Climat. Inéluctable course vers
l’abîme ?
Il
devient de plus en plus incongru de nier la réalité du réchauffement et de la
dérèglementation climatiques. Les événements de juillet/août en attestent.
Certes, les climato-sceptiques et l’extrême-droite peuvent encore invoquer le
scientisme sauveur et s’en prendre aux contraintes imposées, ou en voie de
l’être, aux populations les plus « fragiles ». Nous ne traiterons pas
ci-après des technologies de la géo-ingénierie qui ont fait l’objet d’un article
dans le n° 86 de notre publication (1). Le dangereux charlatanisme, tout comme
les propos démagos s’en prenant aux écolos-bobos, doivent être combattus.
Certes, les puissants tentent de culpabiliser les consommateurs pour masquer
leur propre impuissance volontaire. En tout état de cause, la pédagogie des
petits gestes apparaît bien dérisoire face à l’ampleur des phénomènes auxquels
nous sommes confrontés.
La
réalité globale, tout comme les exemples les plus significatifs de ces deux
derniers mois sont, par eux-mêmes, d’une visibilité aveuglante. Il y a encore
des petits marquis, comme Gabriel Attal, pour prétendre que ces catastrophes
n’étaient pas prévisibles ! Sa prétendue ignorance relève du cynisme des
plus grossiers et d’un mépris à l’intelligence des citoyens. Depuis les
lustres, des scientifiques nous alertent. Par-delà les grandes messes
médiatiques des COP, ils persistent : c’est l’émergence du capitalisme
industriel productiviste et son recours aux énergies fossiles (charbon,
pétrole, gaz…) qui sont les causes premières du dérèglement climatique en
cours. Et la Terre maltraitée se soulève. « Il est bientôt minuit en ce
siècle » et il est urgent d’arrêter la marche fatidique de cette horloge…
1 – Des
constats des plus alarmants
Le
GIEC, ce groupe d’experts internationaux, continue d’avertir, sans grand
succès, les gouvernants : c’est essentiellement le gaz à effet de serre
qui est à l’origine du réchauffement climatique et suscite l’effondrement de la
biodiversité. Il préconise la neutralité carbone à très court terme et précise
que, depuis 1990, l’élévation de la température est exponentielle. Ce phénomène
provoque l’évaporation de l’eau, en grande quantité, donc, des pluies
diluviennes et des inondations. Pire, la libération du méthane, du protoxyde
d’azote, réchauffe 27 fois plus l’atmosphère que le CO2. Le dégel du
permafrost, en Sibérie, au Groenland, risque d’en relâcher une quantité
considérable. Si rien n’est entrepris pour bloquer cette évolution, il faut
s’attendre, dès 2030, chaque année dès le mois de septembre, à la fonte de la
banquise au Pôle Nord et donc, au réchauffement encore plus rapide de la
planète : les rayons du soleil ne se réverbèreront plus sur la calotte
glacière… Et la montée du niveau des mers submergera nombre de villes côtières
qu’il faudra évacuer. Tous ces dérèglements engendreront des déplacements de
populations et l’accroissement du nombre de réfugiés climatiques. Où est le
« point de bascule » ? Tout ça n’est-il pas un ensemble de
prévisions contestables ?
Nous
y sommes déjà. En vrac et sans être exhaustif : à Hawaï, ce confetti colonial de l’empire US, situé en plein
Pacifique, a été ravagé par les flammes. Au 10 août, on dénombrait plus de 50
morts, on cherchait les disparus, réfugiés… dans la mer. Les touristes évacués,
plus de 11 000, et les habitants survivants contemplent les ruines
calcinées de leurs pauvres biens. Tout est ravagé sur l’ile de Maui, y compris
les coraux étouffés par les débris calcinés. Aux Etats-Unis eux-mêmes, du 1er au 18 juillet, le sud-ouest
a connu des épisodes dramatiques, des températures de plus de 43°, la ville de
Phoenix asphyxiée ; dans la « vallée de la mort », au sud de la
Californie, la fournaise dépasse 53°. Au Canada,
des feux de forêts incontrôlables, 571 sur une surface immense, plus de 10
millions d’hectares brûlés sur une superficie équivalente à celle de l’ensemble
de la Grèce. De l’ouest à l’est et jusqu’au nord, aucune région n’a été
épargnée, comme dans le Yukon au nord, près de l’Alaska. Des nuages de fumées
si intenses qu’ils provoquent des foudres de feu, alimentant les flammes
immenses des incendies. Les feux se propageant dans la tourbe et risquent de
faire resurgir les incendies… au printemps prochain. Les médias ont montré des
images dantesques, des hordes de voitures fuyant les murs de flammes et des
populations autochtones, comme les Inuits du grand nord, évacuées. En Chine, de fortes pluies, des
inondations monstres près de Pékin, des dizaines de morts. Les autorités ont dû
déplacer 1 million de personnes des campagnes de Hu Bai. Un typhon, venu des Philippines, a provoqué, à Litenzhon, ville de 30 000 habitants, une montée des eaux
de 6 mètres. Il en fut de même en Corée
du Sud où l’on dénombre plus de 50 morts.
