« Grande
Sécu ». Une entourloupe ?
« Il
n’y a pas de fumée sans feu ». Ainsi, quand Macron, via Véran, son ministre
de la santé, commande, en toute discrétion mi-2021, un rapport au Haut Conseil
à l’avenir de l’assurance-maladie (HCAAM) sur l’articulation entre l’assurance
maladie obligatoire (la Sécu) et les assurances complémentaires de santé
(mutuelles, instituts de prévoyance et compagnies d’assurances), on se méfie.
Déjà en 2016, Macron, ministre de l’économie, affirmait qu’il voulait redonner
du pouvoir d’achat aux salariés : il supprimait, en 2018, les cotisations
salariales « maladie » et « chômage ». En 2022, le même, préparant
sa réélection à la présidence de la République, ressort le dossier, pour les
mêmes raisons affichées : augmenter le salaire net des salariés et réduire
les inégalités en matière de santé, ce qui inquiète à la fois les syndicats
mais aussi les mutuelles et assureurs privés. Ce dossier, à peine dévoilé par
des « indiscrétions journalistiques », fait se lever immédiatement
les opposants à ce projet. Aussitôt, Véran crève le ballon d’essai envoyé. Il
est impossible d’attaquer de front la Sécurité sociale, les Français y sont
trop attachés. Mais, le projet est là, prêt
à être dégainé… dans la campagne présidentielle ? Qu’en est-il ?
1 – Ce n’est pas une idée neuve
En
2016, Macron voulait « permettre à chaque Français de pouvoir vivre plus
dignement de son travail » et donc « diminuer l’écart entre le
salaire brut et le salaire net ». Arrivé au pouvoir, il n’augmente pas le
SMIC ni le point d’indice de la fonction publique, il supprime les cotisations salariales
maladie et chômage… pour les remplacer par une augmentation de la CSG
(contribution sociale généralisée). Ce faisant, il rompt avec le système
« contributif » dit bismarckien (créé dans les années 1880), basé sur
l’assurance du travailleur qui finance avec son employeur sa protection au
moyen de cotisations proportionnelles à son salaire, et préfère le modèle
beveredgien (conçu pendant la guerre par le gouvernement britannique), faisant
porter le financement par l’ensemble de la population, par l’impôt. Une
vingtaine de milliards d’euros furent ainsi transférés sur la CSG qui augmente
de 1.7 point, sans qu’il y ait eu de mouvements sociaux suffisants pour
s’opposer fermement à ce « glissement », voulu par ceux qui, au
pouvoir ou proches du pouvoir, « détricotent », par petites touches,
les conquis de la Résistance, et notamment le système de solidarité en matière
de santé, à l’image du sort qu’ils ont réservé à l’assurance-chômage et de
celui qu’ils préparent aux retraites.
Bien
avant Macron, Jospin avait déjà fortement diminué la cotisation maladie pour la
basculer sur la CSG. La proposition
politique est la même : financement par l’impôt, présenté comme du pouvoir
d’achat supplémentaire pour les salariés, oubliant au passage d’en décrire les conséquences,
et notamment une forme d’étatisation de la Sécu, écartant de la gestion les représentants
des salariés et les syndicats.
Les
détracteurs de la Sécu de 1945 évoquent la complexité de ce système à deux
étages : l’assurance-maladie obligatoire gérée par la Sécurité Sociale et la
prise en charge de ce que ne rembourse pas la Sécu, par des mutuelles,
assurances privées… Il faut « simplifier le système », « faire
des économies », « gagner du temps dans le traitement des dossiers,
rendre les remboursements plus égalitaires, éviter que les cotisations soient
dilapidées dans la publicité des compagnies d’assurances », etc… Que de
bonnes intentions ! Les opposants à cette reprise en main par l’Etat sont
sur la défensive : les syndicats, constatant que le système de solidarité
a du plomb dans l’aile, et les mutuelles craignant que leur marché
s’amoindrisse, voire disparaisse ; ils dénoncent l’étatisation et la
disparition d’une gestion « paritaire »… qui ne l’est déjà plus.
