Pouvoir
d’achat.
Des miettes
pour contenir la colère
Les
deux lois Macron II, dites de « défense du pouvoir d’achat », ont été
votées par le Parlement début août. Deux conceptions se sont opposées : la
majoritaire, consistant à distribuer quelques primes et à augmenter petitement
les minima sociaux, l’autre, demandant l’augmentation conséquente des revenus
(Smic notamment). La minorité gouvernementale l’a emporté grâce au vote des LR,
voire du RN. Les classes populaires, pauvres et moyennes, devront se contenter
des miettes calmant, par avance, leur colère qui ne va pas manquer de monter
lorsque les maigres aumônes annoncées ne permettront plus de se nourrir, de se
loger, de se chauffer correctement. La recette du saupoudrage qui ne touche pas
aux superprofits et dissimule sa véritable nature ne fera pas illusion
longtemps. Mais, pour autant, serons-nous en capacité de renverser le courant
majoritaire défendant bec et ongles le système ultralibéral ?
Enfumage
La
NUPES a eu raison de qualifier ces lois d’enfumage. Elles cachent, en effet la
volonté de Macron de poursuivre la démolition de ce qui reste de
l’Etat-providence, pris dans le piège de la dette qui ne lui laisse que le
choix entre l’augmenter ou diminuer les dépenses, puisqu’il n’est pas question de
taxer les superprofits des multinationales, par exemple. Il « fait donc le
boulot » à coup de mesurettes pour endiguer la grogne qui monte. Emplâtres
sur des jambes de bois, mais, pour l’heure, Macron a gagné la première étape
grâce à ses alliances (LR et RN) et grâce aux médias à son service,
fustigeant et discréditant les représentants NUPES (LFI notamment) qui, à leurs
yeux, sont des antidémocrates car, en déposant trop d’amendements ils bloquent
le débat démocratique !
Nous
ne sommes pas étonnés du contenu des lois d’un gouvernement totalement acquis
au néolibéralisme. Pour autant, il est important de dévoiler les mesures les
plus emblématiques, pour démontrer, s’il en est encore besoin, le mépris que le
gouvernement et les partis politiques le soutenant entretiennent envers les
classes sociales pauvres et moyennes. Dans le contexte international actuel, de
guerre, de pénuries organisées des produits alimentaires de base, de risques de
coupure d’énergies (gaz, électricité), Macron choisit d’en faire porter les
conséquences dramatiques par les classes populaires.
Pas
question d’augmenter le Smic de manière conséquente et encore moins de
l’indexer sur le taux d’inflation. Sire
Emmanuel distribue des primes, ou plutôt autorise les entreprises à en verser,
selon leur bon vouloir. Il triple le plafond de la prime « Gilets
Jaunes » (de 2019) qui devient la PPV – prime de partage de la valeur (à inscrire dans la
novlangue ! Ce dispositif, pérenne, permet à l’employeur qui le décide, de
verser une prime de 3 000€ maxi (6000€ en cas d’accord d’intéressement). A
signaler que le montant moyen distribué dans la dernière période a été de 500€ !
Macron peut toujours remonter le plafond, ça ne l’engage à rien ! Par
contre, cela lui permet d’éviter les augmentations de salaires et, en même
temps, de calmer la colère des salariés. Exonérée de cotisations sociales, elle
assène un mauvais coup supplémentaire à
la Sécurité Sociale. Cerise sur le gâteau, les salariés les mieux payés, ceux
qui gagnent jusqu’à 3 fois le smic, bénéficieront, en plus, d’une exonération
d’impôt sur le revenu jusqu’en 2024.
Autre
enfumage : pour casser les 35 H,
les heures supplémentaires (HS)
Les
HS défiscalisées, jusqu’ici exonérées d’impôt sur le revenu jusqu’à 5 000€
par an (soit 220 H/an) le seront jusqu’à 7 500€ (hors accords de branche).
Cette mesure n’est pas limitée dans le temps. De plus les entreprises entre 20
et 250 salariés pourront voir les cotisations patronales réduites de 0.50€ par
heure. Ajoutons à cela, la possibilité du salarié de se faire payer ses RTT… Au revoir les 35 H.
