Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 19 janvier 2020


Qui va battre en retraite ?

Le projet Macron/Philippe s’inscrit dans la logique de ce que la droite a fait insuffisamment et ce que ladite gauche a consenti (cf encart).
Macron, le commis du capitalisme financiarisé, prétend mettre la grande majorité des français au diapason des pays qui ont emprunté la voie de la régression sociale  afin de faire bénéficier la finance et les multinationales de l’hexagone, d’une force de frappe suffisante pour affronter la concurrence internationale. Le refrain, psalmodié, sur la « nécessaire » compétitivité  n’a pas d’autre objet que de faire admettre qu’il ne peut en être autrement ; cela est relativement vrai dans le cadre du système de la mondialisation financière dérégulée : la levée des barrières douanières, des « contraintes » réglementaires vise en effet à accélérer la circulation du capital et sa concentration.

Le salaire différé, assuré par le système de retraite par répartition, assis sur la cotisation des travailleurs et du patronat, constitue une conquête d’un autre âge, pour les dominants : celui du capitalisme contraint de se limiter après la crise de 29-30 et la 2ème guerre mondiale. Qui plus est, en France, il a trop longtemps échappé à l’Etat. Enfin, la cogestion entre « partenaires sociaux » de cette manne financière n’est plus de mise. Elle se doit d’être accaparée par les fonds de pension, dits d’investissement. Ces derniers sont un formidable levier pour le capital. Les fonds investis dans les firmes internationales (outre le recours à l’emprunt) incitent non seulement à toujours plus de rendement pour les dividendes des actionnaires, mais également à des fusions-acquisitions-concentrations du capital, exacerbant les tensions-contradictions économiques et commerciales entre les firmes et les Etats.

Cette introduction vise à resituer le projet macronien. Macron n’est que l’homme de main de ses commanditaires. Le contexte et la manière dont « sa réforme » dite universelle a été concoctée en sont l’illustration. Les fourberies propagandistes mises en œuvre révèlent en creux la difficulté rencontrée pour faire admettre l’inadmissible. Enfin, dans cette offensive menée contre les intérêts des classes ouvrières et populaires, force est de constater que la défensive qui lui est opposée ne peut qu’aboutir au mieux à un statu quo, voire à des reculs.

Les superviseurs de Macron et son ordre de marche

Le contexte est significatif : depuis le 1er janvier 2019, les dividendes versés aux actionnaires du CAC 40 (les 40 plus grandes entreprises cotées en Bourse) ont augmenté, en moyenne, de 20 %. LVMH, cette industrie du luxe pour milliardaires, a battu tous les records : les profits distribués ont bondi de 68 % ! Manifestement, ce n’est pas assez et ce, malgré la suppression de l’ISF et les cadeaux versés sous forme de CICE et autres exonérations de cotisations patronales.

Le 29 mai 2018, la Commission européenne réclamait des « mesures fortes » visant à réduire de plus de 5 milliards les dépenses publiques à « l’horizon 2022 ». Macron s’y est attelé en diminuant de 1,3 milliard le versement d’indemnités chômage. Cette escroquerie sur la solidarité des sans-emplois renforce encore leur appauvrissement, puisque seuls 42 % des 6,6 millions d’inscrits à Pôle Emploi sont (encore !) indemnisés.

En fait, à peine en place, le mal élu par défaut, s’est empressé d’inviter une poignée de financiers de haut vol, et ce, en octobre 2017. Il s’agissait de leur présenter son programme. Parmi ces hauts dignitaires, Fink, le PDG de BlackRock, le géant des fonds de pension états-unien. Il pèse 6 000 milliards de dollars, dispose de 34 000 employés, couvre plus de 30 pays, est présent (et actionnaire) dans 17 000 Conseils d’administration dont Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft et, en France, il estime être encore insuffisamment propriétaire d’actions de BNP Paribas, Axa, Renault, Bouygues, Total, Vivendi, Société générale…

D’ailleurs, peu de temps après ce tour d’horizon lucratif, Macron reçoit Jean-François Pirelli, PDG de Balckrock France, ce grand serviteur de la voracité des actionnaires, celui qui avait réussi la privatisation de GDF. Il l’invite à piloter les « réformes structurelles prioritaires ». En juin 2019, rendant son rapport dit « loi Pacte », il exulte : « nous présentons nos recommandations permettant l’épargne capitalisée afin de la rendre attractive. Elle s’inscrit dans le cadre du plan Juncker, le président de la commission européenne, comme complémentaire de la retraite à points », pas encore dévoilée ! A charge pour Macron et ses hommes de mains de la faire accepter sans qu’il apparaisse trop crûment que les futurs retraités vont y perdre. L’ordre de marche était tracé.

