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vendredi 28 janvier 2022

 

« Grande Sécu ». Une entourloupe ?

 

« Il n’y a pas de fumée sans feu ». Ainsi, quand Macron, via Véran, son ministre de la santé, commande, en toute discrétion mi-2021, un rapport au Haut Conseil à l’avenir de l’assurance-maladie (HCAAM) sur l’articulation entre l’assurance maladie obligatoire (la Sécu) et les assurances complémentaires de santé (mutuelles, instituts de prévoyance et compagnies d’assurances), on se méfie. Déjà en 2016, Macron, ministre de l’économie, affirmait qu’il voulait redonner du pouvoir d’achat aux salariés : il supprimait, en 2018, les cotisations salariales « maladie » et « chômage ». En 2022, le même, préparant sa réélection à la présidence de la République, ressort le dossier, pour les mêmes raisons affichées : augmenter le salaire net des salariés et réduire les inégalités en matière de santé, ce qui inquiète à la fois les syndicats mais aussi les mutuelles et assureurs privés. Ce dossier, à peine dévoilé par des « indiscrétions journalistiques », fait se lever immédiatement les opposants à ce projet. Aussitôt, Véran crève le ballon d’essai envoyé. Il est impossible d’attaquer de front la Sécurité sociale, les Français y sont trop attachés.  Mais, le projet est là, prêt à être dégainé… dans la campagne présidentielle ? Qu’en est-il ?            

 

1 – Ce n’est pas une idée neuve

 

En 2016, Macron voulait « permettre à chaque Français de pouvoir vivre plus dignement de son travail » et donc « diminuer l’écart entre le salaire brut et le salaire net ». Arrivé au pouvoir, il n’augmente pas le SMIC ni le point d’indice de la fonction publique, il supprime les cotisations salariales maladie et chômage… pour les remplacer par une augmentation de la CSG (contribution sociale généralisée). Ce faisant, il rompt avec le système « contributif » dit bismarckien (créé dans les années 1880), basé sur l’assurance du travailleur qui finance avec son employeur sa protection au moyen de cotisations proportionnelles à son salaire, et préfère le modèle beveredgien (conçu pendant la guerre par le gouvernement britannique), faisant porter le financement par l’ensemble de la population, par l’impôt. Une vingtaine de milliards d’euros furent ainsi transférés sur la CSG qui augmente de 1.7 point, sans qu’il y ait eu de mouvements sociaux suffisants pour s’opposer fermement à ce « glissement », voulu par ceux qui, au pouvoir ou proches du pouvoir, « détricotent », par petites touches, les conquis de la Résistance, et notamment le système de solidarité en matière de santé, à l’image du sort qu’ils ont réservé à l’assurance-chômage et de celui qu’ils préparent aux retraites.

Bien avant Macron, Jospin avait déjà fortement diminué la cotisation maladie pour la basculer sur la CSG. La  proposition politique est la même : financement par l’impôt, présenté comme du pouvoir d’achat supplémentaire pour les salariés, oubliant au passage d’en décrire les conséquences, et notamment une forme d’étatisation de la Sécu, écartant de la gestion les représentants des salariés et les syndicats.

 

Les détracteurs de la Sécu de 1945 évoquent la complexité de ce système à deux étages : l’assurance-maladie obligatoire gérée par la Sécurité Sociale et la prise en charge de ce que ne rembourse pas la Sécu, par des mutuelles, assurances privées… Il faut « simplifier le système », « faire des économies », « gagner du temps dans le traitement des dossiers, rendre les remboursements plus égalitaires, éviter que les cotisations soient dilapidées dans la publicité des compagnies d’assurances », etc… Que de bonnes intentions ! Les opposants à cette reprise en main par l’Etat sont sur la défensive : les syndicats, constatant que le système de solidarité a du plomb dans l’aile, et les mutuelles craignant que leur marché s’amoindrisse, voire disparaisse ; ils dénoncent l’étatisation et la disparition d’une gestion « paritaire »… qui ne l’est déjà plus.

