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mardi 4 juillet 2023

 

Un pognon de dingue…

Pour les ultra-riches

 

Au cours des quarante dernières années, les aides aux entreprises ont explosé, passant de 10 à 30% du budget de l’Etat. Les firmes françaises sont de plus en plus accros aux perfusions d’argent public. Pourtant elles n’ont pas réussi à « accroître la compétitivité », ni l’innovation,  et elles ont un impact très faible sur la création d’emplois. A l’inverse, pour une partie d’entre elles, elles sont venues se substituer à la volonté d’innover. Or ce sont les ménages et un surcroît de dette publique qui alimentent ces caisses… d’où l’intérêt de se pencher sur ces béquilles fiscales.

 

Défricheurs intéressés

 

Sur un portail créé par la Chambre de métiers et de l’artisanat, on peut lire qu’il existe près de 2 000 aides publiques aux entreprises : exonérations et abattements fiscaux, apports en capital, subventions à l’installation, à l’investissement, etc. Tous ces dispositifs permettent aux entreprises de payer moins d’impôts et de recevoir une partie des dépenses publiques, ce qui n’est pas sans conséquences négatives pour l’économie. Pour les petites et moyennes entreprises (PME), « c’est un sac de nœuds !, s’exclame Bénedicte Caron, vice-présidente de la CPME, en charge des affaires économiques et fiscales. C’est très compliqué. Il faudrait qu’un patron de PME prenne le temps d’aller voir la totalité des aides, celles auxquelles il pourrait prétendre, ce que personne ne fait ! ». C’est la raison pour laquelle tout un florilège de cabinets de conseil est prêt à aider le patron en détresse. Selon Bénedicte Caron, « c’est très peu fait ». Tous ne partagent pas ce point de vue, un dirigeant de PME a déjà fait appel plusieurs fois à ce genre de cabinets « ils font 80% du boulot administratif » et « il y en a même qui vous expliquent comment faire en sorte que des dépenses non éligibles à une aide le deviennent ». Et là, tout repose sur le degré d’éthique du chef d’entreprise. Combien coûte ce genre de conseils ? « Ils nous demandent entre 10 et 12% de la subvention », confie-t-il.   

 

Si ces aides peuvent être réellement efficaces, au sens où des investissements n’auraient pas eu lieu sans elles, ce même dirigeant indique que, dans son secteur, la majorité d’entre elles se retrouve en fait dans les poches des grandes entreprises. En réalité, selon Maxime Combes, économiste à l’Observatoire des multinationales, qui vient de coécrire un ouvrage sur le sujet, « il n’existe aucune ventilation précise de ces aides par taille d’entreprise. Cette opacité est problématique car elle rend très difficile la mesure de leur efficacité. On sait que des grands groupes en bénéficient et que, dans ce cas, elles sont plutôt inefficaces en termes de création d’emplois, de développement de la recherche, etc. ».

 

Coût exorbitant

 

En 2007, un rapport public a évalué le total des aides à 65 milliards d’euros. Puis un rapport de l’Inspection Générale des Finances a avancé un montant de 110 milliards, avant que Gérald Darmanin, alors ministre des Comptes publics, les situe, en 2018, à 140 milliards (environ 5% du PIB). Ces transferts de richesse publique aux entreprises n’ont cessé de progresser : ils représentaient l’équivalent de 2,4% du PIB en 1979. Les aides ont commencé à fortement s’accroître à partir du début des années 2000, puis après la crise de la zone euro au début des années 2010. La pandémie et la guerre en Ukraine ont encore fait grimper les montants.

 

Pour Maxime Combes,  on assiste au développement d’un « corporate Welfare », d’un Etat-providence au service du bien-être des entreprises : « La nature de la dépense publique se transforme : on rabote l’accès aux prestations sociales et aux services publics des ménages, d’un côté, et on étend l’intervention publique en faveur des entreprises, de l’autre ». Et si au moins ces manques à gagner de recettes fiscales et ces dépenses fiscales étaient efficaces, mais ce n’est généralement pas le cas. Une étude de l’Institut de recherches économiques et sociales (Ires) montre que pour financer ces baisses d’impôts, la fiscalité des ménages a été accrue. On transfère donc une partie du pouvoir d’achat des ménages aux entreprises.  En 1995, les entreprises représentaient 65,2% du financement de la Sécurité sociale. Cette part est tombée à 46,9% en 2020. Les ménages sont aujourd’hui les premiers financeurs d’une protection sociale. Les entreprises contribuent de moins en moins au financement collectif tout en en bénéficiant de plus en plus. Et la forte poussée des aides aux entreprises a été financée par un accroissement de la dette publique.

 

La recherche universitaire montre que la meilleure incitation à l’innovation privée passe par la commande publique, avec un effet bien plus fort que les subventions et les incitations fiscales.  Les Etats-Unis l’ont bien compris : la commande publique, souvent celle de l’armée, est orientée vers l’innovation. En France, beaucoup d’entreprises attendent des béquilles fiscales. Ainsi, pour Maxime Combes, le niveau élevé des aides montre que « les entreprises ne réclament plus le retrait de l’Etat mais sa transformation à leur profit. » Face à n’importe quel changement économique, la réponse attendue de beaucoup d’entreprises, en particulier des plus grosses, est de réclamer une part croissante des dépenses publiques et une part réduite de contribution aux recettes fiscales.

 

Quelle efficacité ?

