Sortir du
labyrinthe ?
L’article
qui suit se propose de revenir sur un certain nombre de questions qui ont animé les discussions lors de la dernière réunion
du comité de réalisation de notre publication. Elles ont trait à la définition,
ou plutôt, à la caractérisation du moment historique que nous vivons. Face aux
crises multiples auxquelles est confrontée « l’humanité », des pseudo-solutions,
des impasses régressives, des révoltes se multiplient sans que l’on puisse
apercevoir la sortie du labyrinthe dans lequel nous sommes enfermés. Les prises
de position qui suivent sont un appel à l’échange, car il semble bien que, pour
l’essentiel, la conscience et la compréhension de l’évolution heurtée de notre
monde retardent l’accélération de l’Histoire qui est notre lot commun. Nos
espérances surgissant lors de chaque vague de mobilisation massive, sont
généralement suivies de déceptions. Il en a été ainsi lors des printemps arabes
et des répressions qui les ont suivis pour ne prendre que cet exemple. Mais
l’on pourrait tout aussi bien évoquer l’échec de la Constituante au Chili et
plus généralement les impasses dans lesquelles se sont engouffrés les
mouvements altermondialistes, voire les faux espoirs de coalitions hétéroclites
menées par le Parti des Travailleurs au Brésil. Il est moins question, ici, de
revenir sur ces expériences que de tenter de saisir la gravité des antagonismes caractérisant les rapports
de forces mondiaux face aux catastrophes annoncées : le dérèglement
climatique, la crise de la mondialisation du capitalisme financiarisé, les
confrontations de blocs de puissance, la guerre en Ukraine. Ces antagonismes peuvent-ils
être résolus en faveur des classes ouvrières et populaires, autrement dit, quels
sont les principaux obstacles à la rupture avec le capitalisme dans des
conditions telles que l’émancipation sociale soit possible ?
Le
dérèglement climatique inéluctable ?
Y
a-t-il encore des climato-sceptiques après cet été de suffocation où, pour
certains, l’enfer de la forêt en flammes se trouvait au bord de leur jardin,
pour d’autres ce furent des nuages de cendres, un air plombant, des fissures
dans leurs maisons. Des cours d’eau asséchés, des fleuves incapables de
refroidir les centrales nucléaires et, pour tous, des températures
insupportables. Et ce, avant que ne surviennent des inondations, des pluies de
grêle. Tout porte à penser que ce n’est qu’un début, celui du réchauffement et
du dérèglement du climat. La situation catastrophique du Pakistan pour ne
prendre que cet exemple indique que tous les habitants de la planète sont
concernés. Malgré cela, il y a ces docteurs Folamour qui prétendent que la
planète sera sauvée par la géo-ingénierie et les nouvelles technologies. « Notre »
petit Président qui se veut plein de compassion n’est pas mieux inspiré :
le 20 juillet, en déplacement en Gironde, face à 7 000 hectares brûlés, il
déclare tout de go « on va refaire
la forêt » des Landes. Y planter à nouveau des pins sylvestres, aux
fines aiguilles contenant de la résine emplie de térébenthine ? Personne
n’a pu lui dire, même à l’ENA, que cette région qui affronte désormais des
températures très élevées était, autrefois, un marécage. Pour éviter des méga-feux,
il faut qu’elle remplisse cette fonction de zone humide emprisonnant
naturellement le carbone, non ? Mais ce serait là aller à l’encontre de
l’exploitation intensive de la forêt.
Au-delà
de cet exemple franco-français, le dérèglement climatique est source de dévastation
des forêts, des récoltes, susceptible de provoquer des famines et des migrations
massives. Face à un phénomène largement documenté depuis des années par des
scientifiques, deux types de « solutions » semblent prévaloir :
les grands discours inopérants avec
force lobbying des entreprises et pays qui sont de véritables criminels climatiques
(1), les gouvernements jouant les pompiers pyromanes pour que rien ne change
véritablement. L’autre tendance est plus agressive : face aux migrations
qui se multiplient, l’on assiste, d’une part, au durcissement des politiques dites sécuritaires, en fait xénophobes, racistes et liberticides. D’autre
part, là où la désespérance est dramatique, dans les pays du Sud, le terrain
est propice au développement de fondamentalismes religieux. Bref, extrême
droite et djihadisme terroriste semblent avoir des terreaux favorisant leur
développement. Y a-t-il une sortie du tunnel ?