2 – La Sécu,
corsetée par des contre-réformes successives
La
construction du système de Santé avec la Sécurité sociale qui prend en charge
80 % des dépenses de santé et les mutuelles, assurances, institutions de
prévoyance, qui couvrent ce que le régime de base ne rembourse pas est le
résultat du compromis qu’ont dû faire les fondateurs de la Sécu, face aux mutuelles
qui existaient. Pour rallier la Mutualité (15 millions d’adhérents) au régime
général, ils décidèrent de confier au privé le reste à charge (le ticket
modérateur), environ 20 % de l’ensemble des dépenses. Les ordonnances de 1945 avaient
« traumatisé » les patrons qui rejetaient l’idée de la cotisation et
les tenants du capitalisme qui voyaient leur échapper le produit juteux
qu’était la gestion des assurances. Ils n’auront de cesse de vouloir détruire
ce système de solidarité dans lequel ils n’étaient pas conviés.
Depuis
la création de la Sécu, ses trois grands principes fondamentaux n’ont cessé d’être
« grignotés » :
-
uniformité et
égal accès aux soins pour tous
-
solidarité :
mutualisation des risques entre tous les bénéficiaires : chacun cotise
selon ses moyens et est pris en charge selon ses besoins.
-
autonomie
budgétaire et gestion démocratique : les assurés gèrent la Sécu, y élisent
leurs représentants
Dès 1947, la loi Morice interdit
à la SS de créer sa propre complémentaire mais elle permet à des mutuelles de
la fonction publique (MGEN par ex) de gérer, par délégation, l’assurance
maladie obligatoire.
Dès
le début des années 1960, l’Etat
prend des mesures restreignant l’autonomie de la Sécu. Elles sont
administratives, comme la prise en main, en 1960, du prélèvement des cotisations
par l’URSSAF, sous la houlette de directeurs de caisses sortant de l’Ecole nationale
de la SS, une sorte d’ENA de la SS. En
1967, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) voit le
jour : elle chapeaute les caisses toujours gérées paritairement : la
loi de 2004 lui supprime tout pouvoir et le transfère à l’Union nationale des
Caisses d’Assurance maladie : la direction est nommée par le gouvernement,
les représentants des salariés n’ont plus qu’un rôle consultatif. De fait,
c’est depuis 1967, par l’instauration du paritarisme, que l’Etat a mis fin aux
élections des représentants des cotisants et fait entrer le patronat dans la
gestion.
Un
autre pilier du système de solidarité est son autonomie budgétaire : elle permettait
à un secteur excédentaire de la Sécu de compenser un secteur déficitaire. Cette
disposition est annihilée en 1967 quand l’Etat décide de créer les
branches maladie et vieillesse, en complément de la branche
« famille » ; il exige que chacune soit à l’équilibre
budgétaire.
L’assurance-maladie
est la branche la plus fortement déficitaire du fait de l’évolution des
prestations couvrant de secteurs nouveaux. En
1980, le 1er ministre R. Barre crée le secteur 2 permettant aux
médecins de rester conventionnés avec la SS tout en ne respectant pas les
tarifs opposables mais en pratiquant des honoraires
libres « avec tact et mesure » (aujourd’hui plus de 50 % des
spécialistes y adhèrent). Les conséquences de la crise de 1973 et le chômage de
masse amoindrissent ses recettes en cotisations et l’Etat ne comble plus par
voie de dotations ou de reprise du solde négatif au sein de la dette du Trésor.
Apparaît le « fameux trou de la Sécu », la dette sociale que le plan
Juppé de 1996 externalisera, en
créant la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) et la CRDS –
contribution au remboursement de la dette sociale – nouvel impôt pour combler
le « trou » - pendant que la CADES est autorisée à emprunter sur les
marchés financiers ! (1) Juppé donne le coup de grâce à l’autonomie
budgétaire de la Sécu : en 1996, l’Etat reprend la maîtrise et signe avec
chaque caisse des conventions d’objectifs et de gestion pour 4 ans ; il
établit chaque année le projet de Loi de Finance de la SS (PLFSS), voté par
l’Assemblée nationale ; il décide des dépenses, des déremboursements, des
recettes traduits dans l’Objectif National de Dépenses d’Assurance-maladie
(ONDAM).
Le fonctionnement de la Sécu est à
l’opposé de ce qu’il fut en 1945. C’est l’assurance maladie qui doit
s’adapter au budget et non les besoins des assurés qui se traduisent dans le
budget. Entretemps, Rocard aura créé la Contribution Sociale Généralisée (CSG) en 1990, finançant la Sécu par
l’impôt ; aujourd’hui, cela représente
le quart des recettes de la Sécu. Ainsi, sans annonce brutale pouvant faire
descendre les opposants dans la rue, la Sécurité Sociale de 1945 a été vidée de
son « âme ».
