Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 26 avril 2020


Crise sanitaire et crise économique

Cet article fait suite à celui paru dans le PES précédent (« le virus de la crise économique qui vient ») en portant la réflexion sur les tentatives de sortie de crise, initiées par les « élites » nationales, et leurs conséquences probables. Si personne ne conteste que l’arrêt du système économique provoque une crise sérieuse (désormais), l’ensemble des solutions proposées entendent maintenir le système capitaliste « coûte que coûte ». Elles prolongent et accentuent les traitements imposés lors de la crise de 2007-2008, et ce, dans une conjoncture bien plus défavorable.

Apories du traitement de la crise de 2007-2008

Pour éviter des faillites massives, des « plans de sauvetage » massifs ont été mis en œuvre. Ils ont consisté à déverser des « liquidités » dans le système financier (9 000 milliards rien qu’aux USA) en espérant que cette injection de capital fictif se traduirait en une redynamisation de l’économie réelle. Certes, l’effondrement des banques et autres véhicules financiers a été évité mais cette avance de capital n’a pas relancé la croissance capitaliste, ou si peu. Cet effort colossal a été également soutenu par les Etats, accroissant leur endettement. Dans la logique du système néolibéral, il fallait également réduire l’imposition des entreprises, des sociétés, des plus riches, en espérant ainsi que cet « allègement de charges » favoriserait l’investissement dans la production. Cette croyance dans l’interventionnisme désintéressé du capital occultait sa véritable nature, à savoir sa recherche du profit. Or, les banques, comme les riches investisseurs, ont préféré thésauriser, spéculer. A preuve, à titre d’exemple, le (re)versement de trop plein de liquidités des banques privées auprès des banques centrales. Ainsi la BCE, face à l’importance de ces dépôts gratifiants, rémunérés à des taux positifs, a imposé des taux négatifs pour forcer les banques privées à employer ces sommes dans l’économie réelle. Ce fut, en grande partie, peine perdue. De même, les taux d’intérêt extrêmement bas, voire gratuits, octroyés par les banques centrales n’ont permis qu’une reprise anémique, voire artificielle. On a surtout assisté à un boom boursier, à des rachats d’actions afin de provoquer la hausse de leurs valeurs nominales. Ce furent les actionnaires les plus riches (les 1%) qui en profitèrent sous forme de dividendes et de rémunérations mirobolantes. D’autre part, avec le recours à l’emprunt à des taux sans équivalent, la concentration capitaliste s’accéléra sous forme de fusions-acquisitions, sans effets notables sur la croissance. Les Etats capitalistes eux-mêmes, surtout européens, furent mis en demeure de pratiquer des politiques d’austérité visant à résorber les dettes, dont la plupart étaient surchargés. On assista ainsi à l’étranglement des pays les plus faibles, comme la Grèce.

Cette logique de transfusion financière, de destruction des acquis sociaux et des services publics, pour sortir de cet endettement généralisé, visait à contrecarrer la purge du système capitaliste en crise, nécessaire à sa reproduction. Ce grand nettoyage n’eut pas lieu : il aurait signifié la destruction de capital (faillite de banques et d’entreprises) favorisant une nouvelle concentration. Il aurait entraîné (comme en 1929-30), la dévalorisation-destruction des forces productives, une baisse drastique des salaires, et plus générale du prix de la force de travail, y compris dans sa reproduction (santé, retraites, prestations sociales). Si cette voie fut suivie, elle le fut de « manière mesurée » face aux possibles mouvements sociaux irrépressibles. Pour le dire autrement, c’est bien la volonté des classes régnantes de maintenir (ou de contenir) les réactions populaires, une forme de consensus social, qui a prévalu, y compris en soutenant des banques et des entreprises zombies. Bref, un nouveau cycle d’expansion capitaliste fondé sur la destruction des forces productives n’a pas eu lieu, la stagnation et la récession l’emportèrent. Il y avait bien sûr une autre voie, celle d’une rupture radicale avec le système capitaliste mais elle était sans voix et sans forces.

