Pour l’ordre républicain,
les Roms doivent être traqués
La chasse aux Roms a repris. Leur misère qui se répand
dans nos villes est insupportable pour les bonnes âmes, pour les socialos, tout
comme elle l’était pour la droite sarkozyste. Pérorant dans son rôle de premier
flic de France, Valls, lui, n’a pas d’état d’âme humanitaire. Quant au
gouvernement, il se garde bien de dénoncer les mensonges d’Etat qui ont couvert
les discriminations d’hier. Ils sont aux affaires et les méthodes n’ont guère
changé, les engagements de campagne semblent enterrés mais l’hypocrisie
bienveillante couvre leurs méfaits. Il s’agit de fait, toujours et encore, de
cultiver l’ignorance sur l’origine de la migration de ces populations
européennes afin de mieux brosser dans le sens du poil le racisme ambiant, y
compris celui des élus locaux. Le changement maintenant s’opère dans la
continuité sarkozyste et la gauche du PS, comme les écologistes, ont pour
l’heure chaussé les godillots ou adopté, comme Cécile Duflot, la «muselière»[1].
La traque aux miséreux Roms a repris
Il n’a pas fallu longtemps pour qu’avec jubilation Manuel
Valls revête les habits de Guéant. La trêve du mois d’août était propice. Les 8
et 9 de ce même mois, les expulsions de Roms ont repris. Paris, Lille, Lyon et
après une «concertation bidon», le 27 août à Evry avant même la décision
de justice «républicaine» ! Et… de nouveau à St Priest où 140 Roms furent
dispersés (le 28 août).
A Lille, le moratoire décidé après le discours de
Grenoble de Sarkozy n’était plus de saison, le droit au logement enterré. La
rondouillarde Aubry avait décidé de vider tous ces crève-la-faim. Et, en Ponce
Pilate, la demande de recours aux forces de l’ordre déposée, elle est partie en
vacances s’en laver les mains. Ainsi, près de Villeneuve d’Asque, au sein de la
communauté urbaine où ils étaient stationnés, les Roms, du moins quelques-uns
d’entre eux, prévenus la veille, ont-ils pu en toute urgence acheter quelques
tentes et quelques vivres. Bien leur en prit car 150 d’entre eux ont eu leur
caravane confisquée. Pour ces gens-là, le droit de propriété si cher aux
bourgeois, ça n’existe pas ! Délogés, ils ont dormi près de la citadelle.
A Lyon même, à Villeurbanne, à Vaulx-en-Velin, ce furent
3 vagues d’expulsion concomitantes. Plus de 300 Roms, femmes et enfants
disparus du paysage, 230 d’entre eux renvoyés par charter, ce moyen de
transport cher à Pasqua ! Est-ce à dire que l’on assiste à de véritables
rafles à caractère ethnique ? En tout cas, Gérard Collomb, maire PS, est
un récidiviste impénitent, c’est lui qui déclenche les expulsions sans solution
de ces ressortissants européens de basse classe. A chaque fois, tel Tartuffe,
il invoque de nouveaux projets de construction et notamment de logements
sociaux (sic !) sur les terrains occupés qu’il fait vider manu militari.
Cette bonne foi de jésuite est toujours assortie de flatterie aux ressentiments
racistes de quelques riverains. Et les associations de protester «ça continue, le rythme d’un charter par mois
est maintenu», la promesse «hollandaise» de relogement oubliée, mis à part
les 3 jours maxi selon les places disponibles ?
Pour les Roms, le lot quotidien c’est la liberté
d’errance, d’expulsion et … de retour assuré, le misérable espoir de la
surexploitation, du travail au noir, de ventes d’objets bricolés, de mendicité
voire, si des caïds résidant en Roumanie leur ont mis le grappin dessus, de la
prostitution. C’est dans l’Europe moderne et libérale des cours des miracles
ambulantes. Et pourtant comme précisé plus loin, ce ne sont pas des nomades.
Comme ouvriers agricoles saisonniers pour ramasser les fraises, cueillir les
abricots, faire la récolte dans les vignes ou comme ouvriers-manœuvres
intermittents dans le BTP, ils sont utiles, «mobiles», «compétitifs»,
«flexibles» avant d’être renvoyés «sans feu ni lieu» et de s’installer ici ou
là. Particulièrement présents en Italie et en Espagne, ils ne sont que
15 000, indésirables, en France. Comprenez ! La France généreuse et
exemplaire n’a pas les moyens !
