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dimanche 26 septembre 2021

 

Face aux exilés, le visage hideux de l’Europe

 

Avec le retour des talibans au pouvoir en Afghanistan et les conséquences pour celles et ceux qui vivent là-bas, plus particulièrement les femmes, les prises de position compassionnelles et alarmistes quant à une future nouvelle « crise » migratoire ne manqueront pas, à l’heure de la campagne pour les présidentielles. Macron a dégainé le premier. Dès le 16 août, il promet protection aux ressortissants afghans. Pas de plan d’évacuation élargi, ni de visas ou de corridors humanitaires, des opérations ciblées : « de nombreux Afghans, défenseurs des droits, artistes, journalistes, militants, sont aujourd’hui menacés en raison de leur engagement… Nous les aiderons ». Mais il affirme aussitôt : « Nous devons anticiper et nous protéger contre des flux migratoires irréguliers importants qui mettraient en danger ceux qui les empruntent, et nourriraient les trafics de toute nature ». Le ton est donné, laissant place à l’instrumentalisation de celles et ceux qui sont ballotés d’une frontière fermée à une autre, devenant des errants à la recherche du droit d’exister. La peur de « l’envahissement » permettra des mesures de contrôle et d’expulsion renforcées. Bref, l’Union européenne va pouvoir, à nouveau, prouver qu’elle a une politique migratoire construite : celle du refoulement et du rejet.

 

Les exilés,  un moyen de chantage entre les Etats

 

Les exilés sont, de fait, considérés comme des marchandises, bloqués aux frontières, instrumentalisés par certains Etats pour faire pression entre pays de l’UE ou avec des pays extérieurs à l’UE. Quelques exemples illustrent cette réalité sordide.

 

Mi-mai 2021, près de 10 000 jeunes Marocains et Subsahariens pénétraient dans l’enclave espagnole de Ceuta. Comment de telles arrivées  sont-elles possibles à la seule frontière terrestre de l’UE avec l’Afrique, si « bien gardée » ? C’est que les relations entre Madrid et Rabat se sont tendues suite à l’accueil en Espagne, fin avril, pour raisons médicales, du chef des indépendantistes sahraouis du Front Polisario, Brahim Ghali (cf encart). Pour montrer sa désapprobation, le Maroc a rendu la frontière poreuse et diminué drastiquement ses contrôles aux abords des enclaves espagnoles, acte qualifié par le 1er ministre espagnol de « manque de respect envers toute l’UE ». Et le respect des exilés jetés d’un côté à l’autre des frontières, quand en parle-t-on ?

 

Au Royaume Uni, plus de 8 000 migrants auraient rejoint les côtes britanniques à bord d’embarcations de fortune depuis janvier : en 6 mois, un chiffre équivalent à toute l’année 2020. Cela fâche Monsieur Johnson qui menace de repousser les personnes (comme des paquets encombrants) dans les eaux territoriales françaises, selon la méthode du pushback (« je te refile le paquet »), bien connue de Frontex en Méditerranée. Darmanin, agacé de cette ingratitude britannique, énumère tous les efforts de la France depuis le traité du Touquet, en 2003, qui transfère la frontière britannique sur le territoire français, et notamment le doublement des effectifs policiers. Et le préfet du Pas-de-Calais invente tous les jours : il vient d’interdire dans 6 communautés de communes du département, la vente et l’achat de plus de 10 litres de carburant à emporter, sauf usages professionnels ou nécessités dûment justifiées ! Londres presse Paris et l’UE de trouver un accord sur le dossier des renvois : on le comprend, Johnson, lui qui avait fait du contrôle des frontières l’un des plus importants arguments  en faveur du Brexit, de voir tous ces arrivants, c’est enrageant, d’autant que depuis le 1er janvier, le RU est sorti du régime d’asile européen commun et ne peut plus bénéficier du règlement Dublin, donc ne peut plus renvoyer les demandeurs d’asile dans leur pays d’entrée en UE. Le flegme british s’émousse… Les oppositions travaillistes et ONG britanniques dénoncent la non application du droit international obligeant au sauvetage en mer, et le caractère criminel, honteux, de la réaction du gouvernement britannique. Darmanin, côté français, ne lésine pas sur les moyens ; il a fait procéder, le 13 septembre, au 3ème démantèlement (depuis l’été), d’un camp d’une centaine de migrants à Calais, mobilisant un arsenal policier : 2 vans de la Police aux Frontières, 8 camions de CRS, 6 vans de gendarmerie mobile et 11 voitures de la gendarmerie nationale, plusieurs motos de la police nationale. Cette stratégie ne marche pas et les organisations militantes, comme La Cabane juridique pointent la vanité des expulsions en flagrance (confiscations de tentes et de bâches) toutes les 48 heures ainsi que les expulsions mensuelles plus conséquentes : tous ces moyens disproportionnés ne serviraient-ils pas au pouvoir pour prouver « l’envahissement » ? Les personnes emmenées pour une mise à l’abri, pour la plupart ne peuvent plus demander l’asile en France (soit parce qu’elles ont été déboutées, soit parce que le demandeur est « dubliné ») finissent le plus souvent à la rue… Et voilà que la ministre britannique Pattel menace de ne pas verser les 62.7 millions € promis à la France (qui fait valoir que ça lui coûte 200 millions par an) « à moins que davantage de bateaux ne soient interceptés ». Si ce n’est pas du chantage, qu’est-ce donc ?  