Et survint la crise sanitaire

Avant même son apparition, la récession était annoncée, les tensions entre Etats s’amplifiaient, ouvrant la perspective du repli nationaliste et du rejet du multilatéralisme, sous l’égide des Etats-Unis. La première puissance mondiale, déjà sous Obama, plus encore avec Trump, s’est engagée dans une guerre commerciale contre le capitalisme d’Etat chinois expansionniste. Puis vint cette guerre du pétrole opposant l’Arabie Saoudite, la Russie et les Etats-Unis. Faire baisser le prix du baril afin d’asphyxier le pétrole de schiste US, lui ravir les parts de marché qui l’avaient hissé au premier rang des producteurs de pétrole, en inondant le marché qui ne pouvait plus l’absorber, aujourd’hui encore moins qu’hier. Dans la même période, ou la précédant de peu, la première et la deuxième vague des printemps arabes déstabilisèrent les pouvoirs en place ou déchaînèrent les forces répressives jusqu’à étendre le domaine de la guerre impitoyable (Syrie, Yémen). Le retrait relatif de l’empire étatsunien s’est accompagné d’une politique de sanctions et d’embargos contre l’Iran, la Russie et même l’Europe, sommée d’une part d’appliquer les sanctions US au détriment de ses parts de marché acquises (Iran…) et d’autre part d’augmenter ses dépenses militaires (OTAN).

C’est sur ce terreau délétère qu’est survenue la pandémie du corona virus, révélant, par ailleurs, la fragilité systémique de l’économie mondiale : la délocalisation de la production de médicaments, les chaînes de production en cascades de biens tels les masques chirurgicaux, l’abandon par les Etats centraux de toute  politique sanitaire susceptible de faire face à une épidémie, ainsi que l’austérité, le management imposé aux hôpitaux…, à la recherche fondamentale, furent autant de facteurs cumulatifs aggravant la crise sanitaire. Pour tenter de la résorber, et afin d’éviter le sur-engorgement des hôpitaux démunis de lits en nombre suffisant, ne restait que le confinement durable, dans l’attente de livraison de masques, de matériels de protection les plus prosaïques (gels, blouses…), d’appareils respiratoires. On y ajouta les effets de manche des politiciens, bien divisés au départ, sur les solutions les plus appropriées. En effet, mettre l’économie à l’arrêt n’était pas a priori, dans leurs gènes, ni d’ailleurs la protection de la vie des populations, une priorité. Ils durent néanmoins s’y résoudre, avec plus ou moins d’empressement. Et, très rapidement, l’activité économique fut réduite (30%), les chutes boursières s’enchaînèrent avant d’être quelque peu rassurées par l’injection à tout va de liquidités pour sauver les actionnaires. L’on assista de nouveau à l’endettement catastrophique des Etats, les banques centrales recourant par ailleurs à la « monnaie par hélicoptère »(1). A la différence du jour d’avant, celui de 2007-2008, la production à l’arrêt, le recours au chômage partiellement pris en charge par l’Etat, du moins dans certains pays européens, ou la distribution aux USA, de revenus… momentanément, sont contraires à tout apurement des dettes contractées. Ils sont autant de recettes de TVA, de recettes fiscales en moins. Quant au recours aux instances européennes comme roue de secours sur notre continent, il s’avère des plus laborieux, les égoïsmes nationaux jugulant toute solidarité réelle. Même pas question (pour le moment ?) de grand emprunt européen, partageant le risque et soulageant les pays les plus en difficultés. Les coronabonds réclamés par l’Italie ne sont pas de saison, ni pour l’Allemagne, les Néerlandais… et Macron dans tout ça, naviguant à vue entre les pays du sud (Espagne, Italie, Portugal) et Merkel.

Il est un dilemme plus préoccupant pour les classes dirigeantes. Elles ne peuvent résoudre, en même temps, la crise sanitaire et la crise économique. Elles sont tenues à espérer la fin du confinement afin de remettre au plus vite les gens au travail. La pression en ce sens des patrons est très forte. Certains d’entre eux, comme Amazon, Peugeot Vesoul, font prendre des risques aux ouvriers dans des secteurs non essentiels. Par ailleurs, les mesures de sécurité et de distanciation sont loin d’être respectées partout. Et l’on assiste ainsi à l’injonction paradoxale « Restez confinés » pour les uns, « allez au boulot » pour les autres, ces petites mains si indispensables. Qui plus est, en haut lieu, l’on redoute au sortir de la crise sanitaire, la « gilets-jaunisation » des mouvements sociaux. D’où la stratégie de la com, tout azimut, afin de contrôler, apaiser la sourde colère qui traverse le corps social. Bref, les gouvernements sont pris en tenaille entre deux nécessités contradictoires, contenir la crise sanitaire par le confinement et relancer au plus vite  la machine économique d’exploitation capitaliste