Puis vint la concertation-bidon présidée par l’entremetteur dévoyé, le triste sire Delevoye. Il se fait lui-même grassement rémunéré (outre ses fonctions), en toute illégalité, par des assureurs privés. Et ça a duré jusqu’au 5 octobre, l’intersyndicale CGT-FO-SUD-FSU n’était pas dupe des couleuvres que l’on voulait leur faire ingurgiter malgré toute la démagogie « explicative » déployée.

Les fourberies macroniennes

D’abord duper pour endormir afin de mieux se déjuger sans le dire. Macron, le 25 avril 2018, lors de sa conférence de presse, a clamé haut et fort que « tant que l’on n’a pas réglé le problème du chômage, ce serait hypocrite (sic) de décaler l’âge de la retraite. Passer à 64 ans… n’est pas possible ». Puis vint l’air connu : les actifs se doivent de travailler plus longtemps, ils vivent plus vieux, il faut assurer l’équilibre des comptes… sans toucher au grisbi des employeurs, pas question d’augmenter les « charges » des cotisations patronales. « Vous aurez le choix », l’âge légal du départ restera à 62 ans ! mais il faudra travailler jusqu’à 64 pour obtenir une retraite (dévalorisée) à taux plein. Peu importe que le taux d’emploi des 60-64 ans ne soit que de 31 %, que 900 000 actifs de plus de 55 ans soient demandeurs d’emploi car pas assez productifs, trop coûteux pour les employeurs... Cette réalité doit être occultée.

Et l’on scanda sur toutes les ondes que la retraite à points, est lisible, équitable, moderne, équilibrée, elle vise à réduire les inégalités en supprimant les régimes spéciaux injustes. Les 3 % de salariés concernés, surtout ceux de la SNCF et de la RATP, vont dès lors servir de boucs émissaires. La « justice » macronienne, c’est tirer les revenus des classes moyennes et populaires vers le bas tout en faisant croire que la régression sociale annoncée bénéficierait aux précaires, ceux qui ont des carrières en dents de scie, alternant chômage, intérim, CDD : 1 000€ leur seraient assurés… pour une carrière pleine de 41 annuités jusqu’à 64 ans ? Quand ? Alors que le minimum vieillesse est actuellement de 903 € ! Et pourquoi donc Macron-Philippe ont-ils refusé le minimum de pension des non-salariés agricoles à 860€ en 2018 ?
Et les femmes seraient mieux loties ! Elles obtiendraient 5 % de bonus par enfant et ce serait mieux que les 8 trimestres dont elles bénéficient actuellement. Et le calcul de leur pension sur les 25 meilleures années ? Ce serait mieux de travailler jusqu’à 64 ans avec une pension calculée sur l’ensemble de la carrière à points, souvent hachée, dont on ne sait comment les points seront obtenus et encore moins la valeur du point lors du calcul de la pension.

L’entourloupette est une grosse ficelle pour idiots désinformés qui s’y laisseraient prendre.
Oui, la pénibilité, on y pense, rien n’est acté, chante le chœur macronien, après avoir exclu 4 critères de pénibilité comme l’utilisation du marteau piqueur et les charges lourdes. Oui mais la négociation se poursuit, certains pourraient partir 2 ans plus tôt que 64 ans ! 62 c’est mieux que 60 ans !

Avec les fonctionnaires, en particulier les enseignants, il paraît plus difficile, même avec l’usage de la novlangue, de faire croire que la régression est un progrès social. Leurs salaires sont bloqués depuis plusieurs années et la suppression du calcul de leurs pensions sur les 10 dernières années les effarouche. Pour rendre la potion moins amère, Blanquer a joué l’apaisement : les primes, disparates, pour ceux qui les touchent, seront intégrées dans les salaires et ceux-ci seront revalorisés, sous condition de restructuration-modernisation de leurs métiers mais pas avant 2021 et échelonnés jusqu’en 2037 ( ?). La concertation-bidon doit continuer : vous n’avez donc aucune raison de rejoindre les grévistes.

