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dimanche 26 septembre 2021

 

Bure : projet de poubelle nucléaire

 

Mené depuis 1994 par l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le Centre industriel de stockage géologique (Cigéo) est un projet d’enfouissement de déchets nucléaires, entre Bure et Saudron, à la limite de deux départements, Meuse et Haute-Marne. Qu’est ce que ce projet abracadabrantesque ? A quel stade en est-il et quelles luttes s’organisent ?

 Le Cigéo, c’est quoi ?

 Les déchets radioactifs sont des substances essentiellement issues de l’industrie nucléaire  qui émettent de la radioactivité. Comme leur nom l’indique, ils ne peuvent plus être utilisés pour quoi que ce soit mais demeureront radioactifs - et donc dangereux - pendant des centaines, des milliers, voire des millions d’années. Ce sont des déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue qui sont destinés à Cigéo. Ces deux catégories désignent les déchets les plus radioactifs, et donc les plus nocifs. 85 000 m 3 de ces déchets seraient stockés à 500 mètres de profondeur dans 300 kilomètres de galeries et d’alvéoles. S’ils ne représentent que 3% du volume total, ces rebuts sont responsables de plus de 99% de la radioactivité émise par les déchets issus des centrales nucléaires.

 

La radioactivité ne se voit pas, ne se sent pas mais peut avoir de graves conséquences sur la santé humaine tels cancers, malformations, décès. Le concept n’est pas de neutraliser définitivement les déchets nucléaires mais seulement de les installer sous terre, en attendant que leur radioactivité décroisse. Le cahier des charges de l’Andra est clair, il faut « confiner, retarder et limiter le retour des radionucléïdes à la surface terrestre ». On compte donc sur le sous-sol, les bétons et la ferraille pour retenir le plus longtemps possible une radioactivité qui s’échappera inévitablement des colis de déchets enfouis, via l’eau et les failles souterraines, les gaz émis ou encore si un accident survient. Enfouir ces déchets est un pari, pas une solution.

 

Cigéo, ce serait : 265 km de galeries souterraines (l’équivalent d’un métro parisien et demi), des milliers de colis de déchets radioactifs, 600 hectares d’installations de surface et de puits de ventilation des gaz souterrains toxiques, un réseau routier et ferroviaire commun à la population et aux déchets nucléaires et 130 ans de chantier simultané (danger et nuisances considérables assurés pour les riverains).

 

Le laboratoire de Bure a été construit en 1999 pour analyser le sous-sol sauf que, les autres lieux ayant démontré, par leurs édiles locaux, une belle vigueur d’opposition, il reste le seul lieu pressenti pour y construire Cigéo. L’Andra a des moyens humains et financiers considérables. Dotée de nombreuses équipes de scientifiques, de techniciens ou encore de communicants redoutables, elle travaille et se distingue par un optimisme sans faille. Elle délivre aux élus et à la population une vision idéalisée du projet Cigéo. Ainsi les questions dérangeantes sont évacuées, les risques les plus énormes escamotés ou minimisés et les inconnues soi-disant solutionnées dès que soulevées. Or, des scientifiques indépendants ont révélé des problématiques essentielles : potentiel géothermique sous Bure, déchets potentiellement inflammables, hydrogène explosif, couche argileuse pas si fameuse…

 

Feu vert pour le « train d’enfer » ?

 

Le feu vert à Cigeo impliquerait  le transit (par voie ferrée et sur les routes) de 85 000m3 de déchets d’une toxicité radioactive et chimique supérieure à n’importe quel autre matériau industriel produit à ce jour. Les principaux risques liés aux transports de déchets radioactifs sont :

- l’irradiation : exposition des personnes à la radioactivité

- la contamination : interne en cas d’inhalation ou d’ingestion de particules radioactives, externe en cas de dépôt de ces particules sur la peau ou dans l’environnement

- le démarrage d’une réaction en chaîne non contrôlée, sur le même principe qu’une bombe atomique qui peut conduire à une explosion nucléaire, avec libération massive de radioactivité

La réglementation générale limite l’exposition autorisée par personne et par an à 1 mSv (millisivert), celle des transports contrevient à ce principe en permettant des expositions allant jusqu’à 2mSv par heure au contact des matières transportées. Il suffit donc de rester une demi-heure à côté d’un véhicule transportant des matières fortement radioactives pour atteindre la dose annuelle de rayonnement autorisée.

