Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


vendredi 29 janvier 2021

 

Rwanda.

Pays du miracle quoiqu’il en coûte… ?

 

Un petit pays de moins de 12 millions d’habitants, situé dans l‘Est de l’Afrique, dans la région des Grands Lacs, est considéré aujourd’hui comme la Suisse, ou le Singapour de ce continent. Sa capitale est un lieu très prisé des « décideurs », à la pointe de l’innovation, le nouveau « hub » des grands congrès internationaux. Ce pays, qui connaît une croissance moyenne depuis l’année 2000 de près de 8%, accueille (accueillait) nombreux touristes qui venaient contempler les paysages, et observer les animaux sauvages, ou se recueillir au Mémorial du Génocide.

Ce pays c’est le RWANDA, sa capitale KIGALI. C’est ce même pays qui a vécu, en 1994, une tragédie meurtrière. Entre avril et juillet, près d’un million de personnes y furent systématiquement, méthodiquement, massacrées en raison de leurs classes sociales (les Tutsis), en raison de leurs actes (les Hutus modérés qui ont tenté de leur venir en aide). Près d’un million de morts sur une population d’environ 8 millions !

Le Rwanda, pays aux mille collines, d’une superficie proche de celle de la Bretagne, est essentiellement agricole. Son sol volcanique, fertile et son climat chaud et humide ont toujours favorisé cette activité. On est dans une région verdoyante loin des déserts sahéliens. Son éloignement des côtes lui a permis d’échapper à l’esclavage et d’être colonisé assez tardivement.

 

Ce sont les Allemands qui arrivent en 1894. Ils y trouvent une population homogène, vivant plutôt bien des produits de l’agriculture. Tous parlent la même langue, tous ont les mêmes croyances. Ils font partie du même groupe ethnique. Des différenciations sociales existent cependant. Les Tutsis, éleveurs (minoritaires), sont plus riches, et dirigent le pays à travers une monarchie. Les Hutus, agriculteurs, ne participent pas au pouvoir. Il n’y a pas de réelle domination des Tutsis envers les Hutus.

 

Rapidement c’est la Belgique sous mandat de la SDN (Société des Nations) qui va coloniser le pays. Pour cela les Belges vont s’appuyer sur les Tutsis et renforcer leurs pouvoirs. Ils vont surtout créer artificiellement une différence ethnique là où il n’y avait qu’une différence sociale et ils vont faire figurer sur les papiers d’identité des rwandais les termes de Tutsi ou de Hutu. Cette différence qui n’était que sociale va se transformer au fil du temps en une haine entre les deux communautés, les colonisateurs réservant par exemple l’accès aux études ou aux postes administratifs aux Tutsis. Tutsi devient alors synonyme de noble,   Hutu de roturier.

 

Dans les années 50, les Tutsis étant devenus peut-être « un peu trop » instruits, « un peu trop » émancipés commencent à parler d’indépendance. Les Belges vont alors renverser leur alliance et soutenir les Hutus, plus faciles à contrôler. En 1959 une guerre civile éclate et entraîne le départ en exil de 300 000 Tutsis. En novembre de cette même année, la majorité Hutu prend le pouvoir avec le soutien de la Belgique et de l’église catholique.

 

Le 1er juillet 1962 le pays est indépendant avec, à sa tête, un gouvernement hutu. Le 1er août les troupes belges quittent le pays. Dès lors, les Tutsis vont être systématiquement discriminés avec des pics de violences sporadiques. Par exemple en décembre 1962, des affrontements entraînent la mort de 10 000 à 20 000 Tutsis.

En 1972, les élèves et les professeurs tutsis sont expulsés des écoles ce qui entraîne une vague d’exode notamment en Ouganda où les exilés tutsis vivent avec l’espoir d’un retour et d’une revanche.

