Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


dimanche 11 novembre 2018


A propos du « champ des possibles »

La diffusion du film ci-dessus dénommé, et le débat qui s’en est suivi (dans le cadre du Festival Alimenterre), dans un petit village de Haute-Saône (Colombe-les-Vesoul), démontre que nombre de participants, même s’ils ressentent plus que de la bienveillance vis-à-vis des néo-ruraux, aspirent confusément à une transformation économique et sociale plus radicale. Les notes qui m’ont servi à animer le débat, sont l’occasion de revenir sur la signification de ce mouvement « du retour à la terre » qui, quoique minoritaire, étonne les paysans eux-mêmes.

L’aspiration à « renouer avec la nature » s’inscrit, à la fois dans un phénomène social négatif de rejet et, en positif, de renouveau du lien social. La structure des rapports sociaux réellement existants peut en rendre compte. La vie devient invivable dans les grandes villes ; le chômage, la précarité du travail, la longueur des trajets domicile-travail, la perte de sens des activités imposées par le système capitaliste, et le mode de management qui les encadre, concourent à refuser, dans certaines franges de la société, le travail salarié. Même ceux qui sont qualifiés ressentent que leur savoir, voire leur savoir-faire, n’est pas pris en considération. Cette déqualification « indigne » de la conception qu’ils pouvaient avoir de leur existence sociale ne peut que favoriser une prise de conscience plus large. Elle est confortée par la réalité de l’évolution du système : l’agro-industrie, non seulement appauvrit les sols en recourant à la chimie, mais également provoque des scandales sanitaires (malbouffe, maladies, vaches folles…). Qui plus est, la destruction, de fait, des collectifs ouvriers, paysans et populaires, l’atomisation des individus, suscitent en réaction le besoin de renouer avec des pratiques d’entraide que les modes de production et de consommation ont marginalisées. Plus généralement, le réchauffement climatique, la fragilisation de l’écosystème sont des facteurs de prise de conscience d’une évolution catastrophique qu’il faut mettre en cause. Encore faut-il pouvoir mesurer d’un point de vue critique le processus qui nous conduit désormais à ce que d’aucuns dénomment le possible « effondrement ».

En France (encore qu’elle ne fasse pas exception), le modèle qui s’est imposé après la 2ème guerre mondiale trouve ses origines dans la conjonction de plusieurs facteurs : la nécessité de la reconstruction et la capacité à nourrir la population se heurtent aux destructions ainsi qu’à la réalité d’une paysannerie qui, du point de vue capitaliste,  n’est ni assez concentrée, ni assez mécanisée. Le plan Marshall avec ses tracteurs importés va y pourvoir, comme le recours systématique aux engrais permettant, d’ailleurs, une reconversion de l’industrie chimique de guerre. Les paysans sont encouragés à s’endetter pour se mécaniser (Crédit agricole « mutuel »), voire à s’entraider sous la houlette des propriétaires les plus riches (coopératives). La monoculture intensive est préconisée, tout comme la suppression des haies, pour favoriser son extension. Rapidement, il ne s’agit plus de satisfaire les besoins de la population mais d’exporter les produits des fermes dans d’autres pays et, pour ce faire, d’être compétitifs. La course est lancée, la concurrence et la baisse des prix provoquent progressivement la prolétarisation forcée des paysans et la concentration des terres des exploitations les plus rentables.

La PAC (Politique Agricole Commune) mise en œuvre par l’Europe naissante va accélérer ces phénomènes d’agro-industrialisation de l’agriculture. Promue pour faire face à la surproduction (beurre de Noël, par ex…) elle incite toujours plus, au productivisme, à l’exportation par des aides et à l’incitation à s’endetter. Quant au syndicat dominant (FNSEA), tout en s’inscrivant dans ce modèle concurrentiel lié à l’agro-alimentaire, il demande toujours plus d’aides à l’Europe. Le néo-libéralisme va  précipiter cette évolution vers des phénomènes mortifères : maladies, suicides des paysans, désertification des campagnes, appauvrissement et érosion des sols, tarissement des nappes phréatiques, pollution de l’air et des sols d’une part, et d’autre part, dépendances aux grandes surfaces, supermarchés et à l’agro-industrie.

Dans les années 1966, une frange d’agriculteurs organisés, d’abord dans les « paysans travailleurs », puis dans la Confédération paysanne, va tenter de résister à ce processus de concentration et de dégradation de l’environnement. Dans les années 1968/1970, une alliance se tissera avec les ouvriers en lutte avant que ces derniers soient également laminés par les défaites subies et les délocalisations, fermetures d’usines qui s’en suivront.

Face à cette atomisation des rapports sociaux, à la montée de l’individualisme concurrentiel, puis à la crise financière et environnementale, les résistances défensives n’ont pas manqué, sans pour autant modifier le rapport de forces sociales. On comprend que, dans ces conditions défavorables, surgissent des « modes de vie alternatifs », des modalités d’évitement de la malbouffe (par les circuits courts, AMAP…). Toutefois, ces poches de résistance qui font revivre des solidarités ne sont pas à la hauteur des enjeux, sauf lorsqu’elles se confrontent réellement à l’Etat et au système de propriété privée (à l’image de la ZAD à Notre-Dame-des-Landes). Des alliances improbables peuvent s’y tisser pour mettre en cause le mode de production, de distribution et de consommation. Ces poches de résistance, surtout lorsqu’elles prennent la forme d’association et de coopération, annoncent, peut-être, une prise de conscience plus globale allant à l’encontre des replis individualistes utopiques. L’unité à construire se doit de relever les défis qui sont en germes : crise économique et financière catastrophique, extension du domaine de la guerre, migrations, crise mortifère de l’écosystème. Dès lors, c’est contre l’Etat qu’il faut briser et contre l’oligarchie capitaliste dont il est l’émanation, que tous les efforts doivent se concentrer. Encore faut-il que ceux qui sont convaincus de la nécessité d’une transformation sociale radicale s’organisent et ce, sans entretenir d’illusions sur le parlementarisme institutionnel.

Gérard Deneux, le 31.10.2018
Les Amis de l’Emancipation Sociale (AES)

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