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lundi 5 novembre 2018


Aquarius, un symbole

Dans notre n° 44 de mai 2018, nous évoquions la non-assistance à personnes en danger au regard de la politique de refoulement aux frontières européennes des errants de la guerre et de la misère. Alors qu’en Europe, les résultats électoraux mettent au pouvoir l’extrême droite, les humanistes et internationalistes font actes de solidarité envers les migrants qui se noient dans le bleu de la mer ou dans le blanc de la montagne. Les maltraitants, eux, mettent tout en œuvre pour contenir les migrants hors d’Europe et, en même temps,  criminalisent de plus en plus ouvertement les bienfaiteurs. La politique européenne « commune » en matière de migrations qui fait consensus est celle qui fait tout pour que les exilés ne mettent pas un pied sur le sol européen.   

En Méditerranée, la barbarie s’installe

L’Aquarius, navire-symbole de sauvetage – en 2,5 ans d’existence, il a secouru 30 000 naufragés - affrété par SOS Méditerranée et Médecins sans frontières, vient de vivre ces derniers mois des évènements illustrant la politique des gouvernements de l’UE que l’on peut qualifier de criminelle.

Débarquer dans un port : mission impossible
Début juin, 630 migrants sont débarqués à Valence en Espagne, suite au refus de l’Italie d’autoriser l’Aquarius à aborder dans ses ports ainsi que celui de Malte. Au cours des 9 jours d’attente insupportable de la  décision des autorités, la chaleur de l’accueil et la détermination de l’équipage ont permis que cette opération ne tourne pas au drame. C’est que, en Italie, Salvini (extrême droite) est devenu co-président du Conseil et ministre de l’intérieur. Le symbole de résistance humanitaire de l’équipage de l’Aquarius doit être cassé. Cynique, il affirme : « Les passagers (de l’Aquarius) ne peuvent pas décider de quand commence et quand finit la croisière ( !)…. ». Côté Conseil Européen, ça patauge ! Le 29 juin, les chefs d’Etat et de gouvernement se sont entendus pour créer des « centres contrôlés » en Europe, pour faire le tri et détecter les « irréguliers », puis répartir les « bons » dans les pays « volontaires »... sauf que les volontaires ne sont pas légion : 5 pays sur les 28, ceux de l’Est mais aussi d’autres comme la Suède ou la Belgique refusent. Macron, donnant l’apparence du chef de file conciliateur, euphémise « les coalitions internes sont compliquées ». Quand il s’agit de sauver la vie de plus de 600 êtres humains, tous se réfugient derrière le droit international maritime considérant que les migrants secourus doivent être débarqués dans le port sûr le plus proche sauf que ceux-là,  italien et maltais, refusent. Les parties de ping-pong diplomatique se sont répétées en août et septembre. Le 14 août, après plusieurs jours de crise, une solution a été trouvée pour l’Aquarius qui avait à bord 141 migrants sauvés au large de la Libye, à 75% de Somaliens et des Erythréens ; ils sont répartis entre l’Allemagne, l’Espagne, la France, le Luxembourg et le Portugal. 141 ! Une goutte d’eau dans la mer ! Le 25 septembre, 58 « indésirables » attendent devant le port de La Valette. Hors de question pour Malte - ce paradis fiscal de l’UE, lieu de tourisme pour riches – de les accepter ; après plusieurs jours, ces Libyens, Pakistanais, Syriens, sont transbordés sur un navire maltais suite à un accord au forceps, 4 Etats européens finissant par se les répartir : 18 en France, 15 en Allemagne, 15 en Espagne, 10 au Portugal ! « Bienvenue en Europe ! »

Mission européenne : refouler et non sauver
Lors du sauvetage de la cinquantaine d’enfants, femmes et hommes, qui le 25 septembre, tentent de gagner l’Europe dans une embarcation qui commence à prendre l’eau, l’équipage de l’Aquarius se retrouve face à face avec les garde-côtes libyens furieux de voir que les humanitaires ont entrepris le transfert des personnes en danger. Le capitaine de l’Aquarius maintient sa position de ne pas les livrer à la Libye et fait face aux hurlements « Vous ne respectez pas nos instructions ! Nous vous avons dit de ne pas intervenir. Vous allez avoir de gros problèmes…Vous encouragez les migrants à aller en Europe… Vous nous désobéissez » ! 