 

En 1973, Juvenal Habyarimana (hutu) prend le pouvoir. La France signe avec lui un accord militaire. En 1978, il instaure un régime de parti unique qui comptera plusieurs millions d’adhérents puisque tous les Rwandais en étaient membres d’office... ! La situation des Tutsis est bien résumée par le journaliste Gérard Prunier : « Les Tutsis n’avaient pas la vie facile car ils étaient victimes de discriminations institutionnelles. Dans la vie quotidienne la situation restait tolérable, il y avait un accord tacite : ne vous mêlez pas de politique c’est la prérogative des Hutus. Tant qu’ils respectaient ce principe on les laissait en paix. »

 

Dans les années 80 les Tutsis vont se mêler de politique. Intérieurement, en réclamant un meilleur partage du pouvoir, extérieurement, en créant le Front Patriotique Rwandais (FPR), en Ouganda sous la houlette Paul Kagamé. En 1990, le FPR multiplie les incursions militaires aux frontières du pays. Celles-ci sont bloquées par l’armée française dans le cadre de l’opération Noroît. Tout est en place pour arriver à une guerre civile ou des massacres de populations : le pouvoir Hutu, toujours soutenu par la France, de plus en plus répressif et autoritaire d’une part et d’autre part une armée extérieure Tutsi de plus en plus organisée, active et « revancharde ».

 

Il suffit d’une étincelle. Ce sera le 6 avril 1994 quand l’avion du Président J. Habyarimana est abattu par un tir de roquettes entrainant sa mort. On ne sait toujours pas qui a tiré. Mais les Hutus extrémistes ont tout naturellement désigné les Tutsis comme responsables. Ils vont se venger en massacrant les Tutsis et également les Hutus modérés qui tentaient de les protéger. L’armée française et les casques bleus présents ne s’interposeront pas. L’ONU retire ses troupes. La France évacue ses ressortissants puis observe, alors que le pays est le théâtre de massacres généralisés. Presqu’1 million de personnes vont être tuées sous les yeux des soldats français. Ces massacres étaient orchestrés, encouragés, organisés par le gouvernement rwandais avec le soutien de l’Eglise catholique. Le 23 juin, la France mandatée par l’ONU lance l’opération Turquoise. Celle-ci consiste à créer une zone humanitaire dans le sud-ouest du pays, censée protéger les rescapés Tutsis mais va également, et surtout, permettre aux génocidaires Hutus de fuir le pays face à l’avancée du FPR. Celui-ci prend le pouvoir à Kigali le 4 juillet. 2 millions de réfugiés fuient au Zaïre, l’actuelle République Démocratique du Congo. Le Rwanda est dévasté, presque 1 million de morts, 2 millions d’exilés sur une population de moins de 8 millions d’habitants. La reconnaissance par l’ONU du crime de génocide donnera lieu en novembre 1994 à la création du Tribunal Pénal International pour le Rwanda qui siègera en Tanzanie. Pierre Hazan, spécialiste de la justice internationale et de l’action humanitaire, résume l’action du TPIR en ces termes : « c’est le plus grand fiasco de la justice internationale ». Les accusés sont beaucoup mieux traités que les victimes, il y aura très peu de condamnations, et la France semble bien être devenue un havre de paix pour nombre de génocidaires. Au Rwanda, dans chaque famille, dans chaque village vont devoir cohabiter des assassins et des parents de victimes.

 

Tout laissait à penser que ces derniers allaient se venger et enclencher un nouveau cycle de violences. Pourtant cela ne s’est pas produit. Les femmes rwandaises ont pris une grande part dans cette réconciliation nationale et dans la reconstruction du pays, les morts du génocide étant majoritairement des hommes. Et puis, après avoir atteint un tel niveau d’horreurs, le besoin de revivre pacifiquement a certainement pris le pas sur le désir de vengeance. Paul Kagamé, l’homme fort du nouveau régime a pris sa part dans cette pacification puisqu’il supprimera les termes de Tutsi et Hutu sur les cartes d’identité. Il tournera le dos à la France, accusant celle-ci d’avoir été complice du génocide et rendra l’anglais, langue officielle du pays.

 

Le Rwanda connait à partir de cette époque une modernisation spectaculaire. Quelques chiffres : depuis 2000 quasiment 8% de croissance annuelle, 96 % de la population ont accès à la 4G, la capitale est entièrement reliée à la fibre optique… Le 27 février 2019, le Rwanda lance un satellite depuis la base de Kourou en Guyane française pour connecter les écoles rurales à internet, 92% de la population disposent d’une « couverture maladie publique ». A Kigali, on paie les transports en commun avec son téléphone portable, le pays dispose d’un réel réseau routier en bon état. Concernant la santé, les infrastructures, l’organisation dans les zones urbaines est proche des standards européens. C’est le seul pays au monde où les femmes sont majoritaires au Parlement : 64 %. Certes celui-ci n’a pas un rôle principal dans le fonctionnement du pays, c’est Paul Kagamé qui le dirige, mais on n’a guère de leçons à donner en matière de démocratie parlementaire !

