Eviter la catastrophe qui vient ?
Inflation,
risque de famines, guerre en Ukraine, ce ne sont là que les dernières
« infections » gangrenant l’Humanité, victime du capitalisme débridé.
Il semblerait, sans en être certains, que nous sommes à la croisée des chemins.
Le dérèglement climatique a atteint un tel niveau qu’il n’est plus possible aux
climato-sceptiques d’élever la voix. Et pourtant, les mêmes recettes
inopérantes sont toujours proposées. L’examen du « retour » de
l’inflation, de la situation en Europe et dans le monde, semblent démontrer que
le pire n’est pas encore arrivé.
Le retour de
l’inflation et les banques centrales
D’après
Pinko, le plus grand gestionnaire d’obligations au monde, on est déjà entré en
crise financière : 2 000 milliards de dollars seraient en déshérence,
en recherche de placements lucratifs de plus en plus introuvables ; les
actions ont chuté de 20 % (pas dans tous les secteurs) et les obligations ont
reculé de 11 à 12 %. La flambée des prix touche toutes les denrées. En Estonie,
l’inflation est de 22 %, en Allemagne de 7 à 8 %, pour prendre ces deux
extrêmes.
Que
s’est-il donc passé pour en arriver là ? Certes, la guerre en Ukraine, la
pénurie relative du gaz et du pétrole russes, tout comme les sanctions, ont
joué le rôle de déclencheur. Mais le ver était dans le fruit : l’inflation
était déjà là, tout particulièrement dans l’immobilier et dans l’évolution
exubérante des actions. Dans le système capitaliste qui repose sur la
croissance des capitaux, on n’injecte pas impunément des liquidités, des
créances, si elles ne trouvent pas à s’employer, faute de création de richesses
réelles ; la spéculation dans l’immobilier par exemple ne produit rien,
elle enrichit indûment le rentier qui spécule jusqu’à l’apparition d’une bulle qui
finit par éclater et dévalorise les actifs… La crise des subprimes de 2008 en
est l’exemple probant. Les banques centrales, tout particulièrement la FED
(USA) et la Banque Centrale Européenne (BCE) font face désormais à une équation
impossible : lutter contre la flambée des prix sans brider la croissance.
Or, comme nous l’avons vécu lors de la crise de 2008, la BCE a renfloué les
banques, déversé des liquidités. Cette
dévalorisation des actifs, matérialisée par ces immeubles invendus, ou emprunteurs dans l’incapacité d’honorer
leurs dettes, toutes ces pertes furent socialisées par le sauvetage des
banques, compensées par les politiques d’austérité.
Sous
une autre forme, c’est la même potion austéritaire qui est pratiquée par le FMI
vis-à-vis des pays du Sud depuis des années, ce que cette institution
financière dénomme « ajustements structurels » ne vise qu’à préserver
les créances des prêteurs. Mais cette solution à court terme rentre en
contradiction dès lors qu’il s’agit de juguler l’inflation, impliquant la
réduction du crédit et de la masse monétaire. L’injection de crédits, la
« relance » uniquement monétaire risquent d’étouffer la croissance
déjà en berne dans les pays centraux. Faire un tête-à-queue par rapport à
toutes les politiques menées précédemment est un véritable défi.
En
effet, pour juguler l’inflation en la maintenant à un taux inférieur à 2 %, et
pour tenter d’étouffer la spéculation sur les taux des obligations auxquels
souscrivent les Etats en empruntant sur les marchés financiers, la BCE a baissé
ses taux directeurs. Conséquence : les emprunts contractés par certains
Etats sont même devenus négatifs (Allemagne en particulier). Peine perdue, avec
le retour de l’inflation, les taux sont repartis à la hausse. Mais aujourd’hui,
il ne s’agit plus seulement de purger la Grèce pour éviter les spéculations sur
les taux d’emprunt des Etats. Tous les
Etats européens risquent d’être touchés et pas les moindres comme l’Italie
et la France. Ces deux pays, avec, pour chacun, un stock de dette de 3 000
milliards, ne vont plus avoir les moyens de faire rouler leur dette,
c’est-à-dire d’emprunter à taux négatif pour rembourser leurs dettes antérieures
arrivant à échéance : les taux d’emprunt en hausse ne le permettent plus.
