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dimanche 29 août 2021

 

Justice fiscale. Velléités de Biden

 Au terme de 2 jours de tractations à Venise, ces 9 et 10 juillet, les ministres des finances du G20 (les 19 pays les plus riches et l’Union européenne) sont parvenus à un accord sur la grande réforme fiscale mondiale, qui serait mise en œuvre en 2023, saluée par le ministre de l’économie Le Maire comme « la fin de trente ans de dumping fiscal… », affirmant « qu’il n’y a plus de retour en arrière possible ». Les ministres du G20 y voient un « accord historique sur une architecture fiscale internationale plus juste et stable ». Cet enthousiasme doit être mesuré à l’aune des réformes qui seront proposées à l’approbation des chefs d’Etats du G20 en octobre prochain. Allons-nous assister à la création d’une taxe mondiale sur les transactions financières, d’un impôt mondial sur les profits des sociétés ? Nous sommes pris de doute au regard de la bataille non aboutie, menée par ATTAC, et d’autres, depuis 1998, pour la création d’une taxe sur les transactions financières, et au regard des politiques de Macron le président des riches, de celle de Trump aux Etats-Unis, et aujourd’hui de Biden (?). Néanmoins, la crise économique contraint les gouvernements à trouver des recettes nouvelles pour leurs budgets s’ils veulent répondre a minima aux besoins sociaux des populations et faire face au dérèglement climatique, pour maintenir « la paix sociale et écologique ».    

 1 – Une Taxe sur les Transactions financières (TTF) ?

La TTF est la mesure fondatrice d’ATTAC en 1998. Voilà qu’en 2012, elle sembla être reprise, au niveau européen, par ses détracteurs d’hier. Pour l’heure, la directive européenne y relative est toujours bloquée. C’est que s’attaquer au marché financier et réduire son pouvoir n’est pas une politique européenne partagée et quand elle est suggérée, c’est de manière très timide, indolore pour « la finance ».

 Et pourtant, l’Europe doit trouver des ressources pour financer les aides et plans de relance accordés à ses membres suite à la crise sanitaire. Taxer chaque transaction financière permettrait de renflouer les recettes du budget européen, tout en réduisant la spéculation sur les produits dérivés (encart 1) et sur les transactions de très court terme. Cela limiterait, par là-même, la taille et l’instabilité des marchés financiers, et, par conséquent, le pouvoir de la finance. Le marché des changes est le plus gros marché de la planète, où se sont échangés 6 600 milliards de dollars par jour en 2019.

 Dans le contexte d’aggravation des déficits publics et des effets dévastateurs de la finance spéculative, l’idée de taxer la finance semble être dans l’air du temps. Cela a débouché sur plusieurs initiatives non appliquées.

 La TTF française Sarko-Hollande.

Hollande affirmait pendant sa campagne électorale : « Mon ennemi c’est la finance »… mais pas trop. Il fit adopter par le gouvernement « socialiste », le 1er août 2012, la TTF française (que Sarkozy s’était empressé de créer juste avant les élections), en fait, une simple taxe sur les achats d’actions (encart 2) des grandes entreprises françaises dont la capitalisation boursière est supérieure à un milliard € (remplaçant « l’impôt de bourse » supprimé par Sarkozy en 2007). Cette mesurette, purement cosmétique, se limite aux actions des 105 plus grandes sociétés, sans taxer les produits dérivés et le trading à haute fréquence hautement spéculatif (encart 3). Avec un taux à 0.2 % en août 2012 puis 0.3 % au 1er janvier 2017, les recettes sont de l’ordre de 1.6 milliard € en 2018.

 La TTF européenne de 2013

En 2013, la Commission européenne semble plus ambitieuse ; elle propose, dans le cadre d’une coopération renforcée entre 10 pays de l’UE, une taxe qui s’appliquerait à toutes (ou presque) les transactions financières, sauf celles sur le marché des changes, à tous les instruments financiers, dont les transactions sur les produits dérivés permettant la spéculation sur les matières premières y compris alimentaires) et à tous les acteurs de la finance.

