Zemmour,
l’amour de la haine
Qu’est-ce
qui a permis l’apparition de l’aventurier Zemmour ? D’où vient-il ?
Qui l’a lancé ? Quels sont ses soutiens ? Quel est donc ce diagnostic
halluciné de la société française et ces propositions apocalyptiques, conduisant
à la guerre civile ? A quoi sert-il dans la conjoncture actuelle ? Il
semble troubler le jeu d’une facile reconduction du duel Le Pen-Macron au 2ème
tour des présidentielles. Le Rassemblement National social dédiabolisé serait-il
un trop grand risque et ne faudrait-il pas radicaliser son discours xénophobe
en lançant dans ses pattes un franchouillard, sexiste et islamophobe ? En
fait, pas besoin d’imaginer un complot : l’agenda de la classe dominante
demeure la poursuite accélérée du programme, imaginé en son temps par le grand
patron Denis Kessler : détricoter les acquis du Conseil National de la Résistance.
Trop de retard a été pris. Jupiter Macron s’est lui-même pris les pieds dans le
tapis de la contre-réforme des retraites. Le système est aux abois, entre chien
et loup et c’est dans ce « clair-obscur que surgissent les
monstres ». Alors, Zemmour, Nosferatu ou Méphistophélès dont Goethe disait
qu’il donne l’illusion de tout comprendre et de tout dominer ? Ou, au
contraire, une bulle médiatique qui crèvera après avoir inoculé la division et
la haine ?
D’où vient
ce Zemmour ?
Ses
parents, petits « israélites indigènes » ont bénéficié du décret
Crémieux, leur conférant la nationalité française. Ces berbères dont le nom
signifie huile d’olive ont voulu être plus français que ceux de souche : Liou
et Moussaka sont devenus Justin et Rachel. Rien d’extraordinaire à ce stade mais le fils
francisé aux origines « berbères », pour reprendre ses propres
obsessions, s’en est trouvé « complexé ».
Il souffrit de quolibets qui lui étaient adressés, surtout lorsqu’on le
comparait aux Zemour (avec un seul M), ces truands qui firent trembler Paris
dans les années 70. Lui, le transfuge de classe, humilié alors même qu’il
multipliait d’efforts pour s’assimiler ! Après Sciences Po, son échec à
l’ENA le laisse tout dépressif. Expert agricole ? Echec.
Publicitaire ? Echec. Il finit néanmoins par être embauché à Info matin sur recommandation de …
Mitterrand, lui, le décoré de la francisque pétainiste restait nostalgique de
sa jeunesse, il eut, certainement, quelque complaisance vis-à-vis de cet
apprenti vichyste. Le futur polémiste dut encore subir quelques rebuffades
notamment de Philippe Tesson qui l’avait recruté au Quotidien de Paris : « Ce type est pathologique, touchant et ridicule, animé d’une ambition
sans limite ». Il n’eut de cesse de se faire reconnaître par la
« belle société », consacra toute son énergie à se faire admettre
dans le très sélect club de l’Union interalliés et à tisser ses réseaux et ses
soutiens. Son ascension, d’abord l’Express,
puis le Figaro, le transforma :
de souverainiste de la France éternelle il devint l’apprenti historien
négationniste, identitaire d’un pays en voie de submersion. Juif assimilé
jusqu’à la mort, il fustigea « ceux
qui se font enterrer en Israël, ces étrangers qui veulent le rester ».
La xénophobie anti-arabe l’avait conduit à l’antisémitisme et ses lectures de
Maurras l’avaient convaincu ( !).
Bolloré, la
piste de lancement
Tout
a, peut-être, commencé entre fin février et juin 2021. Le tribunal
correctionnel condamne l’homme d’affaires pour corruption au Togo. Il plaide
coupable et allonge les 12 millions d’euros d’amende. Il est persuadé que
Macron et sa Brigitte Trogneux sont derrière cette « affaire ». Il
s’apprête à contrôler le groupe Lagardère et il trouve Bernard Arnault de LVMH
dans ses pattes. Macron, toujours, qui se serait également opposé à
l’absorption de M6. C’en est trop, il prend rendez-vous avec Macron. Il veut en
avoir le cœur net et régler ses comptes. Brigitte le reçoit : « Comment peut-on vous aider ? ».
