La Nouvelle
Calédonie, toujours colonisée
La
Nouvelle Calédonie est un archipel situé à 1500 km à l’Est de l’Australie. Elle
est constituée d’une île principale (La Grande Terre 400 km de long sur 70
de large) et des îles Ouvéa, Mari, Loyauté. Elle représente un espace maritime
sur lequel la France exerce ses droits souverains et économiques (Zone Economique
Exclusive) de 1,5 million de km2 soit 13 % de la ZEE française. Le climat y est
tropical, bien arrosé sur la partie est (forêts, jungle), plus sec sur la
partie Ouest (prairie).
La
Nouvelle Calédonie compte 270 000 habitants, très inégalement répartis. Nouméa,
la capitale, au sud de la Grande Terre compte près de 100 000 habitants. Le
reste de la Grande Terre et les îles sont très peu peuplées (environ 8
habitants au km2). Nouméa et sa banlieue regroupent les 2/3 de la population calédonienne.
Celle-ci se compose de 40% de Kanaks (autochtones), 25% de métropolitains d’origine
(descendants des colons : les Caldoches) et de nouveaux arrivants, fonctionnaires…),
11% de Métisses et 24% d’habitants venant des îles voisines (Wallis et Futuna, Vanuatu)
ou d’Asie (Vietnam, Indonésie).
Barbarie de
la colonisation française
La
Nouvelle Calédonie fut découverte par James Cook en 1774. Dans un premier
temps, elle sert surtout d’escale aux chasseurs de baleines, aux chercheurs de
bois précieux, de copra ou de nacre. Située à plusieurs mois de bateaux de la
France, elle se prête peu à l’installation de métropolitains pour la mettre en
valeur. Par contre, pour isoler des personnes, elle est parfaite. Elle devient colonie française en 1853. Ce ne sont
pas ses richesses qui intéressent Napoléon III mais l’espace et l’éloignement
de la métropole.
Elle devient le nouveau bagne français, appelée à remplacer la Guyane où les prisonniers
mouraient trop rapidement. En Nouvelle Calédonie, le climat plus clément devait
leur permettre de travailler plus longtemps. Les 250 premiers forçats arrivent
en 1864 ; les rejoindront les Communards (dont Louise Michel), les
résistants algériens. En 1877, ils seront 11 000. Le bagne a besoin d’espace
car, pour assurer une présence française sur place, les bagnards libérés
doivent doubler leur peine et rester sur place, pour la même durée que leur
condamnation. L’Etat leur donne même (!) un lopin de terre pour s’installer. Au
total le bagne accueillera 22 000 prisonniers.
Les Kanaks sont « priés »
de quitter les bonnes terres et d’aller vivre, ou plutôt survivre, soit sur
les îles, soit à l’Est de la Grande Terre dans les forêts et la jungle. Ils
sont soumis au régime de l’indigénat :
privation de la majeure partie de leurs libertés et de leurs droits politiques.
Ils sont séparés physiquement des colons et sont parqués dans des réserves. Les
religieux assurent l’éducation des jeunes Kanaks. De 100 000 en 1800, les
Kanaks ne sont plus que 34 000 en
1900.
Le
bagne a besoin de beaucoup de bonnes terres pour son fonctionnement propre et
pour installer les libérés. La pression devient de plus en plus forte sur les
Kanaks et la confrontation devient rapidement inévitable. Dès 1878, sous la conduite du chef Altaï, ils se révoltent. La répression sera terrible : 1 500
villages sont brûlés, Altaï est décapité, sa tête envoyée à Paris, au musée
ethnographique. Les soldats reçoivent une prime pour chaque rebelle tué, comme
preuve, ils doivent rapporter les oreilles. 2 000 Kanaks sont tués. Les autres
sont déplacés vers l’Est et les îles. A cette époque, on découvre la présence
de nickel, ce qui entraine l’arrivée
de métropolitains et de main d’œuvre asiatique, réduisant encore l’espace pour
les Kanaks.
En
1914, la « République » française se souvient qu’ils existent :
400 d’entre eux mourront dans les tranchées. Les nombreuses injustices qu’ils
subissent entraînent une nouvelle rébellion en 1917. Leur chef sera décapité.
En 1931, des Kanaks auront le « bonheur de découvrir Paris », ces
« sauvages » furent exposés au Jardin d’Acclimatation. En 1940, une
importante base militaire s’installe sur la Grande Terre ainsi que la
construction d’un port, d’aérodromes, de routes, et autres équipements pour organiser les loisirs des soldats.