 

Depuis le début de l’été, les Etats baltes et la Pologne ont vu une augmentation des arrivées en provenance de Biélorussie. La Lituanie a recensé, mi-août, plus de 4 000 arrivées depuis début 2021 (81 pour toute l’année 2020). La Pologne et la Lettonie sont également concernées : plus de 10 000 personnes, venues d’Irak, d’Afghanistan ou d’Afrique, bloquées aux frontières UE/Biélorussie. Pays baltes et Pologne ont durci immédiatement leurs politiques migratoires, en violation du droit international et européen qui garantit l’accès à une procédure d’asile équitable. Chacun s’est enfermé dans son Etat forteresse, la Lituanie a décidé de construire une clôture le long de la frontière avec la Biélorussie. Que s’est-il passé ? Le despote biélorusse Loukachenko a, volontairement, acheminé des milliers de migrants vers Minsk, ses garde-frontières les poussant ensuite vers le territoire de l’UE (Lituanie, Lettonie et Pologne), et ce, en rétorsion de leur accueil des  opposants biélorusses pourchassés par lui-même.

 

Ce chantage, la Turquie l’a exercé en mars 2020, pour contraindre l’UE à lui apporter un soutien concret en Syrie (à Idlib notamment) et a menacé d’ouvrir ses frontières et de laisser les migrants « se répandre » en UE, via la Grèce qui, aussitôt, a renforcé ses frontières.  

 

L’accueil des exilés, les notions de protection et d’asile, ne sont plus un sujet en soi en UE. On assiste à une mise en scène publique d’un mauvais théâtre de boulevard fait de tiraillements et de mensonges entre Etats, se jouant sur le dos des exilés, leur fermant les portes d’entrée d’un inaccessible Occident. 

 

2 – Les portes d’entrée en UE se ferment

 

Le retour des talibans au pouvoir constitue pour une partie de la population, une menace à laquelle les Afghans tenteront d’échapper, soit en résistant à l’intérieur du pays, soit en cherchant asile et protection ailleurs. Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime à environ 500 000  le nombre de personnes déplacées à l’intérieur du pays depuis début 2021 et à près d’un demi-million supplémentaires qui pourraient fuir d’ici fin de l’année, en priorité dans les pays frontaliers.

 

Evoquant « le devoir moral » de l’UE, Mme Von der Leyen use d’hypocrisie pour tenter de dissimuler le refus de voir les bouleversements d’aujourd’hui et de demain, dus pour une grande part aux interventions occidentales. Refusant d’envisager une stratégie d’accueil, les ministres de l’intérieur de l’UE ont adopté le 31 août une déclaration sur la « nécessité d’accroître le soutien » aux pays limitrophes de l’Afghanistan afin qu’ils accueillent et protègent les Afghan-e-s. Autrement dit : faites comme je dis mais pas comme je fais ! L’UE est prête à débloquer une aide humanitaire de 200 millions € au profit de l’Afghanistan, du Pakistan, de l’Iran et du Tadjikistan en 2021. Les Etats européens, quant à eux, renforceront les contrôles aux frontières extérieures de l’UE avec le soutien « musclé » de l’agence Frontex. Seul le ministre de l’immigration luxembourgeois a plaidé en faveur de la réinstallation, demandant un engagement de l’UE à hauteur de 40 000 à 50 000 places. Autriche, Danemark, République tchèque, Hongrie et Slovénie se sont opposés à tout accueil en UE.

