Effondrement
ou transformation
La
préoccupation angoissante de l’évolution du climat, le réchauffement de la
planète et les dérèglements qu’il entraîne, vont questionner de plus en plus la
nature des mobilisations populaires. Déjà Karl Marx, en son temps, avait
insisté sur le fait que le capitalisme détruit l’Homme et la Nature. C’était
bien avant la crise de 1929-30, les deux guerres mondiales, l’explosion des
bombes atomiques, la guerre du Vietnam - où furent larguées trois fois plus de
tonnes de bombes que pendant la période de 39-45, sans compter l’agent orange
de Monsanto pour détruire la jungle sur la piste Ho Chi Minh... Ce qu’on a
appelé les Trente Glorieuses furent
également les Trente polluantes et,
les années s’écoulant, il fallut se résoudre à tenir des conférences
internationales, ces grands messes où on se lamentait que la maison brûle pour
ne rien entreprendre ou presque. Les scientifiques du GIEC – Groupe d’experts
intergouvernemental sur l’évolution du climat - ont annoncé à plusieurs reprises
le cataclysme qui pourrait se produire si des mesures draconiennes n’étaient
pas prises. Non seulement les constats sont accablants mais les prospectives, à
court et moyen termes, sont catastrophiques. L’humanité peut-elle s’en
sortir ?
1 – Des constats accablants
Depuis
150 ans, la grande accélération du capitalisme industriel, fondé sur
l’extractivisme du charbon puis du pétrole, a prouvé son caractère néfaste. 100 millions de barils de pétrole par jour
sont consommés, ce qui représente une colonne de 80 000 kms de haut. On
annonce le fameux pic de Huber, qui limiterait l’extraction de pétrole, mais
les solutions trouvées sont encore plus néfastes. On extrait désormais dans les
sables bitumineux un pétrole de mauvaise qualité. On s’apprête à forer dans
l’Arctique et le Groenland et l’on extrait du pétrole et du gaz de schiste,
toutes méthodes plus catastrophiques les unes que les autres.
Dans
le même temps, la surface des villes, le développement des métropoles, représentent chaque année 400 millions de m2. Paradoxalement,
on assiste à la désertification des campagnes alors même que seul un quart des
terres à l’échelle mondiale échappe aux activités humaines. En outre, la
progression des inégalités provoque une empreinte écologique de plus en plus forte
des 10 % les plus riches. Quant à la pollution, due notamment au rejet de CO2,
elle tue environ 6 millions de personnes par an, principalement dans les pays
pauvres et les lieux de développement industriel rapide. Le réchauffement
climatique est désormais préoccupant pour 17 pays en situation de stress
hydrique extrême, 27 autres pourraient bientôt manquer d’eau, soit 25 % de la population mondiale.
A
l’été 2019, plus de 11 milliards de tonnes de glace ont fondu au Groenland. La
montée des océans menace désormais les côtes. On annonce déjà une acidification
des océans, résorbant leur capacité
à absorber le CO2. Chaque année, ce sont 80 000 kms de forêts qui disparaissent. Leur
exploitation outrancière dans des secteurs, lieux d’habitat des animaux sauvages,
favorise la transmission des virus inconnus à l’homme, source probable de la
pandémie actuelle. Il paraît évident que la politique menée par Bolsonaro, au
Brésil, va encore restreindre la capacité de l’Amazonie à demeurer l’un des
« poumons » de la planète. Que dire, par ailleurs, de la pêche industrielle qui consomme 19
milliards de kwh en parcourant 468 millions de kms/an. Ce constat de 2016 va
s’aggravant et prive les pécheurs artisanaux, notamment dans les pays pauvres,
de moyens de survivre.
On
assisterait à la 6ème
extinction massive de l’histoire de la Terre : en 40 ans, plus de 400
millions d’oiseaux européens ont disparu, et plus de 3 milliards aux USA.
Depuis 1990, le nombre d’insectes volants a chuté de 80 % rien qu’en Allemagne.
Sur la planète, 70 % des oiseaux ont disparu et 90 % des hirondelles. Il n’y a
pas lieu de s’étonner que sur les parebrises des voitures, on ne s’échine plus
à se débarrasser des insectes qui y seraient collés puisque 40 à 80 % ont
disparu.
Bref,
la vie sur terre est en péril : les
humains qui ne représentent que 0.01 % des créatures vivantes ont causé
83 % des pertes animales depuis le début de la civilisation.
2 – Prospectives catastrophiques
Le
capitalisme vert peut-il nous sauver ? En fait, quand une transformation
s’opère, par exemple, par le recours moindre à l’extraction du charbon, on
assiste au renforcement de l’utilisation
des énergies entre elles : le charbon continue à être exploité, et
pétrole et gaz s’y ajoutent et on utilise même de l’énergie verte pour en
extraire encore plus. Ainsi, les panneaux solaires sont désormais utilisés pour
injecter de l’eau chaude dans les sites pétroliers pour fluidifier le pétrole
et en extraire, donc, davantage. Dans le même esprit, on envisage de créer des
machines qui seraient capables de pomper du CO2 dans l’atmosphère pour le
réinjecter et le stocker dans des galeries souterraines. Ces savants un peu
fous se sont quand même aperçu que dans ces conditions on consommerait encore
plus d’énergie et donc de pétrole. Dans le même temps, des entreprises raclent
les océans pour en extraire les microbilles
de plastique et tenter de nous prémunir des perturbateurs endocriniens qui
saturent la chaîne alimentaire en empoisonnant les poissons.
