexuelle, 98  cas de coups de feu et 1 445 détentions arbitraireset 87 « disparus », de quoi inquiéter les familles, dans ce pays où l’on estime à au moins 80 582 les disparitions forcées durant les 40 dernières années de conflit entre les guérillas révolutionnaires, et notamment les FARC (Forces armées révolutionnaires de Colombie) et les gouvernements successifs..

 

Dans les rues l’Etat envoie la police, les Escadrons mobiles Antiémeutes (ESMAD), les forces militaires et des civils armés. En Colombie ce n’est pas nouveau, d’ailleurs l’ex-président Uribe (le mentor de Duque, dénommé « le sous-président ») a affirmé que les soldats et policiers ont le « droit d’utiliser des armes pour défendre leur intégrité contre l’action criminelle du terrorisme vandale ». (On croirait entendre du Luc Ferry !).

 

Les jeunes se sont placés en première ligne du mouvement. Cali, 3ème ville du pays, est devenue l’épicentre de la rébellion. Située à proximité des départements affectés par le conflit armé, Cali a accueilli des réfugiés internes, paysans misérables déplacés par la violence, des aventuriers. Elle compte près de 3 millions d’habitants et la plus grande population noire du pays. Cali est toute proche du port sur le Pacifique par lequel  entrent 60 % des marchandises ; les blocages ont donc conduit à l’envoi rapide des militaires, par l’Etat et les agro-industriels. Le maire écolo, dès le 2ème jour des manifestations, a demandé au gouvernement une assistance militaire. Défiant le pouvoir et les 3 500 militaires envoyés en renfort, ouvriers, travailleurs informels, femmes et étudiants défilent à n’en plus finir et organisent 21 « points de résistance ». Affrontements avec les forces de l’ordre : 36 morts à Cali (dans la cinquantaine sur l’ensemble du pays). Duque ne lésine pas sur les moyens : fusils de guerre, grenades et gaz lacrymo, mitraillage depuis des hélicoptères, unités militaires aéroportées pour encercler les quartiers…

 

Une « garde indigène », une sorte de police communautaire non armée, faite de 3 000 hommes et femmes de la Minga sont arrivés en renfort une semaine durant, pour protéger les jeunes souvent attaqués la nuit, dans les espaces autonomes et autogérés qu’ils ont constitués. Pour la première fois, une jeunesse noire et métisse issue des quartiers pauvres a manifesté.

 

Barrages, barricades citadines, entrave aux déplacements, paralysie des transports, des services et de l’activité économique, les difficultés d’approvisionnement provoquent le mécontentement des classes aisées. Des pratiques inquiétantes ont été relevées : appel lancé aux habitants de Cali pour qu’ils envoient l’emplacement des manifestants ; des groupes de policiers en civil pourchassent des manifestants et tirent à balle réelle ; appel à créer un front commun entre membres de la sécurité privée et police/armée ; des habitants d’un quartier chic Ciudad Jardin, tirent à balles réelles sur la foule issue des banlieues pauvres.

 

Tous ces évènements sont le résultat de 40 ans de paramilitarisme, d’un Etat instigateur de la violence, assassin de son peuple et des militants communautaires, politiques et sociaux, provoquant la haine de classe, le racisme. L’acharnement policier contre les manifestants est aussi une fuite en avant, en réaction à la chute de popularité de l’uribisme qui voit son élection de 2022 menacée.

 

La braise couvait sous la cendre.

 

En novembre 2019, dans un mouvement contre le néolibéralisme (au Chili, en Equateur, en Haïti) des protestations massives ont secoué la Colombie, à l’initiative des centrales ouvrières (CUT, CGT, CTC), contestant la politique économique, la privatisation des caisses de retraite, les réformes affectant le monde du travail ainsi que le sabotage des Accords de paix signés en 2016 par l’Etat avec les FARC, et les assassinats de dirigeants sociaux. Les étudiants qui réclamaient davantage de ressources pour l’éducation supérieure, vinrent en renfort. Plus d’un million de personnes s’étaient mobilisées dans les principales villes du pays. Duque fit intervenir les militaires pour rétablir l’ordre, le mouvement fut férocement réprimé : 27 morts, 22 000 arrestations, 3 649 blessés. Au mois d’octobre 2020, la vague d’explosion sociale déferla à nouveau, soutenue par quinze organisations indigènes, paysannes et afro-colombiennes ; 8 000 membres de la Minga indigène voulurent rencontrer Duque pour lui présenter leur demande d’un pays « plus démocratique, pacifique et égalitaire ». Il refusa de les recevoir.

 

Les motivations de mécontentement sont profondes et sont liées, également, à l’attitude cynique du gouvernement quant à la mise en œuvre des Accords de paix avec les FARC. Après 4 ans de négociation, la plus ancienne et importante guérilla du pays, signait, le 26 septembre 2016, un accord de paix, contenant six points principaux : réforme rurale intégrale, participation politique, fin du conflit, solution au problème des drogues illicites, réparations aux victimes : 13 511 guérilleros ont déposé les armes, ôté leurs bottes noires et quitté leur treillis. Depuis, le constat est implacable et la frustration terrible : emmenée par Uribe et son Centre démocratique, l’extrême droite a exercé une énorme pression pour torpiller les accords, travail de sape que Duque a parachevé. A la place de la paix, c’est un massacre quotidien qui s’exerce, au compte-gouttes, passant inaperçu au niveau international : 904 dirigeants sociaux et 276 ex-combattants des FARC revenus à la vie civile ont été assassinés depuis le 1er novembre 2016. Alors que les ex-guérilleros respectent leurs engagements, comparaissent et assument leurs responsabilités, les promesses du gouvernement se transforment en farce tragique.