Beaucoup de jeunes Kanaks sont amenés des réserves pour y travailler. Cela leur
permet de découvrir un autre monde. Certains se retrouvent dans le bar de Jane
Tunica, qui crée le parti communiste calédonien et soutient leur lutte.
Des graines d’autonomie
sont semées
Après
la guerre, le régime de l’indigénat est abandonné. Les Kanaks obtiennent
progressivement la nationalité française. Toute la population l’aura obtenue en
1957. Jusqu’en 1970, l’Union Calédonienne, fondée par des colons et des Kanaks,
domine la vie politique revendiquant une certaine autonomie mais pas
l’indépendance.
A
cette époque, l’exploitation du nickel se
développe très rapidement. La Nouvelle Calédonie devient le troisième producteur mondial. Les
métropolitains construisent rapidement de grandes fortunes grâce à un régime
fiscal très avantageux. Les Kanaks
perdent encore des terres et ne profitent pas du boom économique. Ils sont
réduits aux travaux dégradants et insalubres. Les tensions entre Kanaks et
colons vont alors s’amplifier. Les quelques étudiants Kanaks, parmi eux un
certain Jean Marie Tjibaou, qui sont
allés étudier en métropole reviennent sur l’île avec, dans leurs valises, les
idées de mai 68, les idées des mouvements antiracistes américains, les idées
communistes. Dans les milieux Kanaks, on commence à parler indépendance,
reconnaissance, respect des droits, alors que, dans l’esprit des
métropolitains, c’est leur extinction qui semble souhaitée (d’ailleurs, dans le
Larousse de 1953, à la définition du mot Kanak
on lit « ethnie en voie d’extinction »). En 1960, les Kanaks
deviennent minoritaires en Calédonie. En 1972, le gouvernement installe
2 600 pieds noirs pour poursuivre l’effort d’implantation de
« blancs ».
En
septembre 1975, se tient à Nouméa le festival des Arts MELANESIA 2000. Il est considéré comme le marqueur principal de la prise de conscience de former un peuple
homogène de la part des Kanaks. Dans un esprit de fraternité, Jean Marie Tjibaou,
organisateur de la manifestation déclarait : « Nous avons voulu ce festival parce que nous croyons à la possibilité d’échanges
plus profonds, plus suivis entre la culture européenne et la culture canaque.
L’espoir qui sous-tend ce projet est grand. Nous devons ensemble le réaliser
pour l’avenir culturel de notre jeunesse et la santé de notre pays ».
Pourtant en décembre 1975, Richard Kamouda, militant anticolonial, est abattu
par un policier au cours d’une rixe.
En
1977, l’Union Calédonienne devient un
parti indépendantiste. La nouvelle génération canaque y prend le pouvoir,
avec Jean-Marie Tjibaou, Eloi Machoro, Pierre Declercq (est le secrétaire
général). Il est un symbole important puisqu’il est un métropolitain installé
en Calédonie après son service militaire. Le camp loyaliste est représenté par le RPCR (Rassemblement Pour la
Calédonie dans la République) avec, à sa tête, Jacques Lafleur. En janvier 1980, à nouveau, un militant
indépendantiste Theodore Daiye est tué par un policier.
La situation
s’envenime
L’élection
de François Mitterrand en 1981 donne de l’espoir et de l’enthousiasme au clan indépendantiste,
mais sur le terrain les accrochages deviennent de plus en plus nombreux et de
plus en plus violents. Le 20 septembre
1981, Pierre Declercq est assassiné chez lui par un inconnu. Eloi Machoro
le remplace comme secrétaire général de l’UC. Les positions du parti se
radicalisent et, en 1984, il devient
le Front de Libération National Kanak
Socialiste (FLNKS). Cette même année, les élections régionales sont
boycottées et perturbées par les indépendantistes. Eloi Machoro se distingue en
détruisant une urne à la hache. Le 1er décembre, le FLNKS forme un gouvernement
provisoire de la République de Kanaky. Pour la première fois Eloi Machoro en brandit
le drapeau. Au même moment, le sous-préfet des iles Loyauté est séquestré chez
lui. Eloi Machoro commence le siège de la commune de Thio. Avec 500 militants
indépendantistes, ils désarment 5 hélicoptères du GIGN. Le drapeau français brûle
en public et les propriétaires européens sont désarmés. La Calédonie est alors
coupée en zones imperméables par des barrages indépendantistes, loyalistes ou
militaires. En brousse les incendies de maisons se multiplient. Aux
manifestations pacifiques mais déterminées des Kanaks, les colons répondent par
des expéditions meurtrières.