Bref,
ces exemples montrent que les écosystèmes ne peuvent se régénérer d’eux-mêmes
que dans le temps long. Le mode de production capitaliste fondé sur la
concurrence et l’accumulation des profits, tout comme les techniques utilisées,
ne sont pas une solution « durable ».
Les
prévisions du GIEC sont des plus alarmantes. L’évolution des mesures prises lors
des grands-messes médiatiques ne sont pas suffisantes pour éviter le pire des
scénarios, soit une augmentation de 4 à 6° à la fin de ce siècle. Avec 4° de
plus, l’Europe du Sud serait gagnée par le désert.
Il
n’est pas étonnant qu’un certain nombre de scientifiques parlent d’un
effondrement possible de l’humanité. En fait, ce qui est sûr c’est bien la perte de maîtrise de l’ensemble des
oligarchies qui se profile : le système va devenir de plus en plus
chaotique entraînant des durcissements autoritaires pour se maintenir.
3 – Perspectives incertaines
Le
dérèglement climatique, c’est non seulement l’augmentation de la température
jusqu’à des extrêmes de 46 à 50 °, la fonte des glaciers, y compris au Pôle
nord, mais aussi des pluies intenses et brèves, provoquant des inondations et
des éboulements de terrain. On va donc assister, dans les années à venir, à
l’accélération des migrations, à l’aggravation de la pauvreté et au développement
de famines. Dans certains pays, la population va décliner ; les pouvoirs
en place pourraient recourir, face aux révoltes, à des répressions de plus en
plus sanglantes, à la guerre. Déjà la course aux armements a repris, y compris
dans l’espace, les « marchands de canons » et leurs VRP s’en
réjouissent…
Il
va de soi que, dans ces conditions, l’écologie
candide promue par certains, n’est que de la bobologie qui ne ralentira en rien les réactions d’extrême droite
qui progresseront sur ce terreau. En fait, il semble bien que la conscience
critique retarde sur l’évolution alarmante de la situation. Les régimes dits
démocratiques, issus du capitalisme, ne sont pas en mesure de trouver des
solutions pour l’humanité.
Le
capitalisme financiarisé, mondialisé, a développé les inégalités de manière
exponentielle. Il a, de fait, organisé des systèmes hiérarchisés, où
l’oligarchie capitaliste règne en maître. La crise de 2007-2008 a déjà démontré
que les classes régnantes sont prêtes à tout pour conserver leurs privilèges, y
compris en appauvrissant les peuples
qu’ils sont censés représenter : on a déjà eu un avant-goût avec la
suppression des services publics, le chômage, la mise en cause des conquis
sociaux, comme les retraites, le droit du travail…
Il
semble nécessaire que les formations sociales doivent s’organiser autrement,
par en bas, pour changer de régime politique et instaurer des sociétés égalitaires et de sobriété
énergétique. C’est tout le mode de production et d’échanges qu’il faut
radicalement changer. Cette révolution sociale, écologique, énergétique ne peut
se conjuguer avec les inégalités qui
contredisent le principe de liberté. La liberté des plus puissants c’est la
liberté du renard dans le poulailler. La légalité du système capitaliste, dans
son mode de représentativité, doit être mise en cause pour y faire prédominer
la légitimité de la lutte et de nouveaux modes d’organisation.
Il
n’y a pas d’autres alternatives entre, d’une part, le chaos, et d’autre part,
la révolution sociale, seule capable de s’opposer à la fascisation des régimes
en place.
Reste
qu’il faudra bien s’interroger et résoudre la contradiction entre les énormes
métropoles et les campagnes pour faire prévaloir une économie agricole et
industrieuse, au plus près des populations concernées.
Il
sera bientôt minuit en ce siècle. Si rien n’est entrepris, afin d’éviter que le
dernier qui s’en sortira soit contraint d’éteindre la lumière de l’Humanité. La
planète nous survivra. Piètre consolation…
Gérard
Deneux, le 24 juin 2021
sources :
GIEC
Aurélien
Barrau, auteur de Le plus grand défi de
l’histoire de l’humanité
Gaël
Giraud, économiste, à écouter sur youtube, sur Blast « Cataclysme économique
mondial et chômage de masse » ou encore conférence à HEC « Quelles solutions économiques face à
l’urgence climatique ? »
encart
Inefficacité
des milliards dépensés pour verdir l’économie
Prime
à la casse, taux réduits de TVA, MaPrimeRénov… Entre 2012 et 2021, la France a
dépensé 200 milliards € en matière de rénovation des bâtiments, mobilité et production
d’énergie bas-carbone. Cette montagne d’argent a-t-elle produit de véritables effets
sur le climat ? Ça ne saute pas aux yeux ! Dans le logement par ex,
l’empilement des mesures fiscales a une efficacité plus que discutable et
engendre plutôt des effets d’aubaine. Les aides ont même eu un effet négatif,
comme l’installation de pompes à chaleur air-air avec une consommation
électrique toute l’année au lieu des seuls mois d’hiver… Et que dire des aides
aux véhicules hybrides pour lesquels les niveaux réels d’émission sont jusqu’à 4
fois supérieurs à ceux mesurés lors des tests protocolaires ?
L’efficacité
de la fiscalité verte est d’autant plus réduite que, dans le même temps, les
dépenses fiscales défavorables au climat ne faiblissent pas ; elles
représentaient encore plus de 16 milliards €/an en 2019 contre 14 milliards en
2012. Résultat : la France est largement au-dessus de ses objectifs en
matière de budget-carbone et a même revu à la hausse le budget 2019-2023 avec
422 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an au lieu des 398 millions prévus
à l’origine.
Rapport
du cabinet 14CE, paru sur https://korii.slate.fr/
le 25.06.2021