Avec un taux de 0.1 % sur les actions et les produits structurés et de 0.01 % sur les produits dérivés, les recettes sont estimées à 36 milliards € par an (pour les 10 pays concernés), dont 10.8 milliards pour la France (chiffres 2020), Ce dispositif, étendu à toute l’Europe, permettrait d’engranger des recettes globales à 57 milliards € (36 milliards pour la France). Et si la taxe était appliquée à tous les produits dérivés (au taux de 0.05 %), les recettes fiscales seraient de 200 milliards au niveau européen.

Pas besoin de l’unanimité européenne pour la créer, chaque Etat volontaire peut la mettre en œuvre.  Elle pourrait ainsi s’imposer sur les marchés boursiers. Mais, elle se heurte à l’opposition acharnée des grandes banques, relayée par le gouvernement Macron. Ce dernier, à peine élu, enterre le projet et appelle à la discussion sur un simple impôt de bourse européen, qui sera adopté le 10 novembre 2020 par les Etats membres pour une recette estimée à 3.5 milliards € par an à l’échelle européenne.

Des réticences fortes font valoir qu’il est risqué de taxer les produits dérivés dans un seul pays car les grands acteurs financiers peuvent délocaliser leurs activités, de « bonnes » raisons pour que ce  dispositif ne soit pas mis en œuvre.  En décembre 2020, Pierre Larrouturou (député européen Nouvelle donne) se met en grève de la faim pour le dénoncer et influer sur la décision française, au moment de l’élaboration du budget pluriannuel de l’UE 2021-2027. Sans succès. La TTF européenne est toujours au point mort.

  Elle n’a rien à voir avec la TTF d’ATTAC

 La TTF d’ATTAC s’appuie sur l’idée de la taxe Tobin (de l’économiste du même nom), apparue en  1972, dans l’idée de pénaliser toute la spéculation sur le marché des changes. Nixon venait de décréter (1971) la fin de la convertibilité en or du dollar et celle du système monétaire international fondé sur les accords de Bretton Woods (1944). La spéculation massive sur le marché des changes se développait de manière outrancière, déstabilisant les monnaies et conduisant aux crises monétaires successives. L’application d’une taxe à chaque transaction, en  augmentant le coût des allers-retours permanents des flux spéculatifs de court terme, aurait permis d’une part de les ralentir, d’autre part d’apporter des recettes fiscales non négligeables aux Etats. Le recours à des systèmes de trading toujours plus rapides et l’explosion de leurs volumes accroissent l’instabilité et les mouvements brusques des prix sur tous les marchés financiers, justifiant une taxe sur l’ensemble des transactions financières. La TTF d’ATTAC concerne toutes les transactions y compris celles de change, au taux de 0.1 % sur les actions, les produits structurés et les produits dérivés. Selon l’économiste Schulmeister, une telle taxe  aurait généré, en 2010, 15.8 milliards € en France, 270 milliards en UE et 617 milliards au niveau mondial. Cette ambition à la hauteur d’une politique antilibérale, caricature la maigre taxe Sarkozy/Hollande, citée ci-dessus. La TTF d’ATTAC n’est toujours pas d’actualité.

 Et pourtant, la violence de la crise, son caractère systémique, démontrent l’urgence à mettre  en place une taxe sur les transactions financières, à l’échelle mondiale, à condition de décider d’une rupture complète avec le néolibéralisme (encart 4), du choix de la coopération internationale au lieu d’une concurrence fiscale dévastatrice.

.  2 – Que penser de l’impôt mondial sur les multinationales ?

L’impôt sur les profits des entreprises n’a cessé de baisser au cours des trois dernières décennies.  De 38 % à 22 % dans les pays à revenu élevé, de 39 % à 24 % dans les pays à revenu intermédiaire et de 46 % à 29 % dans les pays à faible revenu. Au sein de l’UE, il est passé de 40 % à moins de 21 %. Aux Etats-Unis, la réforme fiscale de Trump en 2017, l’a fait passer de 35 % à 21 %. En fait, les taux appliqués sont plus bas car les Etats octroient des régimes préférentiels et les transnationales peuvent se délocaliser dans les paradis fiscaux à fiscalité avantageuse. Cette course au moins-disant fiscal est un outil du néolibéralisme. Pour certaines firmes transnationales l’impôt effectivement payé est réduit à néant, par contre les PME ne disposant pas de filiales à l’étranger doivent s’acquitter de l’intégralité de l’impôt des sociétés.  En 2017, 38 % des investissements directs étrangers dans le monde étaient des « investissements fantômes » destinés à transférer des profits dans des paradis fiscaux, entraînant des pertes fiscales pour les Etats estimés entre 245 milliards de dollars (2012) et plus de 600 milliards (2015) à l’échelle mondiale.

