TRUMP, énormément. Jusqu’à quand ?
Présenter les
« personnalités » dont Trump s’entoure, celles qui sont nommées,
pressenties ou en concurrence pour obtenir les postes les plus élevés de
l’administration états-unienne, c’est suggérer, pour le moins, que les loups
les plus carnassiers de Wall Street ainsi que les va-t-en-guerre les plus
répressifs vont participer à la définition de la politique étatsunienne dans les
années à venir. Tenter de répondre au pourquoi de ce changement de cap qui,
potentiellement, comporte des risques de « guerre civile » interne et
de nouvelles aventures guerrières à l’extérieur, n’est pas sans risque dans la
mesure où les tenants du néolibéralisme, contre l’apparent isolationnisme de
Trump, n’ont pas dit leur dernier mot.
En effet, cette « intelligentsia arrogante »
soutenant Hillary Clinton, qui n’a que mépris pour les classes populaires,
devrait céder la place au « vulgaire
et incompétent » Trump, celui qui a rallié le « panier de gens déplorables, misogynes et
racistes » (Hillary Clinton, sic). Ces « ploucs affreux, sales et méchants », ces ouvriers blancs de la
« ceinture de la rouille »(1) de la désindustrialisation qui n’ont pu
se tourner vers Bernie Sanders, pourraient bien faire volte-face contre Trump
au vu de son entourage et de la politique qu’il va mener réellement.
Pour de plus amples développements à
ce sujet, tout comme sur savoir pourquoi, dans ce système dit démocratique, la
« démagogie la plus outrancière » et le « style
paranoïaque » ont triomphé, je renvoie au dossier du Monde diplomatique de décembre 2016. Vous y trouverez également la
description de la « stratégie dite
désastreuse de la favorite des multinationales et des bancocrates, à savoir
Hillary Clinton ».
Reste qu’un charlatan, grand
boni-menteur, va s’installer à la Maison Blanche et qu’il s’entoure d’hommes
qui lui ressemblent. Lui qui a vu affluer contre lui plus de 6 000
plaintes pour escroqueries dans les contentieux de sa Trump University de
management vient d’éviter un procès d’un revers de manche, en acceptant de
verser 25 millions de dollars… Les rapaces osent tout…
Les loups de Wall Street aux commandes
Dans l’énumération qui suit, on
omettra Stephen Bannon, le nominé
« stratège en chef » d’extrême droite, raciste, dont la vocation
consiste à dresser les cols bleus contre les minorités ethniques et sexuelles.
En tout bien tout honneur de la
canaille en col blanc, il faut commencer par Steven Mnuchin, nommé secrétaire
au Trésor, chargé de la baisse des impôts, de la mise en place des barrières
douanières et du programme d’investissement dans les infrastructures. Cet
ex-banquier de Goldman Sachs, directeur de campagne de Trump, a accumulé 46
millions de dollars en sa «qualité » de vice-président de cette pieuvre
mondiale, dénoncée par Trump lui-même… Puis en 2002, il rejoint un fonds
spéculatif. Comme on n’est jamais mieux servi que par soi-même, il fonde son
fonds spéculatif, ce qui lui permet en 2009 de racheter, pour une poignée de
1,5 milliard de dollars, Indymac Bank, une caisse d’épargne spécialisée dans
les prêts hypothécaires qui venait de faire faillite. C’est à cette époque, en
2008, que Trump fait appel à lui pour financer un projet immobilier à Chicago.
Il devient « le leader des saisies
immobilières des personnes âgées », expulse des dizaines de milliers
d’Etats-uniens de leurs maisons et est accusé de discrimination raciale.
Qu’importe ! Lui et ses comparses revendent cette caisse d’épargne et se
partagent 3,4 milliards de dollars. Lui, indispensable encore, reste à la vice-présidence
de cette banque, sa rémunération étant fixée à 4,5 millions de dollars par an.
Puis, après quelques mois, empochant un parachute doré de 10,9 millions de dollars,
il se reconvertit dans le financement cinématographique (XMen, Avatar).
Secrétaire du Trésor, s’il ne pique pas dans la caisse, il saura faire
fructifier ses affaires.