La tactique macronienne consiste, non seulement à jouer la montre dans l’opacité jusqu’au pourrissement de la mobilisation sociale, mais également la division des corporations tout en exacerbant les égoïsmes. Il y a bien eu quelques cacophonies entre la clause du grand père, l’âge pivot et l’âge d’équilibre. Il n’en demeure pas moins, qu’à terme, l’usine à gaz construite risque de nombreux grippages. La litanie assénée à cet effet, c’est « voyons ! dans votre grande majorité, vous ne serez pas concernés ou pas tout de suite ». Le régime unique ne s’appliquera qu’en 2037. Seuls ceux nés après 1975 verront leurs annuités converties en points. Seuls ceux qui commenceront à travailler en 2022 seront sacrifiés sur l’autel à points… Parier sur les égoïsmes générationnels, ça va marcher ? Pas sûr ! Le maintien des avantages pour les militaires, les policiers, pour mater les « désordres » à venir, tout comme ceux consentis plus ou moins pour les agents de compagnies aériennes, les petits rats de l’Opéra… sont autant d’éléments de perte de crédibilité d’un pouvoir qui n’en a guère. Renoncer à piquer dans les caisses autonomes doit être un crève-cœur si certains persistent toujours, comme les avocats, à se mobiliser et les dossiers à s’entasser dans les prétoires. A terme, une pétaudière ? Et puis, il y a ces hospitaliers qui réclament toujours plus de moyens, de lits, d’effectifs et nombre de médecins du public menacent de démissionner.

La résignation l’emportera-t-elle ?

Le projet macronien consiste à universaliser la précarité. La valeur du point révisable à la baisse sera la variable d’ajustement. Pour les plus aisés, c’est l’incitation à souscrire une retraite complémentaire auprès des fonds de pension. Une fois ouverte, cette porte cassera la solidarité au profit des solutions individualistes. L’âge-pivot à 64 ans, pour l’heure, brandi pour des raisons dits d’équilibre financier, poussera ceux qui le peuvent à retarder l’âge de départ.

Après plus de 40 jours de grève de la locomotive de la mobilisation sociale, après nombre de manifestations, le mouvement ne s’est guère élargi. Il y a plusieurs raisons que l’on peut évoquer pour comprendre. Elles s’inscrivent dans les reculs successifs produits par les délocalisations-licenciements, la sous-traitance, le recul des droits des travailleurs. A terme, Macron l’a indiqué, l’activité syndicale se devrait d’être cantonnée aux entreprises et établissements par la suppression des conventions collectives et des statuts.

L’affaiblissement des syndicats qui en a résulté, tout particulièrement dans le privé, leurs divisions, leurs postures négociatrices faites de reculs successifs, face au rouleau compresseur du néolibéralisme, rendent partiellement compte des difficultés rencontrées pour mobiliser les salariés même si dans la dernière période, le paysage syndical autour de la CGT, SUD, FO et FSU permet d’entrevoir des possibilités de radicalisation.

Plus fondamentalement, la montée de la précarité et de l’aquoibonisme s’est largement répandue sur fond d’individualisation des rapports sociaux. L’on pouvait espérer toutefois que les gros bataillons qui restent dans l’automobile, les raffineries… la fonction publique, rejoignent en masse le mouvement. Ça ne semble pas être le cas.

La sympathie pour le mouvement gréviste existe toujours mais cette grève par procuration n’est pas à même de modifier le rapport de forces. Qui plus est, la jeunesse, les étudiants, les lycéens, comme d’autres, en perte de repères historiques, semblent étonnamment passifs, à la différence de la génération mobilisée contre le CPE (2006).

Le mot d’ordre de convergence des luttes est donc resté incantatoire. Il ne peut en être autrement tant qu’un effort d’implantation d’équipes syndicales déterminées dans les boîtes ne sera pas entrepris. Telle ne semble pas être la stratégie des directions syndicales empêtrées encore, pour la plupart, dans le jeu de pressions et de négociations qui n’en sont pas. Rester sur la défensive, viser le simple retrait du plan-retraite de Macron, c’est tenir la tranchée jusqu’à reculer encore. Or, ce sont les tranchées adverses qu’il faut conquérir : augmentation des salaires, abrogation des lois « travail », amélioration des conditions de travail... Il ne s’agit pas seulement de stopper Macron mais, pour le moins, de lui pourrir sa fin de mandat. Viser le pouvoir, les Gilets Jaunes l’avaient compris, mais pas encore la masse des salariés, voire des partis politiques de « gauche » qui font miroiter les élections à venir.