Mensonge d’Etat et politique discriminatoire et raciste
Le coût de cette politique gouvernementale, aides au
retour, frais de gestion, recours judiciaires, escortes policières, vols en
charter, c’est 100 millions d’euros par an. Une «bourse» de 300€ par adulte et
100€ par enfant et… ils reviennent abîmer
nos villes et nos campagnes de leur sang impur. Ainsi grassement soudoyés,
leurs «départs sont volontaires» et
la liberté de circulation garantie dans l’UE leur permet de reprendre le chemin
en sens inverse ! Kafkaïen ! Des technocrates mal avisés ont donc
imaginé de leur donner, en plus, des troupeaux de moutons pour devenir chez
eux, des bergers sur leurs terres. Louable humanité cousue d’ignorance crasse
pour avoir méconnu que les Roms n’ont pas de terre pour les faire paître. Alors
mieux avisés, les Roms bénéficiant de cette expérience, après avoir mangé les
moutons, sont revenus en France… Mais les caisses sont vides, nous
dit-on ! Et pourtant les deniers non utilisés sont bien là. Selon les
responsables d’Emmaüs, Deltombe et Auger, sur «une dizaine de millions qui leur sont destinés par les fonds européens,
et qui sont gérés par l’Etat français, un million a été péniblement consommé» !
En fait, lorsque l’on examine les mesures réglementaires
régissant la «libre» circulation de ces hommes à part, aucun doute ne subsiste,
il s’agit bien d’une politique consciencieusement construite. Il y a d’abord la
fallacieuse motivation de protection du travail des «Français d’abord» : il conviendrait de lutter contre la
concurrence déloyale, ce «dumping social»
qu’exercerait cette population sur les salariés. C’est la raison invoquée
justifiant les «mesures (dites) transitoires». Elles contraignent les
Roms à ne pouvoir s’embaucher que dans 150 métiers dits «en tension», ceux où
l’on manquerait de bras. Ces restrictions sont couplées avec des contraintes
pécuniaires dissuasives exercées sur les chefs d’entreprises qui
souhaiteraient, par bonté d’âme, recourir à cette main d’œuvre bon marché. Ils
doivent payer une taxe proportionnelle au salaire qu’ils comptent verser, de
74€ pour un SMIC jusqu’à 50% du salaire brut, dans la limite, toutefois, de 2.5
fois le SMIC. Et ce n’est pas tout, ces travailleurs potentiels doivent encore
obtenir un permis de travail délivré par la Préfecture et… l’attente peut durer
plusieurs mois… Ces discriminations raciales instituées assimilent ces
Européens à des étrangers de l’UE. La commission européenne ne s’y est pas
trompée en condamnant l’Etat français, recommandant par conséquent qu’il y soit
mis fin avant le 31 décembre 2013. Car constat a été fait : «la mobilité des Roumains et des Bulgares a
été positive pour les économies d’accueil car ils ont pénétré (sic !) des
professions en pénurie… ils ont contribué à hauteur de 0.2 % au PIB de l’UE».
Diantre ! Un gisement de croissance, d’accumulation du capital dont on
s’est privé à la différence de l’Espagne et de l’Italie. Ces deux pays qui
accueillent respectivement 38 et 41 % de la migration des Roms n’ont que faire
des mesures de restriction de type
pétainiste. Ce qui ne signifie pas pour autant que ces populations
bénéficient de conditions de rémunération, de travail et de logement plus acceptables.
Avec Hollande, avec Valls sur son flanc droit, il s’agit
à la fois de donner des gages aux réactions poisseuses de l’électorat d’extrême
droite et, sans se presser, de se mettre en conformité normale avec les
directives de la commission européenne. Avec Sarko, c’est 10 000
expulsions par an (et retour !), avec le socialo sarkozysme, c’est le
changement dans la continuité avec quelques promesses.
Une nouvelle méthodologie proclamée. Des engagements qui
n’engagent à rien
Suite aux premières expulsions, le gouvernement Ayrault a
réuni les responsables d’organisations à caractère caritatif. Il fallait bien
les rassurer par un dialogue constructif. Qu’en est-il sorti ? Les
évacuations se poursuivront à condition qu’une décision de justice le permette,
légalité républicaine oblige ! Des «supports
méthodologiques» vont être adressés aux Préfets afin d’humaniser ces
expulsions. Il s’agira pour eux «d’anticiper,
d’individualiser» ces coups de balai, ainsi nous promet-on, des
travailleurs sociaux remplaceront les policiers. Quant aux hébergements
d’urgence à construire ou à réserver, une «mission
de coordination» verra le jour : un Préfet délégué sera nommé auprès
du Premier Ministre pour rechercher (vainement ?) des hôtels modestes et
des gymnases aménagés (déjà saturés) pour des résidences n’excédant pas 3
jours. Quoi de neuf surtout quand la main droite ignore la compassion de la
main gauche : c’est sans attendre une quelconque décision de justice que
Valls continue de sévir à Evry, Saint Priest… Il suffit d’invoquer des
conditions sanitaires insupportables et la République Quant à la levée des «mesures transitoires», Ayrault d’affirmer :
«nous sommes favorables à une évolution»
et non à leur suppression ! L’on comprend mieux dans ces conditions que la
droite et l’extrême droite raciste jubilent. Comme on a pu l’entendre sur les
ondes, ils encouragent les socialo-sarkozystes à «nous» débarrasser de toute «cette vermine», de tous «ces crasseux». Pour ceux qui auraient la
mémoire courte et les sens olfactifs bouchés, faut-il rappeler les relents
idéologiques nauséabonds justifiant naguère le clivage de classes : les
petits paysans aux culs-terreux, les ouvriers à casquettes, aux ongles noirs
venant polluer en 1936 les belles plages, les prétendues tares des Juifs d’hier
et aujourd’hui des musulmans et des jeunes des quartiers dits sensibles !
