Vers
l’épuisement de l’ère de la mondialisation
Sans
entrer dans le détail des facteurs structurels ayant concouru à l’émergence de
la mondialisation et conduit à se
défaire du « carcan » keynésien, l’on peut souligner la saturation
des marchés nationaux, la combativité ouvrière des années 68, la baisse du taux
de profit, la défaite étatsunienne au Vietnam, la fin d’un dollar arrimé à
l’or… Pour rebondir, le capitalisme a trouvé un nouvel essor dans la
financiarisation, l’exportation des capitaux, la délocalisation d’usines à la
recherche de main d’œuvre à bas coût, les innovations technologiques et le recours
à l’endettement. Les chaînes de production de la valeur ont explosé aux quatre
coins du monde. 42 % de la production est réalisée dans les pays du Sud contre
27 % en 2000. Cette industrialisation, qui a pris la forme d’usines
d’assemblage puis de biens de production, a muté dans certains pays comme la Chine
ou la Corée du Sud dans la confection de produits de haute technologie au
détriment des pays centraux.
Produisant
dans les pays du Sud, les firmes transnationales et les capitaux ont pris une
distance avec leur propre Etat. Qui plus est, en plaçant leurs profits dans les
paradis fiscaux, elles sont de fait déconnectées des conjonctures nationales dont
elles sont issues. Les Etats sont désormais contraints, par les règles qu’ils
ont eux-mêmes organisées (OMC, FMI…), à être en concurrence entre eux pour
attirer les « investisseurs » étrangers sur leurs territoires
(dumping fiscal et social). Quant aux entreprises qui produisent toujours sur
le marché national, elles sont soit cannibalisées (externalisations) soit fragilisées. Toutefois, les Etats capitalistes
les plus avancés restent au service des transnationales, ne serait-ce que pour
leur procurer des débouchés et mettre la main sur les matières premières dont
elles ont besoin, tout en délocalisant les productions les plus polluantes dans
les pays du Sud sur lesquels elles peuvent exercer des pressions.
Les deux
phases de la mondialisation
La
première phase fut une embellie : les faibles coûts de main d’œuvre, les
gains de productivité, l’euphorie boursière, la spéculation se sont traduits
par un formidable bond en avant. L’essor des nouvelles technologies a semblé
donner un second souffle à la vitesse de circulation du capital et à sa
capacité à inciter les consommateurs à acheter toujours plus en recourant au
crédit. Cette phase s’est close en 2007-2008. Mais cette grande crise fut
précédée de bien d’autres qui l’annonçaient.
Toujours
est-il qu’on assiste, dans la dernière décennie à deux phénomènes concurrents d’épuisement
de la mondialisation : le ralentissement au Sud des gains de productivité
et du commerce mondial. La hausse des salaires et la réorientation de certains
pays vers des activités à fort contenu technologique d’une part, et d’autre
part, des mouvements de capitaux erratiques
dans d’autres pays du Sud. En effet, le Brésil, la Russie, l’Inde, l’Afrique du
Sud et même la Turquie et l’Argentine, qui n’ont pas réussi à dépasser leur spécialisation
initiale fondée sur la fourniture de matières premières, sont l’objet de fuite
des capitaux et de politiques d’austérité, de privatisations, pour les inciter
à revenir.
Dans
les pays dits centraux (USA, Europe de l’Ouest, Japon), on assiste, comme au
Sud mais sur un mode différent, à un phénomène de dislocation sociale : collectifs ouvriers atomisés, précarisation
et polarisation des emplois (très qualifiés, disqualifiés), rétrécissement des
possibilités d’ascension sociale, creusement des inégalités et déstabilisation
des Etats-Nations.