Certains
ont annoncé une mobilisation de la jeunesse mais elle semble bien timide pour faire advenir un éco-socialisme remettant en cause les modes de production et de
consommation du système capitaliste. Les suppliques adressées aux puissants,
aux monarques dits républicains et aux pétro-monarques réactionnaires ne
suffisent pas. La preuve ? Il suffit d’évoquer les cris indignés des
milliardaires, de leurs supplétifs médiatiques, lorsqu’un lanceur d’alerte
évoque les tonnes de CO2 déversées par leurs jets privés, sans parler de
l’outrecuidance qu’il y aurait à imposer leurs superprofits et l’accumulation
de leurs richesses financières et patrimoniales. Plus généralement, le
développement du capitalisme surtout depuis ce qu’il est commun d’appeler
« la révolution industrielle », c’est-à-dire le recours aux matières
fossiles (charbon, pétrole, gaz, uranium), a accéléré l’exploitation de l’homme
et de la nature. Il n’y a pas eu de passage des unes aux autres, y compris avec
les éoliennes et le solaire, mais accumulation forcenée : l’exemple du
charbon face à la pénurie de gaz en Europe en est la preuve. Désormais, les sources sont suffisamment
documentées pour viser la petite minorité qui profite de ce système polluant.
Le 1 % les plus riches émet 8 fois plus de CO2 que la moitié de la population
la plus pauvre, pour ne citer que ce chiffre.
C’est
dire que le combat écologiste n’a pas de sens s’il n’est pas aussi un combat
pour l’égalité. Il doit se traduire
d’abord par l’éradication des privilèges et des accumulations de richesses des
milliardaires, des oligarques et par la lutte contre les soutiens dont ils
disposent parmi les classes aisées et la médiacratie. Par conséquent, face aux
cataclysmes à venir et pour en restreindre la portée, un nouvel imaginaire de
vie doit s’imposer, celui de sociétés sobres où les productions satisfont les
besoins réels dont la définition doit résulter de délibérations réellement
démocratiques. Cette vision ne peut voir le jour que si la propriété lucrative est abolie,
que règne la propriété d’usage, qu’à la concurrence et la compétitivité de tous
contre tous, succèdent l’entraide et la coopération. En d’autres termes, il
s’agit de remettre en cause les rentes immobilières et actionnariales.
Est-ce
un retour à Keynes qui préconisait l’euthanasie de la finance face à l’ampleur
des dégâts qu’elle avait provoquée (crise de 1929-30, fascisme et guerre) ?
Il faut aller plus loin. Sauver le capitalisme ne suffira plus. L’histoire a
démontré qu’il finit par resurgir. En fait, une fois les désastres de la 2ème
guerre mondiale surmontés, les marchés nationaux saturés…, la financiarisation
a repris le dessus.
Mondialisation
financière et crises
L’on
est peut-être à l’orée d’une fin de cycle sans savoir comment en sortir. La
« mondialisation heureuse » tant vantée dans les années 1980-90 s’est
transformée en son contraire. Certes, cette période correspond, dans un premier
temps, à un essor fulgurant des forces productives et à un accroissement considérable
du prolétariat (2). Il s’est accompagné également, dans les pays centraux, de
délocalisations industrielles et du développement du précariat, y compris dans
les services. Ce fut d’abord plus ou moins indolore dans la mesure où les
produits à bas coût, provenant des pays du Sud, maintenaient un consumérisme de
bon aloi. En effet, les politiques néolibérales ont été mises en œuvre après
avoir déréglementé la circulation du capital, facilitée, amplifiée par
l’utilisation des nouvelles technologies de l’informatique. Elles se sont
attaquées à la réduction du prix de la force de travail et aux prestations
sociales (en restreignant le « salaire différé » généré par les
cotisations ouvrières et patronales), au code du travail, aux conditions
d’indemnisation du chômage… Il s’agissait pour tenter de remporter la
« bataille pour la compétitivité », de modifier en profondeur la
« répartition des richesses », en dopant le capital et ses agents (baisse
de la fiscalité, crédit d’impôts…). Cette course effrénée au « moins disant »
social » et fiscal dans laquelle furent entraînés les différents pays, y
compris au sein de l’UE et sous la tutelle du dollar, s’est traduite par la
réapparition de crises économiques et financières, propres au système
capitaliste. En effet, se sont répétées, dès la fin des années 1990, des crises
dans les pays de la périphérie (exemple : crise asiatique en 1997) jusqu’à
celle de 2007-2008 affectant les pays centraux et donc, toute la planète de la
finance capitaliste. Sans revenir sur la manière dont elle a pu être
relativement contenue par l’endettement des Etats pour sauver les banques et
les entreprises, force est de constater que désormais, il est courant d’évoquer
une possible récession, c’est-à-dire une chute brutale de la production, et
donc, sans que cela soit précisé, un effondrement des cours de la Bourse et des
crises bancaires (quoique la situation au Liban interpelle).