Des miettes pour les manants
Au
1er juillet, les pensions de retraite et d’invalidité du régime de
base augmenteront de 4 %, tout comme les prestations sociales : allocations
familiales, minima sociaux comme le RSA (revenu de solidarité active), AAH
(allocation adulte handicapé), ASPA (allocation de solidarité aux personnes
âgées), ainsi que les bourses aux étudiants. Elles ne rattrapent en rien
le « pouvoir d’achat » et ce n’est pas le ticket restau
universitaire à 1€ ou la mesure de déconjugalisation de l’AAH qui va changer
grand-chose, cette dernière s’appliquera au 1.10.2023 à 270 000
personnes sur 1.2 million de bénéficiaires. L’APL (aide personnalisée au
logement) augmente de 3.5 % au 1.07.2022 et l’indice de référence
d’augmentation des loyers est plafonné à 3.5% pour un an. La remise de 18
centimes/litre d’essence passe à 30 centimes en septembre et octobre puis à 10
centimes en novembre et décembre. Le prix du gaz et de l’électricité est bloqué
jusqu’à fin 2022. Une aide de rentrée de 100€ par foyer (majorée de 50€/enfant)
sera versée aux allocataires des minima sociaux et de la prime d’activité (soit
8 millions de foyers).
Ces
revalorisations ne couvrent absolument pas l’inflation,
qui en juillet est à 6.1 % et
annoncée à 7% ou 8% fin 2022, et encore moins les pertes subies durant les
années antérieures de non augmentation des salaires. Par exemple, la
revalorisation de 3.5% du point d’indice des fonctionnaires représente 2.25 à
3.75%, comparée à l’inflation (la dernière revalorisation du point d’indice
remonte à 2010).
Au
milieu de ce listing de mesures, apparaît, de manière inopinée, la
suppression de la redevance de l’audio-visuel public. Certes, cela
représente une économie pour ceux qui la paient (138€/an) mais c’est un manque
à gagner de 3.7 milliards affectés à l’audio-visuel dans le budget de l’Etat. Elle
serait remplacée pour partie par une
fraction de la TVA. Comment va survivre le service public de
l’information ? Les vautours milliardaires concurrents tournent déjà
autour. L’on ne peut qu’être inquiet pour ce qui est de l’indépendance de
l’information ou de ce qu’il en reste !
Et
puis, on trouve dans cette loi fourre-tout, ce que le gouvernement a dû céder
pour ne pas trop fâcher les LR du Sénat notamment : 20 millions€ pour
l’étude d’une carte Santé biométrique (avec
empreintes digitales) pour lutter contre la fraude à la Sécu (approuvé par
le RN) ! Cela ne convainc ni la Sécu, ni les professionnels de Santé, estimant
le projet obsolète et coûteux, pour remplacer tout le parc des cartes Sécu
alors qu’un projet d’application par smartphone est déjà à l’essai. Dans
l’esprit de ceux qui ont voté pour, il s’agit de cibler les
« profiteurs » de la Sécu, les étrangers… sans jamais trouver de
moyens pour toucher à la fraude fiscale !
A
été également retenue l’aide aux
collectivités territoriales du fait de l’augmentation du RSA, de
l’inflation et de la revalorisation du point d’indice des fonctionnaires, soit
120 millions pour les départements, 430 millions pour les communes et 18
millions pour les régions. Pas question, pour autant, d’aligner la DGF
(dotation globale de fonctionnement) sur l’inflation. Et les législateurs ont
« oublié » la compensation pour les centres hospitaliers suite à la
hausse du point d’indice de la fonction publique hospitalière !
Ces
deux lois mettent en place des mesures palliatives, ponctuelles, sans toucher
aux salaires et préservent en totalité les bénéfices-records des
multinationales et grandes entreprises. Le coût de l’inflation repose
uniquement sur les travailleurs.
