Europe.
Virus de la discorde et de la haine
(édito de Gérard Deneux dans PES n° 62 - avril 2020)
On
sait que l’Europe est un grand corps malade des marchés financiers et de l’austérité
imposée. Nombre de ses membres sont asphyxiés par leurs dettes, par le corset
des règles budgétaires, par l’introduction de la monnaie unique au sein de pays
inégaux. Avec la gangrène du coronavirus, la discorde s’est amplifiée,
entre l’Est et l’Ouest, le Nord et le Sud, sans parler du Brexit qui est loin
d’être réglé.
Dans
cette Europe de la marchandisation, des tabous ont sauté. Les interventions des
Etats dans l’économie, hier interdites, sont permises, les fameuses règles butoirs
controversées, contournées, sont désormais mises au rencart : on était
déjà bien loin des 3 % de déficit annuel et des 60% de dettes par rapport au
PIB dans de nombreux pays ! Même la prude Allemagne a rayé d’un trait de
plume l’article de la Constitution imposant zéro déficit. C’est dire que la
situation est grave et que, désormais, prévaut
le chacun pour soi.
Ce
qui s’est joué le 9 avril est révélateur de la concurrence exacerbée qui
s’annonce entre les membres désunis de l’Europe. Après un psychodrame de deux
semaines sur l’état de santé de l’Italie, les dirigeants des Etats se sont
entendus, difficilement, sur la saignée
à lui administrer, accompagnée d’un placebo. Tous, sauf l’Italie, de crier
victoire : le virus de la discorde a été momentanément confiné. Qu’on en
juge !
Des
aides, oui, sous forme de garanties d’emprunt, à hauteur de pas plus de 20 %
des sommes que l’Italie ira quémander sur les marchés financiers. La mise en
œuvre du MES (Mécanisme Européen de Stabilité, ce FMI européen créé en 2010
suite à la crise de l’Europe et à la strangulation de la Grèce), les dirigeants
italiens n’en voulaient pas, conscients qu’ils sont, des « conditionnalités »
austéritaires et de dépendance qu’il signifiait. Les docteurs Diafoirus de
l’euro-groupe ont adouci la saignée : « Vous n’aurez pas plus de 500 milliards à la condition de les utiliser
uniquement pour résorber la crise sanitaire ». C’est « peanuts »
se sont écrié les Italiens. « C’est mieux que rien » leur a-t-on
répondu et il n’est pas question de créer des eurobonds (emprunts européens)
comme vous le souhaitez ! Eh oui, l’Europe n’est pas fédérale. Elle s’est
bâtie sur la suprématie allemande à défendre, quoi qu’il en coûte.
Retour sur le diagnostic au-delà des péripéties où Macron a joué les
entremetteurs entre l’Italie et Merkel, cette dernière s’appuyant sur les intransigeants
Pays Bas. Schröder puis Merkel ont imposé dans leur pays une compression
drastique de la demande interne, tout en s’appuyant sur l’appareil productif à
haute valeur ajoutée, perfusé par des délocalisations et de la sous-traitance,
dans les pays de l’Est notamment. Cette politique s’est traduite par la
réduction des dépenses sociales et des pensions de retraite, un taux de pauvreté
plus important qu’en France, une fragilisation des classes moyennes subissant
de nombreuses taxes importantes (TVA, taxes sur l’énergie…). En revanche,
l’économie allemande, boostée, tournée vers l’exportation, s’est imposée en
écoulant ses produits dans les pays du Sud. Ces derniers ont accumulé des
déficits publics alors que l’Allemagne engrangeait des excédents. Cette dynamique de développement inégal qui
profite à l’Europe dite du Nord, ne peut être harmonisée d’autant que l’Europe
des marchés s’est toujours refusé à définir une politique sociale, fiscale, et
financière commune.
Qui
plus est, l’euro a cadenassé toute velléité de recours à des dévaluations
compétitives. Il est pourtant évident que la création d’eurobonds ruinerait la
spéculation sur la dette des Etats les plus endettés. Ce saut dans la solidarité entre pays capitalistes européens semble,
pour l’heure, insurmontable. Les
égoïsmes nationaux l’emportent. Et d’invoquer les contribuables qui ne
supporteraient pas de payer pour les « frivoles » du Sud !
Derrière cette justification, il y a la peur
des élites au pouvoir, celle de la propagation probable du virus de la haine xénophobe qui gangrène déjà de nombreux pays.
D’autres virus sont également inquiétants : à preuve la concurrence
sauvage pour s’approvisionner en matériels sanitaires, les prix s’envolent, la
multiplication d’intermédiaires douteux,
voire maffieux, spéculant sur la pénurie, opèrent des détournements de
produits, de véritables rapts dont l’Etat français, dans ses relations avec les
régions, n’a guère à s’enorgueillir.
De
la stagnation économique séculaire annoncée avant
l’arrivée du coronavirus, on est passé à une crise aux multiples facettes dans
laquelle les zélotes qui s’affrontent aggravent encore les conséquences.
Quand
dirons-nous : Basta ! Vous êtes le problème, pas la solution ?
GD
le 21.04.2020