 

2 – La Sécu, corsetée par des  contre-réformes successives

 

La construction du système de Santé avec la Sécurité sociale qui prend en charge 80 % des dépenses de santé et les mutuelles, assurances, institutions de prévoyance, qui couvrent ce que le régime de base ne rembourse pas est le résultat du compromis qu’ont dû faire les fondateurs de la Sécu, face aux mutuelles qui existaient. Pour rallier la Mutualité (15 millions d’adhérents) au régime général, ils décidèrent de confier au privé le reste à charge (le ticket modérateur), environ 20 % de l’ensemble des dépenses. Les ordonnances de 1945 avaient « traumatisé » les patrons qui rejetaient l’idée de la cotisation et les tenants du capitalisme qui voyaient leur échapper le  produit juteux qu’était la gestion des assurances. Ils n’auront de cesse de vouloir détruire ce système de solidarité dans lequel ils n’étaient pas conviés.

 

Depuis la création de la Sécu, ses trois grands principes fondamentaux n’ont cessé d’être « grignotés » :

-        uniformité et égal accès aux soins pour tous

-        solidarité : mutualisation des risques entre tous les bénéficiaires : chacun cotise selon ses moyens et est pris en charge selon ses besoins.

-        autonomie budgétaire et gestion démocratique : les assurés gèrent la Sécu, y élisent leurs représentants  

 

Dès 1947,  la loi Morice interdit à la SS de créer sa propre complémentaire mais elle permet à des mutuelles de la fonction publique (MGEN par ex) de gérer, par délégation, l’assurance maladie obligatoire.

 

Dès le début des années 1960, l’Etat prend des mesures restreignant l’autonomie de la Sécu. Elles sont administratives, comme la prise en main, en 1960, du prélèvement des cotisations par l’URSSAF, sous la houlette de directeurs de caisses sortant de l’Ecole nationale de la SS, une sorte d’ENA de la SS. En 1967, l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS) voit le jour : elle chapeaute les caisses toujours gérées paritairement : la loi de 2004 lui supprime tout pouvoir et le transfère à l’Union nationale des Caisses d’Assurance maladie : la direction est nommée par le gouvernement, les représentants des salariés n’ont plus qu’un rôle consultatif. De fait, c’est depuis 1967, par l’instauration du paritarisme, que l’Etat a mis fin aux élections des représentants des cotisants et fait entrer le patronat  dans la gestion.

 

Un autre pilier du système de solidarité est son autonomie budgétaire : elle permettait à un secteur excédentaire de la Sécu de compenser un secteur déficitaire. Cette disposition est annihilée en 1967 quand l’Etat décide de créer les branches maladie et vieillesse, en complément de la branche « famille » ; il exige que chacune soit à l’équilibre budgétaire.

 

L’assurance-maladie est la branche la plus fortement déficitaire du fait de l’évolution des prestations couvrant de secteurs nouveaux. En 1980, le 1er ministre R. Barre crée le secteur 2 permettant aux médecins de rester conventionnés avec la SS tout en ne respectant pas les tarifs opposables mais en pratiquant des honoraires libres « avec tact et mesure » (aujourd’hui plus de 50 % des spécialistes y adhèrent). Les conséquences de la crise de 1973 et le chômage de masse amoindrissent ses recettes en cotisations et l’Etat ne comble plus par voie de dotations ou de reprise du solde négatif au sein de la dette du Trésor. Apparaît le « fameux trou de la Sécu », la dette sociale que le plan Juppé de 1996 externalisera, en créant la CADES (Caisse d’amortissement de la dette sociale) et la CRDS – contribution au remboursement de la dette sociale – nouvel impôt pour combler le « trou » - pendant que la CADES est autorisée à emprunter sur les marchés financiers ! (1) Juppé donne le coup de grâce à l’autonomie budgétaire de la Sécu : en 1996, l’Etat reprend la maîtrise et signe avec chaque caisse des conventions d’objectifs et de gestion pour 4 ans ; il établit chaque année le projet de Loi de Finance de la SS (PLFSS), voté par l’Assemblée nationale ; il décide des dépenses, des déremboursements, des recettes traduits dans l’Objectif National de Dépenses d’Assurance-maladie (ONDAM).

 

Le fonctionnement de la Sécu est à l’opposé de ce qu’il fut en 1945. C’est l’assurance maladie qui doit s’adapter au budget et non les besoins des assurés qui se traduisent dans le budget.  Entretemps, Rocard aura créé la Contribution Sociale Généralisée (CSG) en 1990, finançant la Sécu par l’impôt ; aujourd’hui, cela représente le quart des recettes de la Sécu. Ainsi, sans annonce brutale pouvant faire descendre les opposants dans la rue, la Sécurité Sociale de 1945 a été vidée de son « âme ».    