Paul
Atkins
n’a pas son envergure d’escroc de haut-vol mais, idéologiquement, il le vaut
bien. Nommé « ministre » des
finances, c’est un adversaire de la régulation financière qui veut
démanteler la loi Dodd-Frank (2), dont les contraintes ne sont guère
drastiques. Ancien de la SEC, de 2002 à 2008, cette autorité ( !) sur les
marchés, il connaît tous les arcanes de la finance. Il dirige toujours un
cabinet conseil spécialisé dans le contournement des règles…
David
Malpass,
en passe d’être « ministre » de
l’économie, est quant à lui un visionnaire à court terme. Ancien conseiller
de Reagan, économiste en chef de la banque d’affaire Bear Stearns, il n’a pu en
éviter sa faillite en mars 2008.
Gary
Cohn,
nommé dirigeant du Conseil national
économique est un généreux donateur de Trump. Cet ex-n°2 de Goldman Sachs
est un spécialiste de la finance de l’ombre qui sait « remplir les poches d’une poignée de multinationales ».
Alors, Trump ? Oubliée cette violente charge contre « cette structure du pouvoir mondial »,
« cette grande pieuvre, collée aux
basques de l’humanité qui plonge sans relâche dans tout ce qui a l’odeur de
l’argent » ? A moins qu’il ne se considère lui-même comme une de
ses tentacules…
Wilbur
Ross,
secrétaire au Commerce. Il serait
chargé de mettre en place des barrières douanières pour faire revenir des
emplois industriels aux USA. C’est un Bernard Tapie à la puissance 10. A la
tête d’un fonds dit d’investissement, il
s’est spécialisé dans la reprise « pour
une bouchée de pain » de sociétés en faillite dans les domaines les
plus divers (fabricants d’acier, de textile, mines de charbon). Après avoir
procédé à des milliers de licenciements, au mépris des règles de sécurité et en
interdisant de se syndiquer, il remet à flot ces entreprises exsangues pour les
revendre à bon prix…
Micke
Torrey
à l’agriculture est moins connu. Ce
capitaliste de la fabrication et de la vente de boissons est aussi un… assureur
agricole. Sûr qu’il saura faire fructifier ses affaires.
Scott
Pruitt
nommé à la direction de l’Agence de protection de l’environnement. C’est un
climato-sceptique, convaincu qu’il est là en tant que bras armé des compagnies
pétrolières. Ce ministre de la justice de l’Oklahoma, riche en pétrole, a
engagé dans 28 Etats des procédures judiciaires contre le plan climat d’Obama.
Sûr qu’il saura stopper les réformettes de l’ex-président.
Avec Andy Puzder, les salariés, quelle que soit la couleur de leur peau,
vont déchanter. Nommé « ministre » du travail, cet ex-patron d’un fonds spéculatif, défenseur de
l’industrie pétrolière, est à la tête de la chaîne de restauration rapide CKE.
Patron de combat, c’est un adversaire acharné du relèvement du SMIC, des heures
supplémentaires valorisées, des congés-maladie, de la généralisation de la couverture-maladie
et de l’amélioration des conditions de travail. D’après lui, il est nécessaire
de soulager les PME des réglementations superflues. D’ailleurs, les salariés
coûtent trop cher et ne sont pas fiables. Au printemps, il affirmait vouloir
les remplacer par des machines. « Elles
sont toujours polies, n’arrêtent pas de faire du business, ne prennent jamais
de vacances, ne sont jamais en retard, ne sont pas victimes d’accident et il n’y
a jamais de cas de discrimination selon l’âge, le sexe ou la race ».
Sûr qu’il pourra s’entendre avec son futur collège, Jeff Sessions, nommé « ministre » de la justice, anti-immigré et raciste
assumé.
S’il faut mater les travailleurs,
mieux vaut, d’après Trump, avoir recours aux
militaires.
Le
général
John F Kelly, ancien Marine, opposé
à la fermeture de Guantanamo, y veillera. Nommé à la sécurité intérieure, il sera épaulé par le général Michael T Flynn
qui le conseillera. Le premier est un expert de terrain. Cet ex-chargé des
affaires militaires en Amérique centrale et du Sud, ce spécialiste des coups
tordus, se voit confier la défense de la frontière mexicaine. Foin des civils,
ils n’ont plus leur place pour diriger l’armée. Le général James N. Mattis,
est nommé secrétaire à la Défense.
Trump l’a assuré : il a « un plan », il donnera 30 jours aux
généraux pour lui présenter une stratégie pour « vaincre et détruire les terroristes ». « On recherchera la paix par la force ».
« Nous allons reconstruire notre armée et nos alliances » et la
nomination de Rex Tillerson aux affaires étrangères en est la
préfiguration. Pour être gendarme du monde, Trump entend enrôler dans sa croisade,
Poutine. Les dictateurs seront rassurés ainsi que l’industrie pétrolière.