Pour une fois que des bonnes nouvelles viennent d’Afrique, on ne va pas bouder notre plaisir… !

 

Pourtant le tableau n’est pas aussi parfait qu’il n’y paraît. La modernisation et l’amélioration des conditions de vie des habitants ne touchent pas toutes les couches de la population, la communauté paysanne Hutu par exemple est en dehors des effets du progrès. Kigali est un exemple frappant. C’est une ville moderne, propre, sûre, où les bidonvilles ont été rasés, mais les gens pauvres qui y vivaient, ont été « priés » de disparaître du paysage. Ils ont été remplacés par une classe sociale plus élevée. Un samedi par mois, les habitants de Kigali doivent nettoyer la ville. C’est un travail bénévole et obligatoire.

 

Mais surtout, cette évolution ne repose pas sur une base démocratique. Le pouvoir est entre les mains d’un homme et d’un clan et pour arriver à leurs objectifs : pas de discussion, pas de concertation, pas d’explication, Paul Kagamé décide et les Rwandais sont priés d’exécuter ! Ce dernier par un référendum de 2015 s’est autorisé à exercer le pouvoir jusqu’à 2034. Amnesty International note que « les médias sont fortement réprimés, les journalistes emprisonnés, harcelés, parfois assassinés, ou contraints à l’exil ». En 201O, les deux journaux indépendants du pays ont été suspendus de parution pour critique du régime. Le rédacteur en chef de l’un des deux a été retrouvé… tué par balles. Amnesty décrie également « un manque évident d’opposition politique, des dérives répressives du pouvoir, par exemple l’assassinat de l’opposant Jean Damascene Habarugira le 11 mai 2017. Depuis que le FPR est au pouvoir, il est difficile aux Rwandais de participer à la vie publique et de critiquer les politiques gouvernementales, certains le paient de leur vie... »

 

A écouter les autorités rwandaises ce pays est devenu un paradis sur terre. Certes, par rapport à la situation de 1994, il n’y a aucune comparaison. Beaucoup de Maliens, de Guinéens ou de Soudanais aimeraient y vivre. Mais reposant seulement sur un homme et son clan, sur une répression féroce de toutes oppositions, et pas sur une organisation démocratique du pays, c’est une situation extrêmement précaire et instable.

Ces « bonnes » nouvelles dissimulent une réalité bien plus sombre. Seule une véritable participation de l’ensemble du peuple rwandais dans un cadre réellement démocratique pourra assurer à ce pays et à sa population un avenir meilleur.

Et au Rwanda aujourd’hui, on en est encore très très loin… !

 

Jean-Louis Lamboley

le 24.01.2021

 

Encart

La France complice du génocide

« Dans ces pays-là, un génocide ce n’est pas très important ». Cette phrase du président Mitterrand, en 1994, résume le mépris et le cynisme de la politique française en Afrique. En cessant de soutenir son allié rwandais, la France risquait de perdre pied dans ce pays aux portes du Zaïre (devenu RDC) et de ses richesses minières. Elle  apporta donc son soutien au pouvoir rwandais. Les intérêts géopolitiques de la France et sa fidélité à ses alliés, fussent-ils des régimes autoritaires et criminels, furent les priorités de l’engagement français. Elles le sont toujours dans d’autres pays africains que la France considère comme son pré-carré, la Françafrique, dénoncée par l’association Survie depuis plus de 30 ans.

Agone éditions et Survie viennent de publier : « l’Etat français et le génocide des Tutsis au Rwanda », de Raphaël Doridant et François Graner. Ils affirment : « La complicité d’un petit groupe de décideurs français (Mitterrand et quelques militaires proches), qui ont soutenu des génocidaires en connaissance de cause, nous paraît avérée ».

Survie, la FIDH, la LDH sont partie civile dans 4 actions concernant le génocide, ont déposé des plaintes mais le secret-défense est bien gardé… Macron, qui avait promis (tout comme Hollande qui ne l’a pas fait) l’ouverture des archives, vient, en partie, de faire marche arrière. http://survie.org