 

Centraliser le stockage des déchets radioactifs sur un site unique nécessiterait un ballet de transport phénoménal à travers le pays et dans les régions concernées, assorti de lourdes nuisances. L’Andra a prévu que la majorité des déchets radioactifs soit transportée en train depuis leurs sites d’entreposage actuels, situés principalement à la Hague (Normandie), à Marcoule (Gard) et au Bugey (Ain). Au plus fort de l’activité de Cigéo, l’Andra table sur le passage d’environ 60 trains par an soit 5 par mois ou 1 à 2 par semaine, auquel il faudrait ajouter 110 camions qui transporteraient les déchets radioactifs issus de la fabrication des bombes atomiques, depuis l’usine du CEA situé à Valduc (Côte d’Or).

 

Dans le cadre de ce projet qui doit être exploité pendant au moins 130 ans, les transports ne se limiteraient pas aux seuls déchets radioactifs acheminés par voie ferrée ou par la route. Les personnes, la terre excavée, le matériel et les matériaux nécessaires à la construction des infrastructures de Cigéo puis à son fonctionnement impliqueraient dès le départ des transports incessants. Au plus fort de la phase de construction, l’Andra prévoit le passage de 210 camions par jour ce qui entraînerait usure prématurée des routes, nuages de poussière, pollution de l’air et fortes nuisances sonores.

 

En 2011, le train le plus radioactif de tous les temps, surnommé le « Train d’enfer » a traversé la France et l’Allemagne pour atteindre le nord de celle-ci. A son bord, 11 conteneurs CASTOR de déchets hautement radioactifs : aucun transport cumulant en une seule fois autant de radioactivité n’avait jamais été réalisé. Si Cigéo est autorisé, ce type de transport roulerait toutes les semaines…

 

2021 : année décisive

 

L’Andra a déposé un dossier de Déclaration d’utilité publique (DUP), c’est une procédure administrative qui permet à l’Etat, en fin de procédure qui comprend notamment une enquête publique, d’exproprier les propriétaires refusant de vendre leurs parcelles ou terrains prévus dans la réalisation des infrastructures soi-disant d’intérêt général. La DUP légitimera, politiquement, le projet Cigéo en lui collant l’étiquette de « projet d’utilité publique ». Elle contraindra les mairies et les collectivités concernées à modifier leurs documents d’urbanisme pour les rendre compatibles avec le projet.

 

L’Andra prétend que la délivrance du décret « n’a pas vocation à autoriser la réalisation du centre de stockage », pourtant quand on scrute le dossier, elle souhaite démarrer les premiers travaux de Cigéo dits « d’aménagements préalables ». Ils provoqueront bien des destructions irréversibles, en particulier pour la flore et la faune. L’impact sera colossal pour le paysage et l’agriculture. De nombreuses nuisances sont à attendre de ces immenses chantiers (nuisances sonores, vibrations, pollutions des eaux et atmosphériques, etc.). Ils consistent notamment à construire un énorme transformateur électrique, deux postes électriques, à remettre en état des voies ferrées, la déviation de routes départementales, nécessitant une quantité d’eau très importante et la circulation incessante de poids lourds et engins de chantiers.

 

L’Andra tente également d’obtenir cette année la mise en conformité des documents d’urbanisme (MECDU) c’est-à-dire la modification des cartes communales et des plans locaux d’urbanisme (PLU) pour construire Cigéo et ses annexes sur des zones agricoles et naturelles.