 Mandaté par le G20, l’OCDE a mené des négociations en 2018, réunissant près de 140 pays afin de discuter d’une imposition minimale et du renforcement des règles liées à la taxation des entreprises numériques, ce dernier secteur étant source de tension entre l’UE et les Etats-Unis qui les abritent.

 La réforme validée à Venise s’appuie sur deux piliers.

Premier pilier : la création d’un impôt minimum mondial à 15 %. La taxation unitaire d’une partie des profits de certaines firmes transnationales dont le chiffre d’affaires est supérieur à 750 millions de dollars et le taux de rentabilité supérieur à 10 %. 2 300 firmes numériques et « de grande consommation » seraient concernées, une minorité sur la centaine de milliers de firmes transnationales dans le monde ! Ne seraient taxés que les « bénéfices résiduels » situés au-delà d’un seuil de rentabilité considéré comme normal. Il ne s’appliquerait que sur les ventes des produits et services dans les pays où ils sont fabriqués, ce qui privilégie les marchés de consommation au détriment des pays de production (pays en développement). Afin de financer son plan de relance de 2 000 milliards de dollars sur 8 ans, Biden, dans un premier temps, avait proposé de relever l’impôt réel des sociétés à 21 % minimum, l’UE et les pays de l’OCDE devant adopter le même taux, pour éviter le dumping fiscal. Ainsi, une firme américaine qui se délocaliserait en Irlande (où l’impôt est à 12.5 %), serait imposée aux Etats-Unis à 8.5 % afin d’atteindre les 21 %, rendant inutile la délocalisation en Irlande. Six semaines plus tard,  mesurant à la fois la difficulté de faire adopter ce taux au Congrès et d’obtenir l’aval des autres pays (comme l’Irlande ou les Pays-Bas) il recule et fixe le taux plancher de taxation des multinationales à 15 %. Le bouleversement annoncé du système n’est pas pour demain : cela satisfait ceux qui ne voulaient pas durcir le jeu fiscal international comme la France et permet à celle-ci par exemple d’annoncer qu’elle a durci sa politique fiscale (taux à 25 % en 2022, qu’elle pourra baisser jusqu’à 10 points) au nom de la compétitivité. Quant à l’Irlande, elle devra passer son taux de 12.5 à 15% mais globalement préservera son avantage fiscal. Rappelons que l’application de cette taxation unitaire serait limitée à une centaine de firmes et à leurs seuls profits « résiduels ».

Deuxième pilier : la redistribution de 20 à 30 % du surplus de profits des 100 multinationales les plus grandes et les plus rentables, aux Etats dans lesquels elles font des affaires, sans y être implantées, parmi lesquels de nombreux pays en voie de développement.

Les recettes globales de ces deux mesures sont estimées à 150 milliards de dollars au niveau mondial.

 L’UE, quant à elle, pour financer l’emprunt commun de 750 milliards d’euros a besoin de mobiliser des ressources propres. Mais elle a déjà dû renoncer aux nouvelles sources de financement envisagées  et notamment une taxe sur les géants du numérique, un mécanisme d’ajustement carbone aux frontières, un système d’échange de quotas d’émission de CO2, une taxe sur les transactions financières, une assiette commune pour l‘impôt sur les sociétés… Tout est « mis en pause » dans le souci de ne pas fâcher Biden qui veille sur la Silicon Valley et sa taxation. Dans ce marchandage, Merkel a obtenu la fin de l’opposition des Etats-Unis au projet de gazoduc russe Nordstream…

 Restent quelques obstacles pour l’entrée en vigueur en 2023 des deux mesures approuvées à Venise début juillet. Sur les 139 pays présents dans ce « cadre inclusif », 9 ont été réfractaires à cet accord et notamment l’Irlande, la Hongrie, l’Estonie, pour ne citer que ceux-là. Les poids lourds du G20 ont tous signé y compris la Chine et l’Inde. L’Union européenne devra voter à l’unanimité les deux mesures et la « partie » n’est pas gagnée, notamment du fait des pays dits « frugaux » (Danemark, Suède, Pays Bas, Autriche) tout comme l’Allemagne, qui refusaient le principe d’augmentation du budget européen et de nouvelles ressources propres afin de ne pas donner plus d’autonomie financière à l’UE. Enfin, Biden devra obtenir l’accord du Congrès alors qu’il ne dispose que d’une très faible majorité.  