 

Il en est ainsi pour le projet de réforme rurale promise : 3 millions d’hectares de terre devaient être attribués à près de 14 millions de paysans et 7 millions d’hectares de petites et moyennes propriétés devaient être régularisées. Fin 2020, pas un hectare n’a été remis aux paysans sans terre et seuls 10 554 ha avaient été régularisés sur l’objectif de 7 millions annoncés. Une poignée de propriétaires terriens continuent à posséder plus de 40 millions d’hectares, pratiquant l’élevage extensif du bétail et exploitant le palmier à huile, la canne à sucre et autres cultures industrielles.

 

L’ouverture, par ailleurs, en 1990, du marché national à la production agricole au Brésil, Chili, Chine ou Canada, fait baisser le prix des productions colombiennes. Pour survivre, des dizaines de milliers de familles cultivent la coca de manière illicite. Pourtant, figurait, à l’accord de paix, un programme national intégral de substitution des cultures d’usage illicite : 215 244 familles ont signé des accords collectifs de substitution volontaire de cultures illicites. Mais… seules 99 907 familles ont été intégrées au programme. Les 116 147 autres n’ont eu d’autre choix que de continuer à dépendre de la feuille de coca et de la pasta. Duque choisit alors l’éradication forcée en envoyant ses groupes mobiles accompagnés de militaires ou de policiers. Poussés par la misère, les paysans n’ont d’autre choix, pour survivre, que d’abattre des pans de forêt pour replanter la coca un peu plus loin. De 48 000 hectares en 2013, les cultures de coca sont passées à 212 000 fin 2019.

 

Les narcos (paramilitaires) eux se portent bien. Après la supposée démobilisation en 2006 de 13 000 hommes des Autodéfenses unies de Colombie AGC), responsables, avec d’autres groupes armés, de près 80 % des crimes commis contre les civils depuis le début des années 1980, des Bandes criminelles émergentes et groupes armés s’organisent. Ces structures criminelles sont directement impliquées dans la production et le transport de la cocaïne et agissent dans le champ politique. Les AGC ont été l’une des principales responsables de l’augmentation des assassinats sélectifs de dirigeants communautaires et sociaux, de militants politiques de gauche et de déplacements forcés de population.

 

S’ajoute à ça, la putréfaction à la tête du pouvoir : Uribe assigné à résidence, accusé de fraude procédurale et corruption, démissionne de son poste de sénateur en août 2020, évitant ainsi la Cour suprême de justice. Duque, le président, est embourbé dans le scandale dit de la Nenepolitique : les écoutes téléphoniques d’un narcotrafiquant suspecté d’homicide, mettent au jour l’achat de voix par Uribe et l’organisation d’une fraude électorale pour favoriser l’élection de Duque en 2018.

 

Entre 2002 et 2008, sous la présidence d’Uribe (et avec comme ministre de la défense le futur prix Nobel de la paix, Santos) ce sont 6 402 Colombiens qui ont été assassinés de sang-froid par l’armée, dans 29 des 32 départements du pays.

 

Toute cette histoire pèse dans la mémoire du peuple dont celle des jeunes qui, aujourd’hui se mobilisent malgré les répressions policières.  Cela peut-il mener à un réel changement ?   

 

Réactions de la communauté internationale

 

Seuls l’Argentine, le Venezuela et la Havane ont protesté. L’Union européenne, l’organisation des Etats américains se sont dits « préoccupés ». Le Haut-Commissaire des Nations-Unies aux droits de l’Homme s’est dit « alarmé ».

 

Côté Etats-Unis,  si le porte-paroles adjoint du département d’Etat « invitait les forces de police à faire preuve de retenue », le secrétaire d’Etat Blinken, lors de la 51ème conférence annuelle de Washington, a parlé des atteintes aux droits humains et du déficit démocratique au Venezuela, à Cuba, au Nicaragua, en Haïti … sans prononcer un mot sur la Colombie !! Biden ne souhaite aucune rupture avec la Colombie, pièce maîtresse de la politique étatsunienne en Amérique latine et dans les Caraïbes. Bogota est le premier récipiendaire d’aide militaire et l’un des principaux acheteurs d’équipements de combat américains sur le continent. La NSA (agence nationale de sécurité US) aide la Colombie (seul partenaire de l’OTAN en Amérique latine), pour les écoutes et l’espionnage. Biden affirme placer la démocratie et les droits humains au cœur de ses préoccupations mais ne s’interroge pas sur le sabordage systématique exercé par Duque sur les Accords de paix avec les FARC. Il faut dire que la Colombie a joué un rôle clef dans les différentes tentatives de renverser Maduro et qu’il compte bien convaincre les USA qu’il reste leur soutien indéfectible.