Bingo pour
les multinationales et les grands patrons
Outre
les possibilités de contourner les 35 H et de bénéficier d’exonération de
cotisations sociales, les multinationales et grandes entreprises n’ont rien à
craindre. Quand les élus NUPES ont déposé un amendement relatif à la taxation
des superprofits, il a été rejeté. Les multinationales ont pu compter sur le
ministre de l’économie Le Maire pour les défendre, outré face à la NUPES :
« Quand on est le pays le plus taxé
de tous les pays européens, on ne rajoute pas une taxe supplémentaire à toutes
celles qui existent déjà » ! Le groupe NUPES défendait une taxe
de 25 % sur les bénéfices des entreprises du secteur de l’énergie et des transports réalisant un chiffre d’affaires
supérieur à 1 milliard. Cela aurait permis de récolter : 4 milliards chez Total,
925 millions chez Engie, 4.4 milliards chez CMA CGM (compagnie maritime
d’affrètement), 875 millions chez les concessionnaires d’autoroutes… Au 1er
semestre 2022 TotalEnergies a réalisé 18.8
milliards de bénéfices (le triple de 2021)
Pour
le mépris des classes pauvres et
moyennes, Bruno Le Maire obtient le 1er prix. Il va tout mettre en œuvre pour obtenir des promotions et bas
prix dans les supermarchés sur les produits de première nécessité. Et d’un, ça ne
l’engage à rien, si ça ne se fait pas, ça sera mis sur le compte des
supermarchés, et de deux, c’est une injonction à la consommation faite aux
classes précaires, censées se jeter sur les promos ! Il a même promis de
faire pression sur Total pour diminuer le prix à la pompe.
Au diable
les risques écologiques !
Se
glissent dans les interstices de ces deux lois des décisions dangereuses pour
l’environnement, aggravant notamment le dérèglement climatique.
La
guerre en Ukraine et ses conséquences relatives à la pénurie du gaz provenant
de Russie font craindre l’augmentation des prix de l’énergie cet hiver. Pour assurer la sécurité d’approvisionnement
en énergie dès l’automne 2022, la loi « pouvoir d’achat » entérine
des mesures d’urgence, au mépris de la charte de l’environnement. Tous les
moyens de production d’électricité y compris le recours aux énergies fossiles, seront mobilisés et plus précisément
les deux dernières centrales à charbon (Cordemais en Loire-Atlantique encore en
activité) et Saint-Avold (Moselle) fermée en mars 2022 qui va redémarrer.
L’installation d’un terminal méthanier
flottant au large du Havre sera accélérée, ouvrant la porte au gaz de
schiste étatsunien (extrait par fracturation hydraulique interdite en France).
Le plafond d’émissions de gaz à effet de serre de certaines centrales
thermiques fonctionnant avec des combustibles fossiles, sera réhaussé en cas de
menace sur la sécurité d’approvisionnement en électricité. Cette dernière
mesure a fait l’objet de réserve d’interprétation par le Conseil
Constitutionnel, précisant que la préservation de l’environnement doit être
recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation…
mais que valent les réserves du Conseil Constitutionnel ?
Face
à l’insécurité énergétique, Macron veut multiplier la construction des EPR et
confier les travaux à EDF. Pour ce faire, la loi a entériné la renationalisation
d’EDF » (coût : 9.7 milliards). L’entreprise publique revient donc
dans le giron public, endettée (43 milliards) notamment depuis l’obligation qui
lui est faite de facturer à prix bradé 20% de l’électricité qu’elle produit pour
les entreprises concurrentes (Arenh)(1) (ça lui coûte 8 milliards) mais aussi
du fait des coûts d’entretien des centrales vieillissantes. Nous allons donc
payer par l’impôt la dette que nous n’avons pas créée. Macron se
convertirait-il au « socialisme » ? Que nenni ! Cette
« renationalisation » n’est qu’un trompe-l’œil pour qu’EDF construise
les nouveaux EPR dont les coûts seront supportés par le budget public. L’expérience
de l’EPR de Flamanville (10 ans de retard, 16 milliards en plus) fait craindre
le pire en matière de sécurité nucléaire. Nous sommes, donc, au détour d’une
loi relative au budget rectificatif, engagés dans le développement de l’énergie
nucléaire et ses déchets radioactifs mais classée dans la taxinomie européenne
« énergie verte » car non émettrice de gaz à effet de serre !
Du
côté des enjeux écologiques, l’on trouve, dans la loi d’août, quelques mini-miettes
(émanant toujours du Sénat) comme : incitation fiscale et sociale pour les
employeurs qui prendront en charge 75 % de l’abonnement transport pour leurs
salariés (pour ceux qui ont encore des trains qui s’arrêtent dans une
gare !), cumul possible d’un forfait mobilité durable avec un abonnement
transport dans la limite de 800€ contre 600 à ce jour ou encore des conditions
assouplies du bonus vélo pour… l’achat d’un vélo électrique (il faut bien les
vendre !) ou enfin l’avantage fiscal pour les dépenses de covoiturage,
etc.