Evidemment,
l’Europe ne fut pas épargnée par la canicule et les incendies. En Italie, à Rome, les 42° ont été
dépassés, 46° en Sicile. Meloni, toujours négationniste, devrait se rappeler
qu’en 2022, les fortes températures ont provoqué plus de 18 000 décès, les
25 % âgés de plus de 65 ans étant les plus touchés. En France, les 40° ont été franchis dans de nombreuses régions. Plus
étonnant, à l’Alpe d’Huez, à 1 800 mètres d’altitude, on a frôlé, en plein
jour, les 30° (29.6) et la nuit, les 20° (19.7).
On
pourrait multiplier les exemples : la Sardaigne, l’Espagne, le Maghreb, la
Turquie, la Grèce, où l’île de Rhodes a été ravagée par les flammes. Et que
dire des 37°, en plein hiver, dans l’hémisphère sud, en Argentine au pied de la
cordillère des Andes… Est-ce la planète qui marche cul par-dessus tête ?
2 – De quelques
drames à venir
La
planète se transforme en étuve. Le 1er août, à Buenos Aires, le
Secrétaire général de l’ONU s’époumone : « ce n’est pas dans l’ère du réchauffement climatique que nous entrons
mais dans celle de l’ébullition climatique ». Comme les experts, il a
constaté la fonte de la glace au Pôle sud et l’élévation de la température à la
surface de l’eau, tout particulièrement dans l’océan Atlantique. Les 23° observés à l’ouest de l’Irlande, l’augmentation
de 5 à 6° dans l’Arctique, interrogent. D’autant que dans le même temps
l’intensité des pluies redouble en Indonésie, en Australie… Les conséquences de
tels phénomènes sont mortifères. Le cycle du phytoplancton, de la flore marine,
est perturbé, les coraux protecteurs se meurent et, avec eux, des milliers de
poissons. On assiste même à une hécatombe d’oiseaux. Plus généralement, c’est
toute la biodiversité, y compris animale, qui est atteinte. Le cycle de l’eau
et son accès sont bouleversés.
Déjà,
4 milliards d’humains, soit la moitié de la population mondiale, subit un
stress hydrique inquiétant. En 2050, ce serait 60 % de la population. Bahreïn,
Chypre, Koweït, Liban, Oman sont les 5 pays les plus exposés mais le Chili, la Grèce,
la Tunisie seraient aussi affectés. Les scientifiques s’attendent à la généralisation
des coupures d’alimentation en eau dans les grandes villes en Inde, au Mexique,
en Afrique du sud et même dans le sud de l’Angleterre.
L’agriculture
productiviste, à forte irrigation, tournée vers l’exportation est un facteur
d’aggravation. De fait, elle est en passe de mettre la sécurité alimentaire en
danger. La production de canne à sucre, de blé, de maïs, risque d’être insuffisante.
Quant à l’industrie, minière en particulier, gourmande en eau pour extraire, au
sein des terres rares, les matériaux nécessaires aux nouvelles technologies
comme le lithium, elle est susceptible de provoquer des « guerres de l’eau »
(voir rubrique « ils, elles luttent » Argentine, l’eau vaut plus que le lithium).
