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mercredi 6 septembre 2023

 

Putsch au Niger

 

On parle de pays qui sont « des plaques tournantes » d’un continent, et parfois, à mauvais escient. Concernant le Niger, ce terme est parfaitement justifié. Jugez plutôt. Situé au centre de la zone sahélienne, il a des frontières avec 7 pays qui ne sont pas parmi les moindres, politiquement, économiquement, stratégiquement. Au nord, l’Algérie et la Libye, le Tchad à l’ouest, le Nigéria et le Bénin au sud et enfin le Burkina Faso et le Mali à l’ouest.

 

On y reviendra plus tard, mais stratégiquement, le Niger apparaît comme un pays très important. Il compte environ 25 millions d’habitants répartis en différentes ethnies (les Haoussas 55%, les Zermas 23 %, les Touaregs 11 %, les Peuls 6 %...). 99 % sont musulmans. Démographiquement, ce pays possède le plus fort taux de fécondité d’Afrique (près de 7 enfants par femme). La population était de 3 millions en 1960 et un habitant sur 2 a moins de 15 ans.

 

Plaque tournante de nombreux échanges

 

Le territoire de l’actuel Niger a toujours été sillonné par de nombreuses voies de circulation entre le nord et le sud, principalement, le sel du désert était échangé contre les céréales de la zone sahélienne. Des esclaves, des bijoux, du bétail transitaient également par cette région désertique. Les villes étaient des centres d’échanges économiques, mais aussi intellectuels ou artistiques. Au 16ème siècle, Gao (située dans le Mali actuel) comptait plus de 100 000 habitants. Agadez, située au cœur du Sahara était, elle aussi, une ville dynamique. Les premiers européens, des Anglais, qui découvrent la ville en 1806, décrivent une « cité ceinte de murailles », « des maisons fort bien bâties », de « somptueux palais ». Très loin de l’idée que les livres d’histoire nous décrivent : l’Afrique n’était pas peuplée de personnes totalement incultes, luttant seulement pour leur survie que les colonisateurs ont « sauvées » de leur destin tragique… N’en déplaise à M. Sarkozy et à tous les historiens bien-pensants, l’Afrique était « rentrée dans l’histoire », simplement c’est son histoire, pas celle de l’Europe. E si on se remémore les conditions de vie des mineurs de la révolution industrielle (qui rend si fiers certains historiens), le mépris européen envers les civilisations africaines ne semble guère justifié….Ces villes situées dans la vallée du Niger ou aux abords du lac Tchad étaient des zones de vie très prospères.

 

Colonisé par la France

 

Vers 1890, ce sont les Français qui arrivent. Ils vont jusqu’au lac Tchad à l’est. Ils réduisent, non sans mal, la résistance des Touaregs. En 1900, le Niger devient un territoire militaire administré par la France puis, en 1922, une colonie au sein de l’Afrique Occidentale Française. De nombreux foyers de résistance ont lutté contre cette colonisation forcée. La civilisation européenne et tous ses « bienfaits » (exploitation des hommes, pillage des ressources, destruction de la nature, etc.) ont donc été imposés par la force à ces populations « incultes et irresponsables ». Et, bon gré mal gré, ils ont « encore profité de ces bienfaits » puisqu’en 1931, une famine provoqua la mort de 25 % de la population.

 

Certes, la vie n’était pas paradisiaque pour tous les Africains avant la colonisation mais l’apport des pratiques européennes, sociales, industrielles, n’a pas été un grand progrès, loin de là, pour la population africaine. Les élites qui ont « coopéré » avec les colons ne pensent certainement pas la même chose.

 

Un pays stable dans la région du Sahel ?

 

Depuis une quinzaine d’années, le Niger, comme beaucoup de ses voisins, doit faire face à un développement des groupes armés djihadistes. A sa frontière sud-est les groupes armés de Boko Haram occupent le pourtour du lac Tchad. Au sud-ouest, dans la région des 3 frontières (Mali, Burkina Faso, Niger) opèrent à la fois des djihadistes se réclamant d’Al Qaïda et des « terroristes affiliés » à l’Etat islamique. Ces groupes armés sont cependant beaucoup plus implantés dans les pays frontaliers qu’au Niger lui-même.

 

Il apparaît donc, comme un pôle de stabilité et surtout comme le dernier Etat « sûr » pour les Occidentaux. Après leur « éviction » du Mali et du Burkina Faso, les militaires français s’y sont d’ailleurs redéployés.

 

Politiquement, le Niger est plus « stable » que ses voisins. En effet Mahamadou Issoufou est resté au pouvoir de 2011 à 2021 et l’élection de son bras droit Mohamed Bazoum en 2021 a permis d’assurer la continuité et la légitimité du pouvoir. Alors que le Mali a connu deux coups d’Etat en 2020  et 2021 et que le Burkina Faso en a connu deux en 2021. Le Niger est donc devenu « un pilier » de la guerre contre le terrorisme, menée notamment par la France depuis l’intervention au Mali en 2013.