Macron a peur
La
rentrée approche et, avec elle, les dépenses incompressibles des familles, les
factures d’énergie, etc. qui font craindre à Macron le redémarrage du feu qui
couve. Le Royaume Uni est en train de vivre
l’été du mécontentement avec nombre de mouvements
sociaux, grèves dans les services publics notamment (transports, poste, santé,
etc.). L’Allemagne redoute un hiver de
colère.
En
France, Macron a l’intention de poursuivre son « agenda » de
régressions sociales (retraites, allocations chômage, RSA) même si l’exercice
est dangereux. Il s’apprête à dérouler le dernier tuyau pour éteindre le feu
qui couve : le dialogue. Il a
programmé au 8 sept. la 1ère réunion du CNR (copiant volontairement le sigle du Conseil National de la
Résistance, « récupération politique
assez médiocre » selon Bellamy - LR), le Conseil National de la Refondation. Celui-ci dialoguera sur les
grands chantiers (production, écologie, services publics, école, santé), « partagera
les diagnostics » entre les responsables des partis politiques, les
responsables des groupes parlementaires, des représentants d’associations
d’élus des territoires, des représentants des corps intermédiaires, les
syndicats. A quoi ça sert puisque existe déjà le Conseil économique, social et
environnemental (CESE) dont c’est le boulot ! Une instance de plus qui ne
servira à rien. Encore un « machin »
(aurait dit De gaulle) ou un « bidule
macronien pour affaiblir le Parlement » dit Retailleau (LR) ou, selon
Mélenchon, la « 2ème
saison du grand bla-bla » après celle du Grand débat national et la
Convention Citoyenne pour le Climat. Le Pen a annoncé ne pas vouloir participer
à cette dernière « lubie »
de Macron. Les syndicats sont partagés, « recréer un machin pour quoi faire ? » se désole FO, son
homologue Berger de la CFDT y est favorable et ne fera pas la politique de la
chaise vide (ça vous étonne ?). La CGT s’offusque : « le Conseil National de la Résistance a créé
la Sécurité Sociale et M. Macron veut la détruire et détruire les droits à la
retraite » sans préciser si elle participera ou non à ce nouveau
phagocytage.
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Il
ne faut pas se laisser enfumer une nouvelle fois : Macron maintient le
cap : favoriser le Capital contre le Travail. Dans l’objectif évident de
tenter de calmer la colère sociale qui monte, il accorde des miettes sans
toucher aux profits. Il choisit donc les leviers d’endettement de l’Etat et de
réduction du budget de la Sécu. La NUPES a mené une « guérilla
parlementaire » pendant plusieurs semaines et a proposé une loi plus
favorable aux travailleurs, rejetée ; elle a voté contre les deux lois d’août
(le PS s’abstenant sur la loi « défense du pouvoir d’achat » au
prétexte que c’est mieux que rien !). Tous, maintenant, s’en remettent au
« dialogue social » dans le cadre d’une conférence sur les salaires.
Il est tout à fait illusoire d’y faire avaliser des mesures favorables aux
travailleurs sans l’existence d’un rapport de force constitué par les salariés
et les sans-emploi et tous ceux qui sont en voie de paupérisation, défendant,
au minimum, l’indexation des salaires et de l’ensemble des prestations sociales
sur l’inflation.
Le
combat doit se mener sur le terrain de la lutte des classes. Sans cela, la
lutte sera vaine même si la NUPES fait le boulot en tenant une tribune offensive,
d’autant que le pouvoir va tout tenter pour fissurer et marginaliser cette opposition,
minoritaire. Il est temps de ranger les vieilles querelles du type « ils ont grillé la politesse aux
syndicats » et de saisir les mouvements imprévus qui émergeront. Face
au traitement de choc prévu par Macron qui veut durcir encore
l’assurance-chômage, forcer les allocataires du RSA à travailler, reculer l’âge
de la retraite, est-il impensable d’imaginer des actions offensives avec les
forces politiques, syndicales et associatives, chacune dans leur rôle, unies
contre les néolibéraux ?
Odile
Mangeot, le 22.08.2022
(1)
Arenh – accès
régulé à l’électricité nucléaire historique (PES n° 80 février 2022)