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On n’assistera donc pas à une « révolution » du système. Il s’agit, en fait, d’un nouvel aménagement du néolibéralisme confronté à ses propres limites. Le « jeu » de Biden consiste d’une part à ne pas se mettre à dos les multinationales et à éviter un conflit avec les gouverneurs républicains. Il fait donc le choix du capital par rapport au travail en n’augmentant pas, par ex. le salaire minimum du salaire à 15 dollars/h et en prenant des mesures disciplinaires contre les chômeurs (idem à l’est et à l’ouest de l’Atlantique). Par ailleurs, il ne veut pas fâcher l’UE pour s’assurer d’un front uni contre la Chine.

 Les annonces « d’impôt mondial », « d’accord historique des pays du G20 », n’ont pour objectif que faire illusion. Les populations états-uniennes et européennes vont le comprendre vite. Promesses non tenues, mensonges, ne peuvent tromper longtemps. Face à la situation de précarisation et de paupérisation qui va s’accentuer, les rustines et les discours ne feront pas long feu. Reste que la mobilisation actuelle en France (contre le passe sanitaire, en fait « contre Macron ») est largement insuffisante pour peser dans la balance des choix des néolibéraux et autres oligarques déguisés en sociaux-démocrates.

 Odile Mangeot, le 16.08.2021

 sources : cadtm et Attac    

 Encart 1

 Les produits dérivés sont des instruments censés couvrir les « risques » pris par les détenteurs d’actions, ou plus généralement, « d’actifs ». Le terme désigne aussi des matières premières, des taux d’intérêts, des taux de change, de multiples contrats (d’échange, de produits de vente). Les gammes de la spéculation ne connaissent plus de limites… Les contrats d’achats ou de vente à terme sont des produits dérivés. Il y a lieu de distinguer les titres représentatifs de capitaux (actions), des titres d’endettement (obligations) et des produits dérivés.

 

Encart 2

Actions : fraction du capital d’une société. Son détenteur, l’actionnaire a droit à un revenu variable, versé sous forme de dividendes auxquels il convient d’ajouter la valorisation de l’action dite « plus-value » boursière. Cette rente financière est une ponction sur une partie de la plus-value issue des forces de travail. Le reste de la plus-value est « réparti » entre profit industriel censé permettre le renouvellement des instruments de travail (machines, bâtiments...) et le capital marchand (vente des produits), encore appelé par Marx lieu de « réalisation » de la plus-value. Le cycle de production nécessite, en effet, pour sa réalisation, la vente des produits sinon il aboutirait à une crise de surproduction et donc à l’effondrement des prix.

 

Encart 3

Trading haute fréquence. Spéculation sans recours aux traders (boursicoteurs professionnels). Il se pratique à l’aide d’algorithmes qui traquent, en temps réel (à la vitesse de la lumière !), les variations même les plus infimes sur les prix des biens et des services et sur les produits financiers. Cette spéculation technologique, comme toute spéculation, ne crée aucune richesse réelle. Elle est, de fait, comme tous les produits financiers, une ponction sur la création de richesse… à venir.

 

Encart 4

Le néolibéralisme désigne le mode de production et d’échanges marqué par l’abandon du keynésianisme à la fin des années 1970 et la domination du capital financier sur le capital industriel et marchand. C’est aussi un mode de domination du capital sur le travail mondialisé (chômage et précarité au « nord », néocolonialisme au « sud). On parle également, pour le caractériser, d’hégémonie financière du capitalisme actionnarial, du capitalisme financiarisé ou du capitalisme pur, délivré de toutes entraves réglementaires.