Contre-vérités. Fondement de la xénophobie.
La
montée de l’extrême-droite et la réalité des migrations ont remis au goût du
jour des contre-vérités : la concurrence des travailleurs sur le marché du
travail, l’importance du chômage et de la précarité semblant leur conférer une
apparente vraisemblance. Ainsi, la baisse des salaires serait liée à l’arrivée
d’une main d’œuvre étrangère. « Ceux venus d’ailleurs » priveraient
les travailleurs français d’emplois. Ils provoqueraient, par les aides qu’on leur
octroie, un déséquilibre des comptes sociaux et participeraient de fait à la
casse des acquis, voire de la sécurité sociale elle-même.
L’histoire
enseigne une tout autre version contredisant ces fantasmes. Au 19ème
siècle, le patronat français fit appel à des centaines de milliers d’étrangers,
belges, italiens, polonais. Ils furent plus d’un million en 1880. Dans les
usines et dans les mines, ils participèrent au décollage du capitalisme
industriel, le pouvoir, à la différence du Royaume-Uni, ne pratiquant pas avec
la même brutalité la prolétarisation des paysans. Pour la classe dominante,
l’apport de main d’œuvre étrangère était une opportunité comme elle le fut lors
desdites Trente Glorieuses. Ce n’était nullement un fardeau. De fait,
indépendamment de la surexploitation dont furent victimes les nouveaux
prolétaires, l’ensemble de la population française connut une augmentation
indéniable du revenu par habitant, la réduction du chômage, l’amélioration de
l’équilibre des finances publiques.
Les raisons de ce constat sont structurelles : les non-nationaux
consomment, travaillent, paient des impôts, versent des cotisations sociales.
Par ailleurs, contrairement à une idée répandue, ils ne prennent pas les
emplois que les Français délaissent. Ils occupent les postes les plus
dangereux, les plus éprouvants et les plus mal rémunérés dans le BTP, la
restauration, les services... Les études sociologiques démontrent qu’au cours
de cette période des années 60, les immigrés ont permis aux Français ainsi qu’à
l’immigration plus ancienne (Espagnols, Portugais…), de grimper dans l’échelle
sociale. A Renault, par exemple, les Algériens se retrouvaient à la chaîne, les
autres s’en détachaient pour devenir chefs d’équipe, contremaîtres. Deux facteurs
jouaient en ce sens, la discrimination et le racisme certes, mais également la
maîtrise du français, leur permettant de s’extraire, relativement, du travail
le plus disqualifié.
On
pourrait objecter que, désormais, avec
la mondialisation et son cortège de délocalisation-externalisation,
désindustrialisation, l’époque n’est plus la même ; l’absence de
croissance ne permettrait plus d’absorber ce « flux » de migrants et
« nous » coûterait « un pognon dingue ». Une étude très
officielle de Hillel Rapoport, comparant ce que coûtent les étrangers et ce
qu’ils rapportent, vient contredire ces propos stigmatisants. Si l’on soustrait
la somme correspondant aux impôts sur le revenu, CSG, TVA, cotisations sociales,
des dépenses sociales d’éducation, de santé, de retraite, générées par les étrangers,
le résultat global est un excédent de 4 milliards pour l’année 2005. Bref, les immigrés
« rapportent ». Les raisons coulent de source : les
travailleurs étrangers arrivent à l’âge de 20-30 ans, n’occasionnent pas de
frais de scolarité, reçoivent peu de prestations sociales de santé, de chômage,
de retraite ; ils sont, de fait, des contributeurs nets de notre système
social.
Ceci
dit, le chômage, la précarité, les faibles salaires dans les dernières
périodes, sont réels. En fait, « les
mouvements des salaires sont régulés par la dilatation et la contraction de
l’armée industrielle de réserve » (Karl Marx,) d’où l’importance des
luttes pour l’emploi et l’unité ouvrière et populaire dans une conjoncture
faite d’austérité et de détricotage de tous les conquis sociaux. « L’unité
des prolétaires » est d’abord une construction politique qui passe par la
lutte pour l’égalité de traitement et, par conséquent, par des luttes contre
les expulsions et le racisme, pour l’octroi de papiers permettant aux migrants de
travailler, de les rémunérer au même salaire que les ouvriers français. Bref,
il s’agit de lutter pour l’augmentation uniforme du salaire minimum, l’amélioration
des conditions de travail…
L’internationalisme
du mouvement ouvrier et populaire est constitué de luttes et de solidarités. En
Europe, la renaissance des aspirations à une transformation révolutionnaire
passe par une égalisation des conditions de travail et, tout particulièrement,
l’harmonisation sociale et fiscale entre les différents pays qui la composent.
On en est encore loin. Quoique ! Cette Europe imposée, celle de la
concurrence de tous contre tous, entame le chemin de sa déconstruction par en
haut, de la manière la plus hideuse : nationalismes, xénophobie, Brexit…
Le vieillissement des populations des pays centraux, l’exode de la jeunesse des
pays en péril (Grèce, Espagne, pays de l’Est), l’appel de patrons allemands au
recours à la main d’œuvre étrangère… n’attendent plus qu’une poussée par un bas
pour déconstruire cette Europe de la finance et des transnationales.
Reste
qu’il faudra encore et encore déconstruire des contre-vérités pour y parvenir.
Gérard
Deneux, le 18.10.2018