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Royaume d’asphalte
Jeunesse saoudienne en révolte
« Dans le rétroviseur, je vois un énorme nuage
de poussière… c’est une voiture lancée
en dérapage latéral à plus de 200km/h. Propulsé hors de mon siège par une
terreur rétrospective, il me faut bien 15 minutes pour retrouver mon calme. Ce
n’est pas fini. Les pneus hurlants, produisant un énorme nuage de poussière et
de fumée, la voiture revient. Rampant sur le bitume, comme suspendue à des fils
invisibles, la carrosserie semble avoir été libérée des lois de la dynamique
par quelque décret divin. Le vacarme est assourdissant…. Je viens de rencontrer
les mfahhatin (pilotes de rodéo) ».Fruit de 4 années d’enquête
ethnographique à Riyad, l‘auteur nous fait parcourir l’univers des rodéos
urbains, comme une forme de contestation, de défi à l’Etat et à la police qui veut
tout contrôler. Courses de l’extrême qui mènent souvent à l’accident et parfois
à la mort. Issus le plus souvent des quartiers de migrants ruraux et de
Bédouins, ils sont à 45% des étudiants. Ils se retrouvent aux marges de la
ville, poursuivis par la police qui les perd dans une ville qu’ils connaissent
parfaitement. La politique d’urbanisation menée à Riyad, a étendu à l’infini
des quartiers organisés en damier sans âme où la voiture est reine. A part les
mosquées, les centres commerciaux et les routes, il y a peu d’espaces publics
et ils sont sous surveillance. Après minuit, la ville ennuyeuse et disciplinée
pendant la journée devient un terrain de jeu sauvage. Cette forme de délinquance
juvénile révèle les lignes de fracture d’une société répressive. Ces jeunes
hommes créent des espaces de liberté et de révolte, reprennent possession de
l’espace et par là-même, peut-être, un jour de l’espace social et politique. Cela
reste une question. OM.
Pascal Menoret, éd. La Découverte, 2016, 23€
Le cauchemar syrien
Les auteurs
fournissent une synthèse remarquable du conflit le plus barbare depuis la
seconde guerre mondiale : 300 000 morts, des centaines de milliers de
blessés, 5 millions d’exilés… pour une population de 20 millions d’habitants. Le
boucher Assad aurait sombré depuis bien longtemps sans l’assistance de ses
alliés iraniens et russes et sans sa capacité à manipuler les djihadistes de
l’Etat Islamique. Ce livre rend compte des différentes stratégies des
puissances régionales qui s’ingèrent dans cette guerre civile, leurs
interactions mortifères et l’instrumentalisation des communautés religieuses
dressées les unes contre les autres (sunnites, chiites, chrétiens...). Il
démontre également la responsabilité première des Etats-Unis et des
pétromonarchies dans l’essor du djihadisme. D’une « étonnante »
complicité avec le clan des Assad, Washington semble apparemment impuissante.
Elle en est réduite après son relatif échec en Irak à mener contre l’EI une guerre
par procuration, tout en soutenant l’interventionnisme de l’Arabie Saoudite et des
pays du Golfe. Quant à l’Europe, avec la France « hollandaise » en
première ligne, elle reste à la remorque de l’ambiguïté états-unienne, prête à
se résoudre à remettre en selle Assad avec l’appui de Poutine. L’Iran, la
Turquie, les pétromonarchies, avec leurs parrains respectifs qui les contrôlent
plus ou moins, balkanisent cette région du monde. Les pays limitrophes en sont
déjà les victimes collatérales : Jordanie, Liban et évidemment les
Palestiniens. Sur cette poudrière dont les métastases sont les exilés qui se
pressent aux frontières de l’Europe ainsi que les attentats djihadistes, les
dirigeants du monde tel qu’il est préparent, pour le moins, la désintégration
des Etats tels qu’ils ont été construits après la 1ère guerre
mondiale. A lire pour entrevoir la possible extension du cauchemar syrien dont
on ne mesure pas encore toutes les conséquences. GD
Ignace Dalle et Wladimir Glasman, éd. Fayard,
2016, 23€
L’ordre de la dette
Enquête sur les infortunes de l’Etat et la
prospérité du marché
Quand le
sociologue se fait historien de
l’évolution politique et économique, il montre comment « l’ordre de la
dette », cette construction politique et médiatique s’est imposée en
« contrainte suprême ». Ce livre restitue la généalogie qui a
transformé l’Etat d’après-guerre, qui se finançait hors marché, en un Etat de
dépendance à la finance. De Valéry Giscard d’Estaing à Barre, puis après la
brève parenthèse de 1981-1982, de Bérégovoy à DSK puis Jospin, c’est toute une
stratégie d’acceptation sociale qui a été mise en œuvre : le poids de la
dette publique a permis de justifier privatisations et austérité en invoquant
le souhait de « penser aux générations futures » tout en affirmant
que la France, de plus en plus inégalitaire, vivait au-dessus de ses moyens.
Certes, le modèle états-unien et celui de la construction européenne ont joué
un rôle déterminant. Mais celui-ci n’a pu s’exercer qu’en s’appuyant sur des
forces économiques et politiques qui oeuvraient dans le même sens. Le sauvetage
des banques, lors de la crise de 2007-2008, a encore accentué « l’ordre de
la dette ». Les marchés sont devenus désormais, les « geôliers de la
démocratie ». L’Etat réduit, transformé, n’est désormais plus en capacité
de remplir ses obligations les plus élémentaires dans les domaines de
l’éducation, de la santé, de la fourniture de logements décents et accessibles.
« Le combat pour faire admettre
l’illégitimité de la dette » est, selon, l’auteur impératif.
Benjamin Lemoine, éd. La Découverte, 2016, 22€
Manuel d’économie critique
Libre-échange, finance, partage des richesses… des
mécanismes à la portée de tous
Tel est
l’objectif des auteurs de ce manuel destiné à rendre l’économie accessible au
plus grand nombre. « L’économie dominante
se grime volontiers en science ‘exacte’. Aux mathématiques elle emprunte les
équations ; à la physique, les lois implacables ; à la biologie,
l’idée d’une évolution ‘naturelle’ des sociétés. Cette vision de la
discipline conforte l’idée dominante que l’économie est ‘neutre’
fondamentalement ». Pour critiquer de manière constructive cette
scientificité de l’économie et introduire sa nature profondément politique, les
auteurs abordent les thèmes principaux comme la croissance, la monnaie ou
encore l’emploi et la concurrence en abordant le chapitre par « une idée
reçue », puis un « avant et ailleurs » pour terminer par
« d’autres possibles ». C’est fait de textes simples, d’illustrations
d’hier et d’aujourd’hui, de peu de chiffres et de tableaux compliqués. A faire
lire à tous de 15 à 99 ans.
Coordonné par Renaud Lambert, Sylvain Leder, Laura Raim,
Hélène Richard, Pierre Rimbert et Frédéric Farah, Hors-série du Monde
Diplomatique, 2016, 12€