La politique de réduction des dépenses
publiques a entraîné une baisse continue
des prestations avec l’instauration du forfait hospitalier, de déremboursement
des médicaments dits « de confort » ou « à faible
efficacité », le forfait pour les consultations médicales… et le tout
récent forfait urgences (19.61€) lorsqu’il n’y a pas hospitalisation. Par
contre, aucun contrôle des prix des
médicaments n’est exigé, l’assurance maladie paie sans décider ni de la
production, de leur utilité, ni du prix de vente. Ce secteur de dépenses
devrait plutôt relever de la politique industrielle et du budget
crédit/recherche ! Les multinationales du médicament peuvent dire « merci
à la Sécu ! ».
En
ce qui concerne les recettes, les choix politiques vont à la réduction ou à la
suppression des cotisations, ou encore aux exonérations des cotisations patronales
(non compensées par l’Etat). La palme, en la matière, revient à Hollande et Macron avec le CICE –
Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi = 40 milliards d’euros
d’exonérations.
La
privatisation est en marche. Le capital s’en lèche les babines. Il
s’impatiente ! Cela fait si longtemps qu’il attend. Déjà en 2017, les
candidats aux élections présidentielles demandaient la baisse des dépenses
socialisées pour accroître celles relevant des contrats auprès du privé. B.
Hammon (PS à l’époque) préconisait « une Sécurité Sociale universelle »
pour faciliter l’accès des complémentaires à tous ! Il introduisait le
loup dans la bergerie, oubliant la loi de 2013 dite de sécurisation de
l’emploi, instituant l’Accord national Interprofessionnel, approuvée par le
patronat et les syndicats (sauf CGT et FO) qui rendait, entre autres, les
complémentaires obligatoires dans toutes les entreprises. Rappelons (encore)
que c’est Fabius, en 1985, qui fit adopter un nouveau
code de la Mutualité entérinant l’entrée des compagnies privées dans le domaine
de la Santé.
Que
reste-t-il de la Sécu de 1945 ? Les inégalités de soins ne font que s’amplifier
du fait de l’augmentation régulière du reste à charge, remboursé par les
assurances complémentaires que tous ne peuvent se payer.
Y’a
un pognon de dingue à se faire !
3 – Oui à la
grande Sécu… mais laquelle ?
Pour
établir une vraie Sécu à 100 %, il faut
lever deux écueils, et pas des moindres : suppression des assurances
complémentaires et du secteur 2 autorisant le dépassement d’honoraires. Une
grande Sécu, élargissant le périmètre des soins remboursés par l’assurance
maladie obligatoire, signerait la fin de cette médecine à deux vitesses. Encore
faudrait-il bien cerner ce qui relèverait de la Sécu ou non. Il faut donc être
vigilant sur les annonces fanfaronnées dans les médias, comme celle du plan 100
% Santé relatif aux lunettes, appareils dentaires ou auditifs, il fallait
comprendre 100 % sur les modèles « bas de gamme » ! Quant aux
dépassements d’honoraires, le gouvernement ne prend pas le chemin de les restreindre,
encore moins de les supprimer, au contraire, dans le Ségur de la Santé, il
prévoit la possibilité d’étendre l’activité privée libérale des praticiens
hospitaliers, dans l’objectif affiché de retenir les médecins dans l’hôpital
public.
Dans
les 4 scénarios posés par le HCAAM, aucun n’envisage la vraie Sécu 100 % pour
un panier de soins et de prévention solidaire, sans dépassement d’honoraires,
donc, sans assurance complémentaire, celle-ci pouvant exister pour les
prestations ne relevant pas de la solidarité. Pourquoi avoir lancé cette
étude si ce n’est pour l’utiliser, pas dans l’immédiat… mais ?
Il
est urgent de ne pas ignorer ce rapport pour les défenseurs d’une vraie grande
Sécu. La Sécu de 1945 est déjà bien décharnée. Est-il possible de lui redonner
ses caractéristiques initiales ? Il faut, en effet, compter, aujourd’hui,
avec les engagements internationaux, ceux de l’OMC, l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), stipulant que
tout service public autorisant la présence de gestionnaires privés, est destiné
à être privatisé. En matière de santé, du fait de l’existence des assurances
Santé privées, des hôpitaux privés, des laboratoires pharmaceutiques, tout est
destiné à être privatisé totalement.