A
cette époque les barrages routiers, les manifestations sont quasi quotidiennes.
Le 5 décembre, 10 militants indépendantistes kanaks tombent dans un piège et
sont assassinés par des colons, les embusqués de Hienghène. Parmi les victimes
se trouvent deux frères de Jean Marie Tjibaou. Le lendemain, celui-ci demande
la levée des barrages pour faire baisser la tension. L’Etat français envoie
Edgar Pisani sur place en tant que médiateur. Il déploie également l’armée pour
évacuer les caldoches des zones indépendantistes, les tribus sont surveillées
militairement, les manifestations interdites, des bateaux de guerre
ravitaillent le Nord de l’île. Le 7 janvier 1985, Edgar Pisani propose un
projet « d’indépendance association » rejeté par toutes les parties.
Le 12 janvier Eloi Machoro, « la bête noire des loyalistes », le
leader de la frange dure des indépendantistes qui occupe la maison d’un
européen, est abattu par le GIGN. Les nuits d’émeutes se succèdent à Nouméa
dans un climat de quasi guerre civile.
Nouveau
statut : désillusion pour les indépendantistes
Le
23 août 1985, le gouvernement Fabius présente le nouveau statut, accordant plus
d’autonomie à l’archipel et le divise en 4 régions disposant chacune d’un
conseil élu au suffrage universel, des représentants de chaque région formant
le congrès du territoire. Le FLNKS ainsi que le RCPR participent aux élections.
Ce dernier obtient la majorité au Congrès. En métropole, les élections
législatives de mars 1986 contraignent Mitterrand à la cohabitation (Chirac est
1er ministre). Il réduit le pouvoir des provinces : déception
des Kanaks. De plus, le 29 septembre,
les embusqués de Hienghène qui ont tué 10 Kanaks en 1984, bénéficient d’un
non-lieu ! Le statut Pons, tout en maintenant la négation du peuple kanak
et en procédant à une modeste redistribution des terres, promet un référendum
d’autodétermination pour septembre 1987. Le FLNKS appelle au boycott. A la
tentative d’élimination des leaders succède celle du quadrillage militaire.
8 000 soldats et unités d’élite débarquent à Nouméa, soit 1 militaire pour
7 Mélanésiens (les nazis furent bien moins nombreux proportionnellement dans la
France occupée !). Le FLNKS maintient la mobilisation malgré le rapport de
force défavorable.
Le
FLNKS sent que le gouvernement métropolitain est de plus en plus hostile. Il
recherche alors des appuis internationaux, en particulier parmi les pays non
alignés. Il obtiendra le vote par l’assemblée
générale de l’ONU d’une résolution affirmant « le droit inaliénable du
peuple de la Nouvelle Calédonie à l’autodétermination et à l’indépendance ».
Sur le terrain, l’Etat renforce la surveillance militaire des tribus canaques.
Une manifestation indépendantiste est violement dispersée en août alors que le
9 septembre le RCPR peut réunir 30 000 personnes au stade de Nouméa. Le 29
octobre, les Assises acquittent définitivement les embusqués de Hienghène
concluant à la légitime défense. Jean Marie Tjibaou déclare alors :
« la chasse aux Kanaks est ouverte ».
Le 6 novembre, un jeune Kanak est abattu par la police.
Le
22 avril 88, les indépendantistes investissent la gendarmerie de Fayaoué sur l’île d’Ouvéa dans l’objectif d’une
action symbolique, consistant à humilier les forces de l’ordre en les désarmant.
Ce n’est pas la première prise d’otages, mais celle-ci va mal tourner : 4
gendarmes sont tués et 27 sont faits prisonniers. 11 sont amenés sur l’ile de Mouli et libérés
3 jours plus tard à la demande des chefs coutumiers. 15 sont amenés dans une
grotte sur l’île d’Ouvéa. Une négociation débute permettant d’échanger 11 « otages »
contre 6 membres du GIGN. Mais Mitterrand et Chirac optent pour une libération
par la force. Nous sommes entre les deux tours de l’élection présidentielle...