 

Sous les yeux de la « communauté internationale » se déploie une barbarie militariste, l’effondrement du prétendu « Etat de droit » et l’application du terrorisme d’Etat. Serait-ce l’impasse incontournable dans lequel le capitalisme ultralibéral conduit les peuples ? L’acharnement policier commandité par l’Etat colombien, est-il le signe de sa chute prochaine ?  Les dirigeants de droite (Changement radical et Parti libéral, n’avaient pas voté le texte de « réforme fiscale car c’était « la pire chose qui puisse arriver à la classe moyenne ». Les centristes et les Verts l’avaient rejeté. Même Uribe s’était prononcé contre. Ce mouvement populaire d’ampleur exceptionnelle annoncerait-il le crépuscule de l’uribisme et de son entourage mafieux ? Mais il n’entend pas lâcher le pouvoir facilement.

 

Ceux qui ont animé les blocages, les manifestations, sont des jeunes « marginalisés » par le néolibéralisme, privés d’accès à la santé, à l’éducation, au travail. Ils ne croient ni aux institutions, ni aux partis politiques. Ils s‘organisent d’en bas, dans les quartiers. Ce soulèvement a dépassé la représentativité traditionnelle des organisations syndicales. Que peut-il se passer ?  Démission de Duque ? Renforcement de la violence d’Etat ? Naissance d’un mouvement par en bas qui crée une assemblée constituante et populaire ? Pour l’heure, l’inquiétude des dirigeants communautaires est réelle : « on connaît les jeunes, on sait pourquoi ils sont dans la rue. On s’inquiète de savoir s’il y aura une sortie négociée, au moins avec les autorités locales parce qu’avec le gouvernement ça va être difficile. Qu’est-ce qui va leur arriver à ces jeunes ? On connaît l’histoire de notre pays ! ».

 

Même si des lueurs réapparaissent dans le ciel de certains pays d’Amérique latine (Brésil, Chili, Pérou…), l’Etat colombien n’hésite pas à assassiner son peuple.

 

Odile Mangeot, le 23 juin 2021

 

Sources : Mémoire des luttes de Maurice Lemoine, alencontre.org, le Monde Diplomatique juin 2021,  bastamag  

 

 

 

 

Effondrement ou transformation

 

La préoccupation angoissante de l’évolution du climat, le réchauffement de la planète et les dérèglements qu’il entraîne, vont questionner de plus en plus la nature des mobilisations populaires. Déjà Karl Marx, en son temps, avait insisté sur le fait que le capitalisme détruit l’Homme et la Nature. C’était bien avant la crise de 1929-30, les deux guerres mondiales, l’explosion des bombes atomiques, la guerre du Vietnam - où furent larguées trois fois plus de tonnes de bombes que pendant la période de 39-45, sans compter l’agent orange de Monsanto pour détruire la jungle sur la piste Ho Chi Minh... Ce qu’on a appelé les Trente Glorieuses furent également les Trente polluantes et, les années s’écoulant, il fallut se résoudre à tenir des conférences internationales, ces grands messes où on se lamentait que la maison brûle pour ne rien entreprendre ou presque. Les scientifiques du GIEC – Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat - ont annoncé à plusieurs reprises le cataclysme qui pourrait se produire si des mesures draconiennes n’étaient pas prises. Non seulement les constats sont accablants mais les prospectives, à court et moyen termes, sont catastrophiques. L’humanité peut-elle s’en sortir ?

 

1 – Des constats accablants

 

Depuis 150 ans, la grande accélération du capitalisme industriel, fondé sur l’extractivisme du charbon puis du pétrole, a prouvé son caractère néfaste. 100 millions de barils de pétrole par jour sont consommés, ce qui représente une colonne de 80 000 kms de haut. On annonce le fameux pic de Huber, qui limiterait l’extraction de pétrole, mais les solutions trouvées sont encore plus néfastes. On extrait désormais dans les sables bitumineux un pétrole de mauvaise qualité. On s’apprête à forer dans l’Arctique et le Groenland et l’on extrait du pétrole et du gaz de schiste, toutes méthodes plus catastrophiques les unes que les autres.

 

Dans le même temps, la surface des villes, le développement des métropoles, représentent chaque année 400 millions de m2. Paradoxalement, on assiste à la désertification des campagnes alors même que seul un quart des terres à l’échelle mondiale échappe aux activités humaines. En outre, la progression des inégalités provoque une empreinte écologique de plus en plus forte des 10 % les plus riches. Quant à la pollution, due notamment au rejet de CO2, elle tue environ 6 millions de personnes par an, principalement dans les pays pauvres et les lieux de développement industriel rapide. Le réchauffement climatique est désormais préoccupant pour 17 pays en situation de stress hydrique extrême, 27 autres pourraient bientôt manquer d’eau, soit 25 % de la population mondiale.

 

A l’été 2019, plus de 11 milliards de tonnes de glace ont fondu au Groenland. La montée des océans menace désormais les côtes. On annonce déjà une acidification des océans, résorbant leur capacité à absorber le CO2. Chaque année, ce sont 80 000 kms de forêts qui disparaissent. Leur exploitation outrancière dans des secteurs, lieux d’habitat des animaux sauvages, favorise la transmission des virus inconnus à l’homme, source probable de la pandémie actuelle. Il paraît évident que la politique menée par Bolsonaro, au Brésil, va encore restreindre la capacité de l’Amazonie à demeurer l’un des « poumons » de la planète. Que dire, par ailleurs, de la pêche industrielle qui consomme 19 milliards de kwh en parcourant 468 millions de kms/an. Ce constat de 2016 va s’aggravant et prive les pécheurs artisanaux, notamment dans les pays pauvres, de moyens de survivre.   