Pour tenter d’y remédier, les gouvernants se sont lancés dans une fuite en avant périlleuse. Pour attirer les capitaux et les firmes transnationales, ils n’ont rien trouvé de mieux que la logique exacerbée de la concurrence fiscale : le taux moyen de fiscalité dans les pays dits avancés, de 44 % dans les années 1990 a décru à 33 % en 2017, voire à 27 % aux Etats-Unis sous l’effet Trump. Cette défiscalisation des profits s’ajoute à l’évasion fiscale, appauvrit les Etats qui se sont déjà surendettés afin de renflouer les banques suite à la crise de 2008.
Trump,
l’impérialisme chinois et autres sous-impérialismes
La
politique initiée par Trump vise à rapatrier les profits US à demeure par la
baisse des impôts sur les sociétés, quitte à creuser le déficit déjà énorme de
l’Etat fédéral. Ce recentrage expansionniste de « l’Amérique d’abord » s’accompagne de la renégociation,
à l’avantage des Etats-Unis, des accords multilatéraux (Mexique, Canada,
Europe) et d’une volonté de détruire le cadre juridique construit lors de la
première phase de la mondialisation (OMC en particulier). En outre, son adversaire
principal reste la Chine. Au demeurant, cette politique est inadaptée,
incohérente vis-à-vis du libre-échange telle qu’elle s’est construite lors de
la première phase d’expansion de la mondialisation : les importations US
correspondent, en grande partie, à des investissements de firmes états-uniennes
dans les pays comme la Chine, le Mexique… Il ne peut en résulter qu’une lutte
au sein même de la classe dirigeante des Etats-Unis et, à l’extérieur, une
confrontation avec les Etats les plus réticents à se soumettre. La Chine, à la
différence d’autres pays, possède la capacité de se recentrer sur son énorme
marché intérieur. Elle poursuit, par ailleurs, avec la montée en gamme de sa production
et son programme de gigantesques infrastructures (1 000 milliards de
dollars dans plus de 60 pays), sa pénétration du marché mondial.
La
montée des tensions et la possibilité d’extension du domaine de la guerre sont
déjà inscrites dans la réalité géopolitique et dans l’avènement de pouvoirs
autoritaires : la course aux armements, l’accroissement des ventes d’armes
de plus en plus sophistiquées et meurtrières, la dénonciation par Trump de l’accord
nucléaire avec l’Iran, le régime des sanctions et contre-sanctions en
représailles, les blocs qui se constituent, USA et Europe chancelante contre Russie,
Iran, Chine...
Les bâtards
de la mondialisation
Le
Financial Times l’a avoué : la
montée des nationalismes, de la xénophobie, de l’extrême droite, « c’est le véritable héritage de la crise
financière mondiale et de la politique d’austérité qui s’en est suivie ».
Ainsi, au Royaume-(des)Uni, le Brexit résulte principalement de la baisse des
dépenses sociales de 2010 à 2015 (23 %), de la desindustrialisation, du chômage et de
la concurrence entre salariés. Ce constat vaut pour l’Europe en voie de
fractionnement où les dettes publiques et privées ne cessent de s’accumuler.
Les classes dominantes des pays qui la constituent sont désormais tentées de
recourir à la coercition, voire de composer avec la droite extrême pour
éteindre l’incendie qui couve, après avoir sauvé les pyromanes que sont les
bancocrates et les rentiers du capital. D’autant que nombre d’éléments des classes
dirigeantes sont conscients de la nouvelle crise qui arrive, sans savoir quels
en seront les déclencheurs et le moment où elle se produira. Un social-libéral
anglais, adepte en son temps de la 3ème voie de Blair, s’inquiète :
« Nous n’avons plus de munitions
disponibles. Quand la prochaine crise se produira, nous découvrirons que nous
n’avons plus de marge de manoeuvre fiscale ou monétaire, ni la volonté d’en
user et la nécessaire coopération internationale nous fera défaut ».
Les
classes ouvrières et populaires pourront-elles relever ce défi, tout comme
celui consistant à faire face aux enjeux climatiques et migratoires ?
Gérard
Deneux, le 25.10.2018