 

 La politique de réduction des dépenses publiques a entraîné une baisse continue des prestations avec l’instauration du forfait hospitalier, de déremboursement des médicaments dits « de confort » ou « à faible efficacité », le forfait pour les consultations médicales… et le tout récent forfait urgences (19.61€) lorsqu’il n’y a pas hospitalisation. Par contre, aucun contrôle des prix des médicaments n’est exigé, l’assurance maladie paie sans décider ni de la production, de leur utilité, ni du prix de vente. Ce secteur de dépenses devrait plutôt relever de la politique industrielle et du budget crédit/recherche ! Les multinationales du médicament peuvent dire « merci à la Sécu ! ».

En ce qui concerne les recettes, les choix politiques vont à la réduction ou à la suppression des cotisations, ou encore aux exonérations des cotisations patronales (non compensées par l’Etat). La palme, en la matière, revient à Hollande et Macron avec le CICE – Crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi = 40 milliards d’euros d’exonérations.

 

La privatisation est en marche. Le capital s’en lèche les babines. Il s’impatiente ! Cela fait si longtemps qu’il attend. Déjà en 2017, les candidats aux élections présidentielles demandaient la baisse des dépenses socialisées pour accroître celles relevant des contrats auprès du privé. B. Hammon (PS à l’époque) préconisait « une Sécurité Sociale universelle » pour faciliter l’accès des complémentaires à tous ! Il introduisait le loup dans la bergerie, oubliant la loi de 2013 dite de sécurisation de l’emploi, instituant l’Accord national Interprofessionnel, approuvée par le patronat et les syndicats (sauf CGT et FO) qui rendait, entre autres, les complémentaires obligatoires dans toutes les entreprises. Rappelons (encore) que c’est Fabius, en 1985, qui fit adopter un nouveau code de la Mutualité entérinant l’entrée des compagnies privées dans le domaine de la Santé.

 

Que reste-t-il de la Sécu de 1945 ? Les inégalités de soins ne font que s’amplifier du fait de l’augmentation régulière du reste à charge, remboursé par les assurances complémentaires que tous ne peuvent se payer.

 

Y’a un pognon de dingue à se faire !

    

3 – Oui à la grande Sécu… mais laquelle ?

 

Pour établir une vraie Sécu à  100 %, il faut lever deux écueils, et pas des moindres : suppression des assurances complémentaires et du secteur 2 autorisant le dépassement d’honoraires. Une grande Sécu, élargissant le périmètre des soins remboursés par l’assurance maladie obligatoire, signerait la fin de cette médecine à deux vitesses. Encore faudrait-il bien cerner ce qui relèverait de la Sécu ou non. Il faut donc être vigilant sur les annonces fanfaronnées dans les médias, comme celle du plan 100 % Santé relatif aux lunettes, appareils dentaires ou auditifs, il fallait comprendre 100 % sur les modèles « bas de gamme » ! Quant aux dépassements d’honoraires, le gouvernement ne prend pas le chemin de les restreindre, encore moins de les supprimer, au contraire, dans le Ségur de la Santé, il prévoit la possibilité d’étendre l’activité privée libérale des praticiens hospitaliers, dans l’objectif affiché de retenir les médecins dans l’hôpital public.

Dans les 4 scénarios posés par le HCAAM, aucun n’envisage la vraie Sécu 100 % pour un panier de soins et de prévention solidaire, sans dépassement d’honoraires, donc, sans assurance complémentaire, celle-ci pouvant exister pour les prestations ne relevant pas de la solidarité. Pourquoi avoir lancé cette étude si ce n’est pour l’utiliser, pas dans l’immédiat… mais ?

 

Il est urgent de ne pas ignorer ce rapport pour les défenseurs d’une vraie grande Sécu. La Sécu de 1945 est déjà bien décharnée. Est-il possible de lui redonner ses caractéristiques initiales ? Il faut, en effet, compter, aujourd’hui, avec les engagements internationaux, ceux de l’OMC, l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS), stipulant que tout service public autorisant la présence de gestionnaires privés, est destiné à être privatisé. En matière de santé, du fait de l’existence des assurances Santé privées, des hôpitaux privés, des laboratoires pharmaceutiques, tout est destiné à être privatisé totalement.