 

On assisterait à la 6ème extinction massive de l’histoire de la Terre : en 40 ans, plus de 400 millions d’oiseaux européens ont disparu, et plus de 3 milliards aux USA. Depuis 1990, le nombre d’insectes volants a chuté de 80 % rien qu’en Allemagne. Sur la planète, 70 % des oiseaux ont disparu et 90 % des hirondelles. Il n’y a pas lieu de s’étonner que sur les parebrises des voitures, on ne s’échine plus à se débarrasser des insectes qui y seraient collés puisque 40 à 80 % ont disparu.

 

Bref, la vie sur terre est en péril : les  humains qui ne représentent que 0.01 % des créatures vivantes ont causé 83 % des pertes animales depuis le début de la civilisation.

 

2 – Prospectives catastrophiques

 

Le capitalisme vert peut-il nous sauver ? En fait, quand une transformation s’opère, par exemple, par le recours moindre à l’extraction du charbon, on assiste au renforcement de l’utilisation des énergies entre elles : le charbon continue à être exploité, et pétrole et gaz s’y ajoutent et on utilise même de l’énergie verte pour en extraire encore plus. Ainsi, les panneaux solaires sont désormais utilisés pour injecter de l’eau chaude dans les sites pétroliers pour fluidifier le pétrole et en extraire, donc, davantage. Dans le même esprit, on envisage de créer des machines qui seraient capables de pomper du CO2 dans l’atmosphère pour le réinjecter et le stocker dans des galeries souterraines. Ces savants un peu fous se sont quand même aperçu que dans ces conditions on consommerait encore plus d’énergie et donc de pétrole. Dans le même temps, des entreprises raclent les océans pour en extraire les microbilles de plastique et tenter de nous prémunir des perturbateurs endocriniens qui saturent la chaîne alimentaire en empoisonnant les poissons.

 

Bref, ces exemples montrent que les écosystèmes ne peuvent se régénérer d’eux-mêmes que dans le temps long. Le mode de production capitaliste fondé sur la concurrence et l’accumulation des profits, tout comme les techniques utilisées, ne sont pas une solution « durable ».     

 

Les prévisions du GIEC sont des plus alarmantes. L’évolution des mesures prises lors des grands-messes médiatiques ne sont pas suffisantes pour éviter le pire des scénarios, soit une augmentation de 4 à 6° à la fin de ce siècle. Avec 4° de plus, l’Europe du Sud serait gagnée par le désert.

 

Il n’est pas étonnant qu’un certain nombre de scientifiques parlent d’un effondrement possible de l’humanité. En fait, ce qui est sûr c’est bien la perte de maîtrise de l’ensemble des oligarchies qui se profile : le système va devenir de plus en plus chaotique entraînant des durcissements autoritaires pour se maintenir.

 

3 – Perspectives incertaines

 

Le dérèglement climatique, c’est non seulement l’augmentation de la température jusqu’à des extrêmes de 46 à 50 °, la fonte des glaciers, y compris au Pôle nord, mais aussi des pluies intenses et brèves, provoquant des inondations et des éboulements de terrain. On va donc assister, dans les années à venir, à l’accélération des migrations, à l’aggravation de la pauvreté et au développement de famines. Dans certains pays, la population va décliner ; les pouvoirs en place pourraient recourir, face aux révoltes, à des répressions de plus en plus sanglantes, à la guerre. Déjà la course aux armements a repris, y compris dans l’espace, les « marchands de canons » et leurs VRP s’en réjouissent…

 

Il va de soi que, dans ces conditions, l’écologie candide promue par certains, n’est que de la bobologie qui ne ralentira en rien les réactions d’extrême droite qui progresseront sur ce terreau. En fait, il semble bien que la conscience critique retarde sur l’évolution alarmante de la situation. Les régimes dits démocratiques, issus du capitalisme, ne sont pas en mesure de trouver des solutions pour l’humanité.

 

Le capitalisme financiarisé, mondialisé, a développé les inégalités de manière exponentielle. Il a, de fait, organisé des systèmes hiérarchisés, où l’oligarchie capitaliste règne en maître. La crise de 2007-2008 a déjà démontré que les classes régnantes sont prêtes à tout pour conserver leurs privilèges, y compris en appauvrissant les peuples qu’ils sont censés représenter : on a déjà eu un avant-goût avec la suppression des services publics, le chômage, la mise en cause des conquis sociaux, comme les retraites, le droit du travail…

 

Il semble nécessaire que les formations sociales doivent s’organiser autrement, par en bas, pour changer de régime politique et instaurer des sociétés égalitaires et de sobriété énergétique. C’est tout le mode de production et d’échanges qu’il faut radicalement changer. Cette révolution sociale, écologique, énergétique ne peut se conjuguer avec les inégalités qui contredisent le principe de liberté. La liberté des plus puissants c’est la liberté du renard dans le poulailler. La légalité du système capitaliste, dans son mode de représentativité, doit être mise en cause pour y faire prédominer la légitimité de la lutte et de nouveaux modes d’organisation.