Pour changer la donne, l’une des conditions réside dans l’auto-organisation démocratique des noyaux militants luttant pour l’émancipation sociale du travail. Certes, ce ne sera pas suffisant. Macron l’a compris, il évite d’afficher son arrogance, sa morgue et son mépris, sujets à de brusques et irrépressibles émotions populaires, accélératrices de prises de conscience. En effet, désormais, la vie digne, la reconnaissance du travail accompli, la retraite décente auxquels aspire l’immense majorité, semblent inatteignables dans le cadre de la logique du système capitaliste. Faire croire le contraire comme s’y acharne le mauvais berger de la CFDT ne créera que des illusions momentanées.

Berger, ignare ou complice ? Peut-il ignorer que la retraite à points, mise en œuvre en Suède depuis 2011, a fait reculer les pensions versées de 20 à 30 % ? A-t-il la mémoire courte, lui qui a signé les accords pour baisser les retraites complémentaires capitalisées d’Agirc-Arrco, le taux de rendement du point est passé de 16 % au milieu des années 60, à 7,15 % en 2000 et à 5,99 % en 2018. N’a-t-il pas pris connaissance du projet de loi macronien, notamment de son article 10 qui précise que « l’âge d’équilibre augmentera avec l’espérance de vie » et, plus généralement, que le « taux de service du point » (donc l’attribution du nombre de points peut baisser) ainsi que la valeur du point, décisions prises par l’Etat.  Ignorant, non, mais complice, assurément.

Contre ces régressions, la lutte idéologique s’impose comme ont su le faire en leur temps, les anarcho-syndicalistes ou la CGTU vis-à-vis de la CGT de Jouhaux approuvant la répression contre les grévistes. Les prises de position de la CFDT suivies par les cohortes de l’UNSA et de la CFTC n’ont d’autre objectif que de cogérer les reculs sociaux. Berger l’a dit : sans nous, l’âge pivot c’est trop brutal, avec nous, le gouvernement trouvera la solution d’une « gouvernance responsable permettant d’établir (au coup par coup) l’équilibre financier (régressif) à court, moyen et long termes ». L’amputation doit se réaliser en douceur. Comme Notat en son temps, le Berger faut le virer. Macron et sa clique lui trouveront toujours des lots de consolation. Mais cette possibilité ne peut résulter que d’une volonté de sa base, soutenue par la critique de la stratégie de collaboration.

GD le 16.01.2020  

Encart

Des conquêtes sociales…
1945 – création de la Sécurité sociale. Système de retraites par répartition, géré par les représentants des salariés (syndicats)
1956 – création du minimum vieillesse
1982 – abaissement de l’âge de la retraite à 60 ans

… à la régression continue, de gauche et de droite

1967 – introduction du système dit paritarisme : le loup patronal entre dans la gestion de la SS et trouve des appuis syndicaux
1991 – création de la CSG, un impôt pour financer la SS, l’Etat s’introduit dans la gestion
1993 – allongement de la durée de cotisations de 37,5 à 40 annuités – calcul de la pension, pour le privé, à partir des 25 meilleures années au lieu des 10 -organisation de la baisse du taux de remplacement
1998 – augmentation et généralisation de la CSG
2003 – augmentation de la durée de cotisation appliquée à la fonction publique (40 annuités)
2008 – allongement « progressif » de la durée de cotisation (41 annuités en 2012) sauf militaires, policiers…
2009 – mise à la retraite d’office portée à 70 ans (au lieu de 65)
2010 – relèvement « progressif » de l’âge de la retraite à 62 et 67 ans pour ceux qui n’ont pas assez cotisé
2012 – à partir de 2017, âge légal de départ (possible) fixé à 62 ans
2014 – allongement « progressif » de la durée de cotisation jusqu’à 43 annuités en 2035
2019 – vote de la loi de financement de la SS (art. 3) : l’Etat s’exonère de toute compensation lorsqu’il impose la baisse des cotisations sociales aux « partenaires sociaux » - projet de loi Macron sur les retraites, dans son article 10, il est écrit : « l’âge d’équilibre augmentera avec l’espérance de vie »…