ETE 2021 : COUP DE CHAUD À
CUBA !
Nous publions, ci-après, le reportage sur Cuba envoyé par un de
nos abonnés. Son texte, très détaillé sur la situation, nécessite une
publication sur deux numéros. La 2ème partie portera plus
précisément sur la gestion, notamment, de l’économie et sur le mouvement de
révolte manipulé par les Etats-Unis.
18 juillet 2021 : 7 h du matin ! Le
jour de lève sur le Malecon de la Havane, entre le quartier du Vedado et le
Golfe du Mexique, à tout juste 140 kilomètres au sud des premiers cayos de Key
West, Floride, Etats-Unis. Dès 5 du matin, en ce dimanche, les bus et les
camions ont déversé leur flot de militants des corps constitués, de l'UJC
(jeunesse communiste), de la FEU (les étudiants), syndicats,
travailleurs, ouvriers, employés invités à appuyer la Révolution et ainsi
relayer l'appel du Président de la
République Diaz Canel Bermudez le
dimanche précédent. La foule est compacte, les Caballitos (Police motorisée) et
la PNR (Police) contrôlent les accès à la tribune officielle, la Seguridad
filtre en amont à leurs côtés, il faut montrer patte-blanche, dérouler ses
drapeaux, les miens, pour bien montrer que l'on n’est pas un infiltré de “Patria
y Vida”, le mouvement d'opposition interne à Cuba. On ne peut pas approcher
de la Tribune officielle, sans “credenciales” (références d'appartenance à un
corps constitué officiel).
L'endroit n'a pas été choisi au
hasard : la Tribune officielle est montée aux pieds de l'imposant monument dédié aux victimes du Maine, cuirassé américain qu'une très
violente explosion envoya par le fond de la Baie de la Havane en 1898, tuant
260 marins de l'US NAVY et “justifia” l'intervention américaine pour “protéger”
Cuba et “libérer” l'île du terrible joug de la Couronne espagnole.
A quelques mètres de la Tribune
officielle, la statue du père tutélaire de la Nation, José Marti pointe un
doigt accusateur en direction de la Représentation américaine et de la Tribuna
Impérialista, construite à quelques mètres, sur ordre de Fidel à la suite du
conflit autour du petit Elian (enfant cubain balsero, sauvé des flots
en 1999 et rendu à sa famille malgré une violente campagne des groupes
anticastristes de Miami). Au micro, Gerardo Hernandez, l'un
des 5 espions cubains (los Cincos,
les 5), arrêtés par le FBI en 1998 avec ses camarades et libéré fin
2014 sur fond d'échange mutuel d'espions
dans le cadre du réchauffement orchestré par Obama ; député et
nouveau coordinateur en chef des CDR (Comité de Défense de la
Révolution), il rappelle la constante politique de déstabilisation américaine
devant Raùl Castro que les réseaux sociaux avaient annoncé en fuite au
Venezuela, rien moins que cela ! Le Généralissime n'a pas pris la parole,
sa seule présence ayant suffi pour rappeler à la Nation qu'il était toujours
là, bien en place. Raùl à Cuba, c'est l'armée, le combattant de la Sierra, le
communiste formé par le KGB, le Castrisme !
Le Président Diaz-Canel prit la parole à son tour pour expliquer que le soulèvement du 11 juillet 2021
n'était pas le fruit du hasard mais une manipulation
venue de l'extérieur, des Etats-Unis, et que sa technicité avait nécessité le
recours à de puissants algorithmes. Il exposa point par point la chronologie
des événements, dénonçant les cyber-attaques contre les organes officiels comme
Granma, Juventud Rebelde (journaux officiels) ou Cubatedebate (site
internet officiel) parlant ainsi de “guerre non conventionnelle et de
bombardement médiatique” avant de terminer sur les vaccins Cubains.
Les méthodes dénoncées par
Diaz-Canel ont évolué technologiquement mais le fond reste le même. Ainsi dans
la chaleur écrasante d'août 1994, Radio Marti, radio financée
directement par la CIA et émettant depuis la Floride, avait
appelé le peuple de la Havane à descendre sur le Malecon en promettant
l'arrivée d'une flottille qui viendrait les emmener vers la terre promise de
l'oncle Sam ! Mensonge éhonté, bien sûr ! A cette époque, il avait
fallu que Fidel descende en personne de sa Lada blanche et vienne, seul, à la
rencontre des manifestants qu'il avait “retournés” en moins de 10 mn. Mais Diaz
Canel n'est pas Fidel... et les BMW ont remplacé les Lada !
