Désindustrialisation
et vassalisation de l’Europe
La
dernière période a été marquée par l’occultation d’un phénomène d’ampleur, due
successivement au Covid puis à la mobilisation contre la « réforme »
macronienne de la retraite. En effet, le déclenchement de la guerre en Ukraine
a accéléré et amplifié la vassalisation de l’Europe sur fond de
désindustrialisation. Au-delà du constat, il s’agit de cerner l’origine de ce
phénomène et ses conséquences actuelles. Peut-on véritablement en sortir ?
1 – Des constats
éloquents
De
1970 à 2021, la part de l’industrie dans le PIB est passée de 23 à 10 %. C’est
le taux français le plus bas de la zone euro, l’Allemagne se maintenant encore
à 20 %.
On
est en effet passé de 6 millions d’emplois industriels en France à 3 millions.
Les politiques mises en oeuvre à cet effet sont le fait de dirigeants
d’entreprises et des politiciens qui les ont soutenus. Ainsi, Arcelor a été
vendue à Mittal, tout comme ont été bradées Péchiney et Alstom. Les PDG ont
perçu à chaque fois des primes en raison de leur flexibilité face aux exigences
des actionnaires, primes qui, en moyenne, se sont montées pour chacun d’entre
eux à 15 millions, voire plus. Bref, c’est la cupidité de ces patrons et de
leurs actionnaires faisant le choix du capital financier qui a prévalu, et ce,
contre toute volonté de maintenir les choix industriels en faisant prévaloir la
souveraineté du pays. L’exemple le plus
frappant est celui des turbines Arabelle
vendues sous le régime de Hollande. Alstom est en train de les racheter pour un
milliard, à General Electric, désormais en difficulté.
2 – Origine
de la désindustrialisation
Il
est de bon ton d’accuser l’Union européenne qui sert d’ailleurs de bouc
émissaire. En fait, c’est la politique globale de mondialisation financière qui
a amené les dirigeants français à faire preuve d’une incompétence crasse, dans
la mesure où ils se sont enferrés dans leur propre incapacité à créer un
rapport de force face à l’Allemagne et aux pays du nord de l’Europe.
Résultat : la balance commerciale en France est catastrophique. Son
déficit atteint 190 milliards en 2022. Ce chiffre prouve, s’il en est besoin,
la dépendance de notre pays vis-à-vis de produits étrangers : non
seulement le textile, l’électronique... sont importés mais on en vient à des
aberrations, comme celle d’exporter du bois pour réimporter des meubles ou des
parquets en provenance de pays du Sud.
Le
phénomène de désindustrialisation résulte non seulement du choix en faveur de
la finance, mais aussi d’un certain nombre de pratiques qui ont accéléré ce
processus. La pratique de l’externalisation, le recours à de nombreux
sous-traitants, dans les secteurs de la métallurgie, de l’automobile, ou de la
chimie, ont perverti le système industriel : désormais, on importe des
produits semi-finis pour les assembler sur le territoire national. D’autres
mécanismes de profitabilité et de modernisation ont bien évidemment donné
encore plus de corps au délitement de l’économie industrielle, comme les
délocalisations vers l’Europe de l’Est puis l’Asie. L’automatisation et la
robotisation, pour accroître les gains de productivité sur le sol national, ont
concouru au même objectif.
3 –
Conséquences
Les
emplois détruits se sont matérialisés par l’émergence de territoires en crise,
ainsi furent touchés le nord et l’est de la France, la Lorraine, les Vosges,
les Ardennes, la Marne mais aussi Castres et Alès… Qui plus est, un emploi
industriel génère deux à trois emplois indirects ; c’est la raison pour
laquelle des régions entières ont été touchées. On a assisté, pour les
collectivités territoriales, à l’effondrement de leur fiscalité et des prix de
l’immobilier.
La
réduction de la production accentue la dépendance du pays vis-à-vis d’autres
puissances. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple, 90 % des principes actifs du
médicament sont assemblés et conditionnés en France, mais produits en Asie.
4 - La
ré-industrialisation est-elle possible ?
L’épidémie
du Covid 19 a fait apparaître une dépendance insoutenable et ce, dans les
produits de première nécessité, comme les masques. Le gouvernement Macron en
vint à prôner la ré-industrialisation à l’horizon de 2050, sans avoir, pour
autant, une stratégie claire à énoncer, pour sortir de la dépendance de la
Chine et des USA.
Ce
qui est certain, c’est que ni l’utopie de la start-up nation, ni l’implantation
d’usines comme Gigafactory, ne vont
changer les choses. D’un côté, les crédits en faveur de la recherche sont
insuffisants, de l’autre, nous ne sommes pas maîtres de la production des
batteries, nous ne faisons que les assembler. L’implantation provisoire
d’usines peut très bien, demain, se retourner en délocalisations.
Macron
prévoit l’injection, sous forme de subventions, de 54 milliards d’euros, ce qui
semble dérisoire vis-à-vis des 400 milliards de dollars promis par Jo Biden,
afin d’attirer les technologies innovantes et autres industries sur le sol
étatsunien.
Le
financement du plan France 2030 va se heurter à la frilosité des banques et
accentuer encore la dette de la France, sans certitude aucune, quant à la
volonté de se dégager de l’emprise des USA ou de la Chine.
L’effort
environnemental de décarbonation rend encore plus difficile la mise en œuvre de
projets coûteux dans le cadre néolibéral et d’une Union européenne, ouverte
tous azimuts. Faut-il rappeler que la Chine et les Etats-Unis pratiquent de
fait une politique protectionniste.
L’incapacité
de raisonner, en termes de mobilité plutôt que d’automobile
« verte », démontre, s’il en est besoin, que le ferroviaire, malgré
toutes les déclarations, n’est pas véritablement à l’ordre du jour.
Plus
généralement, la France, comme l’Union européenne, sont en guerre économique
avec les USA, qui utilisent tous les outils pour accroître l’assujettissement
de l’Occident. Les écoutes, révélées par Snowden en 2014, prouvent que
l’espionnage des entreprises et des dirigeants politiques ont pour but de
développer la dépendance. L’utilisation du droit extraterritorial par les USA démontre
leur volonté de s’instituer gendarmes du monde, visant à exclure tout commerce
avec la Chine, la Russie, l’Iran, le Venezuela… Ainsi, la liste ITAR comprend
22 000 composants qui, s’ils sont vendus aux pays
« diabolisés », permet aux USA de sanctionner les contrevenants qui
décideraient de passer outre les oukases étatsuniens.
Et
d’ailleurs on ne voit pas comment arrêter le processus en cours : 131
entreprises françaises ont été vendues à l’étranger en 2022 et la colonisation
numérique s’accentue (exemple : Google).
S’il
fallait dater l’accélération de la sujétion de l’Europe aux Etats-Unis, il
faudrait remonter, dans le cadre de la mondialisation, à l’acte unique de 1986
et à la libéralisation des capitaux, tout en constatant que les socialistes
français ont été, dès cette époque-là, à la manœuvre.
Mais
la mondialisation est en train de provoquer son contraire : les exigences
écologiques ne collent plus avec les millions de porte-containers qui
sillonnent les océans. L’ouverture du marché tous azimuts est en train de se
refermer. Ainsi Trump a réinstauré des droits de douanes. La Chine et d’autres
pays envisagent de créer une monnaie unique pour se passer du dollar. Toutefois, la guerre en Ukraine a révélé que
l’Allemagne, comme d’autres pays de l’Europe, appellent de leurs vœux, une
servitude volontaire des plus néfastes.
Gérard
Deneux, le 27 juin 2023
Sources :
Elucid, Blast