D’ailleurs n’a-t-il pas déjà encensé Rodrigo Duerte des Philippines, sa méthode
de lutte contre la drogue et les drogués lui convient et il l’encourage. Que sa
police ait le droit de tuer, qu’elle tire à vue et ait provoqué la mort de
4 800 personnes depuis juin, soit 30 par jour, ne l’émeut nullement. Alors, avec Rex, ce PDG d’Exxon Mobil, où il a fait toute sa carrière, lui
l’ami de Poutine qui l’a décoré de l’ordre de l’Amitié, lui qui connaît bien
les pétro-monarques, les intérêts des énergies fossiles seront préservés… tout
comme l’ordre du monde.
Trump signe le retour des
« barons voleurs »(3) en s’entourant d’une kyrielle de loups de Wall
Street, d’initiés, de lobbyistes et de faucons. Reste que le festival des
vautours n’est pas si simple à organiser.
Restaurer la puissance US ou précipiter son
déclin ?
Tel est l’enjeu. « Les gars des fonds spéculatifs s’en sont bien tirés »
de la crise de 2008, dit Trump. Et puisque la FED - banque centrale des
Etats-Unis – (comme la BCE en Europe), malgré les taux dérisoires dits
« accommodants », ne parvient pas à relancer l’économie, « qu’elle
est arrivée au bout de ce qu’elle peut faire », il faut changer de
politique. La peur de la stagflation règne, ce mélange de stagnation économique
et de faible inflation, ce stade précédent la récession économique. La solution ?
Une relance budgétaire massive, des grands travaux d’infrastructures, des
stimuli fiscaux et des valeurs boursières en hausse, tout en se protégeant de la
concurrence étrangère. D’où les barrières douanières et la fin des accords de
libre-échange.
Pas si simple, car il faut faire
revenir sur le sol américain les montagnes de liquidités des entreprises US qui
sont entreposées, par leurs filiales, à l’étranger, en Europe, en Asie et dans
les paradis fiscaux, soit la bagatelle
de 2 600 milliards de dollars. Trump leur propose « le deal du siècle » pour combler le
manque à gagner du fisc et de l’économie américaine : « Je vous diminue vos impôts sur les bénéfices
(10% au lieu de 35%) mais vous réinvestissez ce pactole dans nos usines ».
Pas sûr que ça marche, on ne fait pas boire un âne qui n’a pas soif. Le
principal souci de ces firmes, c’est de gâter leurs actionnaires en rachetant
au besoin leurs propres actions pour en faire monter le cours(4). Et peut-il
réellement diminuer les importations compte tenu de la désindustrialisation du
pays et du bas coût des produits étrangers qui maintiennent, vaille que vaille,
la consommation ?
Certes, grâce à la fracturation
hydraulique, sous Obama, l’industrie pétrolière US a rejoint les premiers rangs
aux côtés de la Russie et de l’Arabie Saoudite. En 2015, 9,6 millions de barils
par jour ont été extraits, l’on passerait à 8,6 millions en 2016. Mais le coût
du baril qui doit désormais être extrait à 2 000 voire 3 000 mètres
sous le sol est passé à 40 dollars contre 5 à 10 dollars en Arabie Saoudite.
Bref, on comprend mieux l’alliance avec la Russie car, en tout état de cause,
Trump n’a pas les moyens d’accroître en interne la production d’hydrocarbure et
de gaz.
En politique étrangère, avec Trump et
l’armée US, l’empire prétend toujours être le gendarme du monde mais à moindre
frais. La fragilité économique, l’énorme dette de l’Etat fédéral (5) imposent
une reconfiguration. « L’OTAN est
obsolète et coûteuse », « le
Japon doit payer les dépenses militaires comme les autres pays ». Mais,
« nous ne faillirons pas »,
« nous devrons agir autrement ».
La bataille de Mossoul est « stupide,
en voulant épargner les civils », « je vais les écraser sous les bombes »… à la Tchétchène !
Et puis, « nous sommes dans un
endroit où nous ne devons pas être » (en Europe ?) « Nous ne voulons pas que des pays fragiles profitent de nous » « Nous allons reconstruire notre armée et nos
alliances ». La Chine devient-elle l’ennemi principal, tournant
qu’Obama avait déjà entamé ? Cette orientation isolationniste et
interventionniste à la fois, au coup par coup, va provoquer de vifs débats au sein
de la classe dominante dont les intérêts sont contradictoires.
