Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 19 janvier 2020


2020. L’année du chaos ?
(édito de PES n° 59)

Il est toujours hasardeux de discerner l’avenir immédiat, l’inattendu nous surprend toujours comme des Gilets Jaunes qui semblent sortir de nulle part. Il n’empêche. Des signes inquiétants surgis dans l’actualité récente confortent la perception de trois processus mortifères à l’œuvre : les cycles de mobilisations populaires suivis de répressions, de statu quo provisoire, voire d’instauration de régimes néofascistes, xénophobes et nationalistes ; la temporalité des guerres d’influence et des interventions militaires et ce, sur fond de dérèglement climatique de plus en plus prononcé.

Du Soudan, en passant par l’Algérie, l’Irak, le Liban et, en Amérique latine, l’Argentine contre le milliardaire Macri, pour n’évoquer que ces pays, des soulèvements populaires, par vagues successives, tentent d’effriter les pouvoirs en place. Ils s’insurgent contre la misère, la dégradation des conditions de vie, l’austérité. Ils s’en prennent aux tyrans, aux kleptocrates… Dans l’action, ils apprennent à se défaire, difficilement, des représentations religieuses (Liban, Irak) qui les divisent mais… restent toujours sans perspective. Leur seule boussole se limite au dégagisme avant qu’il ne soit l’objet de répressions sanglantes (Egypte, Iran) ou d’une lassitude momentanée avant un nouveau rebond. Comme disent certains Algériens, les manifestations du vendredi ne suffisent plus. La construction organisée d’une transformation révolutionnaire réelle ne semble pas encore être à l’ordre du jour.

L’affaiblissement relatif de l’empire états-unien provoque en retour la constitution de blocs de puissances qui minent son hégémonie. La logique guerrière des Etats-Unis en Afghanistan, en Irak… sont autant de défaites non assumées. « Ces guerres sans fin » qui ont attisé les conflits religieux, semblent conduire le tigre blessé à se retirer dans sa tanière, tout en devenant toujours plus agressif. Il s’enferme dans une insoutenable spirale de représailles. Inaugurés par Obama, en particulier au Yémen, les assassinats ciblés sont autant de réactions au sentiment d’humiliation ressenti (manifestation contre l’ambassade US en Irak). Comme dit le rugissant Trump « on manque de respect pour les Etats-Unis ». La décision bravache, unilatérale, de briser l’accord sur le nucléaire avec l’Iran pourrait transformer cette guerre non déclarée (blocus, sanctions) en guerre réelle. Au bord du gouffre, chacun des protagonistes retient son souffle… Mais des coalitions se tissent, des ambitions s’engouffrent, profitent des faiblesses supposées des autres : La Russie de Poutine derrière l’Iran, derrière la Turquie, soutenant mordicus le boucher Assad en Syrie et envoyant désormais ses mercenaires en Libye pour détrôner le gouvernement Sarraj, installé à Tripoli par ladite communauté internationale.

Et puis, derrière les Etats-Unis et leurs supplétifs européens, fournisseurs d’armes de destruction massive, l’Arabie Saoudite, les Emirats Arabes Unis qui supplicient la population du Yémen et prétendent faire rendre gorge aux chiites houthistes du Yémen, soutenus par l’Iran éloigné. Derrière les masques religieux de haines exacerbées et instrumentalisées, Mahomet ne reconnaît plus les siens ! Surtout si l’on y rajoute le sultan Erdogan qui lorgne sur le pétrole en mer de Chypre. Il conclut à cet effet un accord avec la Libye de Sarraj et menace d’intervenir militairement comme il l’a fait en Syrie contre les Kurdes. Les « somnambules », pour reprendre un titre d’un livre retraçant le processus de déclenchement de la 1ère guerre mondiale (1), dansent au bord du volcan. Pour l’heure, ils provoquent de multiples migrations des populations, leur exil ou leur internement dans des camps de misère.

Pire, ces guerres suscitent la dissémination, le regroupement de mercenaires et de trafiquants qui, comme au Sahel, n’ont aucune difficulté à recruter des jeunes miséreux. A ces djihadistes en herbe, plutôt que le Coran, on offre une moto, une arme, voire une femme pour une « vie d’aventures » meurtrières. Et les interventions militaires ne font qu’aggraver et répandre la tumeur.

Les maffias constituées, soit de fous de dieu ou de gangs comme en Amérique latine, sont les sous-produits délétères d’un système dérégulé où les profits et la puissance qu’ils confèrent, impliquent une concurrence exacerbée et des alliances versatiles.

Cette évocation des blocs de puissance qui s’affrontent ne saurait occulter la rivalité essentielle : celle de la guerre commerciale entre les Etats-Unis et la Chine où les sanctions et la justice extraterritoriale des uns se heurtent aux mesures de rétorsion de l’autre. L’impérialisme économique et commercial de l’Empire du milieu continue sa trajectoire. « Le collier de perles » emprunte désormais, à coups de brise-glace, la route du Pôle Nord très convoitée. Elle regorgerait de pétrole et de terres rares ; la fonte des glaces serait une opportunité ! Quant à la montée des eaux des océans, leur acidité, leur pollution, le réchauffement et le dérèglement climatiques, ce n’est pas le souci du business.

Quoique ! Trois mois de feux ravageurs en Australie, de gigantesques murs de flammes qui projettent des pelletées de braises, le bruit de la fournaise ronflante se mêlant aux hurlements des animaux qui grillent, des populations affolées, évacuées, des villages et même des villes détruites au milieu des forêts carbonisées (40 à 50 %) ne suffisent pas à convaincre les lobbies du charbon et les climato-sceptiques, toujours dans le déni. Va-ton assister à une vague de dégagisme des Australiens avant que certains d’entre eux, en nombre, fassent partie des cohortes de réfugiés climatiques à venir, de ces migrants que le gouvernement australien a refusé d’accueillir !

Ceci dit, si le pire n’est pas certain, il semble bien que les conditions économiques et sociales permettant la coordination programmatique des actions de mobilisations, continuent à faire défaut. A ceux qui se bercent d’illusions en stigmatisant la croissance, faut-il rappeler qu’elle signifie croissance des inégalités, de la précarisation et de la misère du plus en plus grand nombre. Le repli individualiste ou nationaliste et xénophobe n’est que l’envers de la mondialisation financiarisée et guerrière. De fait, le chaos est déjà là, la seule question qui vaille, c’est comment en sortir collectivement.

GD le 12.01.2020  

(1)   Les somnambules. Eté 1914 : comment l’Europe a marché vers la guerre. Christopher M. Clark, Flammarion, 2013