Amiens,
quartier nord. La normalité «hollandaise» !
Les
médias se sont très peu répandus sur les causes de l’embrasement
de cette banlieue. Ils ont préféré, brièvement, s’en tenir à
l’importance des dégradations commises en reprenant à leur compte
la ritournelle de la délinquance irrépressible des jeunes. Pour ce
que l’on en sait, les faits révèlent une autre réalité
largement occultée. Quant aux annonces qui ont suivi, elles servent
essentiellement à rassurer l’opinion tout en donnant bonne
conscience au gouvernement.
Les
faits. Les commentaires.
Le
12 août, c’était un dimanche, comme de coutume dans ce quartier,
la Brigade anti-criminalité (BAC) avait investi ce paysage urbain de
barres de béton pour procéder à des énièmes contrôles
d’identité ! Soudain, un automobiliste prend un sens
interdit. Pas de demi-mesure, il est arrêté avec fracas : gaz
lacrymogènes, flash ball. A-t-il tenté de fuir ? Ce délit
nécessitait-il ce savoir faire policier que la République voulait
exporter en Tunisie ? Silence, les journalistes de connivence
n’ont rien à dire à ce sujet, encore moins sur l’homme
interpelé aux abords d’immeubles, où dans l’un d’entre eux,
en plein air, on commémorait un deuil. Toujours est-il qu’excédés
par tant de tapage olfactif suffocant, quelques membres de la famille
Hadji osèrent protester. Faire comprendre aux pandores qu’ils
s’éloignent pour respecter le deuil de Namir, 20 ans, décédé le
9 août d’un accident de moto, s’est vite avéré de l’ordre de
l’incompréhensible pour leurs neurones. On n’interpelle pas la
police, c’est une provocation ! «Ils nous ont provoqué
comme des cow-boys et les enfants comme les femmes furent gazés avec
des bombes lacrymogènes».
De
barres en barres d’immeubles, l’information puis la mobilisation
se sont répandues. Attroupements, protestations, altercations, les
flics devaient dégager. Marre des humiliations et des contrôles
intempestifs ! Indisposés, les mercenaires de l’Etat
n’entendaient pas se retirer en bon ordre mais maintenir leur
ordre. Des renforts ! 250 policiers et robocops munis de canons
lance-à-eau, grenades, flash ball furent rapidement sur les lieux.
Diligenté, un hélicoptère tournoya au-dessus du quartier afin de
prendre des clichés des délinquants potentiels. La protestation
s’est vite transformée en colère, heurts et affrontements. Ils
durèrent, pour le moins, toute la nuit du 12 au 13. Seize policiers
blessés, incendies, mais force est restée à la loi républicaine.
Les photos aériennes peuvent parler pour qu’un peu plus tard, en
comparution immédiate, pleuvent les condamnations sans appel.
Mais,
dès le 14 août, à l’image de l’ordre militarisé, dans le
quartier, Manuel Valls, ministre de l’intérieur, de l’immigration
et de … l’insertion ( !) est venu plastronner. Il avait
prévu de parcourir les lieux de la République bafouée. Mal lui en
prit ! Sous les huées, bousculé, il annula sa visite à pied.
Il dut battre en retraite, encadré, protégé par des gardes
mobiles. Il n’était pas question qu’il réponde aux
interpellations populaires. Auprès des médias, présents, il eut
néanmoins le temps de s’apitoyer sur le sort des policiers
blessés : «c’est intolérable», promettant de
surcroît à la corporation des cow-boys «des moyens
supplémentaire » et, fanfaron, d’assurer «je ne suis
pas venu ici pour reprocher quoi que ce soit à la police». Le
changement dans la continuité sarkozyste était assuré, la BAC et
les CRS rassurés.
Toutefois,
le Maire PS de la ville, un certain Gilles Demailly, du bout des
lèvres, devait reconnaître : «L’intervention de la
police n’était pas appropriée dans une situation de deuil.
Beaucoup de gaz lacrymogène a été utilisé, ce qui a été perçu
comme une agression». On lui souhaite d’en faire l’expérience
pour mesurer que la tranquillité gazée est de l’ordre du
possible, même sans situation de deuil !