Le modèle néolibéral a pu d’autant plus s’imposer qu’il ne trouvait plus
face à lui de modèle alternatif, les forces politiques dites de gauche s’étant
ralliées à cette nouvelle donne et même, suite au coup de force de Reagan
et Thatcher, s’en faisant les instigateurs zélés (Mitterrand dès 1983 et
l’Allemagne de Schroeder ensuite…). Ce tournant néolibéral n’aurait pas pu prendre cette ampleur sans
l’effondrement de l’URSS, la stratégie du choc qui fut employée (3) et la
conversion de la Chine au capitalisme, dès le règne de Deng Tsao Ping, puis son
entrée à l’Organisation Mondiale du Commerce.
Ironie
de l’histoire : ce vaste continent qui, selon les stratèges US, devait
devenir l’atelier du monde, accepter
la suprématie états-unienne, s’est en quelques années transformé en rival taillant des croupières aux Etats
occidentaux. La conquête concurrentielle des marchés s’est transformée en
guerre économique sur fond de relance de la course aux armements, de discours
bellicistes et de recours aux sanctions imposées aux régimes récalcitrants sans
pourtant, bien au contraire, que prévale la pacification des relations
internationales. Aux pays qui s’enfoncent dans la crise en recourant à l’endettement
excessif jusqu’au défaut de paiement, le système capitaliste à deux têtes offre
deux réponses différentes mais similaires. Le recours au FMI et à la Banque
Mondiale qui, sous forme de prêts et de « conditionnalités »
(destruction des services publics ou ce qu’il en demeure, spécialisation
économique…) renforce l’assujettissement néocolonial de ces pays aux
capitalistes occidentaux. De l’autre, sous l’impulsion du Parti du Capitalisme
chinois (PCC), la construction d’infrastructures, endettant les pays, qui,
s’ils ne peuvent rembourser le capital investi, permet à l’Etat chinois de se
les approprier. C’est donc ce cadre d’affrontement
larvé entre les deux puissances mondiales dominantes et de relatif déclin
étatsunien qu’ont émergé d’autres blocs de puissance (Russie, Iran, Turquie,
pétromonarchies…). Face aux convulsions que provoque l’extension du capitalisme,
les inégalités engendrées, la dépendance assurée le plus souvent par le soutien
procuré aux dictatures néocoloniales,
les révoltes et leur répression se multiplient, suscitant même des guerres entre puissances rivales qui
s’ingèrent dans ces conflits meurtriers (Syrie, Libye, Yémen) quand elles ne
les provoquent pas directement ou indirectement.
Les
soubresauts de l’histoire récente, où les capitaux naviguent à la vitesse de la
lumière alors même que la planète risque d’en manquer, ont fait apparaître des
personnages fantasques ou peu recommandables qui prétendent instaurer une
nouvelle « gouvernance » à leur convenance. Mais les Trump, Biden, Xi,
Poutine, Bolsonaro, Boris Johnson et les pétro-monarques MBS, MBZ et autres
ayatollahs, ne sont peut-être que des prémices plus inquiétantes. Au Nord comme
au Sud, l’obscurantisme, qu’il soit évangéliste ou djihadiste, gagne du
terrain, tout comme la montée du social-nationalisme chauvin, ce qu’il est
convenu d’appeler, sous forme euphémisée, le post-fascisme. Peut-on accepter que la sortie du labyrinthe, de ces
crises qui s’approfondissent, se traduise par la guerre entre puissances
concurrentes ? N’est-ce pas déjà le cas avec la guerre en Ukraine ?
Force est de constater qu’aucun mouvement anti-guerre, anti-impérialiste ne
surgit. Chacun choisit son camp derrière son gouvernement…Non ?
Après la
conquête des marchés, la conquête de territoires par la guerre ?