En
France, on n’est pas en reste : au 1er août, les niveaux de 72
% des nappes phréatiques sont inférieurs aux normes de saison. Des préfets ont
déjà pris des arrêtés restrictifs dans certains départements interdisant
l’arrosage des pelouses, le lavage des voitures, le remplissage des piscines.
En revanche, rien contre les terrains de golf, ni les méga-bassines ! Et
pourtant, selon une enquête réalisée par le journal le Monde (mi-août), 85 communes sont affectées par des pénuries
d’eau, 67 sont ravitaillées par camions citernes et 18 par des bouteilles d’eau.
Désertification,
notamment en Afrique du nord, dans l’Espagne du sud, sécheresses, inondations,
montées des eaux, crise alimentaire, vont provoquer, si rien ne vient
contrecarrer ces tendances, des migrations climatiques de plus en plus importantes,
déstabilisant les pays et faisant surgir des comportements xénophobes comme en Grèce…
et ailleurs. Et partout les organismes vont souffrir et les capacités
hospitalières pour y faire face, risquent d’être insuffisantes, voire dépassées
face à l’ampleur d’évènements extrêmes, comme les méga-feux qui accélèrent la
production de CO2, telle que constatée au Canada. Dans d’autres régions tropicales,
la combinaison d’intenses chaleurs et d’un taux d’humidité insupportables
constitue des facteurs de morbidité irrémédiable. Cet à venir doit également
compter avec, dans les grandes agglomérations, la pollution engendrée par la
circulation automobile exponentielle. La généralisation du moteur électrique - s’il n’est pas forcément la solution - n’est
pas pour demain.
3 – Course
vers l’abîme ou bifurcation structurelle ?
Les
dominants vont-ils vouloir véritablement agir avant qu’il ne soit trop
tard ? Tout en tergiversant, ils peuvent se diviser si leurs profits sont
mis en cause. Ainsi, pour Allianz, cette société d’assurances, le coût des
catastrophes est trop élevé. Il faut trouver des remèdes. En effet, le
réchauffement climatique ralentit la productivité des travailleurs et donc…
l’accumulation des profits. Pensez donc, chaque journée à plus de 32° équivaut
à une journée de grève ! La solution prioritaire : modifier le code
du travail, faire travailler les salariés la nuit, très tôt le matin et tard le
soir…
Rafraichir
l’atmosphère ? C’est déjà possible. Il suffit de provoquer des pluies
artificielles. Rien de plus simple en apparence : pour autant qu’il y ait
des nuages, la solution consiste à les ensemencer avec de l’iodure d’argent.
Comment ? Par avion et par lancement de roquettes. Génial ? Ça
diminuerait la sévérité des sécheresses, protègerait les activités agricoles,
éteindrait les feux de forêts. Sauf que le rendement de cette hasardeuse
technologie n’est que de 0 à 20% et ne fait que déplacer la pluviométrie.
Toutefois, sans le proclamer, de nombreux pays y recourent, la Chine, les
Etats-Unis, l’Afrique du sud et même la France, en catimini. Biden a même
annoncé des investissements de 2.4 millions de dollars à cet effet. Objectif :
sauver le fleuve Colorado. Israël compte mieux faire en utilisant du dioxyde de
titane et les nanotechnologies. Le rendement pluviométrique obtenu serait 2.5
fois plus important que le recours au seul iodure d’argent. Les docteurs
Folamour prétendent que leurs remèdes n’ont aucune incidence sur la santé
humaine et, surtout, pas besoin d’études ou de réglementations, ce serait
contraire à l’avancée de la science.
Science
(dévoyée) et marché ne sont-ils pas les seules solutions face à la
pollution ? C’est ce qu’induit la création factice du marché carbone et de
ses droits à polluer. Ils viennent de permettre aux Emirats Arabes Unis (EAU)
de vendre des crédits-carbone en surplus contre l’acquisition « verte »
d’un million d’hectares de forêts tropicales au Libéria, soit une superficie
équivalant à 10 % du territoire de ce pays africain. Qu’importent les
populations qui y vivent, leur vie n’a aucune valeur marchande. Cette monarchie
pétrolière, comme d’autres, est d’ailleurs en pourparlers avec les
gouvernements de la Zambie, de la Tanzanie… pour réaliser le même type d’opération.