En interne, la présidence de celui qui
s’est affirmé, pendant la campagne électorale, comme le leader du courant
réactionnaire, affirmant la suprématie de la race blanche, des cols bleus, sera
très vite confronté à la réalité des inégalités sociales abyssales qu’il ne
peut qu’aggraver. Pour preuve, non seulement la ré-industrialisation promise, si
elle voit le jour, prendra du temps mais, surtout, la bataille des 15 dollars
par heure travaillée (actuellement à 7.25 dollars) est loin de s’éteindre. Partie
en 2012, elle s’est étendue dans toutes les grandes villes, entraînant des
milliers de grévistes. En avril, dans 200 villes, plus de 6 000 salariés
ont répondu au mot d’ordre de grève générale. Une alliance a été tissée
avec l’association La vie des Noirs compte,
des succès ont été emportés dans des villes comme Seattle, San Francisco,
obligeant Hillary Clinton sous la pression de Bernie Sanders, à s’engager à
augmenter le SMIC fédéral… Le mouvement revendicatif va persister. Trump
« la voix des Américains oubliés », de la loi et de l’ordre, devra y
faire face. Démagogie et matraque seront à l’ordre du jour pour assurer la
« paix intérieure ». D’autant que ses fanfaronnades d’expulsions
massives risquent d’être contrariées. Il y a 11 millions de personnes en
situation irrégulières (y compris des millions de Mexicains), dont profitent
nombre d’employeurs peu scrupuleux. Quant aux Afro-américains engagés contre la
pauvreté et le racisme dont ils sont l’objet, avec l’association La vie des Noirs compte, leur mobilisation
ne s’éteindra pas.
Reste la répression et l’impunité des
policiers : en 2015, selon Jacques Maillard(6), 990 morts par balles ont
été recensés. La quasi-totalité des morts sont des Noirs. Reste la prison :
le taux d’incarcération des Noirs est déjà 6 à 7 fois supérieur à celui des Blancs.
Trump peut-il « mieux » faire ? Reste l’exacerbation démagogique,
cynique, contre les boucs émissaires et l’appel au Ku Klux Klan qui a soutenu
Trump et s’est félicité de sa victoire. Mais bien d’autres peuvent être
mobilisés dans les affrontements à venir. Dans ce pays où 300 millions d’armes
sont en libre circulation, soit 112 armes par personne, le pire est à craindre.
Pas sûr que l’invocation du dieu de la
Bible comme l’a fait l’escroc Trump, ni sa volonté d’abroger les dispositions
concernant la liberté de l’avortement et le mariage homosexuel, apaisent les
esprits.
Gérard Deneux, le 14.12.2016
(1) Ex-poumon
industriel des Etats-Unis (au nord-est) aujourd’hui en crise profonde ; jusqu’aux
années 70, elle était appelée « la ceinture des usines »
(2) La loi
Dodd-Frank, votée en 2010 suite à la crise de 2008, organise le contrôle sur
les banques. Interdiction de spéculer pour leur compte sauf exceptions…
Organisation de plus de transparence. En cas de crise bancaire, les
contribuables ne pourront plus être sollicités (à voir …). Ne rétablit pas
la séparation entre les banques de dépôt et les banques d’affaires qu’avait
supprimée Bill Clinton
(3) L’expression
fait référence à la période d’essor du capitalisme aux USA au sortir de la
guerre civile. Les barons voleurs,
sans scrupules, recourraient à la corruption pour s’accaparer terres et
richesses minières. Exemple : la centrale Pacific, compagnie de chemin de
fer « arrosa Washington de plus de
200 000 dollars pour obtenir gracieusement 3.6 millions d’hectares de
terres et quelque 24 millions de dollars en subventions diverses »…
Quant à l’exploitation des travailleurs, elle était féroce « 3 000 Irlandais et 10 000 Chinois
travaillèrent pendant 4 ans (pour relier la côte Est à la côte Ouest) pour 1 à
2 dollars par jour ». cf le livre de Howard Zinn Histoire populaire des Etats-Unis
(p. 293 à 340)
(4) Rachat des
actions : opération qui consiste à faire monter le cours de l’action.
Nombre d’actions, une fois rachetées, sont annulées. Chaque action voit sa
valeur augmentée et les dividendes s’envolent.
(5) L’énorme dette
de l’Etat fédéral : 108.2% du PIB (UE : 86.3% - France : 98%)
(6) professeur à Sciences Po Paris/Versailles