Vexé. C’est un affront, on n’aide pas celui qui est reçu comme un chef d’Etat en Afrique. « En rien » répond-il. « Qui me met des bâtons dans les
roues ? ». Macron mielleux : « Mais enfin, arrêtez ! Vous achetez tout ». Ça sonne comme
un aveu ! Pour le boulimique Bolloré (surnom : général Tapioca), c’est
une déclaration de guerre. Pourtant, le président par effraction n’a pas
tort : sans compter la gestion de ports en Afrique et son soutien aux
dictateurs affairistes, Bolloré, c’est C News, TF1, C8, I Télé, Europe 1, des
éditions comme Plon, Editis, Hachette… sans compter Havas, Vivendi et autres
participations actionnariales.
Zemmour,
le missile de Bolloré ? Macron à l’Elysée n’en est que le locataire
provisoire. Il va sentir le poids du boulet, « Z va ouvrir la porte à la droite au 2ème tour ».
Avec la comtesse Pécresse, cette prophétie du grand capitaliste serait-elle
auto-réalisatrice ? Le bloc des bourgeois des hautes sphères n’est-il pas
divisé ? La peur les tenaille. Comme Luc Ferry affolé, suffoquant que les
flics n’aient pas tiré dans le tas des Gilets Jaunes. Et puis, la politique de
Macron-Darmanin contre les migrants n’a- t-elle pas fait monter le racisme
anti-migrants, repoussé les assauts de ces cgtistes et autres Adama des
banlieues ? Zemmour c’est la voie de la meute d’extrême droite fascisante
en jachère depuis la dédiabolisation de Le Pen. Celui qui contamine en outre
cette droite trop molle. Ça va turbuler : face au souffle pestilentiel, toutes
les outrances sont possibles.
Les soutiens
du Rastignac xénophobe
Chez
les patrons, il n’y aurait pas d’hostilité généralisée. D’ailleurs, l’égérie de
Zemmour, Sarah Knafo, jeune énarque de
28 ans, n’hésite pas à les solliciter. Ce poisson-pilote de la bourgeoisie réac
navigue dans tous les réseaux de la caste politicienne. Et la pêche pour
l’heure est miraculeuse : Henri de Castrie le filloniste, l’énarque
Jean-Yves Le Gallou, Henri Guaino le nationaliste sarkozyste, Isabelle Balkany
la corrompue, l’inénarrable Finkelkraut, Luc Ferry cet ex-ministre prétendant
que ce champion peut reconquérir « les
territoires perdus de la République »… et même Jacques Julliard, ce
chantre de la 2ème gauche rocardienne trouve qu’il énonce des
vérités car il faut reprendre le contrôle de l’immigration.
Mais,
au-delà de ces nombreuses personnalités, dont le sulfureux multimillionnaire suisse,
islamophobe, sexiste et raciste, Marc Bonnant, qui a mis l’hôtel Hilton à
Genève à la disposition de son ami, il y a le gros des troupes disparates
issues des milieux les plus réacs : des cathos traditionnalistes, des
partisans de De Villiers, des militants ex-chevènementistes, de Génération
Identitaire, les ultra-conservateurs de Sens Commun, des intégristes de
Civitas, des royalistes d’Action Française et des organisations comme le Parti
de la France ou Vigilance Hallal ainsi que des dissidents de LR, du RN comme
les mégrétistes et la troupe de Maréchal-Le Pen. Tout ce beau monde des
catacombes de l’histoire ne serait rien sans la grosse caisse de résonnance
médiatique. Pas celle, minuscule, du youtubeur Papacito, mais celle des
plateaux TV et des journaux de la presse dominante qui, avec plus ou moins de
célérité, s’abreuvent à la nauséabonde idéologie du « grand remplacement »
de l’écrivain Renaud Camus. Qu’importe son pédigrée et sa condamnation en 2014
pour « provocation à la haine et à la violence », l’important est de
faire de l’audience !
