La dette, outil
de pillage…
« Si la
population comprenait le système bancaire, je crois qu’il y aurait une
révolution avant demain matin ». Henry
Ford
Notre quotidien, nos projets, notre avenir dépendent
de l’argent qui circule dans l’économie.
La monnaie est le fluide qui permet les échanges de biens et de services.
Savoir qui crée la monnaie est donc indispensable pour comprendre comment le
monde fonctionne. Sans la connaissance des diverses formes de monnaie et les
mécanismes qu’elles impliquent, il est impossible de comprendre le système
monétaire et plus globalement l’économie.
La monnaie,
sous forme de billets et de pièces, est la monnaie centrale corporelle – ou
monnaie manuelle. Elle était fabriquée par la Banque Centrale, missionnée par l’Etat
ou les Etats d’une zone monétaire. La monnaie qui est sur les comptes en banque
est la monnaie scripturale ou secondaire, elle n’existe que sous la forme de
chiffres. Les banques commerciales privées (BCP) sont des intermédiaires qui font
le commerce de la monnaie centrale et désormais, la créent.
Histoire de
la monnaie
C’est le crédit, c'est-à-dire la comptabilité des
dettes, qui est apparu bien avant la
création de la monnaie. On a retrouvé nombres d’objets servant de registres de
dettes, des bâtons, des boules d’argile ou des papyrus. Parmi les plus anciens
registres figurent des centaines de milliers de tablettes d’argile de l’époque
sumérienne.
Ce n’est qu’environ 700 ans avant JC que des
souverains ou des castes régnantes ont imposé l’usage de la monnaie comme moyen
d’échange sous la forme d’un objet dont ils s’attribuaient l’exclusivité de la
production. Ils émettaient la monnaie, généralement des pièces d’or, d’argent
ou de cuivre, payaient leurs soldats avec et menaient des guerres. Les soldats
imposaient cette monnaie comme paiement. Le pouvoir la récupérait alors lors de
la perception des impôts. Le pouvoir pouvait donc acheter nourriture,
marchandises et richesses grâce à la monnaie qu’il produisait lui-même. La
monnaie a donc été créée par des castes régnantes, des souverains pour
extorquer une partie de la production des populations, vivre et s’enrichir sans
travailler. C’est par ce principe que des empires se sont bâtis.
Au Moyen-âge, avec le développement du commerce, les
métaux précieux comme l’or et l’argent étaient devenus une monnaie
internationale. Il était risqué de posséder et transporter ces métaux précieux,
alors les marchands de Londres et de Stockholm commencèrent à confier la garde
de ces métaux aux orfèvres. En échange, les orfèvres leur donnaient un reçu, un
certificat de dépôt nominatif. Lors des retraits, les orfèvres demandaient une
somme pour le service. Puis les certificats devinrent non nominatifs. Les
marchands se mirent à se payer avec ces certificats. La monnaie de papier était
née. Les orfèvres eurent l’idée de prêter ces métaux sous forme de certificats
à d’autres marchands. Quand les marchands remboursaient leurs dettes, ils
rendaient les certificats et versaient un intérêt. Les orfèvres se mirent à
imprimer bien plus de certificats que de métaux dans leurs coffres. Cette
pratique leur permit de s’enrichir en multipliant les intérêts perçus.
Application
contemporaine
Les métaux précieux sont remplacés par la monnaie
centrale. La nation fait fabriquer sa propre monnaie à la banque centrale. La
monnaie secondaire est l’équivalent des certificats de dépôt des orfèvres. Un
compte bancaire est une dette en monnaie centrale de la banque envers son
client. Quand l’orfèvre faisait crédit, il émettait plus de certificats de
dépôt que de métaux précieux disponibles. Quand les marchands le remboursaient,
il détruisait ces certificats. C’est la même chose aujourd’hui avec la monnaie
scripturale privée : quand une banque accorde un crédit, elle crée de la
monnaie sur un compte à partir de rien. Et elle en crée bien plus qu’elle n’en
dépose dans ses coffres. Et quand son client rembourse son crédit, elle détruit
la monnaie. C’est la création et la destruction monétaire. Les banques peuvent
aussi créer de la monnaie à partir de rien pour couvrir leurs dépenses et leurs
achats et elles ont la possibilité de se faire crédit à elles-mêmes. La monnaie
donne l’illusion au peuple que c’est l’Etat qui émet la monnaie alors qu’en
réalité ce sont les banques commerciales
privées qui ont ce privilège. Sans création monétaire par le crédit, par
les BCP, il n’y aurait quasiment pas de monnaie en circulation.