Colmatage ou rupture

Malgré tout, les dirigeants des appareils syndicaux, la gauche dite critique, les écolos, s’en remettent au pouvoir, au gouvernement, aux parlementaires. Certes, ils avancent des revendications, demandent des inflexions politiques, souhaitent même, pour certains, la fin du néolibéralisme et de la domination du capitalisme financiarisé, prônant un retour au keynésianisme et à l’interventionnisme de l’Etat. Toutefois, ils demandent à être entendus par une caste oligarchique qui s’est déjà révélée sourde à leurs injonctions. Ils refusent de s’en prendre au pouvoir, certains que la voie législative est la seule possible, oubliant déjà la leçon infligée par les Gilets Jaunes. Il va sans dire que Macron et sa bande feront quelques concessions, en particulier en direction de l’hôpital public mais, au-delà, ce sont bien d’autres choses qui s’annoncent : les « retroussez- vos manches », la surveillance généralisée et la répression. Le PDG de Peugeot a déjà annoncé la couleur : des semaines de 60 heures pour produire autant que nécessaire, pour ne pas perdre des parts de marchés au profit notamment des Asiatiques, Japonais et Coréens !

Des commandes de grenades lacrymogènes et autres doux instruments de paix sociale ont été passées tout récemment. En outre, la tendance liberticide de gestion des populations en recourant aux nouvelles technologies (traking, caméras de reconnaissance faciale) sont à portée de mains. Enfin, la peur d’une nouvelle vague d’épidémie pourrait bien justifier l’interdiction de grèves et de manifestations.

La rupture doit d’abord se manifester par les exigences à faire valoir. Ensuite, elles doivent se traduire par le renforcement et l’éclosion de forces révolutionnaires, porteuses de l’objectif à atteindre : la transformation sociale anticapitaliste.

Il est certain que, par rapport à la crise sanitaire, il faut exiger que l’ensemble de la population soit testée en attendant la mise au point d’un vaccin. Plus fondamentalement, cela signifie la mise en place de dispensaires sur tout le territoire comme dans les années 1950-1960, afin de dépister puis soigner. D’où la nécessité plus large de crédits pour la recherche, l’hôpital public, la formation de médecins, infirmières… et, par conséquent, la rupture avec le système de santé actuel : retour à la dotation globale de fonctionnement des hôpitaux, définie et sous contrôle des soignants et des associations de patients, dissolution de l’ordre des médecins, des pharmaciens, corporations nées sous Vichy, socialisation des cliniques privées et rattachement aux hôpitaux publics. Ce secteur pose le problème plus général du renforcement et de l’extension du service public.

Plus fondamentalement, il s’agit de s’attaquer aux différentes formes du capitalisme, financier, industriel, commercial, sans omettre la rente foncière et immobilière. On peut citer à cet égard, la nationalisation des banques, la rupture avec la BCE, la séparation des banques de dépôts des banques d’investissement et de toute la finance avec les paradis fiscaux ainsi que la suppression de la Bourse, l’audit des dettes et l’abolition de la plupart d’entre elles.

La nationalisation des secteurs clés de l’économie, définis en fonction des besoins réels de la population, pose la question de la reconversion d’un certain nombre d’entreprises, de la relocalisation d’autres, tout particulièrement l’industrie pharmaceutique. De même, la nationalisation-socialisation des grandes enseignes commerciales devrait s’imposer tout en assurant et promouvant le commerce de proximité et le développement de coopératives, y compris dans les domaines de l’artisanat et de l’industrie.

Quant aux rentes foncières et immobilières, il serait nécessaire de les réduire à leur plus simple expression, à savoir, l’entretien des terres et des immeubles. Dans ce dernier secteur, la construction de logements décents est plus qu’indispensable. Dans la société nouvelle à construire, logements insalubres, taudis, bidonvilles doivent être détruits. Il va sans dire également que l’éradication des inégalités et des poches d’accumulation éhontée de richesses doit être drastiquement prescrite. Rien ne justifie qu’un PDG, trader, rentier gagnent 300 fois plus qu’un chercheur, un médecin et 600 fois plus qu’un ouvrier, dont on découvre, en pleine crise financière, l’utilité sociale. Imposer un revenu maximum, une échelle par exemple de 1 à 4, serait largement suffisante. Avec un SMIC à 2000€, cela signifierait 8000€ pour les mieux payés !

Ce catalogue non exhaustif n’a pour fonction que d’indiquer que tout est à la fois possible et, pour l’heure, improbable. Il ne peut être un programme de gouvernement dans le cadre même du système parlementaro–capitaliste. La démocratie représentative actuelle est incapable de l’imposer, l’appareil d’Etat lui-même ne peut l’admettre ; en d’autres termes, l’oligarchie dominante et tous les appareils à son service s’y opposeront jusqu’à la dernière extrémité. Ce qui importe, dans la conjoncture présente, c’est d’abord que ces idées de transformation sociale radicale infusent dans le corps social et en premier lieu au sein des classes ouvrières et populaires. La préservation de l’écosystème, la lutte contre les pollutions, l’aspiration à une vie saine, sont autant d’éléments favorisant la culture d’un terrain propice à changer de société.