En
fait, tous les gros pollueurs, les multinationales, la finance, s’invitent à la
fête, à la croissance verte jusqu’à plus soif, jusqu’à la dernière goutte de
pétrole. Ils ont investi avec leurs lobbys les espaces de la COP 27. Leur
influence se lit jusque dans le rapport final de cette grande messe
mondiale : les mots pétrole, gaz, énergie fossile y sont absents. Que vaut
l’effet de serre face aux promesses verdoyantes des gros bonnets, face aux 61
milliards de dollars engrangés en 2022 par Aramco, cette compagnie pétrolière
saoudienne, et face aux 3 millions de dollars par jour encaissés par toutes les
multinationales fossiles réunies ?
Pour
contrer l’inquiétude qui se répand, les démagos ont un culot à toute épreuve
afin de nous enfumer à coups de discours paradoxaux. Que les scientifiques les
alertent depuis plus de 30 ans ne les empêche nullement de s’émouvoir… Qui
pouvait prévoir ? Tout le monde le sait « il n’y a pas d’argent magique » même si les milliardaires se
gavent. Ce qui importe, comme le dit l’insolente Agnès Pannier Rhunacher, ce sont
les petits gestes que vous êtes condamnés à faire : n’envoyez plus de
mails avec des pièces jointes, ça consomme trop d’énergie ! De tels propos
sont, de fait, du pain béni pour Le Pen qui pourra encore mieux s’insurger
contre l’écologie-bobo punitive.
Plus
fondamentalement, il y a la réalité de la politique des gouvernements. Ainsi,
celui de Macron, entre autres, a subventionné, depuis 2021, les énergies
fossiles à hauteur de 100 millions d’euros, ce qui ne l’a pas empêché de faire
quelques gestes de calinothérapie avec la convention citoyenne qui accouche
d’une souris de mesures. D’ailleurs pour obéir aux maîtres de l’Occident, il
s’est empressé, comme d’autres, de doubler le budget militaire, de faire construire
un terminal gazier au Havre afin d’y accueillir du GNL issu de gaz de schiste
étatsunien ainsi que celui du Qatar.
Plus
cyniquement, les puissants tentent de manipuler les associations, mouvements,
les plus conscients ou les plus radicaux comme Extinction Rébellion (2) en les infiltrant, en les sponsorisant.
Sauver l’Humanité sous la houlette des criminels climatiques est leur dernière
trouvaille pour maintenir leur hégémonie ! Evidemment, ils ne veulent
aucunement que l’on remette en cause la production de SUV ou leurs
fréquents voyages en jets privés. Ce n’est pas l’offre qu’il faut remettre en
cause mais la demande irresponsable des consommateurs. Bref, il suffit de les
raisonner afin qu’ils adoptent un comportement responsable avec l’aide des
mouvements qui, bien dirigés, feront pression sur les gouvernants… sans les
mettre en cause.
<<<>>>
Eviter
l’écocide, c’est au contraire saper l’hégémonie des classes dominantes et les
politiciens qui les servent. Changer le mode de production, l’asseoir sur les
besoins réels, débattus démocratiquement tout en faisant prévaloir la sobriété
égalitaire. Cela suppose une véritable transformation structurelle. Elle ne
peut que conjuguer justice sociale et justice climatique. Qui plus est, elle
doit penser une nouvelle articulation des territoires, rapprochant les lieux de
production des habitants, développant les transports en commun…
Pour
y parvenir, le chemin à emprunter est tortueux, il doit en effet contourner les
obstacles que sont les illusions des réformes cataplasmes. Si l’avenir
climatique est entre les mains des peuples, encore faut-il qu’ils s’en
saisissent avant qu’il ne soit trop tard.
Gérard
Deneux
28.08.2023
(1)
Géo-ingénierie pour sauver la planète ? de Romain Menigoz (septembre 2022)
(2)
article dans ce
numéro de Stéphanie Roussillon Climat et petits fours
Sources :
-
articles parus
dans le Monde des mois de juillet et
août
-
sur
youtube : Elucid « En
finir avec les idées reçues sur la crise climatique » avec Olivier
Berruyer et Thomas Wagner, créateur du média indépendant Bon Pote