Diagnostic
apocalyptique et négationnisme
L’apôtre
de Barrès pourrait reprendre à son compte les mots de Goebbels : plus le
mensonge est gros, plus ça passe. Attention aux effluves de la diarrhée
verbale : citations pour petits blancs franchouillards : « les jeunes de banlieue y font régner l’ordre
islamique ; ils détestent la France, disent qu’ils ne sont pas
Gaulois : qu’on les renvoie ». « On leur a donné les HLM, ils les ont dégradés ; ils ont chassé les
français ». « Ils
bénéficient d’un assistanat incroyable qui plombe nos entreprises ». « Ce
sont des inactifs qui n’ont rien à faire chez nous ». Quant aux « étrangers en surnombre ce sont des délinquants
qui mènent le djihad contre les infidèles ». « On ne peut laisser entrer les barbares »,
ce sont des « conquérants »,
nous « subissons une invasion
migratoire ». « Il faut
sauver notre civilisation », s’opposer « à la conquête de nos territoires » face au projet « d’islamisation du monde » « Dans la guerre des civilisations, il faut
passer à l’offensive ». La violence des propos appelle à la ratonnade
et au lynchage.
Afin
de trouver une assise prétendument historique de la défense de la France
chrétienne éternelle, le propagandiste de la haine présenté par les médias
complices comme un homme cultivé, brillant, nous assène sa logomachie
révisionniste. Pétain aurait sauvé les juifs français, la France n’a pas
profité de l’Afrique, c’est l’Afrique qui lui a coûté. Pas question de
repentance sur l’esclavagisme ou le colonialisme. La France éternelle de
1 000 ans d’existence, c’est celle de « notre père Napoléon, notre grand-père Louis XIV et de notre arrière-grand-mère
Jeanne d’Arc ». Loufoque !
Des
propositions de guerre civile
La
falsification de l’histoire n’a que faire des droits de l’Homme, du préambule
de la Constitution de 1946 introduite dans celle de 1958, comme d’ailleurs de
toutes les lois antiracistes qu’il veut supprimer. Non seulement, il prétend remplacer
le droit du sol en instaurant le droit du sang, mais lui, le
« métèque » pense-t-il vraiment qu’il a du sang bleu ? Cette
fantasmagorie s’accompagne de propositions propres à mettre le pays en chasse
contre les noirs, les arabes, les « gris ». Il se propose donc
d’organiser des charters pour tous ceux qui ne possèdent pas de titres de
séjour. Il veut en faire de même pour les délinquants, les binationaux qui
imposent « leur loi, leur dieu,
leurs mœurs » ; il traquera les clandestins et supprimera l’aide
au développement pour les pays qui refuseraient l’expulsion de leurs
ressortissants (comme l’a proposé aussi Montebourg !). Aux frontières, il
fera construire des murs quoi qu’il en coûte et instituera une police
militarisée sur ces lignes Maginot. Puis « on arrêtera de soigner ces étrangers, finie l’aide médicale de
l’Etat ». Qu’ils crèvent mais « ailleurs que chez nous ». Faudra-t-il des camps de
concentration ? On ne sait…
Cet
aventurier s’y voit : « la
France veut un roi élu pour retrouver le patriotisme et le sens de l’autorité
de l’Etat ». Avec lui, cette France rance ne sera plus le
« protectorat des USA », ni assujettie à l’Allemagne et à « l’Europe immigrationniste » ( !).
Bref, il entend nous faire ingurgiter de l’huile d’olive à en vomir, ce
petit Nosferatu à tête de fouine dont la lie de la société s’imagine qu’il est
un Gaulois de pure souche.
A quoi
sert-il ?
Le
bloc bourgeois, affolé, est divisé face à la montée des périls. L’ordre
dominant doit être restauré avec la plus grande violence si nécessaire, pour le
bien être des 10 à 20 % qui prospèrent sur le néolibéralisme, les gagnants prêts
à tout pour s’enrichir et éviter toute imposition et taxes malencontreuses. Sarko,
l’énervé du karcher, s’est fait virer. On a pu éviter Strauss Kahn, le
« brillant économiste » trop libidineux ; Hollande l’ectoplasme
et Valls le laïcard ont bien prôné la déchéance de nationalité, le séparatisme,
ça n’a pas suffi à mater la montée de la colère. Pour les dominants, leur
candidat était Fillon clamant que les caisses de l’Etat étaient vides mais qui
ne pouvait s’empêcher, à l’aide de Pénélope et de sa progéniture d’y piocher
allègrement sans sourciller. Puis, contre toute attente, par effraction, ce fut
le fourbe, arrogant, Macron qui buta sur la mobilisation des Gilets Jaunes et fut
dans l’incapacité de faire aboutir sa contre-réforme des retraites.