 

Pire encore ! Le ministre afghan des réfugiés et du rapatriement, début juillet, a exhorté les Etats européens à faire preuve de solidarité en cessant les renvois pour 3 mois. Si certains Etats ont répondu oui immédiatement (Suède, Finlande), si les Pays-Bas, la France et l’Allemagne ont suspendu les renvois forcés, la Grèce et l’Autriche – malgré la sommation de la Cour Européenne des droits de l’Homme le 2 août, demandant à cette dernière de suspendre le renvoi d’un Afghan - ont décidé de les poursuivre. Près de 1 200 personnes depuis début 2021 auraient été renvoyées de l’UE. Plus cynique encore : des pays ont suspendu officiellement les éloignements mais n’ont pas renoncé aux transferts au titre du règlement Dublin vers des pays européens qui, eux, pratiquent les expulsions. Ainsi un Afghan a été renvoyé le 24 août vers l’Autriche par une préfecture française (1). Le 3 septembre, le parlement grec a proposé une loi visant à accélérer les expulsions de migrants déboutés de l’asile, notamment des Syriens et des Afghans, les exposant à un renvoi vers la Turquie, que la Grèce a déclaré « pays tiers sûr ».

 

Dans les faits, la politique de renvoi n’est pas probante. La Cour des comptes européenne a établi un rapport critique des procédures de réadmission menées par l’UE. Chaque année, depuis 2008, seul un tiers retourne effectivement dans un pays de renvoi. Elle conclut à l’efficacité insuffisante du système de retour du fait du « manque de synergies » entre les Etats membres. En  France, Macron fanfaronnait et affirmait pouvoir atteindre, en fin de mandat, un taux de réalisation des OQTF (obligations à quitter le territoire français) à 100 %, il en est bien loin, à 12/15 %. Il doit compter, en effet, avec la volonté des pays d’origine à délivrer ou non des laissez-passer consulaires - ce qui ne va pas de soi – et il se heurte également au refus de partir des exilés. Cette politique n’est qu’une machine à produire des sans-papiers.

 

La Grèce ne veut plus d’exilés mais de nouveaux lieux de détention voient le jour, s’ajoutant aux camps de migrants ressemblant à des prisons à ciel ouvert. Le pushback, refoulement forcé et illégal de migrants en mer Egée se pratique couramment. « Ils font de la politique avec les réfugiés. Je me vois comme une balle que la Grèce passe à la Turquie, que la Turquie passe à l’Iran et que l’Iran tire vers un autre pays » déclare un exilé. C’est une politique sans issue.

 

3 – Le visage hideux de l’UE

 

L’exilé, une marchandise. La preuve ? Le Danemark a délocalisé le droit d’asile et pratique la sous-traitance. Il a signé un protocole d’accord avec le Rwanda, chargé de la migration, l’asile, le retour et le rapatriement des demandeurs d’asile du Danemark. Il y a de l’argent à gagner. Le HCR voit là une façon de ne pas assumer les obligations en matière d’asile, mais son rôle se limite à souligner que c’est contraire à l’esprit de la Convention de 1951 sur les réfugiés. Il craint un processus d’érosion progressive du système de protection internationale créé il y a 70 ans.

 

Face au fiasco du retrait étatsunien d’Afghanistan, l’UE craint une émigration de masse. L’Allemagne et la Suède ont déjà prévenu qu’elles ne procèderont pas à l’accueil des Afghans comme elles l’ont fait pour les Syriens.  Par ailleurs, la répartition des exilés au sein de l’UE la divise profondément. Il n’y a donc à ses yeux qu’une solution : arrêter le flux avant qu’il n’atteigne l’UE, dans les pays voisins qui pourraient être financés. Certes, dit un député d’Europe du nord, « c’est un peu cynique, ou ironique, de demander aux autres de garder leurs frontières ouvertes alors que nous voulons fermer les nôtres… C’est drôle, ils ont du mal à comprendre ». Ce n’est pas gagné, d’autant que le dialogue avec le Pakistan ou l’Iran ne soulève pas l’enthousiasme, tout comme avec la Turquie estimant que l’UE ne tient pas ses engagements de 2016 (4 millions de Syriens sont établis en Turquie).