 

L’autre élément extérieur est la propriété intellectuelle des médicaments. L’accord de l’OMC sur les droits de propriété intellectuelle (ADPIC) a retiré aux Etats leur souveraineté en matière de production et de vente des médicaments. La crise sanitaire actuelle le démontre : les firmes pharmaceutiques internationales sont les propriétaires des brevets sur les médicaments et ne sont pas prêtes à lâcher ce privilège. D’ailleurs, faibles sont les voix politiques qui demandent la levée des brevets au profit des Etats pauvres qui ne peuvent acheter les traitements pour leurs populations. Entrée interdite : propriété privée !

 

Difficile de croire à la sincérité du gouvernement lorsqu’il affiche vouloir une « grande Sécu » sans en préciser les limites. Outre l’OMC à renier (ou à lui désobéir), revenir à la Sécu initiale prenant en charge 100 % des soins, doit compter avec la suppression des Mutuelles qui se situent désormais sur le marché de la concurrence. Alors qu’à l’origine le mouvement mutualiste voulait s’en extraire, il est « tombé dans la marmite du marché ». La MGEN - mutuelle générale de l’Education nationale - par exemple,  appartient au groupe Istya et investit en Chine. Les assurances complémentaires sont incitées à segmenter leur clientèle et à présenter des contrats-types mis en concurrence pour faire baisser les prix, comme les contrats dits « solidaires et responsables » limitant les remboursements, ce qui peut les pousser à « négocier » avec les professionnels de santé pour qu’ils acceptent de réduire ou choisir certaines prescriptions ! Les assurances complémentaires ont collecté, en 2019, quelque 38 milliards € de cotisations au titre de leur activité Santé.

 

Pour conclure

 

Pour faire revivre l’esprit de 1945 dans la Sécurité Sociale du 21ème siècle, universelle, avec une seule caisse, les mêmes droits pour tous, un panier de soins maximal et non réduit, financée par les cotisants et gérée par leurs élus, il faut désobéir à l’OMC, supprimer les assurances privées, mutuelles incluses. Sinon, le Capital risque d’installer un système à 3 vitesses : la couverture des gros risques par la Sécu avec une prise en charge pour les pauvres (Aide à la Complémentaire Santé), une couverture plus ou moins importante grâce à la complémentaire et une sur-couverture pour les plus favorisés.

 

Ils sont peu les candidats aux futures présidentielles (hormis, pour l’heure, NPA et LFI) à détailler ce qu’ils entendent par « une vraie Sécu à 100% » ; ils se divisent sur l’existence ou non des mutuelles. Mais, sans mouvements sociaux dans la durée, ils ne vont guère peser dans la balance. Le rapport  sur la grande Sécu, version Macron/Véran est rangé dans un tiroir. Il faut le combattre dès aujourd’hui en le dévoilant pour que toutes et tous s’en emparent pour proposer des alternatives. Demain, il sera trop tard.

 

Odile Mangeot, le 21 janvier 2022  

 

(1)   cf PES n° 58 (novembre 2019)

 

Sources : Thierry Rouquet (membre de l’Ardeur, association d’éducation populaire politique), Martine Bulard  (le Monde diplomatique avril 2017), André Grimaldi

 

Liaisons dangereuses

Après avoir quitté le ministère de la Santé, Agnès Buzin rejoignait, le 4 janvier 2021, le cabinet du directeur général de l’OMS, TA Ghebreyesus, ministre de la Santé de l’Ethiopie (2005-2012), puis membre du CA du GAVI (Alliance pour les vaccins) affirmant « développer des méthodes innovantes pour élargir la vaccination contre certaines des maladies les plus mortelles ». Le 29 sept 2020, le CA de GAVI a désigné son nouveau président, José Manuel Barroso, 1er  ministre du Portugal (2002-2004) et président de la Commission européenne (2004-2014), au nom de laquelle il est président non exécutif de Goldman Sachs international. L’un des financeurs du GAVI est la fondation Bill et Melinda Gates, que l’on retrouve en 2ème place des contributeurs de l’OMS, où il pèse pratiquement le même poids que les Etats-Unis. Lionel Astruc, dans L’art de la fausse générosité, la fondation B et M Gates, démontre que Bill Gates est surtout « généreux avec l’argent des autres, avec des ressources dont on prive les Etats via l’évasion fiscale. Le montant de l’évitement fiscal est souvent supérieur à ce qui est donné par la fondation, elle-même adossée à un fonds d’investissement qui finance les causes mêmes de la pauvreté et du pillage des ressources… » Thierry Rouquet

Et il n’a pas encore reçu la Légion d’honneur ? ndlr