La DUP et le MECDU signifient clairement le passage en force pour l’acquisition des terres agricoles qui manquent à l’Andra. En tout, 800 ha de terres ont vocation à être artificialisés seulement pour cette phase, alors que le projet Cigéo lui-même ne serait pas encore autorisé !

Tous les détails du projet de poubelle nucléaire se trouvent dans un assommant dossier d’enquête publique (1) de milliers de pages, qui ne répond pas aux questions essentielles : pertinence du choix de l’argile, réversibilité, sécurité du site, devenir du territoire, etc.

Le dossier de l’Andra a fait l’objet d’un avis négatif rendu par l’Autorité environnementale en janvier 2021 : « il serait rationnel, en application du principe de précaution, de chercher à limiter durablement la population exposée à l’aléa ». Le but de l’Andra est d’un côté d’acheter les consciences (avec 60 millions€ versés chaque année sur les deux départements), de l’autre, de vider le territoire de sa population. C’est ainsi qu’elle inonde d’argent public les communes pour refaire les routes, etc. mais laisse mourir des activités, les services de proximité, le collège …

 

Maison de la Résistance

 

En 2004, des anti-nucléaires de France et d’Allemagne créent l’association Bure Zone Libre (BZL). L’année suivante, ils achètent avec le réseau Sortir du Nucléaire, un vieux corps de ferme à rénover au cœur de Bure. Cela deviendra la « Maison de résistance à la poubelle nucléaire ». La maison est un lieu de contre-information sur Cigeo et d’organisation de la lutte. Aujourd’hui, elle est habitée toute l’année et elle est ouverte à toutes et à tous. Pour montrer que le territoire est loin d’être vide, et pour mettre des bâtons dans les roues de l’Andra, une dizaines d’autres lieux collectifs sont achetés ou loués autour de Bure. 

 

Les Rayonnantes

Fin Août, pendant 10 jours, plusieurs collectifs organisaient le festival « les rayonnantes » à côté de Bure. Le but, en plus de mener une lutte écolo anticapitaliste, est aussi  de s’attaquer à tous les systèmes d’oppression qui y sont liés : racisme, colonialisme, cishétéronormativité, classisme, validisme, spécisme… Le camp autogéré a accueilli jusqu’à 500 personnes par jour : ateliers, planning des tâches, cortèges, collectif de cantines et d’interprétariat, camping en mixité choisie, artivisme, documentaire, émission de radio, etc. Des moments de vie intense, d’exaltation militante et d’expérience de l’utopie…

 

Association de malfaiteurs

Après 4 années d’instruction pour « association de malfaiteurs », des milliers d’heures d’écoutes par la gendarmerie, un dossier de 15 000 pages, des mètres cubes de matériel saisi, un harcèlement policier omniprésent dénoncé par la Ligue des Droits de l’Homme, le procès des 7 « malfaiteurs » s’est tenu début juin au Tribunal de Bar-le-Duc. Le verdict est tombé le 21 Septembre à Nancy : tous relaxés de l’accusation d’association de malfaiteurs mais 2 personnes condamnées à de la prison ferme (12 et 9 mois). Cette annonce a été accueillie au milieu des militants venus les soutenir avec stands et animations festives.

La lutte continue. L’enquête publique, prévue du 15 septembre au 24 octobre, sera émaillée de déambulations informatives et festives, animations, documentaires, etc. (2).

 

Loin du fatalisme et de la résignation, n’oublions pas que Cigéo n’est pas encore lancé. Il a déjà subi de très nombreux retards et les dossiers qui sont présentés sont toujours bancals. Le projet Cigéo est destructeur et mortifère. Il est important de lutter contre cette DUP, ainsi que contre les expropriations qui suivront.

 

Stéphanie Roussillon, le 22.09.2021

 

(1)  www.andra.fr/cigeo/les-documents-de-reference

(2)  voir le programme sur onestpasdup.noblogs.org  

Voir aussi : bureburebure.info ; stopcigeo-bure-eu