 

Alors, faut-il barricader l’UE derrière des murs anti-migrants ? Déjà 1 000 kms de murs ferment les entrées terrestres. En 2015, la Hongrie construit un mur sur la frontière serbe de 175 kms de long avec des barbelés de 4 mètres de haut. Ce mur a inspiré l’Autriche, la Slovénie à la frontière croate, la Grèce à la frontière turque (40 kms sous surveillance électronique, 1 200 gardes-frontières supplémentaires sur terre et en mer, un des plus sophistiqués technologiquement) et bien d’autres, comme Ceuta et Melilla fermant les passages venant d’Afrique. Les très nombreux qui passent par la mer sont arrêtés par l’agence européenne Frontex qui les renvoie vers les prisons libyennes, notamment. Les Grecs ont, même, envisagé un mur en mer Egée ! « L’UE a du sang sur les mains » (3), c’est elle et ses Etats membres qui décident de renforcer les frontières au mépris de la protection des personnes. Cette politique violente, exercée par l’agence Frontex, fait l’objet d’actions dans 7 pays et l’association Front-Lex, qui a engagé un recours contre elle pour violation de droits humains, évoque le « caractère génocidaire » de la politique menée à l’encontre des migrants. 

 

Jusqu’à quand une telle politique peut-elle durer ? La vieille Europe peut-elle vivre en s’enfermant ? Comment lutter contre les fausses « bonnes raisons » de rejeter les migrants qui représenteraient, comme ils disent, des flux incontrôlables « d’irréguliers », un poids économique insupportable, etc… En revisitant l’histoire récente du droit d’asile, Karen Akoka (4) nous propose les réflexions suivantes.

 

Depuis 30 ans, l’interprétation très restrictive de la Convention de Genève impose de prouver qu’on a été individuellement persécuté pour obtenir le statut de réfugié. Cette restriction n’est pas inscrite dans la Convention. D’ailleurs, après la guerre du Vietnam, en 1975, Giscard d’Estaing a acheminé par avion 130 000 personnes. Pas question, alors, de discuter sur les « vrais » ou les « faux » réfugiés. Inutile de prouver les persécutions individuelles. Il y avait un intérêt politique à accorder l’asile à des personnes fuyant un pays communiste. Il s’agissait de décrédibiliser cette idéologie. Quand les gouvernants affirment que le poids démographique et économique serait insupportable, ont-ils évalué le coût du non-accueil et les sommes dépensées pour les murs érigés, les forces de l’ordre démultipliées, les technologies sophistiquées, les centres de rétention, les retours en avion, etc. ?

 

Tenant compte de ces constats, il y a nécessité à défendre une politique migratoire d’accueil, pour permettre aux populations subissant la guerre, la misère et les persécutions mais aussi les catastrophes climatiques qui s’annoncent, de trouver refuge et protection. Solidarité internationale ou barbarie ?

 

Odile Mangeot le 19.09.2021 

sources : France Terre d’Asile, InfoMigrants

 

(1)   France Terre d’Asile

(2)   à l’air libre Médiapart  émission du 14.09.2021 - Employés oubliés de l’armée, la France ne s’honore pas

(3)   Agir pour la paix et association Front-Lex (PES n° 75 - rubriques Ils, elles luttent/ Nous avons lu

(4)   Karen Akoka, sociologue, auteure de L’Asile et l’exil, la Découverte 2020

 

Encart

Le conflit au Sahara occidental, ancienne colonie espagnole classée « territoire non autonome » par les Nations Unies, oppose depuis plus de 45 ans le Maroc au Polisario, soutenu par l’Algérie.

 

Encart

Depuis le 15 août, la France aurait  accueilli 2 500 Afghans (personnels civils de recrutement local-PCRL) auxiliaires de l’armée française, l’Allemagne, 2600, l’Espagne 2 200 et prévoit d’en accueillir jusqu’à 4 000, l’Italie propose d’en accueillir 5 000, le Royaume Uni a annoncé un programme pluriannuel de 20 000. Il faut rester prudent sur ces chiffres qui ne sont que des annonces.