Les banques et les Etats sont comme les deux faces d’une
même pièce. En effet, il faut d’abord que la monnaie soit créée par le crédit
bancaire pour que l’Etat puisse en prélever par les impôts et les taxes. Et les
banques ont besoin des Etats pour faire établir une législation forte
protégeant ce privilège et la faire
appliquer par la justice et les forces de l’ordre.
Système
pyramidal destructeur
Le système monétaire fonctionne comme un système
pyramidal : pour payer les crédits en cours de remboursement, il faut que
de nouveaux crédits soient accordés sinon la monnaie se raréfie, certains
emprunteurs ne peuvent plus rembourser et l’économie ralentit. La croissance
pousse à s’endetter et à produire toujours plus –au-delà des besoins réels-
pour rembourser. L’argent devient le moteur de la vie et non ce dont on a
besoin pour vivre. Ce système permet au banquier de ne rien produire et
provoque le pillage des ressources naturelles. Le crédit détruit
l’environnement. Ce système crée aussi deux réalités surprenantes : d’une
part les sommes dues aux banques sont globalement supérieures aux sommes
disponibles pour les rembourser ; d’autre part, si tout le monde
remboursait ses dettes, il n’y aurait quasiment plus de monnaie en circulation
dans le monde. Tous les comptes seraient vides, tous les billets disparaîtraient.
La création et la destruction monétaire déterminent la
masse monétaire. Chômage, pauvreté, faillite d’entreprise se développent
rapidement si la masse monétaire diminue. Les entreprises, les particuliers et
les Etats s’endettent auprès du système bancaire pour assurer une augmentation
constante et exponentielle de la masse monétaire. S’ils n’empruntent plus ou si
la banque n’accorde plus de crédit, la monnaie disparaît et une crise
financière survient rapidement. Sans dette, il n’y a pas de monnaie.
Le système
dette
Depuis le 19ème siècle, de l’Amérique
latine à la Chine en passant par Haïti, la Grèce, la Tunisie, l’Egypte et
l’empire Ottoman, la dette publique a été utilisée comme arme de domination et
de spoliation. C’est la combinaison de l’endettement et du libre-échange qui
constitue le facteur fondamental de la subordination d’économies entières. Les
classes dominantes locales s’associent aux grandes puissances financières
étrangères pour soumettre leur pays et leur peuple a un mécanisme de transfert
permanent de richesses des productions locales vers les créanciers. Ce n’est
pas l’excès de dépenses publiques qui amène la dette à des niveaux
insoutenables, mais plutôt les conditions imposées par les créanciers. Les taux
d’intérêts réels et les commissions prélevées par les banquiers étant
abusivement élevés. Les dettes publiques élevées sont aussi le résultat :
-
des cadeaux
fiscaux accordés aux plus riches
-
de l’évasion et
de la fraude fiscale (1000 milliards d’euros pour l’Union Européenne, 50 pour
la France)
-
du sauvetage
inconditionnel des banques privées durant la crise de 2008
Les conséquences sont évidentes : les pays qui
s’endettent ne sont pas en mesure de rembourser et doivent constamment recourir
à de nouveaux emprunts. Et quand ils n’y arrivent pas, les puissances
créancières ont le pouvoir de recourir à une intervention militaire pour se
faire rembourser.
Le remboursement de la dette publique permet aux pays
du Nord et aux banques privées de perpétrer la dynamique coloniale de pillage
des ressources des pays du Sud avec l’appui du Fond Monétaire International
(FMI) et de la Banque Mondiale. Ces dettes ont été transférées illégalement aux
pays du Sud par les puissances colonisatrices ou ont été contractées par la
suite par les gouvernements dictatoriaux de ces pays pour asseoir leurs
intérêts personnels au mépris de ceux des populations locales. Pour assurer le
remboursement de ces dettes, les pays du Sud sont contraints de vendre leurs
ressources (aux dépens de la souveraineté alimentaire, des droits sociaux et de
l’environnement) en tournant leurs économies vers les exportations et en
appliquant le libre échange. Le FMI s’assure de maintenir cette mécanique en
place via ses « plans d’ajustements structurels » qui enferment ces
pays dans la spirale infernale de l’endettement et de l’austérité. La République
Démocratique du Congo consacre par exemple plus d’argent à rembourser sa dette
qu’à financer la santé ou l’éducation. Au final ce sont les pays riches et les
marchés financiers qui profitent à la fois des intérêts sur la dette remboursée
par le Sud et des ressources exportées qui nourrissent leurs industries à bas
coût.
Depuis la crise financière de 2008, les populations
des pays du Nord, notamment en Europe, subissent aussi la destruction des
droits sociaux et des services publics au prétexte de remboursement des dettes
publiques afin de satisfaire l’appétit des marchés privés. Selon une ONG
allemande, 122 pays seraient en réalité en situation d’endettement critique.