C’est que, depuis juin, l’Organisation maritime internationale (sous pression de l’UE) a reconnu les garde-côtes libyens compétents exclusifs en matière de coordination des secours dans les eaux internationales au large de la Libye. Ils sont chargés de refouler les migrants vers la Libye. Le Haut-Commissariat pour les réfugiés des Nations Unies a fait remarquer que ce pays n’est pas un lieu sûr pour débarquer des personnes secourues en raison des graves maltraitances, tortures, extorsions d’argent, travail contraint quasi esclavagiste… Tout le monde le sait mais la Libye reçoit des fonds européens pour bloquer les départs… peu importe les méthodes !

Et cet Aquarius qui persiste à assister les personnes en danger ! Stop ! En l’espace de deux mois il aura perdu son port d’attache italien et à deux reprises, son pavillon (une première fois de Gibraltar et cette fois de Panama). Il est cloué à quai à Marseille, dans l’attente de retrouver une bannière sous laquelle naviguer. Depuis le début de l’été, plusieurs autres navires humanitaires sont bloqués à Malte, empêchés de repartir en mer. Sur une dizaine de bateaux humanitaires de sauvetage l’an dernier, il n’en reste pas pour patrouiller en Méditerranée centrale.

Les responsables des Etats européens organisent de facto la pénurie de secours en mer, foulant au pied le droit maritime. Ils ferment les yeux sur les tortures, les viols… en Libye et se bouchent les oreilles pour ne pas entendre les cris de ceux qui se noient !  Méditerranée : cimetière marin d’une humanité en détresse. Un membre de MSF, né en Tunisie, installé en Italie, ne trempe plus un pied dans la Méditerranée « Elle a avalé trop de gens » dit-il. De 2014 à 2017 : 15 000 morts estimés et depuis janvier, 1 728 noyés ou disparus. Ces chiffres sont des estimations car, comment compter des hommes et des femmes que l’on ne compte plus car ils ne comptent pas ? Politique criminelle ? Oui, on peut l’affirmer.

Qui a provoqué le chaos ? En Syrie, en Libye ? Qui intervient au Sahel, au Mali, en Centre Afrique ? Qui a engagé les interventions militaires et ingérences dites humanitaires pervertissant un processus de révolution démocratique ? Pourquoi déplorer, dès lors, l’augmentation des arrivées de migrants en Europe ? 215 000 en 2017, 105 000 à mi-2018 ? Ils fuient la guerre et la misère et nous les traitons comme des pestiférés. Nous les laissons se noyer, en silence, ou nous les enfermons dans des camps comme des déchets humains ! C’est nous qui finançons ces camps en Turquie, en Libye, qui laissons l’Algérie renvoyer tous ces indésirables dans le désert… à la mort.

Serait-ce la nouvelle barbarie du 21ème siècle ? Ouverture de camps, aux portes de l’Europe, dans lesquels survivent ceux dont l’existence est en attente… repartant toujours sur des parcours sans fin… sans pouvoir reconstruire leur vie quelque part.  

Mais, nous dit-on l’immigration irrégulière est un problème !

La propagande formate l’esprit des gens. Le discours et les mots utilisés ne sont pas neutres. En France, l’Etat parle de « réfugié » pour celui qui a obtenu un statut, celui-là n’est pas un problème (ils sont peu  nombreux, le statut est accordé à environ 30 % des demandeurs). Le problème c’est le « clandestin », « l’irrégulier ». Ils seraient un million en UE. Quel crédit donner à ce chiffre ? Sachant que c’est l’agence Frontex, chargée de refouler les migrants, qui compte… non pas les personnes mais les entrées en UE. De plus, elle ne compte pas les sorties, alors que la moitié des migrants sortent au bout de 5 ans. Et s’ils étaient 1 million, cela représente 0.2 % de la population de l’UE !  On est très loin de l’invasion et du « grand remplacement » !

Le réfugié serait plus légitime que le migrant ? Cette distinction est, en fait, fruit de la construction de la politique d’immigration. En 1951, la Convention de Genève choisit de retenir le concept de réfugié, comme un persécuté. Cela n’est pas neutre à l’époque où se situe la discussion (période de la guerre froide) : deux conceptions s’affrontent, les « socialistes » (de l’époque) pour qui le réfugié est une victime des inégalités économiques, et le bloc occidental pour qui le réfugié est un persécuté. Tous les dissidents du bloc communiste seront réfugiés, automatiquement, mais pas les autres. Dans le droit actuel, cette conception prévaut encore, à la différence que celui qui prétend au statut de réfugié doit fournir les preuves individuelles de ses persécutions, ce qui n’était pas le cas jusqu’à la fin des années 80. Après la chute du « bloc communiste », le concept n’a pas évolué et, pour l’heure, pas question d’instituer un statut de « réfugié de la faim » ou réfugié économique, encore moins de réfugié climatique. Le droit évoluera quand les politiques considèreront que l’immigration n’est pas un problème ou une variable d’ajustement d’une main d’œuvre exploitable et jetable à souhait, mais une opportunité et une richesse, dans une Europe vieillissante. Ça ne se fera pas sans poussées des militants de base et des migrants.  