Reste l’indispensable lutte des classes et l’évacuation d’illusions sur la capacité du système de se réformer. C’est d’elle et uniquement d’elle que surgira une nouvelle hégémonie, une nouvelle conception de vivre en société. De ce processus complexe de prise de conscience, au sens large (politique, culturel, de solidarité), peuvent surgir des formes démocratiques s’instituant comme alternatives au pouvoir institué. A terme, on ne pourra le faire avec l’appareil existant et les « élites » qui le perpétuent.

Dans l’immédiat, il est nécessaire, non pas de proposer au pouvoir des solutions afin qu’il puisse en partie les reprendre à son compte pour se relégitimer, mais essentiellement le railler, le pourfendre, le ridiculiser, en s’appuyant toujours sur des faits vérifiés (et il n’en manque pas) afin de le déstabiliser, accentuer la division dans ses propres rangs. En effet, toute sa politique de communication, ses éléments de langage sont bâtis pour tenter de maintenir un consensus en sa faveur. Qui plus est, dans la conjoncture présente, il est dans l’obligation de faire des concessions. Celles-ci doivent être comprises comme autant de reculs décrédibilisant le pouvoir, sa politique présente comme celle qu’il a pu mener antérieurement. Pour filer la métaphore de la guerre de tranchée, au sens gramscien, ce combat symbolique doit s’appuyer, favoriser la lutte des classes et l’organisation de « bataillons » sur des bases radicales. C’est en suscitant la démocratie par en bas, en soutenant les formes « d’institutions » contestant le système (assemblées générales, coordination des luttes, comités de grève…) que l‘on modifiera le rapport de forces sociales. Aller dans ce sens signifie qu’il faut nécessairement destituer, symboliquement, les institutions actuelles. En d’autres termes, s’en tenir à une critique convenue du néolibéralisme, du capitalisme financiarisé, laisse supposer qu’un retour au keynésianisme avec les institutions actuelles serait possible. Cette illusion d’un capitalisme rénové, vert, dans le contexte de crise économique, risque d’ouvrir un boulevard à une rupture apparente, celle du  nationalisme xénophobe fascisant. Prévoir le pire, celui d’une alliance entre l’extrême centre, la droite extrême dite sociale LR et l’extrême droite, comme l’exemple de nombreux pays nous y invite, c’est déjà conforter les assises du camp révolutionnaire. Pour éviter de se diluer, il faut se délimiter : les aspirations à l’égalité, à la justice sociale, à la démocratie radicale, ne sauraient être des béquilles verbales à ceux qui prétendent à un capitalisme à visage humain.

Gérard Deneux, le 12.04.2020   

(1)   Expression utilisée par Milton Friedman. Economiste libéral et monétariste, il considère notamment que la société n’est faite que d’individus consommateurs. En cas de crise, il suffirait de relancer la consommation par l’injection de liquidités dans le marché libre, directement aux particuliers, aux entreprises… sans passer par l’Etat. Il est également partisan des « théories » du chômage naturel… Créateur de l’école de Chicago, considéré comme l’un des pères du libéralisme, il soutint et promut ses théories à grande échelle, notamment au Chili, lors de la dictature de Pinochet. Les transfusions monétaires, outre l’endettement (fictif ?) des banques centrales, produisent non pas la relance mais l’épargne de précaution et la spéculation, accentuant encore les inégalités sociales.




L’UE choisit Black Rock
Black Rock, le plus grand gestionnaire d’investissements au monde, l’un des investisseurs les plus importants de huit des plus grandes firmes pétrolières de la planète, détient plus de 87 milliards de dollars de parts dans des entreprises d’énergies fossiles. Il s’est opposé ou abstenu dans 82 % des résolutions concernant le climat dans les entreprises dont il possède des actions, actionnaire de premier plan dans 12 banques de rang mondial,
Ce même Black Rock dont le PDG Fink a conseillé Macron dans sa contre-réforme sur les retraites (1), a remporté un appel d’offres organisé par la Commission européenne et rédigera un rapport sur la manière dont la supervision bancaire de l’UE pourrait prendre en compte le climat !
La transition écologique ne saurait être menée avec de telles institutions ! C’est confirmé !
OM
(1)   PES n° 59 « Qui va battre en retraite ? » p. 3