 

Il n’y a pas d’autres alternatives entre, d’une part, le chaos, et d’autre part, la révolution sociale, seule capable de s’opposer à la fascisation des régimes en place.

 

Reste qu’il faudra bien s’interroger et résoudre la contradiction entre les énormes métropoles et les campagnes pour faire prévaloir une économie agricole et industrieuse, au plus près des populations concernées.

 

Il sera bientôt minuit en ce siècle. Si rien n’est entrepris, afin d’éviter que le dernier qui s’en sortira soit contraint d’éteindre la lumière de l’Humanité. La planète nous survivra. Piètre consolation…

 

Gérard Deneux, le 24 juin 2021        

 

sources :

GIEC

Aurélien Barrau, auteur de Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité

Gaël Giraud, économiste, à écouter sur youtube, sur Blast « Cataclysme économique mondial et chômage de masse » ou encore conférence à HEC « Quelles solutions économiques face à l’urgence climatique ? »  

 

encart

Inefficacité des milliards dépensés pour verdir l’économie

 

Prime à la casse, taux réduits de TVA, MaPrimeRénov… Entre 2012 et 2021, la France a dépensé 200 milliards € en matière de rénovation des bâtiments, mobilité et production d’énergie bas-carbone. Cette montagne d’argent a-t-elle produit de véritables effets sur le climat ? Ça ne saute pas aux yeux ! Dans le logement par ex, l’empilement des mesures fiscales a une efficacité plus que discutable et engendre plutôt des effets d’aubaine. Les aides ont même eu un effet négatif, comme l’installation de pompes à chaleur air-air avec une consommation électrique toute l’année au lieu des seuls mois d’hiver… Et que dire des aides aux véhicules hybrides pour lesquels les niveaux réels d’émission sont jusqu’à 4 fois supérieurs à ceux mesurés lors des tests protocolaires ?

L’efficacité de la fiscalité verte est d’autant plus réduite que, dans le même temps, les dépenses fiscales défavorables au climat ne faiblissent pas ; elles représentaient encore plus de 16 milliards €/an en 2019 contre 14 milliards en 2012. Résultat : la France est largement au-dessus de ses objectifs en matière de budget-carbone et a même revu à la hausse le budget 2019-2023 avec 422 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an au lieu des 398 millions prévus à l’origine.

Rapport du cabinet 14CE, paru sur https://korii.slate.fr/ le 25.06.2021

 

 

Nous avons lu

Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité

Face à la catastrophe écologique et sociale

 

Les disparitions d’espèces ont été multipliées par 100 depuis le début du 20ème siècle. Cet immense édifice, dont chacun de nous est membre, est déjà en train de s’écrouler. Cette « disparition de la vie » est un crime de masse global perpétré en toute impunité. L’auteur illustre ces affirmations par des chiffres alarmants. Que faire ? Consommer moins constitue la clef d’un avenir possible pour éviter le « crash » du système « planète Terre ». Cette décroissance doit-elle être une initiative individuelle ou une décision politique ? Certes, migrer vers une alimentation végétarienne, par ex, serait très bénéfique pour l’écologie mais la responsabilité individuelle ne suffit pas. Alors, imposer la décroissance ? S’il est temps d’inclure les impératifs écologiques dans le bien commun, il n’est pas question d’instaurer une dictature verte mais de se donner les moyens pour éviter le pire. Il faut aborder les mesures urgentes (révision du modèle agricole, relocalisation de l’économie, lutte contre l’évasion fiscale, politique économique solidaire avec un partage des richesses…) car, au-delà des « rustines » une évolution plus révolutionnaire est nécessaire. Le néolibéralisme n’est pas compatible avec une écologie  authentique. La mutation écologique et sociale n’est pas une question de morale mais une question de choix. Mais, si la prise de conscience progresse par en bas,  il reste encore nombre d’opposants à la transition écologique. Il faut donc combattre les « négateurs » ceux qui affirment qu’il n’y a pas de crise majeure ou qui pensent que c’est réversible. Il est important de ne pas dépolitiser le combat écologique car le problème est systémique et la réponse doit être systémique : envisager une refonte politique radicale redéfinissant le sens même du Commun. OM

Aurélien Barrau, ed Michel Lafon, 2020, 9€  

 

L’enfer centrafricain

 

Nous nous attachons à connaître les ex-colonies françaises en Afrique. Aujourd’hui, nous revisitons l’histoire de la République Centrafricaine.

Ce pays porte bien son nom, puisqu’il se trouve dans la partie centrale de ce continent, frontalier avec le Tchad au nord, les deux Soudan à l’Est, les deux Congo au Sud, et le Cameroun à l’Ouest. Couvert de forêts tropicales au Sud et de savane au nord, ce pays possède de nombreuses ressources naturelles : d’abord sa forêt équatoriale, mais aussi de l’or, des diamants, de l’uranium et du pétrole au Nord. Un peu plus grand que la France, ses 4,5 millions d’habitants ont donc tout pour pouvoir vivre correctement, décemment, dans ce pays. Pourtant, la République Centrafricaine est classée 188e sur 189 concernant l’IDH (Indice de développement Humain). Cet indice tient compte du PIB/habitant, de l’espérance de vie, du niveau de scolarisation. Il n’est pas parfait mais situe assez bien la qualité de vie des habitants dans les pays (à noter que les 15 derniers pays classés sont tous sur le continent africain).

