Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 5 novembre 2018


Vers l’épuisement de l’ère de la mondialisation

Sans entrer dans le détail des facteurs structurels ayant concouru à l’émergence de la mondialisation et  conduit à se défaire du « carcan » keynésien, l’on peut souligner la saturation des marchés nationaux, la combativité ouvrière des années 68, la baisse du taux de profit, la défaite étatsunienne au Vietnam, la fin d’un dollar arrimé à l’or… Pour rebondir, le capitalisme a trouvé un nouvel essor dans la financiarisation, l’exportation des capitaux, la délocalisation d’usines à la recherche de main d’œuvre à bas coût, les innovations technologiques et le recours à l’endettement. Les chaînes de production de la valeur ont explosé aux quatre coins du monde. 42 % de la production est réalisée dans les pays du Sud contre 27 % en 2000. Cette industrialisation, qui a pris la forme d’usines d’assemblage puis de biens de production, a muté dans certains pays comme la Chine ou la Corée du Sud dans la confection de produits de haute technologie au détriment des pays centraux.

Produisant dans les pays du Sud, les firmes transnationales et les capitaux ont pris une distance avec leur propre Etat. Qui plus est, en plaçant leurs profits dans les paradis fiscaux, elles sont de fait déconnectées des conjonctures nationales dont elles sont issues. Les Etats sont désormais contraints, par les règles qu’ils ont eux-mêmes organisées (OMC, FMI…), à être en concurrence entre eux pour attirer les « investisseurs » étrangers sur leurs territoires (dumping fiscal et social). Quant aux entreprises qui produisent toujours sur le marché national, elles sont soit cannibalisées (externalisations) soit  fragilisées. Toutefois, les Etats capitalistes les plus avancés restent au service des transnationales, ne serait-ce que pour leur procurer des débouchés et mettre la main sur les matières premières dont elles ont besoin, tout en délocalisant les productions les plus polluantes dans les pays du Sud sur lesquels elles peuvent exercer des pressions.

Les deux phases de la mondialisation

La première phase fut une embellie : les faibles coûts de main d’œuvre, les gains de productivité, l’euphorie boursière, la spéculation se sont traduits par un formidable bond en avant. L’essor des nouvelles technologies a semblé donner un second souffle à la vitesse de circulation du capital et à sa capacité à inciter les consommateurs à acheter toujours plus en recourant au crédit. Cette phase s’est close en 2007-2008. Mais cette grande crise fut précédée de bien d’autres qui l’annonçaient.

Toujours est-il qu’on assiste, dans la dernière décennie à deux phénomènes concurrents d’épuisement de la mondialisation : le ralentissement au Sud des gains de productivité et du commerce mondial. La hausse des salaires et la réorientation de certains pays vers des activités à fort contenu technologique d’une part, et d’autre part, des mouvements de capitaux erratiques dans d’autres pays du Sud. En effet, le Brésil, la Russie, l’Inde, l’Afrique du Sud et même la Turquie et l’Argentine, qui n’ont pas réussi à dépasser leur spécialisation initiale fondée sur la fourniture de matières premières, sont l’objet de fuite des capitaux et de politiques d’austérité, de privatisations, pour les inciter à revenir.

Dans les pays dits centraux (USA, Europe de l’Ouest, Japon), on assiste, comme au Sud mais sur un mode différent, à un phénomène de dislocation sociale : collectifs ouvriers atomisés, précarisation et polarisation des emplois (très qualifiés, disqualifiés), rétrécissement des possibilités d’ascension sociale, creusement des inégalités et déstabilisation des Etats-Nations.

Pour tenter d’y remédier, les gouvernants se sont lancés dans une fuite en avant périlleuse. Pour attirer les capitaux et les firmes transnationales, ils n’ont rien trouvé de mieux que la logique exacerbée de la concurrence fiscale : le taux moyen de fiscalité dans les pays dits  avancés, de 44 % dans les années 1990 a décru à 33 % en 2017, voire à 27 % aux Etats-Unis sous l’effet Trump. Cette défiscalisation des profits s’ajoute à l’évasion fiscale, appauvrit les Etats qui se sont déjà surendettés afin de renflouer les banques suite à la crise de 2008.   

Trump, l’impérialisme chinois et autres sous-impérialismes

La politique initiée par Trump vise à rapatrier les profits US à demeure par la baisse des impôts sur les sociétés, quitte à creuser le déficit déjà énorme de l’Etat fédéral. Ce recentrage expansionniste de « l’Amérique d’abord » s’accompagne de la renégociation, à l’avantage des Etats-Unis, des accords multilatéraux (Mexique, Canada, Europe) et d’une volonté de détruire le cadre juridique construit lors de la première phase de la mondialisation (OMC en particulier). En outre, son adversaire principal reste la Chine. Au demeurant, cette politique est inadaptée, incohérente vis-à-vis du libre-échange telle qu’elle s’est construite lors de la première phase d’expansion de la mondialisation : les importations US correspondent, en grande partie, à des investissements de firmes états-uniennes dans les pays comme la Chine, le Mexique… Il ne peut en résulter qu’une lutte au sein même de la classe dirigeante des Etats-Unis et, à l’extérieur, une confrontation avec les Etats les plus réticents à se soumettre. La Chine, à la différence d’autres pays, possède la capacité de se recentrer sur son énorme marché intérieur. Elle poursuit, par ailleurs, avec la montée en gamme de sa production et son programme de gigantesques infrastructures (1 000 milliards de dollars dans plus de 60 pays), sa pénétration du marché mondial.

La montée des tensions et la possibilité d’extension du domaine de la guerre sont déjà inscrites dans la réalité géopolitique et dans l’avènement de pouvoirs autoritaires : la course aux armements, l’accroissement des ventes d’armes de plus en plus sophistiquées et meurtrières, la dénonciation par Trump de l’accord nucléaire avec l’Iran, le régime des sanctions et contre-sanctions en représailles, les blocs qui se constituent, USA et Europe chancelante contre Russie, Iran, Chine...

Les bâtards de la mondialisation

Le Financial Times l’a avoué : la montée des nationalismes, de la xénophobie, de l’extrême droite, « c’est le véritable héritage de la crise financière mondiale et de la politique d’austérité qui s’en est suivie ». Ainsi, au Royaume-(des)Uni, le Brexit résulte principalement de la baisse des dépenses sociales de 2010 à 2015 (23 %),  de la desindustrialisation, du chômage et de la concurrence entre salariés. Ce constat vaut pour l’Europe en voie de fractionnement où les dettes publiques et privées ne cessent de s’accumuler. Les classes dominantes des pays qui la constituent sont désormais tentées de recourir à la coercition, voire de composer avec la droite extrême pour éteindre l’incendie qui couve, après avoir sauvé les pyromanes que sont les bancocrates et les rentiers du capital. D’autant que nombre d’éléments des classes dirigeantes sont conscients de la nouvelle crise qui arrive, sans savoir quels en seront les déclencheurs et le moment où elle se produira. Un social-libéral anglais, adepte en son temps de la 3ème voie de Blair, s’inquiète : « Nous n’avons plus de munitions disponibles. Quand la prochaine crise se produira, nous découvrirons que nous n’avons plus de marge de manoeuvre fiscale ou monétaire, ni la volonté d’en user et la nécessaire coopération internationale nous fera défaut ».

Les classes ouvrières et populaires pourront-elles relever ce défi, tout comme celui consistant à faire face aux enjeux climatiques et migratoires ?

Gérard Deneux, le 25.10.2018