La situation économique
ressemble fort à celle des années 90, la célèbre “Période Spéciale” due à la chute du Mur de Berlin. Certes, la
Russie continue à appuyer Cuba au nom du passé commun mais son soutien a
fortement diminué. La Chine s'est rapprochée de Cuba mais son appui reste
limité... par peur de froisser le voisin américain et pour éviter un prétexte
qui permettrait aux USA de “bombarder Cuba” selon le voeu du Maire de Miami en
ce mois de juillet 2021 ?
La manifestation est un succès,
le régime castriste a pu montrer qu'il était capable de mobiliser et que la
majorité des citoyens était toujours en faveur de la Révolution. D'autres
rassemblements ont eu lieu dans les villes importantes du pays, Camagüey,
Santiago, Bayamo, Santa Clara...
Les révoltes du 11/07/2021
Retour sur le 11 juillet 2021. Le Président Diaz Canel est en
visite dans un quartier excentré de la capitale. Il est venu rencontrer les
habitants. Il semble qu'il y ait de la friction dans l'air, le quartier est
quelque peu rebelle. Les plans serrés de la TV officielle le montrent marchant
au milieu de ses gardes du corps et d'officiels. On sent une sorte de tension
pour un président venu à la rencontre du peuple. Il faut dire que les réseaux
sociaux redoublent les appels à la déstabilisation depuis plusieurs jours.
Pourtant, au même moment, un élan de générosité s'était installé sur la toile et
plusieurs propriétaires de véhicules privés cubains mettaient, gratuitement,
leur moyen de transport à la disposition des services de santé.
Les soulèvements se
propageant dans de nombreuses villes du pays (ce qui est nouveau), Diaz Canel
avait appelé les Cubains à descendre dans la rue pour défendre la
Révolution. Pourtant la Plaza de
la Revolucion, dont la Police et la Seguridad contrôlaient les accès, était
restée étrangement déserte ! Je me
rends devant la Télévision Nationale ICRT Calle 23, en face du
Habana Libre, l'ancien Hilton. Pour un endroit stratégique qui serait tombé aux
mains des insurgés, selon certains ahuris de Facebook, l'ambiance est méga
calme, les journalistes, hommes de radio et de TV ainsi que quelques artistes
venus apporter leur soutien au régime, discutent tranquillement. Cependant,
dans certains quartiers populaires, l'ambiance est toute autre ! Pillage
de magasins d'Etat en MLC notamment à Mantazas où les pillards emportent tout,
matelas, systèmes d'air conditionné, cuisinières, victuailles et parfois
cassent sans rien voler. Une ménagère de 50 ans, à qui l'on donnerait le bon
dieu sans confession, hurle sur Facebook que des manifestants ont pris l'Hôtel
de Ville de Camaguey, l'une des plus grandes villes du pays, une ville assez
riche par rapport à d'autres. Un autre “post” Facebook montre des policiers à
moto fuir devant des manifestants dans cette même ville de Camagüey ! A la
Gûinera, un quartier excentré de la Havane, une voiture de police est
renversée, les manifestants la piétinent ! Images désastreuses pour le
régime !? Certains défilés, calmes, appellent à plus de “libertad”
(liberté), d'autres dénoncent les pénuries.
Mais comment en est-on arrivé là ?