La
mondialisation qui s’est opérée dans les années 1980/1990 a été vécue comme une
victoire sans partage des USA contre ce qu’il était convenu d’appeler, le
communisme. Si la croyance s’est répandue, à l’époque de la
« superpuissance » étatsunienne que la Russie finirait par admettre cette
influence sans partage, l’évolution a démenti ce pronostic. L’empire construit
sous le règne de Staline, maintenu vaille que vaille jusqu’à l’époque de
Brejnev, s’est effectivement effondré, puis a été progressivement grignoté. Les
tentatives de restauration sous l’égide de Poutine se sont manifestées sous les
formes les plus violentes, notamment en Tchétchénie et en Géorgie. La guerre en
Ukraine était-elle pour autant inéluctable ? Rien ne le laissait supposer
à l’origine bien que lesdites « révolutions orange », l’extension de
l’OTAN, étaient autant de marques de la duplicité occidentale, tout
particulièrement étasunienne. A Gorbatchev, puis à Eltsine, il avait été promis
que l’OTAN ne s’étendrait pas après la disparition du pacte de Varsovie.
Poutine, lui-même, lors de son premier mandat, souhaitait intégrer l’espace
européen et l’OTAN ! Mais ce qui était inscrit dans l’effondrement de
l’URSS c’était l’émergence d’oligarques ayant accédé à ce statut par le pillage
et l’accaparement de biens publics. En Ukraine, restant provisoirement dans le
giron russe, s’opposaient deux clans d’oligarques, les pro-russes et les
pro-occidentaux sur fond d’une corruption sans égale. Ce pays, à l’origine, de
la Russie tsariste, devait d’après la caste dirigeante russe rester sous sa
dépendance. Sans revenir sur les différentes péripéties ayant conduit à
l’invasion russe et à l’occupation d’une partie du territoire ukrainien après
l’échec des accords de Minsk en 2014, force est de constater, contre les
prétendus experts occidentaux, que les mythes
diffusés sont devenus rapidement obsolètes :
Poutine le stratège, joueur d’échec, celui qui n’oserait pas envahir l’Ukraine,
l’armée russe qui écraserait très vite l’armée ukrainienne… En fait,
l’opération éclair contre Kiev s’est soldée par un échec, l’extension au Sud de
l’Ukraine piétine, vacille….
En
fait, aucune leçon n’a été tirée : un pays agressé, s’il se défend et
mobilise une grande partie de sa population, finit par l’emporter, à moins que
l’agresseur ne l’écrase par une supériorité numérique et militaire sans égale.
Les militaires russes ont-ils lu Machiavel, Clausewitz, Mao Tsé Toung ou
Giap ? 180 000 Russes, pas très motivés, peuvent-ils battre plus de
300 000 Ukrainiens disposant d’armes sophistiquées occidentales ?
Poutine pouvait-il ignorer que, depuis des années, sans être dans l’OTAN, cette
organisation dispensait formations et vendait des armes en quantité à
l’oligarchie ukrainienne, surtout depuis ladite « révolution » de Maïdan.
Quand
la guerre est déclenchée, seule la paix
des cimetières peut le plus souvent l’arrêter. Le régime poutinien ne peut
perdre la face. Il est résolu à entraîner sa population dans la guerre. Certes,
en état de faiblesse, il doit le faire sous couvert d’une « opération
spéciale » de courte durée, antinazie en apparence, puis d’une mobilisation
partielle de réservistes qui rafle largement tous les potentiels conscrits. Le
peuple russe peut-il arrêter cette fuite en avant, en tout cas, pas par la
fuite de certains, les plus aisés, dans les pays voisins. La caste qui soutient
Poutine peut-elle se diviser et le chasser du pouvoir ? Une défaite militaire
en Ukraine de l’armée russe peut-elle se transformer (comme en 1905 lorsque le
tsar a subi un échec retentissant contre l’armée japonaise) en surgissement du
peuple russe sur la scène publique ? Autant d’interrogations qui, pour
l’heure, sont des supputations. Tout laisse penser, à ce jour, en la poursuite
de la guerre meurtrière avec toutes les conséquences qu’elle produit :
pénuries, sanctions, contre sanctions… Ce qui est sûr en revanche, c’est que
cette guerre, se superposant aux crises écologique, économique et financière,
confère à la situation déjà délétère un caractère mortifère : inflation,
hausse des taux d’intérêt, spéculation sur les dettes, importation à grands
frais de gaz GNL (refroidi à moins 160 °, transporté par conteneurs, regazéifié
dans des plates-formes industrielles à construire… !).
Si
les Etats-Unis se réjouissent de pouvoir exporter leur gaz de schiste en
surplus, la planète, si elle possédait une conscience, ne s’en réjouirait pas.
Les pays de l’OPEP, même suppliés, ne veulent pas produire plus pour vendre
moins cher, bien au contraire. Et l’on rouvre les mines de charbon et les
centrales thermiques utilisant cette énergie fossile, après avoir tout misé sur
le marché, et tout particulièrement celui de l’énergie, notamment l’électricité.