 

 La France colonisatrice

 

Cette vie décente, plutôt harmonieuse, les Centrafricains l’ont connue il y a bien longtemps. En effet, depuis la nuit des temps, et jusqu’au 18e siècle, les autochtones vivaient en petites tribus. Les cultures vivrières (sorgho, banane…) et le gibier présent en abondance, leur permettaient de vivre sans trop de problèmes alimentaires. L’immensité de la zone concourait à des relations plutôt pacifiques entre les différentes tribus. Il y avait bien sûr quelques conflits sporadiques, mais durant cette période la population augmenta régulièrement, signe que les conditions de vie étaient plutôt bonnes. La situation a, hélas pour la population, changé au cours du 18e siècle. Les habitants vont subir les premières razzias des peuples musulmans venant du nord (Tchad et Soudan actuels). Beaucoup vont se retrouver esclaves dans les royaumes musulmans. A la fin du 19e siècle, ce sont les premiers colons français qui arrivent. En 1905, sous le nom de OUBANGUI-CHARI, la Centrafrique actuelle devient colonie française, et est partie intégrante de l’Afrique équatoriale française (AEF) en 1910. A partir de cette époque, c’en est définitivement terminé de la vie naturelle et harmonieuse. Les colons français, pour exploiter les ressources naturelles (en particulier le latex extrait de la forêt) et pour construire des infrastructures (chemins de fer) vont imposer le travail forcé aux populations. Cette situation de quasi-esclavage a débouché sur la guerre du KONGO-WARA (1928-1933). Dans un premier temps, KANOU, le leader de l’insurrection, prône la désobéissance civile, la résistance passive, le boycott des marchandises européennes. Face à la réaction violente des colons, le mouvement se transforme en insurrection qui compta jusqu’à 60 000 guerriers.

L’armée française réprima très brutalement cette rébellion. Les leaders furent exécutés, la population regroupée pour être surveillée. Cette répression est considérée comme la plus brutale de l’empire colonial français.

 

Indépendance ?

 

En 1958, l’Oubangui-Chari devient officiellement République Centrafricaine. Barthélémy BOGANDA est le premier président du gouvernement. Cet anti colonial véhément prône une véritable indépendance et l’union du Gabon, du Congo, du Cameroun et de la République Centrafricaine pour être viable économiquement et pouvoir jouer un rôle véritable sur la scène internationale. Il meurt en 1959 dans un accident d’avion au cours de la première campagne électorale que connaît la Centrafrique. Les conditions de sa mort restent mystérieuses (!).

 

David DACKO devient le premier président élu en 1959. La République centrafricaine proclame son indépendance en 1960. DACKO installe rapidement un régime autoritaire : parti unique, suppression de la responsabilité des présidents devant le parlement. Réélu en 1964, il veut mettre en place une politique d’austérité pour assainir les finances et se tourner vers la Chine pour obtenir une aide financière et économique. Il veut, de plus, réduire le budget de l’armée. Cela ne plaît pas du tout aux militaires centrafricains et le 31 décembre 1965 il est renversé par un coup d’Etat militaire qui met au pouvoir Jean Bedel BOKASSA.

 

La France soutient Bokassa

 

Depuis le 18e siècle, le peuple centrafricain, on l’a vu, a vécu des moments difficiles, mais ce 31 janvier est le début d’une période infernale. Le pouvoir est entre les mains d’un seul homme, dont la santé mentale est plus que fragile. Il est vrai que la vie de Jean Bedel BOKASSA commence plutôt mal. Son père, chef de village, travaille pour une compagnie forestière française comme recruteur. Face aux traitements inhumains subis par ses recrues, il se rebelle et libère des prisonniers qui servaient comme esclaves dans les plantations. Il est arrêté, condamné à mort et exécuté publiquement par bastonnade par des agents coloniaux français sur la place de son village. Une semaine plus tard, sa mère se suicide. BOKASSA avait alors 6 ans…

 

A 18 ans, il s’engage dans l’armée française, et participe au débarquement en Provence. Après la guerre il fréquente les écoles militaires en France, puis combat en Indochine et en Algérie sous les ordres de BIGEARD… Il revient alors en Centrafrique et devient chef d’état-major du président DACKO. Après le coup d’Etat, il devient le deuxième président centrafricain. Il suspend la Constitution, dissout l’Assemblée Nationale et fait arrêter les collaborateurs de l’ex président.

 

La répression est féroce. L’ex-chef de la sécurité, par exemple, sera battu à mort en prison, en présence de BOKASSA. Il épargne DACKO pour ne pas se mettre à dos la France et la communauté internationale. Il promet des élections « libres et démocratiques », et également de quitter le pouvoir dès qu’il aura écarté la « menace communiste ». Il met en place des lois assez radicales. Par exemple, les hommes de 18 à 55 ans doivent prouver qu’ils ont du travail, sinon ils risquent une amende voire la prison (encore mieux que la nouvelle loi française sur le chômage !). Il bannit la polygamie, ce qui pourrait prouver un certain avant-gardisme mais, en fait, révèle plutôt son déséquilibre mental : il aura officiellement 17 épouses et 36 enfants légitimes. Il fait exécuter sans procès tous ceux qui s’opposent à lui. Il a tout de même un certain soutien populaire car il met en place une réforme agraire qui favorise les petits paysans. A l’international, il voudrait un soutien ferme de la France mais De Gaulle rechigne à soutenir officiellement celui qu’il nommait le « soudard ». Mais De Gaulle sait que la France a besoin de l’uranium centrafricain pour ses centrales nucléaires et que la Centrafrique a une position géographique stratégique. Bokassa, pour lui forcer la main, le menace de quitter la zone Francs : De Gaulle cédera et le recevra officiellement en 1969. Son coup d’Etat sera ainsi officialisé. Cette reconnaissance va « enflammer » Jean Bedel Bokassa qui va monter d’un cran dans l’autoritarisme et l’irraison, lui faisant perdre tout soutien populaire.