Selon le FMI, parmi les pays à faible revenu, 9 sont en situation de
surendettement et 24 en position de l’être soit 39% d’entre eux. Preuve de
l’incapacité (et de l’absence de volonté) des institutions financières
internationales à répondre efficacement et durablement au surendettement :
la moitié de ces 31 pays ont appliqué à la lettre les politiques d’ajustement à
l’initiative du G7.
Depuis 2010, la part des remboursements de la dette
extérieure publique des pays du Sud par rapport à leurs recettes totales a
augmenté de 85% et culmine à un niveau moyen de 12,2% des recettes publiques
des Etats, soit le plus haut niveau atteint depuis 2004. La dette mondiale,
tant publique que privée, s’élève aujourd’hui à un record historique de 182 000
milliards de dollars, près de 60% de plus qu’en 2007.
A travers l’histoire, plusieurs gouvernements mis sous
pression par la population ont refusé de payer, arguant que la dette était
illégitime ou odieuse. C’est le cas du Mexique, des Etats-Unis, de Cuba, de la
Russie, de la Chine ou du Costa Rica. Une dette est dite « illégitime et
odieuse » lorsque sont réunies l’absence de bénéfice pour la population et
la complicité des prêteurs. Parfois les conditions dans lesquelles les prêts
ont été octroyés ne respectent ni le droit international ni les droits
nationaux ; la dette est alors illégale. Pour refuser, les pays s’appuient
sur le droit international et sur des audits citoyens de la dette. De nombreux
collectifs pour un audit citoyen de la dette publique ont été créés ces
dernières années afin de savoir d’où vient la dette. A-t-elle été contractée
dans l’intérêt général de la population ? Qui détient et profite de ces
titres ? Ces collectifs entendent mettre la pression sur les autorités
publiques pour les amener à suspendre puis annuler les dettes identifiées comme
illégitimes.
Le système oblige l’ensemble de la société, des Etats,
a être perpétuellement endettés et donc à enrichir les banques et la finance.
C’est par ce principe que la finance asservit le monde à son profit, sans
contrepartie productive. La nécessité de toujours plus de crédit provoque la
destruction de l’environnement, la surproduction, la concurrence et le
consumérisme. Tant que chaque unité de monnaie, chaque euro, sera issu d’un
crédit bancaire, les banques gouverneront le monde et l’humanité pillera la
planète pour enrichir l’oligarchie financière. Il est temps de détruire cette
machine infernale et de faire tomber la domination par la dette. A l’heure où
une crise mondiale de la dette se profile, les peuples doivent se saisir de
cette question et remettre en cause le paiement de la dette publique. C’est
avant tout une question de justice et de droits humains.
Stéphanie Roussillon
En savoir plus : avec les vidéos de
et le site www.cadtm.org
L’article qui précède devrait amener à approfondir de
nouvelles réflexions et à périodiser
l’histoire de la monnaie et les développements qu’ont connus les systèmes
bancaires. Ainsi, on peut souligner qu’en 1944, pour éviter l’instabilité
monétaire d’avant la 2ème guerre mondiale, décision fut prise
d’adopter un taux de change fixe des
monnaies, leur convertibilité étant assurée par leur valeur en or. Le
gouvernement Nixon, en 1971, mit fin à cette convertibilité du dollar en or.
Ce fut la fin des accords de Bretton Woods.
La libéralisation financière déjà entamée s’accéléra
dans les années 1980. La création de l’euro mit fin également au rôle joué par
les banques centrales nationales, la BCE s’y substituant, pour l’essentiel, et
les banques privées purent sans contrainte créer de la monnaie. La distinction
entre les banques commerciales et les banques de dépôts fut de fait supprimée.
La question revint en débat à l’occasion de la crise
de 2007-2008 afin de protéger l’argent des usagers. Les réformes cosmétiques
entreprises et l’abandon de toute contrainte vis-à-vis des paradis fiscaux, et
donc des filiales bancaires qui s’y trouvaient, n’assurent en aucune façon les
dépôts bancaires des particuliers. En Europe, la souveraineté monétaire des Etats n’existe plus. La BCE a toute
autorité et ne fait que superviser, de manière laxiste, la création monétaire
des banques privées.
Il faudrait
également opérer une distinction entre capital fictif, spéculatif, en
circulation dans les marchés financiers et donc les banques, et le capital
véritablement investi dans la production, seul créateur de richesse réelle. Cette
distinction soulève le problème de l’éclosion des bulles financières…
Enfin, on peut, de surcroît, s’interroger sur la
possibilité de se passer des banques comme le laisse supposer l’article, ou plutôt,
de quelle manière elles pourraient être réglementées dans le cadre de leur socialisation.
GD