Entretenir l’ignorance pour mieux dominer
Pour la classe dominante et ceux qui la servent,
maintenir les classes dominées dans une ignorance crasse ou entretenir des
mythes de sens commun permet d’opacifier leurs propres responsabilités.
L’histoire des origines et du passé des Roms est pourtant édifiante[2].
Lors de la désintégration de l’empire byzantin, de
l’invasion puis de l’expansion de l’empire ottoman, les Tigani (devenus par
mythe, tsiganes) fuient, émigrent en Roumanie et en Hongrie. Ils sont mis en
esclavage par les seigneurs féodaux locaux (les boyards) par les princes et
ecclésiastiques dans les monastères. Propriété de leurs maîtres, vendus,
échangés, situés au bas de l’échelle, plus méprisés que les serfs liés à la
terre, ils sont hommes à tout faire hors les métiers agricoles. Lors de
l’abolition du servage (1840-1880), ils sont affranchis, beaucoup émigrent en
Europe de l’Ouest, les plus pauvres en Europe centrale, certains aux USA. Ceux
qui restent, mettant en œuvre leurs pauvres expériences, deviennent artisans,
chaudronniers, ferronniers, maréchaux-ferrants et certains, gens de cirque,
voire musiciens. Mais pour les Roumains et les Bulgares, avec la montée des
nationalismes lors de la crise de 29/30, ils sont ce petit peuple sans feu ni
lieu dont il faut se démarquer : ce sont des déracinés, des vagabonds, des
bohémiens, bref, des gens dangereux. Lorsque les fascistes prennent le pouvoir
en 1940 en Roumanie, 30 000 d’entre eux considérés comme nomades, sont
déportés en Transnistrie. Sous le régime dit communiste, la prolétarisation forcée
les conduit dans des immeubles cages à lapin à proximité des usines ou dans des
fermes collectives. Certains deviennent ouvriers spécialisés, fonctionnaires.
Mais cette évolution n’a guère éradiqué le racisme structurant cette société. A
preuve, lors de la libéralisation sauvage des années 90, ils furent les boucs
émissaires tout trouvés. Les affrontements ethniques reprirent. Et ceux qui
furent toujours considérés comme des «marginaux», touchés de plein fouet par le
chômage (taux de 25%, moyenne nationale 11.5%) ont pris le chemin de l’exil[3].
34 % d’entre eux n’ont pas terminé leur cursus scolaire et certains sont
analphabètes.
Le fond de l’air est poisseux pour ceux qui tiennent les
murs dans les banlieues, comme pour ceux dont le bannissement est sans feu ni
lieu. La compassion n’est pas de mise pour eux, guère moins pour les Grecs
accusés notamment en Allemagne d’être des filous qui ne payent pas d’impôts,
qui seraient dispendieux et se doreraient la pilule au soleil. La presse
poubelle des Teutons est révélatrice à ce sujet. Reste pour les progressistes
aux mains blanches l’exotisme humanitaire des sans terre en Amérique latine ou adoption
de quelques Noirs ou Asiatiques ! Comme l’a souligné Leslie Hawke qui
dirige l’association Ovidia Roms : «J’ai
grandi au Texas à l’époque du mouvement des droits civiques. Et tout ce que les
Blancs disaient sur les Noirs, par exemple qu’ils étaient fainéants, sales,
qu’ils n’allaient pas à l’école, tout ça, je l’entends aujourd’hui sur les
Roms. Mais il s’agit surtout d’un problème de pauvreté plutôt que d’une
question raciale».
Gérard Deneux, le 28 août 2012
[1] Cette expression,
c’est elle qui la revendique en prétendant qu’on la lui impose, sinon elle ne
pourrait conserver son maroquin de ministre du logement. Les Roms apprécieront.
[2] Je reprends ici des éléments contenus dans l’article de
Martin Olivera, ethnologue, membre du CNRS, qui enseigne à Paris X. dans le Monde du 18.08.
[3] Recensement de 2002 à caractère raciste. Seules
435 000 personnes se déclaraient Roms. Ils seraient en fait entre 1 et 2.5
millions sur 21 millions d’habitants.