 

Des dirigeants « dévoués » à la France

 

Les militaires français sont présents à Niamey pour intervenir dans la zone des 3 frontières ainsi qu’à Aguelal, dans le nord du pays, près de la frontière algérienne, mais surtout près des mines d’uranium exploitées par le groupe Orano (ex-Areva). Les Etats-Unis sont également présents au Niger, à Niamey, mais surtout à Agadez où ils disposent d’une base aérienne toute nouvelle, construite à « grands frais ». Cette base leur permet d’espionner toute la région et de renseigner les armées alliées.

 

Dans le domaine de l’immigration, le Niger s’est également montré un partenaire « dévoué » des Occidentaux. En échange d’argent sonnant et trébuchant, il a accepté de « contrôler » les routes migratoires entre l’Afrique noire et l’Europe. Le désert nigérien, autrefois riche voie d’échange entre le sud et le nord du Sahara, est devenu en grande partie « un cul de sac » pour les candidats à l’immigration. Le nord était, jusqu’au récent coup d’Etat, un allié très précieux des Occidentaux dans cette région chaotique.

 

Mais la manne financière versée par les Occidentaux au Niger, en échange de « bons et loyaux services » profite surtout aux élites politiques et économiques, la population nigérienne, elle, n’en profite absolument pas. Le Niger est un des pays les plus pauvres d’Afrique. La moitié des 25 millions de Nigériens vit sous le seul d’extrême pauvreté avec l’équivalent de moins de 2€ par jour.

 

Un jeunesse de plus en plus informée

 

La jeunesse est de mieux en mieux éduquée, disons plutôt de moins en moins mal informée. Les Nigériens sont de plus en  plus conscients que les richesses de leur pays sont volées, en particulier par l’ancien pays colonisateur, la France. L’uranium est exploité par des filiales d’Orano, puis exporté en France ; les élites nigériennes touchent au passage un « dédommagement » pour que la situation ne change surtout pas. Le peuple nigérien « récupère » les mines épuisées et la pollution que l’exploitation a générée. D’autres compagnies canadiennes et chinoises commencent, elles aussi, à s’y implanter. Le Niger, 3ème producteur mondial d’uranium, fournit environ 30 % de ce qui est nécessaire pour faire fonctionner les centrales nucléaires françaises alors que 85 % des Nigériens n’ont pas accès à l’électricité.

 

Le pétrole, découvert récemment (2021) dans l’est du pays, est exploité par la Compagnie d’Etat chinoise. Sa production devrait augmenter rapidement. Les Chinois, toujours aussi pragmatiques, ne vont pas le « traiter » sur place ; ils construisent un oléoduc qui rejoindra un port du Bénin. Le pétrole brut sera transporté en Chine par bateau où il sera transformé. Le Niger sera, au sens propre du terme, vidé de cette ressource naturelle.

 

Le pays connaît un nouveau phénomène : une ruée vers l’or dans le nord désertique. On estime qu’actuellement 800 000 personnes vivent, ou survivent, de l’orpaillage plus ou moins sauvage avec toutes les atteintes à l’environnement que cette exploitation génère.

 

Il est légitime que la jeunesse nigérienne (et pas seulement elle) qui vit très pauvrement dans un pays bien doté en ressources naturelles, demande des comptes à l’ancien pays colonisateur qui, pendant des dizaines d’années, a pillé les ressources naturelles, exploité la main d’œuvre locale, l’a utilisée comme chair à canons. Elle pourrait tout aussi bien le faire également vis-à-vis des dirigeants nigériens qui ont, pour certains, bien profité de ce système. Espérons que cela se produise un jour.

 

« Révolution de palais » ou acte d’émancipation ?

 

Le 26 juillet, le président Mohamed Bazoum est empêché de quitter le palais présidentiel par des militaires de sa garde présidentielle. Dans la soirée, un groupe de militaires annonce la destitution du président, la fermeture des frontières du pays, la suspension des institutions et le couvre-feu sur tout le territoire. Ce coup d’Etat a surpris nombre d’observateurs. Mais la stabilité « relative » du Niger était en fait très fragile.

 

Le régime au pouvoir, présenté comme un exemple démocratique dans cette région, avait des pratiques quelque peu surprenantes. Certes, le président Mohamadou Issoufou, élu en 2011, n’a pas tordu le bras à la Constitution pour briguer un 3ème mandat en 2021, mais il a présenté à ces élections, son « dauphin présidentiel », M. Bazoum, puis a invalidé la candidature du plus sérieux candidat d’opposition Hama Amadou. Cette « caste politique » a donc conservé le pouvoir. Elle a poursuivi sa « mission » principale, à savoir, assurer l’accès des multinationales étrangères aux ressources du pays, empêcher les mouvements sociaux, en échange de rétributions qui assurent à ses membres un train de vie occidental.    