L’autre
élément extérieur est la propriété intellectuelle des médicaments. L’accord de l’OMC sur les droits de propriété
intellectuelle (ADPIC) a retiré aux Etats leur souveraineté en matière de
production et de vente des médicaments. La crise sanitaire actuelle le
démontre : les firmes pharmaceutiques internationales sont les
propriétaires des brevets sur les médicaments et ne sont pas prêtes à lâcher ce
privilège. D’ailleurs, faibles sont les voix politiques qui demandent la levée
des brevets au profit des Etats pauvres qui ne peuvent acheter les traitements
pour leurs populations. Entrée interdite : propriété privée !
Difficile
de croire à la sincérité du gouvernement lorsqu’il affiche vouloir une
« grande Sécu » sans en préciser les limites. Outre l’OMC à renier
(ou à lui désobéir), revenir à la Sécu initiale prenant en charge 100 % des
soins, doit compter avec la suppression des Mutuelles qui se situent désormais
sur le marché de la concurrence. Alors qu’à l’origine le mouvement mutualiste
voulait s’en extraire, il est « tombé dans la marmite du
marché ». La MGEN - mutuelle générale de l’Education nationale - par exemple,
appartient au groupe Istya et investit en Chine. Les assurances complémentaires
sont incitées à segmenter leur clientèle et à présenter des contrats-types mis
en concurrence pour faire baisser les prix, comme les contrats dits
« solidaires et responsables » limitant les remboursements, ce qui
peut les pousser à « négocier » avec les professionnels de santé pour
qu’ils acceptent de réduire ou choisir certaines prescriptions ! Les
assurances complémentaires ont collecté, en 2019, quelque 38 milliards € de cotisations au titre de leur activité Santé.
Pour
conclure
Pour
faire revivre l’esprit de 1945 dans la Sécurité Sociale du 21ème
siècle, universelle, avec une seule caisse, les mêmes droits pour tous, un
panier de soins maximal et non réduit, financée par les cotisants et gérée par
leurs élus, il faut désobéir à l’OMC, supprimer les assurances privées,
mutuelles incluses. Sinon, le Capital risque d’installer un système à 3
vitesses : la couverture des gros risques par la Sécu avec une prise en
charge pour les pauvres (Aide à la Complémentaire Santé), une couverture plus
ou moins importante grâce à la complémentaire et une sur-couverture pour les
plus favorisés.
Ils
sont peu les candidats aux futures présidentielles (hormis, pour l’heure, NPA
et LFI) à détailler ce qu’ils entendent par « une vraie Sécu à 100% » ;
ils se divisent sur l’existence ou non des mutuelles. Mais, sans mouvements
sociaux dans la durée, ils ne vont guère peser dans la balance. Le rapport sur la grande Sécu, version Macron/Véran est rangé
dans un tiroir. Il faut le combattre dès aujourd’hui en le dévoilant pour que
toutes et tous s’en emparent pour proposer des alternatives. Demain, il sera
trop tard.
Odile
Mangeot, le 21 janvier 2022
(1)
cf PES n° 58
(novembre 2019)
Sources :
Thierry Rouquet (membre de l’Ardeur, association d’éducation populaire
politique), Martine Bulard (le Monde
diplomatique avril 2017), André Grimaldi
Liaisons dangereuses
Après
avoir quitté le ministère de la Santé, Agnès Buzin rejoignait, le 4 janvier 2021, le cabinet du directeur
général de l’OMS, TA Ghebreyesus, ministre de la Santé de l’Ethiopie
(2005-2012), puis membre du CA du GAVI (Alliance pour les vaccins) affirmant « développer des méthodes innovantes pour
élargir la vaccination contre certaines des maladies les plus mortelles ».
Le 29 sept 2020, le CA de GAVI a désigné son nouveau président, José Manuel Barroso, 1er ministre du Portugal (2002-2004) et président
de la Commission européenne (2004-2014), au nom de laquelle il est président
non exécutif de Goldman Sachs international. L’un des financeurs du GAVI est la
fondation Bill et Melinda Gates, que
l’on retrouve en 2ème place des contributeurs de l’OMS, où il pèse pratiquement
le même poids que les Etats-Unis. Lionel Astruc, dans L’art de la fausse générosité, la fondation B et M Gates, démontre
que Bill Gates est surtout « généreux
avec l’argent des autres, avec des ressources dont on prive les Etats via
l’évasion fiscale. Le montant de l’évitement fiscal est souvent supérieur à ce
qui est donné par la fondation, elle-même adossée à un fonds d’investissement
qui finance les causes mêmes de la pauvreté et du pillage des ressources… »
Thierry Rouquet
Et
il n’a pas encore reçu la Légion d’honneur ? ndlr