Les maux du
capitalisme
Quelques
annotations
Les
« désagréments » du capitalisme touchent invariablement les plus
précaires puisqu'il est racial et patriarcal. L'accumulation du capital se fait
par l'esclavage, le pillage des matières premières des colonies mais il se fait
aussi par une exploitation de la
main-d’œuvre. Le « système dette »
est aussi un outil central renforçant l'oppression. Liste non exhaustive des
désagréments du capitalisme.
Le système
dette
Le
« coût » de la dette est supporté par l'ensemble de la population,
tant dans le Sud global que dans le Nord, que ce soit à travers les plans
d'ajustement structurel ou l'austérité, imposés par les institutions
financières internationales. En effet, la logique qui opère systématiquement
dans le monde entier privilégie le remboursement de la dette par rapport aux
dépenses sociales des pouvoirs publics. Un exemple : avant même l'arrivée
de la pandémie, un quart des pays du Sud consacraient davantage de ressources
au service de la dette qu'en dépenses de santé.
Ce
« coût » de la dette a des conséquences particulièrement
dévastatrices pour les femmes (1) (ainsi que pour les groupes les plus
vulnérables, comme les personnes migrant.es, LGBTI+, etc.). Ce sont elles qui
subissent directement et supportent l'impact des contraintes imposées aux
gouvernements pour rembourser la dette publique (coupes budgétaires, réduction
des prestations sociales, précarisation du travail, etc.). C'est ainsi que les
politiques néolibérales renforcent et approfondissent la logique capitaliste et
patriarcale qui ne fait que se perpétuer en profitant de la dévalorisation et
de l'invisibilisation du travail non rémunéré, notamment du travail de soin (le
care), qui est principalement
effectué par les femmes.
70% des personnes considérées comme
pauvres au niveau mondial sont des femmes
Racisme et
impérialisme
Le
capitalisme n'a pu voir le jour qu'en faisant fond sur les pillages
coloniaux, sur la mise en esclavage dans le « Nouveau
Monde » et sur la dépossession des peuples autochtones. Mais, loin
de cesser, lorsque le capitalisme a pris son envol, les expropriations des
peuples racisé.es non libres ou dépendants ont continué à rendre possible
l'exploitation du « travail libre ».
La
distinction entre les « travailleurs et travailleuses » librement
exploité.es et les « autres », exproprié.es et dépendant.es, a pris
différentes formes à travers l'histoire du capitalisme et s'est parfois
brouillée. Tout au long de cette histoire, et aujourd'hui encore, l'expropriation
des personnes racisé.es a permis au capital de faire fructifier ses profits en
confisquant les ressources naturelles et la force de travail des hommes et des femmes. Dans le Sud
« postcolonial », les expropriations des peuples indigènes sont
exponentielles, intensifiées par le levier de la dette – et parfois les poussent
au suicide. En même temps, la « restructuration » de la dette
souveraine fait exploser le ratio entre intérêts et PIB, ce qui oblige les
États supposément indépendants à réduire leurs dépenses publiques et condamne
les futures générations à consacrer une part croissante de leur travail au
remboursement de la dette.
Cette
oppression suit également un rythme effréné dans les pays du Nord. Les salaires
tombent en dessous du minimum nécessaire pour vivre une vie décente,
particulièrement dans les domaines où les personnes racisé.es sont
majoritaires. Contraintes à accepter plusieurs emplois et à emprunter de
l'argent, elles se voient souvent proposer des prêts hypothécaires très
risqués. La protection sociale décline elle aussi : les services sont de
plus en plus à la charge des familles et des communautés – et reposent en
premier lieu sur les femmes issues des minorités et les femmes immigrées.
Partout dans le monde, le capitalisme financier exproprie massivement les
populations sur des bases raciales.
Autres
dettes
Monétiser
les flux cachés, détournés et nuisibles, permet de mettre en lumière les dettes
invisibles comme la dette écologique et du care, du soin.
Lorsque
notre empreinte écologique est supérieure à la bio-capacité de la planète, nous
entrons dans une situation de déficit écologique. Le déficit d'un pays est
compensé par le commerce, c'est-à-dire par le vol des autres pays ou par la
perte de richesses écologiques de l’État, par le vol des générations futures.
La
dette du care, du soin, est la différence entre les soins reçus et les
soins donnés par des individus ou des groupes sociaux spécifiques. Les
personnes qui pourraient se soigner et fournir des soins, mais qui ne le font
pas, sont endettées. En général, les hommes et les personnes issues des
classes privilégiées ont une dette.
Compte
tenu de la division sexuelle du travail, la notion de dette de genre est
parfois utilisée ; peut s'ajouter la dette historique des pays
colonialistes envers les colonisés. L'économie est une réalité
d'interdépendance actuellement résolue en termes d'exploitation.
Sortir du
système-dette ?
La
désobéissance implique deux mouvements simultanés. Tout d'abord, un
moratoire sur le paiement de la dette publique et sur le recouvrement de la
dette extérieure, afin d'ouvrir un processus d'audit citoyen pour
déterminer quelle partie de la dette est illégale ou illégitime. L'illégitimité
est définie en fonction de la nature non démocratique du processus
d'endettement, du fait qu'il a généré des bénéfices privés injustes au
détriment d'efforts collectifs, ou que son paiement a des conséquences sociales
et/ou écologiques indésirables. L'audit doit être citoyen dans le sens où il ne
doit pas être résolu dans les hautes sphères politiques ou par des experts. Il
doit faire partie du processus de débat radicalement démocratique sur la
« vie bonne ».
Deuxièmement,
rendre visibles les responsabilités asymétriques de chacun.e d'entre
nous. La notion de responsabilités asymétriques nous aide à sortir de la
dichotomie dans laquelle on est soit coupable, soit victime. Une façon de nous
reconnaître comme ayant un pouvoir d'action est la capacité de désobéir.
La responsabilité de celle.eux qui sont entré.es dans la roue de l'endettement
est de prendre la responsabilité de la position que nous occupons dans cette
Chose scandaleuse : nous devons changer nos habitudes de vie, mettre à mal
les privilèges dont nous jouissons du fait de notre proximité avec HSBC (2), et
nous impliquer dans les processus collectifs de transformation.
Stéphanie
Roussillon
1.
Le terme de « femmes » est utilisé dans une perspective plurielle et
non essentialiste, comme classe sociale rassemblant des personnes subissant des
expériences d'oppression patriarcale
2.
Sigle utilisé dans les milieux queers pour désigner homme, blanc, bourgeois, et
hétérosexuel
sources :
Nos vies valent plus que leurs crédits.
Face aux dettes, des réponses féministes, de Camille Bruneau, Christine Vanden Daele, ed. le passager clandestin, 2022 (ouvrage soutenu par le CADTM – Comité
pour l’abolition des dettes illégitimes