 

Pour la France, il ne faut pas que le Niger change de régime politique. Il faut absolument maintenir au pouvoir le président Bazoum et son entourage, pour garantir ses intérêts. Le Niger est sa dernière base stable. Le Mali, le Burkina Faso ont coupé les liens, le Tchad, avec à sa tête le fantasque Mahamat  Idriss Deby n’est pas un allié sûr. Si le Niger chasse la France, c’en est fini du rôle prépondérant de celle-ci en Afrique et… de l’accès privilégié aux matières premières.

 

La Communauté Economique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) (composée de 15 pays, dont le Burkina Faso, la Guinée Conakry, le Mali, le Niger… suspendus suite à des coups d’Etat), face à cette situation, a tapé, légèrement, du poing sur la table. Le 31 juillet, elle a fixé un ultimatum à la junte militaire nigérienne, exigeant la libération du président Bazoum et le retour à l’ordre constitutionnel sous une semaine. A défaut, la Cédéao « prendra toutes les mesures nécessaires, y compris l’usage de la force ». L’ultimatum a expiré depuis bientôt 1 mois et rien n’a bougé. Les membres « non exclus » de la Cédéao ont très peur de se faire renverser à leur tour et de perdre ainsi tous leurs « privilèges ». La junte nigérienne bénéficie du soutien du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée, ainsi que d’une grande partie de la population (pas seulement nigérienne) dont elle instrumentalise les sentiments anti-français pour asseoir son pouvoir et renforcer sa légitimité. Par ailleurs, en se préparant à mobiliser la jeunesse face à une possible intervention militaire, elle fait hésiter les va-t-en-guerre de la Cédéao, d’autant qu’ils pressentent qu’un conflit ferait le jeu des groupes terroristes, voire provoquerait un coup d’Etat dans leurs pays respectifs. En effet, la caste des généraux et officiers formés par les Occidentaux, et tout particulièrement par l’armée française, sent venir son heure, celle consistant à se substituer aux politiciens honnis, bénéficiant des prébendes octroyés sur les pillages des richesses des pays dépendants de l’ex-colonisateur.

 

Face à la percée de la Chine, des pays du Golfe, de la Turquie, de la Russie, le moment n’est-il pas venu de se vendre au plus offrant ? Les USA, présents militairement en Niger l’ont compris : ils évitent de condamner la junte, espérant conserver leur influence et leurs bases militaires dans ce pays. Une opération militaire serait extrêmement dangereuse, voire vouée à l’échec.

 

On pourrait se réjouir de voir des Etats africains rejeter leur ancien colonisateur, y voir un acte d’émancipation, d’accès à la liberté, mais le rejet par un coup d’Etat militaire n’augure pas l’avènement d’un régime réellement démocratique, mais seulement un changement de dirigeants, gardant les privilèges qu’ils ont combattus auparavant.  

 

La France, au lieu de tenter, par tous les moyens, de maintenir son leadership en Afrique occidentale, va devoir, désormais, respecter les peuples africains. Ce ne sera pas sans mal. L’on sait, en effet, que Macron préfère, tout particulièrement pour les pays africains, les scrutins et la démocrate tronqués et donc la souveraineté limitée. Cette période semble se terminer : soutenir la famille Bongo depuis plus de 50 ans, réalisant des coups d’Etat électoraux, tout en tenant en même temps des discours sur les droits de l’Homme, est insupportable pour la jeunesse qui ne connaît que la misère et la répression. De même, en adoubant le tchadien Idriss Deby, fils du dictateur, suite à un coup d’Etat institutionnel, Macron s’est encore plus déconsidéré. En ne tenant pas ses promesses, notamment celle émise en 2019 annonçant la fin du franc CFA néocolonial et la fin de la dépendance financière, le même Macron renforce, de fait, le dénigrement dont la France est l’objet.

 

Pour que, demain, les Africains gèrent eux-mêmes leurs affaires, les militaires français et étrangers doivent, pour le moins, quitter le sol africain.

 

A l’heure où je termine cet article, l’on apprend qu’un groupe de militaires a annoncé l’annulation du scrutin réélisant Bongo au Gabon, la dissolution des institutions et la « fin du régime ». « La Françafrique va mal »…

 

Jean-Louis Lamboley, le 29.08.2023

 

Pour en savoir plus, lire dans le Monde Diplomatique de septembre 2023, l’article d’Anne-Cécile Robert « Mali, Burkina Faso, Guinée, Niger. Pourquoi tous ces putschs »