Des
braises qui couvent et des flics pyromanes
Le
quartier Nord, dit Fafet Brossolette, c’est 25 000 habitants,
un chômage qui atteint plus de 40 % et, pour les jeunes de 18 à 25
ans, plus de 60 %, une zone vouée à la paupérisation (63 % de non
imposables, 1/3 sous le seuil de pauvreté). Selon le témoignage
d’un ex «grand-frère» : «depuis les années 2000,
c’est le vide, il n’y a plus d’éducateurs, de prévention
sociale». Cette année plus de 1000 jeunes se sont présentés à
la Mission Locale… pour (presque) rien. Même le Maire PS, lui le
décideur, d’avouer : «Les appartements n’ont pas été
rénovés, les crédits à l’humain (sic) sont insuffisants, les
associations sont en train de fermer». En fait, nombre de services
sociaux publics ont été privatisés «délégués» à des
associations puis leurs subventions se sont taries. De toute
évidence, ni les élus locaux ni l’Etat ne se sentent
responsables. Que l’on aimerait voir les habitants du quartier
décortiquer le budget municipal et mettre en évidence les
subventions toujours octroyées aux associations «honorables» et
autres prestations de prestige. Depuis qu’ils sont discriminés,
ils pourraient s’emparer de leur histoire. Car, ce quartier en a
une, celle de ses révoltes sporadiques. Déjà en 1982, suite à des
provocations policières et injures raciales, une manifestation
spontanée est venue protester devant la préfecture. Puis, il y eut
1984, 1997, 2007, 2009, sans compter 2005. Et il y a son origine.
La
honte de la «France exemplaire» et son actualité.
C’était
en 1962, aussitôt après l’indépendance de l’Algérie. Il
existait sur le site du quartier actuel une prison désaffectée pour
cause d’insalubrité. Un millier de harkis, comme pour les
remercier d’avoir combattu pour l’intégrité de la France
coloniale, y furent confinés, une famille par cellule. Cela dura 3
ans… avant l’érection des premières barres HLM. Puis, d’autres
populations issues de l’immigration vinrent les rejoindre. Les
Trente Glorieuses
furent vécues comme un bref répit avant que la cité de relégation
devienne celle où s’entassent la précarité, la pauvreté,
presque tous des faciès étrangers1.
La politique dite de la Ville n’a guère amélioré ce paysage
urbain, si ce n’est par l’intrusion régulière et intempestive
des Robocops.
Il
paraît que la France républicaine, de Sarko à Valls, veut
«rétablir la
confiance entre les jeunes et la police…»
Pour l’heure, elle le fait en surentraînant les CRS et la BAC à
la guérilla urbaine ! Notre savoir-faire en «contrôle
des foules
s’exportait d’ailleurs avant l’éclosion des révolutions
arabes. Reste qu’en Afrique du Sud, Ségolène Royal2
est peut-être partie en éclaireur pour porter «l’ordre
juste» vis-à-vis
des mineurs grévistes qui se sont fait récemment massacrer à
Marikana (44 morts) ?
Quant
au ministère de la parole, il s’est mis à débiter sa volonté de
faire. Quoique le capitaine pédalo et son acolyte Lamy (ministre
délégué à la Ville) se sont mis à mouliner à l’envers. Il est
urgent d’attendre «une
grande concertation nationale».
Non, il n’y aura pas de plan Marshall des banlieues. Mais l’on
nous promet un projet de loi pour le … 1er
semestre 2013. Des «emplois
francs» (du collier)
pour les entreprises qui, exonérées de «charges» (encore !),
embaucheraient des jeunes des quartiers. Et qui plus est, austérité
oblige, une cure d’amaigrissement des aides octroyées aux
territoires ghettoïsés. Comprenez, l’empilement des mesures est
incohérent, il faut simplifier, cibler les aides, n’en accorder
que pour les cas les plus dramatiques. Bref, face au tonneau des
Danaïdes3,
les Socialos s’apprêtent à boucher les plus gros trous en
regardant les autres s’agrandir. 751 Zones Urbaines Sensibles (ZUS)
au sein desquelles existent 435 ZRU (Zones de redynamisation urbaine)
et 2 493 quartiers en CUCS (contrats urbains de cohésion
sociale), c’est trop ! Toute cette novlangue et les pauvres
mesures qu’elle contient prouvent, s’il en est besoin,
l’insensibilité de la classe dominante et de ses politiciens à la
pauvreté, à la précarité et aux discriminations. Elle accompagne
la décohésion sociale et la «dynamitation» urbaine. Les habitants
de ces quartiers ont raison de se révolter vis-à-vis des situations
qu’on leur impose. L’on ne peut que déplorer le peu de
solidarité politique, active, à leur égard.
Gérard
Deneux le 24 août 2012
1
Lire le livre de François Ruffin « Quartier Nord »
Fayard (2006)
2
La Vice présidente de l’Internationale Socialiste préside la
réunion de l’IS en Afrique du Sud
3
Mythologie grecque. Nom des cinquante filles du roi d’Argos,
Danaos, qui, toutes, à l’exception d’Hypermnestre, tuèrent
leurs époux la nuit de leurs noces. Elles furent condamnées, dans
les Enfers, à remplir d’eau un tonneau sans fond.