En 1972 il s’autoproclame président à vie. Début 1976 il dissout le gouvernement et le remplace par un conseil de la révolution centrafricaine. Nouvelle preuve de ses problèmes mentaux, David DACKO, le président qu’il a renversé, emprisonné, devient son conseiller personnel. Début 1976, BOKASSA se convertit à l’Islam. Fin 1976, il se reconvertit au catholicisme, instaure la monarchie et s’autoproclame « empereur de Centrafrique par la volonté du peuple centrafricain, uni au sein du parti politique national ». Grand admirateur de Napoléon, BOKASSA organise un sacre le 4 décembre 1977 à l’image de celui de Bonaparte.

 

Le sacre ubuesque

 

5 000 invités sont présents, aucun chef d’état étranger, mais Robert Galley, ministre de la Coopération, assistera à cette tragique mascarade. La France y prendra une part importante. Les ateliers de Pierre Cardin fabriqueront la réplique du costume que Napoléon portait lors de son sacre : épaisse cape doublée d’hermine incrustée de perles et brodée de fil d’or. Bokassa sera d’ailleurs fort mécontent de la prestation des équipes de Pierre Cardin car la veste militaire taillée spécialement pour la circonstance ne permettait pas d’accrocher toutes les médailles… qu’il s’était lui-même attribuées.

Claude Arthus Bertrand, joaillier français, confectionnera la couronne en or pur qui comportait 7 000 carats de diamants. Elle était estimée à 5 millions de dollars. Le salaire annuel moyen à l’époque était d’environ 100/150 dollars. A la fin de la cérémonie, Bokassa devait rallier le palais des sports de Bangui pour le banquet dans un carrosse tiré par 8 purs sangs venus spécialement d’un haras normand. Mais ce carrosse était tellement gros et tellement décoré d’éléments en bronze et en or qu’il était extrêmement lourd. Ce 4 décembre, il faisait très chaud à Bangui et les chevaux n’ont pas pu tirer le carrosse jusqu’au palais des sports. 2 sont  morts d’épuisement et de chaleur en pleine rue et Bokassa finit le trajet en voiture. Le repas fut fastueux : 10 000 couverts, 100 tonnes de nourriture. Le repas se termina par une gigantesque pièce montée arrivée par avion le matin même de… Paris. Le coût estimé de ce sacre représenta environ le quart du budget annuel du pays. Il a été entièrement filmé par le service cinématographique de l’armée française.

 

On comprend bien que les dirigeants français, le président en premier lieu, rechignait à se montrer publiquement aux cotés de BOKASSA. Par contre, à l’abri des caméras et des journalistes, Giscard d’Estaing n’avait pas de scrupules à le côtoyer, soit pour aller chasser en Centrafrique, soit pour recevoir de menus cadeaux de la part du dirigeant centrafricain. Les cadeaux « de toute petite taille » comme le souligna le Canard Enchaîné d’octobre 1979 en révélant l’affaire des diamants. D’après le journal, Bokassa avait offert à Giscard d’Estaing une plaquette de diamants d’une valeur d’environ 1 million de francs. Giscard, du haut de sa magnificence, déclara d’abord « il faut laisser les choses basses mourir dans leur propre poison », puis « je ne vous cache pas qu’il est assez désobligeant de répondre à des questions de cette nature ». Et enfin « les diamants ont été vendus et l’argent a été versé à la Croix Rouge centrafricaine » reconnaissant ainsi implicitement qu’il avait reçu ces cadeaux. A noter que la Croix Rouge Centrafricaine déclara en mars 1980, qu’elle n’avait jamais rien reçu.  Pendant toute cette période, le peuple centrafricain survivait, vivotait, et supportait de moins en moins les frasques de son empereur. En 1979 des lycéens manifestent à Bangui contre l’obligation de devoir porter, et surtout payer un uniforme. En 1979, Bokassa se rapprocha de la Lybie de KADHAFI, et demanda à la France de lui fournir la bombe atomique afin d’assurer la sécurité de la Centrafrique. Bokassa devenait aux yeux de la France trop ingérable, et elle lança en novembre 1979 l’opération CABAN qui renversa le pouvoir de BOKASSA. La République fut rétablie et c’est David DACKO qui en redevint le président. La France assura un soutien total à ce dernier dans le cadre de l’opération BARACUDA. BOKASSA fut renversé alors qu’il était en voyage à Tripoli, s’exila en Côte d’Ivoire puis durant 3 années, fut assigné à résidence au château d’Hardricourt dans la région parisienne (les prisonniers centrafricains avaient moins de chance) ! Il décida de rentrer en Centrafrique en 1988, fut immédiatement arrêté et jugé pour 14 accusations dont : meurtres, trahisons, agressions, coups, détournements de fonds, utilisations illégales de propriétés, et même… cannibalisme. Il sera condamné à mort puis gracié, puis finalement amnistié. Il meurt en 1996.