Le 5 mai, le GIGN donne l’assaut. 19 militants kanaks sont tués ainsi que 2
gendarmes. Choqués par les évènements, conscients d’être sur un chemin qui ne mène
qu’à la violence, les deux camps décident de négocier. Ces négociations débouchent
sur une poignée de mains historique entre Jean Marie Tjibaou et Jacques Lafleur
et sur les accords de Matignon (26
juin 1988).
Retour
au calme sur l’île.
Ouverture
des négociations. Pour quel statut ?
Michel
Rocard, 1er ministre,
supervise ces accords qui prévoient un statut transitoire de 10 ans débouchant
sur un référendum en 1998 mais restent volontairement flous sur le sort des
prisonniers politiques, l’amnistie, les compétences des régions. Ils prévoient une aide économique au
développement de la Nouvelle Calédonie et des garanties économiques et
institutionnelles à la communauté Kanak. Cette aide servira surtout à surpayer
les fonctionnaires d’Etat et les Kanaks n’en profiteront quasiment pas. En
2009, le taux de pauvreté atteint 52 %, dont 35 % dans le nord où les Kanaks
sont largement majoritaires et 9 % dans le sud où ils sont minoritaires. L’Etat
français leur a lancé un minuscule os à ronger. Ces accords sont approuvés par le
référendum du 6 novembre 1988 et permettent le rétablissement de la paix civile.
Les deux parties ont fait des concessions, Jean
Marie Tjibaou le paiera très cher puisque le 4 mai 1989, participant aux
commémorations de l’assaut de la grotte d’Ouvéa, il est assassiné, ainsi que Yeiwéné Yeiwéné, son bras droit, par un
indépendantiste opposé à ces accords.
Jospin signe, en 1998 (date supposée du référendum), les accords de Nouméa et repousse l’autodétermination à une période
entre 2014 et 2018, avec transfert de compétences, sauf dans les domaines
régaliens. Les accords de Nouméa, approuvés par référendum en Nouvelle
Calédonie (72% de oui avec une participation de 73%), prévoient la possibilité
d’organiser au maximum trois référendums, selon la règle suivante : si le
tiers des membres du Conseil de Nouvelle Calédonie le demande 6 mois après le
précèdent dans un délai de 2 ans. Dans le cas où 3 référendums ont lieu le résultat
du 3ème est définitif.
Au-delà
de quelques concessions aux indépendantistes, les accords de Matignon et Nouméa
font surtout gagner du temps au pouvoir français, d’une part pour que les
Kanaks soient de plus en plus minoritaires, d’autre part pour que les jeunes
générations oublient la période de violence des années 80, même si ces accords
ont permis de ramener la paix sur le caillou.
30 ans après
les accords…
Le
1er référendum a eu lieu le 4 novembre 2018. Le NON à l’indépendance
l’a emporté avec 56.4 % des voix. Un tiers du Conseil de la Nouvelle Calédonie
a demandé un 2ème référendum qui a eu lieu le 4 octobre 2020.
Résultat : NON à 53.2 %. Un tiers du Conseil ayant demandé un 3ème
référendum, il semblait logique qu’il ait lieu en octobre/novembre 2022,
d’autant que le 1er ministre E. Philippe annonçait le 10 octobre
2019 que le référendum n’aurait pas lieu en 2021 du fait de la précampagne
présidentielle et de l’esprit des accords qui renvoient les consultations de 2
ans en 2 ans. De plus, le Covid a frappé l’île en 2020 puis en mars 2021 de
manière fulgurante, faisant 270 morts en 2021 (dont 70 % de Kanaks et de
Mélanésiens) ; c’est comme s’il y
avait eu 600 000 morts en métropole. Dans la coutume kanak, les morts
doivent être enterrés par le clan en terre natale et un deuil d’une année doit
être respecté. De nombreuses victimes ont été enterrées provisoirement sur le
lieu de leur décès et, pour les Kanaks, c’est extrêmement difficile de laisser
leurs morts, seuls, dans une terre inconnue. Bien évidemment, il leur est
impossible de parler campagne électorale, référendum, même si celui-ci est
essentiel pour leur avenir.