A l’inacceptable, nul n’est contraint

Externaliser, le maître-mot de la politique migratoire de l’UE ; pour ne plus avoir à rejeter les « indésirables », mieux vaut les empêcher d’arriver. Cette façon de penser, à quelques divergences près, est majoritaire. Le camp des anti-migrants se renforce : Autriche, Italie, groupe de Visegrad (Hongrie, République tchèque, Slovaquie, Pologne), Suède, Danemark prônent une Europe fermée. Depuis 2015, des mesures ont renforcé la protection des frontières extérieures : élargissement des pouvoirs de Frontex, création de « hot spots » centres de tri des migrants en Italie et en Grèce, accord avec la Turquie, accords bilatéraux avec les pays pour le renvoi de leurs ressortissants. Les 28 viennent de décider d’explorer les « plates-formes de débarquement régionales » hors de l’UE, autrement dit des centres de tri. Le financement des garde-côtes en Libye où prospèrent des réseaux maffieux gérant des prisons « sauvages » sur les routes migratoires ou encore le contrôle par le Niger des candidats à l’exil des pays voisins (pour 230 millions€), tout est fait pour empêcher les migrants de passer. La garde civile espagnole a expulsé récemment 116 migrants au Maroc. Les Marocains renvoient les Subsahariens vers le sud. L’Algérie renvoie des migrants dans le désert… sans que la « communauté internationale » ne s’émeuve de tous ces méfaits.

Salvini, lui, poursuit son chemin. Le 1er octobre, il arrête Domenico Lucano, maire de Riace, en Calabre, qui a fait revivre sa commune de 2000 habitants en accueillant 600 migrants. Malgré les manifestations de soutien, Domenico est interdit de séjour dans sa commune, accusé d’avoir autorisé des mariages blancs et enfreint la réglementation des marchés publics pour favoriser des entreprises locales recrutant des migrants. L’attitude de Salvini est emblématique du virage politique de l’Italie, inquiétant tournant vers un régime autoritaire ?

La France, elle, cache ses pratiques : elle « éloigne » les migrants, via les préfets chargés de mettre en œuvre les plans de lutte contre l’immigration irrégulière, se félicitant aussi de pourchasser les « faux » mineurs grâce aux contrôles des brigades des chemins de fer…. Au pays des Droits de l’Homme, le soupçon est roi ! Laisserons-nous encore longtemps se répandre l’idée nauséabonde du bouc émissaire, le « tricheur », le « parasite » le « menteur » ? L’arrivée de mineurs isolés ne devrait-elle pas déjà nous interroger sur le vécu et l’avenir de ces enfants cherchant refuge, livrés à tous les dangers de l’errance ?     

L’obsession pour le refoulement de l’immigration dite clandestine et l’identification de « faux » réfugiés ont fini par produire un retournement du droit d’asile, déligitimant quiconque ne correspond pas aux critères définis. Les politiques anti-migrants qui se multiplient dans les pays de l’UE sont toutes des impasses. Elles ne règlent rien. Elles déplacent les migrants.


Refuser la banalisation des actes inacceptables. Soutenir les initiatives de solidarité, lutter pour les sans-papiers, occuper des logements, signer les appels, comme le Manifeste « Pour l’accueil des migrants », faire connaître l’association nationale des villes et territoires accueillants, revendiquant un accueil inconditionnel, soutenir les militants solidaires condamnés, refuser le modèle de société qui se profile, celui de l’intolérance, de l’exploitation, dénoncer les financements européens de l’esclavage et la torture dans les camps en Libye ou ailleurs. Tous ces actes de résistances sont salvateurs à condition qu’ils réussissent à bousculer les schémas idéologiques imprimés dans les têtes à force de contre-vérités racistes, du type « il y en a trop » ou « ils profitent de nos aides sociales », etc… pour construire une société multicolore, multiculturelle de justice et d’égalité, pour qu’existe un droit international de l’hospitalité. La solidarité est là. La preuve ? Il n’y a plus de navire-sauvetage en Méditerranée que déjà des « pilotes volontaires » survolent la mer à la recherche d’embarcations de migrants qu’ils signalent aux bateaux naviguant à proximité… L’espoir en un monde plus solidaire est permis.

Odile Mangeot, le 24.10.2018