Chronique
d’une campagne dérisoire
(éditorial de Gérard Deneux, dans PES n° 74)
On
connaissait le préfet aux champs mais Macron
au village, non. Le roitelet de l’Elysée avait en effet décidé de faire un
tour dans « ses » provinces afin de regagner les faveurs des
Français. C’était juste après l’épisode flattant la jeunesse où, avec Carlito,
il multipliait les singeries pour façonner l’image cool d’un président en
reconquête. En immersion à Tain-l’Hermitage dans la Drôme, puis à
Saint-Cirq-Lapopie dans le Lot, il entendait se façonner un véritable village Potemkine, comme la tsarine
Catherine II en son temps. Les petits bourgs furent cernés des bleus,
harnachés, bloquant toute entrée, d’autres stationnant dans les chemins
vicinaux, pour accueillir le résident de l’Elysée. Suivi d’une escorte de
journalistes embarqués et de gens de cour, l’illustrissime personnage délivra à
la France son message formaté. A part une poignée d’entre eux, les villageois
furent claquemurés mais l’on eut de belles images pour le petit écran. On gomma
toutefois le bruit d’un hélicoptère qui rassurait la compagnie, vis-à-vis de
cohortes de jaunes, de rouges ou de verts, qui auraient pu donner un peu plus
de couleur au paysage : seul le bleu casqué seyait aux macroniens triés
sur le volet. Mais cette virée campagnarde se termina malencontreusement :
une petite trentaine d’éléments choisis se trouvant derrière une barrière,
l’attendait. Le petit tsar se précipita, en courant, laissant derrière lui ses
gardes du corps surpris de ce démarrage, pour serrer quelques mains et faire
quelques selfies. En effet, un intrus s’était introduit dans ce groupe, et sans
vergogne, balança une claque
retentissante sur l’illustre joue présidentielle. Toute la classe politique
en fut choquée ; on ne peut gifler
ce personnage qui représente la sacralité de la démocratie, même si, en toute
tranquillité, on peut, sans trop émouvoir les médias, tabasser, encercler,
mutiler, museler dans ce régime parlementaro-capitaliste. Puis on minimisa,
Valls avait été giflé, Sarkozy aussi, Hollande enfariné. Le peuple manifestant
se rappela qu’une balle de LBD c’était plus qu’une gifle et des lacrymos, plus
qu’un soufflet. Cette tournée fut abrégée. Deux petits tours et Macron rentra à
l’Elysée, élections obligent.
Il
mobilisa ses ministres, envoya cinq
d’entre eux, et non des moindres, dans
les Hauts-de-France, pour contrer le baron Bertrand qui s’invitait déjà
dans les présidentielles. Il s’agissait de faire vivre le macronisme dans les
terres ingrates. En fait, ce fut peut-être là qu’on assista à la Berezina du
petit Bonaparte. Les électeurs, à près de 70 %, avaient boudé les urnes,
révélant ainsi le peu d’appétence des Français pour les politiciens qui,
presque tous, les avaient enfoncés dans le néolibéralisme destructeur. On
assista, à cet égard, à l’élasticité des
Verts et des Socialos qui, les uns contre les autres, s’alliaient avec
Macron ou avec ce qui restait de la Gauche, LFI et le PC. Certains avaient
pourtant pris le soin de gommer leurs appartenances politiques pour tenter de
sortir la tête de l’eau. Mais rien n’y fit. On incrimina, peut-être à juste
titre, la décision des petits génies de l’Elysée, qui avaient confié à une
boîte privée, la distribution du
matériel électoral. Force est de constater que la Poste, encore publique,
faisait mieux que le privé. Le Conseil des ministres qui suivit la proclamation
des résultats donna lieu à un épisode cocasse. Darmanin, le satrape, toujours
prêt à nasser et à tabasser les manifestants, proclama son soutien à son ex-ami
Bertrand, provoquant ainsi la fureur de Dupond-Moretti, ce maître des envolées
rhétoriques du Barreau. A cette occasion, malgré les consignes de Macron,
l’anecdote filtra, tournant ainsi en ridicule les deux personnages
s’invectivant.
Las !
Sans mot dire, le petit prince se
réfugia auprès de ses parrains, à la
Samaritaine rénovée, ce temple du consumérisme, et s’exclama « Que c’est beau ! ». Une photo,
peut-être volée, le fixa en compagnie de Bernard Arnault (LVMH), cette première
fortune de France qui, avec quelques autres milliardaires, l’avaient fait roi.
Ils tenaient la laisse… Allaient-ils encore le soutenir ? Un autre épisode
révéla que la comtesse Pécresse
n’était de fait qu’une vraie ganache
prête à tout pour conserver son poste. Elle affirma sans ambages que tout ce
qui n’était pas elle, à gauche comme à
la droite extrême, n’était pas républicain. Etait-elle donc une partisane non
déclarée d’un parti unique ? Valls qui avait viré à l’extrême droite en
Espagne et Huchon, en retraite du PS, s’empressèrent de la soutenir. Pécresse
n’en n’était pas à son premier coup tordu. Mediapart se souvint du meeting
fantoche qu’elle avait réalisé, avec de faux militants, acheminés par
centaines, par bus spéciaux. « Librement » ces gens, appartenant à
des associations communautaires (Chinois, Berbères, Cambodgiens…) devaient
assurer la claque vis-à-vis de celle qui se présentait comme une future
présidentiable. On sut que toutes ces associations étaient subventionnées par
la Région. Quant au voyage d’agrément, rien ne filtra sur son financement. Dans
la photo de groupe, on émascula tous ces
visages qui n’avaient rien de « Gaulois » ; le plus drôle
dans l’affaire, c’est que tous ces benêts, en rang d’oignons, croyaient pouvoir
obtenir soit le droit de vote, soit la nationalité française. Pouvaient-ils
ignorer que la grande dame avait affirmé sans ambages qu’elle était contre le
droit de vote des étrangers et contre le clientélisme !
Tout
cela ne nous éloigne pas vraiment de la dernière pantalonnade démocratiste, en
attendant le 2ème tour. Certes, la droite sort la tête de l’eau en
rameutant l’électorat fillonniste. Le FN se tasse, au grand dam de Le Pen qui
intimide ses troupes électorales défaillantes. Quant à LREM, elle est restée
dans les choux, privée de deuxième tour. La « gauche », malgré ses
rabibochages, ne parvient pas à percer.
Assiste-t-on
au début d’un long processus de
décomposition de ce régime, où défiance et indifférence
« apolitiques » se conjuguent pour déserter les urnes ? Ce qui
est sûr, c’est que le règne de l’oligarchie, articulant médiocratie et
médiacratie, connaît de réelles difficultés pour séduire les électeurs.
GD,
le 26 juin 2021