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mardi 8 novembre 2022

 

Iran. Les mèches de la rébellion

 

La jeunesse, les classes opprimées et dominées vont-elles sortir de la nuit du cauchemar qu’elles vivent depuis bien plus de 40 ans ? Ce cauchemar c’est celui du retour, toujours renouvelé, de l’oppression, de l’humiliation et de la répression toujours recommencée de l’histoire tourmentée de ce pays. Jusqu’à présent, tous les soulèvements et les aspirations dont ils étaient porteurs ont été dévoyés. Les évènements actuels pourraient en effet tourner à la catastrophe… Quoique !

 

La mèche et la poudre

 

Le 16 septembre, Mahsa Amini, cette Kurde iranienne, se promenait à Téhéran. Elle eut le malheur d’avoir une mèche rebelle dépassant de son foulard mal porté. Arrêtée par la police des mœurs, tabassée, elle en est morte. Enterrée dans sa région, elle a fait surgir d’outre-tombe un rugissement irrépressible de lionnes qui a gagné toutes les villes, toutes les provinces de l’Iran. Les rues, les avenues se sont remplies de manifestantes, vite épaulées par la gente masculine, les parents, toutes les tranches d’âge et de conditions sociales tentant de les protéger. Tous veulent les voir, bravaches, d’une folle audace, enlever leurs foulards, les jeter dans les brasiers et, têtes nues, danser et danser encore…

 

Dans ces manifestations, irrévérencieuses pour la mollahcratie, où les interdictions moyenâgeuses sont bafouées, on a du mal, ici, en Occident, de mesurer l’ampleur de la colère qui anime la jeune génération et embrase une grande partie de la population. Elle a très vite dépassé la question du voile pour se muer en déferlante de colère contre le régime. Elle exprime « la haine que nous avons de vous » contre toutes les « discriminations sexistes, ethniques, économiques ». Et bien qu’elles soient tabassées, gazées, arrêtées, incarcérées, tuées, les slogans sont sans relâche proférés : « Je me bats, je meurs, je récupère l’Iran », « C’est l’année du sang, l’ayatollah sera renversé ».

 

Déjà plus de 250 morts dont de nombreux enfants, plus de 350 blessés recensés, 4 300 arrestations. Et toujours plus de symboles de révolte, comme Nika Shakarami, 16 ans, tuée pour avoir dansé ou Asra Panani, poursuivie dans son école, frappée, plongée dans le coma avant de décéder.

 

Après le 19 septembre, jour après jour, les manifestations se succèdent malgré la répression policière et parfois les tirs à balles réelles. Le pouvoir, d’abord pris de court, a l’intention d’intensifier encore la répression car il en va de la survie du pouvoir théocratique. Les gardiens militaires du régime sont-ils prêts à s’y substituer ?   

 

La poudre  hautement inflammable

 

1979, le soulèvement contre la dictature du Shah d’Iran, imposé par les Etats-Unis, constitue une mobilisation qui puise ses ressources contre le « modernisme » imposé et la police politique réprimant toutes les oppositions. La religion chiite est invoquée comme un retour aux sources de l’Empire mais dès février 1979 le pouvoir khomeiniste s’impose. Le 8 mars 1979, des manifestations de femmes, certes minoritaires, scandent, avant d’être réprimées : « Ni foulards, ni coups de poing ». Même si la législation religieuse n’est pas toujours intégralement appliquée, elle s’impose : décapitation pour un soupçon de flirt, lapidation pour délit d’adultère pour une femme mariée, dépucelage pour les condamnés à mort, perte des droits de garde des enfants en cas de divorce de la femme. Celles-ci ne peuvent voyager sans l’autorisation de leur mari. En revanche, les hommes peuvent épouser jusqu’à 4 femmes à la fois… Bref, les femmes ostracisées, sont considérées comme une sous-humanité.

 

La guerre contre l’Irak, la martyrologie viriliste et patriotique qu’elle va représenter, enfouira toutes les aspirations sociales et sociétales. La répression sera systématique contre des milliers d’opposants, y compris les alliés de Khomeiny qui avaient tenté de conjuguer marxisme et religion. Ils vont être impitoyablement éradiqués.

 

Paradoxe, les sanctions américaines contre le régime vont le renforcer, lui conférer une teinture anti-impérialiste, un masque moderniste dans sa lutte contre l’Etat islamique. Son expansionnisme en Irak, en Syrie, au Liban, son alliance avec la Russie, sont autant d’éléments qui semblaient lui assurer une sorte de pérennité. Mais, au fil du temps et dans sa recherche de puissance régionale, l’Iran a connu de nombreux bouleversements. Dans ce pays de 85 millions d’habitants, urbanisé à 80 %, Téhéran (comme d’autres villes à un moindre degré) compte désormais 10 millions d’habitants. Féru de sciences, de technologies, le régime a développé les universités qui comptent 4 millions d’étudiants dont… 60 % d’étudiantes… n’ayant pas accès aux emplois qu’elles pourraient occuper. Explosif ?

 

Dans le même mouvement, les populations sont de moins en moins religieuses. Le régime se maintient par un encadrement encore plus répressif depuis l’élection de Raïssi. Police religieuse, gardiens armés de la mollahcratie, corruption généralisée, privatisation des entreprises publiques et accaparement des entreprises privées au profit des militaires et de la police… Cette concentration des richesses et des prébendes au profit d’oligarques fait penser au régime égyptien. Le pas pourrait être franchi vers la dictature militaire au vu de la sclérose et la perte de légitimité des religieux. La nouvelle génération, celle du contournement de la censure et d’internet, celle qui affirme « nos souffrances sont devenues plus fortes que la peur », celle qui reste sans programme, sans organisation, peut-elle se frayer un chemin contre la dictature pour la dignité et la liberté revendiquées ?     