 

Dans les comptes de la Sécurité sociale, une catégorie à l’intitulé étrange « Dispositifs d’exonération en faveur de l’emploi » a triplé depuis 10 ans et atteint 85 milliards d’euros pour 2023. Ce montant est constitué pour l’essentiel « d’allègements généraux », c’est-à-dire de réductions dégressives ou de baisses de taux de cotisations patronales sans contrepartie. « Ces mesures sont nées du postulat que le fort taux de chômage parmi les non-qualifiés à la fin des années 1980 était une conséquence d’un salaire minimum trop élevé », rappelle l’économiste Sophie Cottet. Au début, elles ciblaient donc des salaires proches du Smic. Mais chaque nouvelle salve les a élargies à des salaires de plus en plus élevés. Désormais, plus de neuf salariés sur dix sont couverts par au moins un dispositif d’allégement. Une note du Conseil d’analyse économique (CAE) recommande « une remise en cause » des exonérations au-dessus de 1,6 Smic « si les évaluations à venir confirmaient les résultats décevants tant sur l’emploi que sur les exonérations ». L’une des raisons est que plus les niveaux de salaires élevés sont concernés, plus les marges dégagées sont potentiellement utilisées pour augmenter les rémunérations des actionnaires et hauts revenus  au lieu d’embaucher ou de baisser les prix.

 

A la faveur de la disparition du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE), converti en baisse pérenne de cotisations sociales, le crédit d’impôt recherche (CIR) est devenu l’année dernière la première niche fiscale de France, avec un coût estimé à 7 milliards d’euros pour les finances publiques. Créé en 1983, il est destiné à améliorer la compétitivité des entreprises et à stimuler l’innovation, et donc la croissance. Modifié de nombreuses fois, il permet aux entreprises de bénéficier d’un crédit d’impôt sur les sociétés équivalent à 30% de leurs dépenses de recherche et développement (RetD) jusqu’à 100 millions d’euros, et à 5% de ces dépenses au-delà. La Commission nationale d’évaluation des politiques d’innovation (Cnepi) a calculé que le surcroît d’aides publiques à la RetD s’est traduits par une hausse légèrement inférieure de l’effort des entreprises dans ce domaine. Autrement dit, chaque euro supplémentaire d’aide publique a déclenché un peu moins d’un euro de dépense privée… Les études microéconomiques ne montrent par ailleurs pas d’impact significatif au global sur leur valeur ajoutée ou leur investissement, sauf l’investissement incorporel.  Au vu du rôle joué par l’industrie dans la RetD, l’argent du CIR serait mieux investi dans une politique visant à reconstituer l’appareil industriel, selon les auteurs d’un rapport de l’Ires. La commande publique, en particulier, est un levier plus efficace pour stimuler l’innovation, arguent-ils, permettant de surcroît de l’orienter vers des domaines d’intérêt général, comme la transition énergétique.

 

Tonne de dispositifs

 

L’une des niches fiscales les plus importantes pour cette année est la taxe au tonnage soit 3,8 milliards d’euros. Contrairement à l’ensemble des entreprises qui doivent reverser 25% de leurs bénéfices à l’Etat, le secteur du transport maritime n’est pas soumis à l’impôt sur les sociétés. A la place, les armateurs voient imposer leur capacité de transport en tonnes, qu’ils fassent des bénéfices ou des pertes. Un régime qui, au global, leur profite puisque quand leurs profits s’envolent, le montant de la taxe reste le même. Or, c’est justement ce qui se passe aujourd’hui, à l’instar du géant marseillais CMA CGM, qui enregistre des bénéfices de plus de 15 milliards d’euros, soit autant que Total Energies.

 

A première vue, la taxe au tonnage a permis aux armateurs européens de résister aux pavillons de complaisance. Le marseillais CMA CGM est le troisième plus grand transporteur maritime au monde. Mais en réalité, la taxe n’est pas le seul dispositif de soutien au secteur : registre international français qui permet d‘avoir 65% de marins non européens, réduction des cotisations sociales patronales pour les marins français, etc.  Si un soutien à ce secteur confronté à une rude concurrence internationale peut se justifier, l’enjeu réside dans l’addition de ces dispositifs et dans l’absence de conditions. 

 

Autre exemple des régimes fiscaux très peu questionnés : le taux de TVA réduit dans la rénovation énergétique, qui représente un coût annuel de plus d’un milliard d’euros. En 2016, la Cour des comptes s’est étonnée de l’absence d’étude sur l’efficience de cette dépense fiscale. En 2017, l’Inspection générale des finances (IGF) note également « qu’il est très difficile de documenter la contribution du taux réduit de TVA à l’atteinte de ses objectifs ». L’IGF pointe par ailleurs que, n’étant soumis à aucune condition de ressources, le dispositif profite majoritairement aux ménages plus aisés qui réalisent davantage de travaux. Sur l’aspect écolo, elle n’encourage pas à faire des travaux performants ou globaux permettant d’améliorer significativement la performance énergétique.

 

« Ce dispositif est comptabilisé dans le budget comme favorable au climat, mais il faudrait aller plus loin, en alignant les instruments de financement de la rénovation sur nos objectifs climatiques » explique Maxime Ledez, de l’Institut du climat. Encore un exemple d’une politique publique qui additionne des outils de financement sans en mesurer les effets précis, ce qui ne permet pas de les rendre plus efficaces.

 

Stéphanie Roussillon

 

Source : Alternatives Economiques (février 2023)