Les roitelets des terres rares
Ça
vous a peut-être échappé : lors du 14 juillet 2016, à la tribune
présidentielle, il y avait comme une incongruité que les médias complaisants
n’ont pas relevée. Aux côtés du Président de la République française, siégeaient
deux rois d’îles françaises, en présence notamment du premier ministre
néo-zélandais John Key et de John Kerry, secrétaire d’Etat aux affaires
étrangères des Etats-Unis. Ces deux monarques, l’air égaré voire effaré, à la
vue du défilé militaire et d’être ainsi mis à l’honneur, devaient se dire que,
chez eux, il n’y avait pourtant aucune Bastille à prendre. La grandeur de la France
devait les impressionner, eux qui venaient de si loin.
Filipo
Katoa et Eufinio Takal, règnent sur leurs royaumes d’Alo et de Sigave, perdus
dans l’océan Pacifique, à 8 000 kms de Los Angeles, à 4 000 de Sidney
en Australie. Leurs îles se trouvent en Océanie, au milieu de nulle part entre
les lointaines Nouvelle-Calédonie et Tahiti. Leur présence, quoiqu’on en pense,
ne se résumait pas à donner une touche exotique ou nostalgique de l’ex-empire
colonial. La preuve, le 12 juillet, ils avaient été reçus, en grande pompe, à
l’Elysée avec leurs suites. Entourés des présidents de l’Assemblée nationale et
du Sénat, du ministre d’Outre-mer, ils furent cajolés avec moult révérences
pour leurs illustres personnes.
Mais,
à quoi tenait donc cette mise en scène ? C’est que ces roitelets avaient
quelques velléités d’autonomie et voulaient bénéficier de royalties de
l’extraction de leurs ressources minérales. Les campagnes d’exploration de
leurs domaines leur avaient mis la puce à l’oreille ; ils en demandaient
l’arrêt pour mieux négocier les enjeux vitaux pour leurs fiefs respectifs au
sein de la collectivité d’Outre-mer de Wallis et Futuna. Hollande, pas gêné,
avait conclu son allocution de bienvenue en déclarant : « nous avons besoin d’être tous ensemble »
et « Vive la République, Vive la
France » ! Quel est donc cet enjeu primordial pour cette grande
mascarade : 3 îles de 124 km2, comptant 12 197 habitants ! 15
millions à verser chaque année, pour assurer la présence française tout en
rémunérant ces rois à raison de 5 500 € par mois. Qui plus est, l’Etat
français se mêle des chamailleries lors de l’élection du roi, ce qui valut
d’ailleurs au sieur Fürst, préfet, d’être exfiltré pour s’être trop ingéré dans
leurs différends. Quant à l’apport prétendument civilisationnel de la France
républicaine et laïque, il est bien modique sinon inexistant. L’histoire en
atteste.
Découvertes
par les Hollandais, ces îles furent rattachées à l’Empire français en 1888,
après que les « bons » pères maristes, dès 1610, aient imposé le
catholicisme à ces peuplades. En 1986, devenue territoire d’Outre-mer, cette
collectivité n’appliqua nullement les lois de la République, ignora même le
code de la route, tout comme les traités internationaux. La loi de 1905 de
séparation de l’Eglise et de l’Etat n’y a pas cours. L’Eglise a compétence
exclusive pour l’éducation primaire. Les débats de l’Assemblée territoriale
sont toujours précédés d’une prière prononcée par l’évêque, la séance est
placée alors sous la bénédiction du Saint-Esprit ; après le signe de
croix, « tout le monde s’engueule »
raconte un ancien serviteur de la République… lointaine. Que l’Etat agisse en
protecteur du trône et de l’autel, personne ici parmi les élus de la France
républicaine ne s’en offusque, même pas les laïcards, et Valls n’a émis aucune
stigmatisation contre ce communautarisme de chefferies aristocratiques… Il n’y
a même pas eu d’objections réelles à l’implantation de sociétés offshore qui
n’ont d’ailleurs aucune activité dans ces îles. Elles sont tolérées, permettent
la délivrance de pavillons de complaisance et des transactions pour échapper à
l’impôt et autres opérations de blanchiment.
Mais
la France s’affirme, dira-t-on, là-bas, comme une puissance maritime dans le
Pacifique et possède ainsi un droit de regard sur le plus grand océan du monde.
A voir ! Wallis, Futuna et Alofi, ces trois îles ne possèdent ni port en
eaux profondes, ni aéroport. Alors pourquoi donc cet intérêt soudain pour ces
deux rois d’un bout de France ?
Le
lièvre git dans les eaux profondes : l’institut français de recherche et
d’exploitation de la mer, le groupe minier Eramet, sont intéressés par le
gigantesque cratère sous-marin de 20 km de diamètre qui recèlerait de
fabuleuses réserves de terres rares. A l’heure des nouvelles technologies
avides de ces métaux précieux et face à la dépendance vis-à-vis de la Chine,
l’Etat français se pose en futur prédateur des eaux claires des lagons.
Informées, les chefferies veulent leur part, menacent de faire sécession,
invoquant leur droit ancestral sur leurs terres émergées et immergées… Fallait
donc les rassurer du « besoin d’être
tous ensemble » ! Quitte à polluer cet environnement, ces massifs
de corail et ces îles déjà pénalisées par une carence en eaux douces… avant
qu’elles ne deviennent glauques, si par mésaventure la ruée minière
destructrice mettait fin à cette économie d’autoconsommation qui a vécu, hier,
de pèche, d’agriculture vivrière et d’artisanat.
A
moins que le pire puisse advenir, à l’image de l’atoll de Mururoa en Polynésie
française, où les 138 essais nucléaires provoquèrent, et provoquent encore, des
cancers de la thyroïde, non seulement chez les militaires présents mais aussi chez
les 2 300 habitants qui vivaient là-bas dans un rayon de 500 km… ou comme
à Dalahai, le « village du cancer » dans la province du Jiangxi en
Mongolie intérieure, où les habitants boivent, mangent, respirent les rejets
toxiques de l’extraction des terres rares du géant minier chinois Baogang. Déplacer
ou laisser pourrir sur place, telles seraient les options pour les natifs de
Wallis et Futuna !
Gérard
Deneux, le 22.10.2018
Source :
La guerre des métaux rares. La face
cachée de la transition énergétique et numérique de Guillaume Pitron, Les
liens sui libèrent