 

Sortir des années de cauchemar ?

 

A part de brèves éclaircies, l’histoire de l’Iran pour son peuple est un cauchemar sans cesse renouvelé. L’empire perse, puis l’Iran, ne furent pas colonisés mais subirent très tôt l’influence et la pénétration de l’impérialisme anglais et de la Russie tsariste avant la 1ère guerre mondiale. Le moment de la monarchie constitutionnelle fut vite circonscrit, la dictature du shah restaurée. La modernisation reprit son cours après la 2ème guerre mondiale. Nationaliste, royaliste, Mossadegh nationalisa le pétrole iranien, expulsa les Anglais. Les Etats-Unis, intéressés, vont venir à la rescousse, organisant un coup d’Etat, et réinstallent le shah d’Iran sur son trône, un régime de terreur dont le bras armé, la Savak, police politique, est pilotée par des conseillers états-uniens.

 

Les années 60-70 sont marquées par une opposition grandissante. Mais le parti Toudeh qui se revendiquait du communisme orthodoxe, celui qui ne s’est pas résolu à soutenir fermement le régime de Mossadegh, est pratiquement anéanti, tout comme les organisations syndicales. Une fraction de la jeunesse politisée va, dès lors, tenter de conjuguer marxisme, religion et tiers-mondisme en recourant à la lutte armée. Sa répression fut impitoyable. Ne restaient plus que les religieux et Khomeiny. Les alliances qui furent tissées avec eux furent un baiser avec le diable.

 

La guerre Iran-Irak (1980-1988) qui fit des millions de morts et le repli desdits Moudjahidines du peuple dans ce pays ennemi, conduisirent à leur quasi disparition en Iran. Ceux qui subsistent sont déconsidérés et vivent en secte, en exil.

 

La chape de plomb qui s’est ensuite abattue sur le pays va progressivement se fissurer. En 2009, l’élection frauduleuse, « volée », d’Ahmadinejad, est contestée. Les manifestants, nombreux, qui s’inscrivent dans la volonté de réformer/libéraliser le système, appellent déjà à la dissolution de la Brigade des moeurs. Ils sont essentiellement issus de la moyenne bourgeoisie. Ils furent rapidement réprimés.

 

20717-2018. Les manifestations changent de nature. Les rues conspuent le gouvernement « incapable » de lutter contre la vie chère. Les sanctions occidentales, et tout particulièrement états-uniennes, en sont la cause. Avec le gouvernement Rohani et l’accord sur le nucléaire, le régime semble s’assouplir, quoique la répression touche les journalistes, les écrivains, les dissidents qui franchissent la ligne noire cléricale. En 2019, des manifestations d’ampleur contre l’augmentation des prix dans un contexte de crise économique, mobilisent les classes populaires, particulièrement dans les banlieues pauvres. Elles s’en prennent au symbole du système répressif. La police, l’armée tirent à balles réelles : 1 500 morts sont dénombrés. La petite et moyenne bourgeoisie semble indifférente.

 

La dénonciation des accords sur le nucléaire par Trump accentue les difficultés économiques et la fuite en avant expansionniste de l’Iran, surtout après le retrait des Etats-Unis du guêpier irakien puis afghan. Avec l’élection fabriquée d’Ebrahim Raïssi, la Brigade des moeurs est restaurée.  

 

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En 2022, toutes les fractions de la population semblent réunies contre le système. Des grèves de solidarité sont déclenchées mais faute d’organisation, de programme, le mouvement va-t-il s’essouffler ? Rien n’indique pour l‘heure que le régime soit prêt à faire des concessions. Des célébrités, des artistes, sont très vite amenés à la rémission après leurs déclarations de soutien. Internet est censuré. Certes, à Berlin, la diaspora en exil a réuni 80 000 personnes venues de toute l’Europe. Ce qui reste étonnant, par rapport à l’ère précédente du tiers-mondisme et de l’internationalisme qui prévalaient en Occident, notamment dans les milieux intellectuels et étudiants, c’est l’apparente anesthésie qui les imprègne, y compris parmi les féministes.

 

Dans le même esprit, pas une voix ne s’élève pour soutenir les femmes, les jeunes qui manifestent au Soudan. Personne ne semble s’émouvoir de la disparition de l’icône Alaa Salah, cette femme tout de blanc vêtue qui haranguait la foule contre le régime islamiste, contre le régime d'Omar el- Béchir. Trois ans plus tard, là-bas, une autre icône est née pour mourir tuée d’une balle dans la tête par les militaires au pouvoir. Elle s’appelait Sihr el-Kafour. Quant à la police, elle s’en prend aux manifestants porteurs de dreadlocks, cette coiffure rastafari. Tondus, cisaillés en public, et après l’humiliation, emprisonnés. Décidément, l’alliance des mouvements syndicaux et associatifs avec les militaires, y compris avec les génocidaires du Darfour, n’était pas la solution… tout comme en Egypte, un coup d’Etat a étouffé, provisoirement ( !) les aspirations à la liberté…

 

Gérard Deneux, le 31.10.2022

 

Pour en savoir plus sur l‘histoire récente de l’Iran :

La malédiction du religieux : défaite de la pensée démocratique en Iran, Mahnaz Shirali, FB éditeur

La guerre Iran-Irak (1ère guerre du Golfe 1980-1988) de Pierre Razoux, ed. Perrin