Le
gouvernement Macron aurait pu, par respect, par sagesse, par humanité placer le
référendum à l’automne 2022. Eh bien, non. Il a choisi de détruire 30 ans
d’efforts de la part des deux camps, dilapidant le peu de confiance existant,
pour s’assurer une victoire mathématique ! Le référendum a eu lieu le 12
décembre 2021, boycotté par les Kanaks. Macron a pu « triompher » et
annoncer que la Nouvelle Calédonie avait décidé de rester française avec 96.5 %
des voix… et un taux d’abstention de 56,20 %.
L’Etat
français a piégé, méprisé, dupé, escroqué le peuple kanak par ce passage en
force. C’est un calcul à court terme. Que se passera-t-il à l’automne 2022,
lorsque le deuil kanak sera levé ? Le gouvernement Macron a l’espoir que
le clan indépendantiste se déchire. Mais il est fort probable que cette
fourberie gouvernementale le ressoude et que la lutte reprenne. Lorsqu’un « blanc »
se présente devant un Kanak, ce n’est pas seulement sa personne qu’il
représente mais tout l’héritage des dominations et des humiliations exercées
depuis des siècles, par les « blancs ». Pour un calcul électoraliste
minable, Monsieur Macron, vous avez rajouté encore une couche de mépris !
Jean-Louis
Lamboley, le 24.01.2022
Comment je suis devenue colon malgré moi…
Chaque
année, des milliers de Français émigrent vers les territoires d’outre-mer pour
y vivre et y travailler, à la recherche d’une expérience « exotique »
et d’un salaire souvent plus élevé qu’en France. Marie C. est partie travailler
en Kanaky Nouvelle-Calédonie en tant qu’infirmière. Elle a livré son témoignage
à Billets d’Afrique*(juillet-août
2021). Extraits.
« Mon
diplôme est reconnu en Nouvelle-Calédonie, et même si l’emploi local est censé
être prioritaire, la petite école infirmière de Dumbéa ne suffit pas à assurer
les besoins du territoire. Il a donc été très facile pour moi de m’installer et
de travailler là-bas. Pour mes amis médecins, l’incitation à venir est indécente, un véritable tapis rouge est
déployé : billets d’avions pris en charge, aller-retour une fois/an pour
la métropole selon les contrats, et bien sûr un conteneur est offert pour
l’installation et le départ. Sans oublier un salaire mirobolant. Le mien
s’élevait à environ 2 800€/mois, contre 1 600 en début de carrière en
métropole. C’est vrai que la vie est plus chère, mais la plupart de cet argent
public est reparti avec moi en France et n’a donc pas été réinvesti sur le
territoire. Mais c’est surtout l’écart entre mon salaire et le revenu de la population
locale qui me choquait ».
« Les
missionnaires ont découvert un peuple presque nu et se sont empressés de les
vêtir. Mes amies kanak portent aujourd’hui des vêtements amples à la garçonne
et se baignent habillées, car cet héritage est toujours présent. En parallèle,
les blanches se promènent en bikini sur les plages et les lieux sacrés sans
aucun scrupule ».
« Sur
l’île, il n’y a pas de bars, mis à part ceux des hôtels. En tant que blanche je
peux y consommer sans m’inquiéter. Mais pour mes amis kanaks, ce sont des conditions dignes de l’apartheid.
Dans l’un, il faut connaître les serveuses pour avoir droit à une bière. Dans
l’autre, ce n’est qu’avant 18h et les travailleurs sont filmés au cas où ils
enfreindraient la règle. Dans le dernier, les Kanaks sont tout simplement
interdits… Quand je questionne, on me répond : « Ils ne savent pas
boire ». Ce n’est pas une personne en particulier qui est exclue pour
troubles du comportement, c’est tout un peuple qui est stigmatisé ».
« La
gendarmerie est présente sur tout le territoire. A l’île des Pins, elle est
située de manière très symbolique sur la presqu’île où résidaient les
administrateurs du bagne. Les gendarmes sont blancs, comme si l’ordre ne pouvait être que blanc. Les militaires
investissent la plage de Kuto grâce à un centre de vacances qui leur est
réservé. Une fois par an, l’île est transformée en un énorme terrain
d’entraînement où s’exerce l’armée de terre. Ils montent des barrages et se
camouflent dans la brousse, l’arme au poing, sans respect des terres sacrées ».
Billets d’Afrique – mensuel d’information sur la Françafrique édité par l’association Survie(https://survie.org). Pour s’abonner : 25€ (20€ pour petits budgets) à envoyer à : Survie 21ter rue Voltaire 75011 Paris