Kessler,
apôtre de la mondialisation, avait pourtant fixé le cap : détruire tous les
acquis du Conseil National de la Résistance, la Sécurité Sociale et les trop
dispendieux services publics. Tout devait être marchandisé. Bref, les
représentants de la classe dirigeante ne sont pas à la hauteur des aspirations
des dominants. Tous ces milliardaires trépignent et sont prêts depuis des
lustres à jouer avec le feu incendiaire de l’extrême droite. Le RN dédiabolisé
ne suffit plus, Macron et ses macroniens n’ont pas de colonne vertébrale, faute
d’implantation locale, pour tenir le pays. Il ne reste que la droite droitisée.
La tigresse Pécresse peut-elle relever le défi et se métamorphoser en Thatcher ?
Electoralement, c’est jouable : « ceux
qui ne sont rien », ce sont 10 % des non-inscrits, les 30 à 40 % écoeurés
par la gauche de droite qui s’abstiennent. Il y a l’extrême droite désormais divisée
en deux camps survoltés. La diversion est en place pour le 2ème tour
gagnant. Tel semble être le calcul des dominants. Que restera-t-il de ce
paysage politique dévasté et infecté par le brouet nauséabond de Zemmour,
inoculé dans les veines du corps social ? En germe, déjà organisées, les
milices de la peste brune s’activent !
Un
sursaut des classes populaires est-il possible ? Difficile à dire, on ne
voit guère poindre la volonté de s’organiser par en bas, sur des fondements de
rupture avec le capitalisme. Que pourrait-il rester des propositions
antilibérales et écologistes des Insoumis, des candidatures de témoignage des
anticapitalistes divisés en chapelles concurrentes… S’unir pour ne plus subir
c’est la seule voie escarpée qu’il faut gravir… Il n’y a pas de sauveur suprême.
Gérard
Deneux le 8.12.2021
Sources :
le Monde, notamment l’enquête de Raphaelle Bacquet et Ariane
Chemin
Interview de Zemmour sur youtube
Thinkerview
Interview
d’Etienne Girard, auteur de « Le
radicalisé, enquête sur E. Zemmour » (Seuil), sur youtube le media
Encart
Bolloré. Le
mentor de Zemmour
Il
s’agit, ci-après, de donner quelques indications sur le personnage faisant
partie des gens bien nés et sûrs d’eux. Cet héritier d’une famille de
capitalistes bretons recevait les gens de pouvoir. Il sait d’expérience qu’il
s’agit d’entretenir une connivence avec les représentants de la caste
dirigeante, y compris ceux qui aspirent à intégrer ses rangs. C’est ainsi que
le jeune Bolloré s’entraînait au tennis avec Pompidou, qui, adolescent, était
copain avec Sarkozy, que Mitterrand trouvait table familiale ouverte… Mais, « noblesse » oblige, il y a lieu de distinguer la classe dominante
de ceux qui la serve. La devise de cette lignée ne laisse planer aucune
équivoque : « A genoux devant
Dieu, debout devant les hommes » qui doivent être à leur service…
quels qu’ils soient…
L’ascension
de Bolloré dans les affaires fut fulgurante, au fil de ses choix politiques
fluctuants : d’abord proche de Léotard, Madelin, De Villiers, bien à droite
toute, ça ne l’empêcha pas en 1990 de donner son obole à Strauss Kahn, de
prêter son yacht à Sarko suite à sa victoire électorale qui pieusement, lui
remit la légion d’honneur en 2009. En 2017, il soutint Fillon mais se tint
éloigné du « techno » Macron.
Cet
homme, catho réac, est plutôt du style mâle blanc dominant. Il est exaspéré par
le néo-féminisme, LGBT, les théories du genre et l’idéologie néocoloniale. Il
entretient désormais des liens serrés avec Zemmour. Ils déjeunent ensemble
chaque semaine et se téléphonent tous les jours. Mais, c’est lui, le hiérarque,
qui tient la laisse.
Il
a certainement beaucoup à se faire pardonner. A Lourdes, chaque année, il fait
son pèlerinage et ne manque pas de revenir chez lui avec sa bouteille d’eau
bénite. Il ne se déplace jamais sans son confesseur, l’abbé Grimaud,
néo-maurrassien assumé.
Ainsi
vont ceux qui prétendent que l’Histoire, c’est eux qui la façonnent.
GD,
le 8.12.2021
Pour
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Diplomatique, décembre 2021 « Fin
de partie pour Bolloré en Afrique »