Désormais,
on entend une nouvelle musique : la BCE va sortir un nouveau plan « antifragmentation » :
novlangue pour dire que l’UE risque d’éclater, de se fragmenter. Alors, on
parle de plan de relance (comme aux USA), d’injection de nouvelles liquidités
pour booster l’économie capitaliste à bout de souffle tout en évitant de
remettre en cause les sacro-saints principes du néolibéralisme !!! Pas
question de toucher à la concurrence fiscale et sociale entre Etats, de
contrevenir aux « lois » du marché et de la finance. Reste la solution
suprême, baisser le « coût du travail » et le « train de
vie » de l’Etat. Autrement dit, en termes plus crus, baisser les retraites
et les prestations sociales et le nombre de fonctionnaires. Toute la discussion
de la majorité relative (Macroniens + LR avec l’assentiment du RN) à l’Assemblée nationale sur le pouvoir d’achat relève
de cette stratégie : pas d’augmentation salariale mais des
« aides » mineures puisées dans le budget de l’Etat, comme pour dire,
le contribuable paiera demain. Bref, la lutte de classes continue en faveur du
Capital au détriment du travail. Suprême astuce de langue de bois consistant à
prétendre défendre la « valeur travail » en baissant
« l’assistanat » provenant du salaire différé sous forme de
cotisations sociales. Faut le faire !
Situation
intenable dans les pays du Sud
Le
retour de l’inflation, les conséquences de la guerre en Ukraine sur l’accès des
pays du Sud aux denrées agricoles, comme le blé, risquent d’avoir des
conséquences pour nombre de ces pays. Déjà leurs dirigeants s’alarment tels
ceux de l’Egypte, de la Turquie, du Kenya… Ces dictateurs vont-ils pouvoir
contenir la colère de leurs populations ? Le Sri Lanka est l’exemple emblématique de ce qui pourrait se
produire d’autant que les remèdes du FMI sont de plus en plus rejetés.
L’endettement
des pays pauvres était jusqu’à peu contenu avec un remède de cheval. Face à
l’insolvabilité des Etats, le FMI proposait de nouveaux prêts à faible taux
pour rembourser ceux arrivant à échéance. Les contraintes dénommées « ajustements
structurels » consistaient dans l’imposition de politiques
austéritaires : privatisations, réduction du nombre de fonctionnaires,
baisse des salaires, destruction des services publics. Le haut du panier y
trouvait son compte : les obligations des créanciers ne s’effondraient
pas, elles étaient même revalorisées et à terme remboursées. Les dictateurs
étaient relégitimés. Face à l‘ouverture de leur marché intérieur, ces pays
dépendant des importations (biens industriels et agricoles) ne disposaient plus
que de « l’arme » de l’hyperspécialisation, soit l’extractivisme,
l’exportation de matières premières comme la « merde du diable », (le
pétrole) s’ils en ont, voire le tourisme comme au Sri Lanka. Toutefois, à terme,
cette « socialisation des pertes » pour rembourser les créanciers, y
compris le FMI, a été de plus en plus rejetée. Le Parti du capitalisme chinois
(PCC) a pu s’engouffrer dans cette brèche : pas d’ajustements structurels,
pas d’admonestations hypocrites sur les Droits de l’Homme mais des équipements
portuaires, routiers, ferroviaires… Résultat : la Chine détient 50 % de la
dette des pays pauvres. Vous ne pouvez
pas rembourser le coût des infrastructures ? Pas de problème, elles nous
appartiennent pour 90 ans (bail emphytéotique).
Cette nouvelle forme de néocolonialisme s’accorde parfaitement avec la
stratégie chinoise de la route de la soie
ou du collier de perles, facilitant
l’accélération de la circulation des marchandises en provenance de l’Empire du
milieu.
Sauf
que… la politique du zéro covid mettant à l’arrêt des entreprises et désormais
l’impitoyable sécheresse qui frappe la Chine, réduisent considérablement les
capacités de « l’atelier du monde ». La croissance à deux chiffres de
la Chine, c’est du passé. Si les 3 % font rêver les dirigeants européens, ils
blêmissent face à la rupture des chaines
d’approvisionnement.
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Ce
qui semble se dessiner, du point de vue économique, c’est la stagflation, soit
la stagnation de l’économie capitaliste accompagnée d’une inflation que les
gouvernements auront de plus en plus de difficultés à juguler. On assiste, en
effet, à la fois au retour de la lutte des classes dans les pays centraux et au
dégagisme dans les pays du Sud. Toutefois, ni les revendications purement
économiques, souvent perverties par des accents nationalistes et xénophobes, ni
les coups de boutoir sans perspectives de transformation sociale contre les
dictateurs, ne portent en eux-mêmes une espérance de rupture avec le capitalisme.
Le dérèglement climatique risque même d’aggraver la détresse et la désespérance
sociales, d’autant que le retour du militarisme et de la guerre sont désormais
des réalités palpables.
Gérard
Deneux, le 23.08.2022