 

La France s’accroche

 

En 1979, après la chute de Bokassa, une page funeste pour le peuple centrafricain se tourne. Cela paraît difficilement concevable mais la suite ne sera guère plus heureuse pour lui. DACKO, mis au pouvoir par la France, est renversé en 1981 par le général COLINGBA, qui met immédiatement en place un régime militaire qui durera jusqu’en 1993. A cette date, sous la pression internationale et française, après le discours de la Baule de François Mitterrand, la France lie son aide économique à une évolution démocratique des pays, les élections sont organisées en Centrafrique. Ange Felix PATASSE est élu, mais sera renversé en 1999 par François BOZIZE, soutenu par la France et par l’armée tchadienne. Une partie de cette armée restera d’ailleurs en Centrafrique, ce qui entraîne une réaction très violente dans le pays.

L’accession au pouvoir de BOZIZE est violemment contestée par les habitants du nord du pays qui se sentent exclus et ostracisés par le gouvernement central. Ils s’organisent alors en groupes rebelles qui, de 2004 à 2007, plongent le pays dans une guerre civile. Après 2007, le conflit cessera mais restera en sommeil et reprendra en 2012. En 2013, les rebelles de la SELEKA, essentiellement musulmans, prennent Bangui et BOZIZE s’enfuit. L’ONU considère à cette époque, que la situation est pré-génocidaire en Centrafrique. La France intervient à nouveau militairement dans le cadre de l’opération SANGARIS, la SELEKA recule, quitte Bangui, et des élections sont à nouveau organisées. C’est Faustin Ange TOUADERA le président qui sera élu.

On l’a vu, les milices musulmanes (SELEKA) quittent Bangui mais continuent à contrôler une grande partie du pays. En opposition à ces milices musulmanes se créent d’autres milices catholiques : les anti-BALAKA. En fait, à cette époque, le gouvernement central contrôle plus ou moins la région de Bangui et tout le reste du territoire centrafricain est contrôlé soit par des milices musulmanes de la SELEKA, soit par des milices anti-BALAKA catholiques. Dans les zones contrôlées par les milices, c’est la loi du plus fort qui s’applique. L’Etat est totalement absent. Chaque milice établit ses lois et ses pratiques, et bien sûr vit sur le dos des populations civiles. La situation est déjà dramatique pour ces dernières quand la milice qui les contrôle est de la même religion qu’elle, mais elle est encore nettement pire lorsqu’une population musulmane est soumise à une milice catholique, ou le contraire. Dans ces cas, ces populations sont quasiment soumises à l’esclavage. Les milices les laissent vivre uniquement pour quelles travaillent afin de les nourrir, mais elles se donnent évidemment le droit de vie ou de mort sur les habitants. La situation n’a guère évolué depuis ce moment, Faustin Ange TOUADERA a été élu en 2021 mais il est à la tête d’un Etat fantôme. Il tient uniquement grâce au soutien des militaires rwandais et surtout grâce à la présence de mercenaires russes. La Russie s’implique de plus en plus dans les affaires centrafricaines et tend à y remplacer la France. La situation est très instable. Ces militaires russes, rwandais et centrafricains ont eu toutes les peines du monde à repousser une attaque rebelle sur Bangui début 2021.

 

En clair, il n’y a plus de Centrafrique. Les milices contrôlent 80 % du territoire, le gouvernement officiel a toutes les peines du monde à contrôler les 20% restants. Il n’est pas difficile d’imaginer ce que vivent les populations civiles, où qu’elles se trouvent sur le territoire centrafricain. Elles sont uniquement en situation de survie. L’ONU a mis en place des Casques bleus dans le cadre de l’opération MINUSKA mais ceux-ci n’ont aucune influence directe ; ils se contentent d’observer et de constater les exactions que subit la population.

 

La France a une grande part de responsabilité dans cette situation, après avoir été le colonisateur, le soutien de BOKASSA, celui de BOZIZE, elle a de moins en moins d’influence dans ce pays, supplantée essentiellement par la Russie. Il n’est pas certain que les populations y gagnent au change. Depuis son indépendance, la population centrafricaine n’a connu que des dirigeants plus brutaux les uns que les autres et a toujours été en état de survie. La situation actuelle est peut-être l’un des pires moments pour elle. Elle est tellement désespérée que les chrétiens finissent par penser que les musulmans sont cause de leurs problèmes et vice versa, alors qu’ils vivent la même situation. L’avenir du peuple centrafricain est très sombre. Certains Centrafricains espèrent que leur pays expérimentera la même évolution que le Rwanda qui après avoir connu un génocide apprécie maintenant une période plus paisible, mais l’arrivée en force des Russes dans la région risque de ne pas faciliter les choses.

 

Jean-Louis Lamboley, le 24 juin 2021

 

Pour en savoir plus :

Centrafrique : un destin volé. Histoire d’une domination française, Yanis Thomas, Agone  2016

L’association Survie dénonce le néocolonialisme français en Afrique et milite pour une refonte réelle de la politique de la France en Afrique. Elle publie des brochures et des livres.   survie.org/