L’Allemagne libérale nationalise son entreprise de distribution de gaz, la
France néolibérale est fort dépourvue après avoir créé de toutes pièces un
marché de l’électricité, scindé et affaibli EDF. Elle est acculée, prête à
organiser la pénurie face au nombre de ses centrales nucléaires à l’arrêt.
L’Union Européenne, qui risque de se désagréger, a sorti son plan
anti-fragmentation pour éviter le pire… celui du repli nationaliste et
fascisant. Le cheminement dans le labyrinthe du capitalisme conduit à l’impasse
du néofascisme, autrement dit, à la certitude de ne pas en sortir.
En sortir
vraiment, est-ce possible ?
Avant
de souligner une série d’obstacles qui obstruent les possibilités de sortir du
labyrinthe, une citation de Marx peut éclairer le chemin qui reste à parcourir :
« Les hommes font leur propre
histoire (mais) ils ne la font pas au gré de leur initiative, ni dans des
circonstances librement choisies par eux ; ils sont manœuvrés par les
circonstances du moment telles que les ont créés les évènements et la
tradition. Les traditions de toutes les générations passées pèsent comme un
cauchemar dans le cerveau des vivants ».
Les
répercussions plus ou moins déformées de l’histoire, telles qu’elles imprègnent
les cerveaux, créent une opacité telle que le nouveau peine à apparaître en
pleine lumière.
La
résurgence de l’obscurantisme au
Moyen-Orient ou aux Etats-Unis ainsi qu’en Europe, sous les formes diverses du
wahhabisme de l’Arabie Saoudite, de l’évangélisme aux Etats-Unis, en Amérique
latine, voire en Europe dite chrétienne, amène à constater les difficultés
rencontrées par le mouvement d’émancipation. Dans la même veine, la religion
laïcarde intolérante et hypocrite, celle qui condamne les ex-colonisés tout en
commerçant avec les religieux d’Arabie Saoudite, déforme la compréhension de la
réalité. Dans nombre pays du monde, la colonisation
de peuplement a marginalisé, discriminé les populations indigènes. Qui plus
est, l’importation d’esclaves africains a encore accentué les divisions à
caractère ethnique. L’Amérique latine est emblématique à cet égard.
Les
impasses réformistes électoralistes,
les alliances contre nature, sont également des obstacles qui restent à lever.
Le suffrage universel ne possède pas de vertu magique, il en est de même pour les
suppliques aux monarques républicains, même s’ils prennent la forme de
manifestations de rues rituelles. Que ce soit au Brésil de Lula, au Chili de Boric
après l’échec de la Constituante, l’histoire récente pullule d’expériences
négatives ou tragiques. Elles manifestent à des degrés divers que les classes ouvrières
et populaires n’ont pas réellement pris leur destin en main pour supplanter définitivement
les classes dominantes qui les assujettissent. C’est, en d’autres termes, dire
qu’un mouvement électoral, gazeux, un chef charismatique, sont de fait des
obstacles à l’organisation patiente,
démocratique faisant prévaloir une nouvelle hégémonie politique et plus largement
culturelle. Les activistes, les révolutionnaires doivent par conséquent faire
preuve d’une longue impatience pour
comprendre et faire comprendre la réalité avant qu’il ne soit trop tard. Qu’ils
le reconnaissent ou pas, leur volonté repose sur une croyance, celle de
l’intelligence et de la mobilisation pratique du plus grand nombre car le pire
est toujours possible. Les peuples italien et allemand se sont ralliés à
Mussolini et à Hitler. Le peuple russe a accepté la dictature stalinienne. Les
résistants, dans leur immense majorité, malgré tout leur courage, sont restés
aveugles face aux procès de Moscou des années 1930/1950, à la signature du
pacte germano-soviétique, au partage du monde initié à Yalta…
Et
pourtant, il est plus que temps de tout recommencer, on n’a plus le temps de
tergiverser, il est grand temps que cesse ce cours des choses pour que puisse
commencer autre chose. Afin d’éviter le chaos qui se profile, le temps est venu
de faire advenir l’imprévu.
Gérard
Deneux, le 26.09.2022
Pour
en savoir plus, lire :
(1)
Criminels climatiques de Mickaël Correia, ed. la Découverte
(2)
Un pur capitalisme de Michel Husson, ed. Page deux
(3)
La stratégie du choc de Naomi Klein, ed. Actes Sud