Alors que s'est-il
passé ces dernières années et ces derniers mois ? Le rapprochement
opéré par Obama dès 2014 avait
ouvert de nouvelles perspectives et l'arrivée les mois suivants de paquebots ou
d'avions remplis de touristes notamment américains, au coeur de la capitale,
avait reboosté l'activité économique, dans le secteur étatique mais aussi dans
le domaine entrepreneurial privé. Seulement, Trump, pour des raisons purement
électoralistes, a bien pris soin de défaire tout ce qui pouvait être défait au
niveau des relations cubano-américaines. Petit rappel, les fameuses ondes
perçues par le personnel de l'Ambassade américaine en 2016 avaient été le
prétexte grotesque d'un durcissement du gouvernement américain. Pourtant, Raul
Castro alors Président de la République avait invité le FBI à venir enquêter sur le sol cubain
avant d'essuyer le refus du Département d'Etat. Forcément ! Le Trésor
américain a alors nettement durci le ton au niveau des remesas
(envoi d'argent depuis les USA vers Cuba) et les restrictions de voyage vers
l'île crocodile s'étaient tellement renforcées qu'elles avaient de quoi
décourager le touriste yankee n'ayant pas de famille à Cuba. Malgré cela, le
tourisme canadien et européen, accessoirement russe et chinois, permettait de
maintenir Cuba la tête hors de l'eau, tout
comme l'envoi de médecins à travers le monde. Cela ne pouvait pas durer et la
pression s'est encore accentuée sur le secteur bancaire international. Ainsi,
le 30 juillet 2020, le site cubain gouvernemental ACN indiquait que la banque d'affaires cubaine HAVIN BANK LTD (Havana International Bank Ltd), reliée directement à
la Banque Centrale Cubaine et qui opérait depuis 1973 au Royaume-Uni avait été mise sur la
liste noire des banques par l'OFAC (Officine chargée du contrôle
des activités étrangères dépendant du Trésor américain) parce
qu'en relation avec des “activités comme le terrorisme et le narcotrafic” !
FAKE NEWS ! Le Secrétaire d'Etat américain
pour les affaires latino-américaines déclarait ainsi en juillet
2020 : “ Nous devons restreindre les autres sources financières clés de façon à
forcer le régime à affronter les déficiences de son modèle et permettre plus de
liberté à son peuple” (Cubanews, 07/2020). La ligne américaine reste claire : tout contact avec cet
établissement au Royaume-Uni et à travers le monde entraînera des sanctions et
des poursuites et amendes salées du Trésor américain, et ce, au nom de la
fameuse extra-territorialité des lois américaines ! En clair,
l'application de la loi du plus fort ! Cuba a dû acheter deux petits tankers fin
2019 car certains armateurs ne voulaient même
plus déverser leurs cargaisons de pétrole à Cuba.
La claque du COVID !
L'enthousiasme suscité par le développement
économique notamment pour les personnes louant des chambres aux étrangers ou
ayant des restaurants privés (commerce qui peut s'avérer très lucratif pour
certains malgré la concurrence) avait fait naître beaucoup d'espoir vite douché
par TRUMP puis par le COVID19. Le virus, malgré les précautions prises par le
gouvernement cubain avait fini par rentrer dans le pays en avril 2020 ! Sa propagation était assez lente jusqu'au dernier
trimestre 2020 car le pays avait fermé ses portes à de nombreux pays infectés
et avait annulé ou restreint drastiquement les vols vers l'Europe. Malgré les
mesures de 7taine obligatoire peu respectées par les voyageurs assignés à domicile, les consignes quotidiennes du Docteur
Duran, porte-parole du MINSAP (Ministère de la Santé) et ses propos
accusateurs vis-à-vis des touristes étrangers, la transmission exponentielle
autochtone du virus n'a pu être évitée. Il faut dire qu'avec plusieurs mois de
retard dans la mise au point des vaccins cubains, des queues de 500 personnes
pour aller acheter du pain ou jusqu'à 2 000 pour acheter du poulet, il était
difficile d'éviter la propagation quasi générale du virus et ce, malgré le port
du masque obligatoire en extérieur (y compris dans les véhicules), un
couvre-feu à 21 h à la Havane, voire à 18 h, et la fermeture des commerces à
13h dans d'autres provinces. Les plages havanaises, exutoire naturel pour les
populations des quartiers pauvres de la Havane durant l'été aux températures
souvent écrasantes, sont restées fermées.
L'interdiction des déplacements
inter-provinces ont eu pour conséquence une chute drastique de la production
agricole nationale. Selon certaines sources, la production cubaine
de haricots, si prisés par les Cubains, a chuté de -49%, (-90% selon d'autres
sources), le riz -47%, le porc – 45%, les légumes -23%. De plus, avec les
difficultés d'approvisionnement liées au transport mondial, la hausse des prix
des matières premières, la situation intérieure est devenue critique.
à suivre dans le prochain numéro...
Moncada, 11.09.2021