Chine.
Réveil de la classe ouvrière
‘Edito du
PES n° 48 (octobre 2018)
La
mondialisation, dont l’un des aspects consiste à rechercher, hors des pays
centraux, de la main d’œuvre à bas coût, en particulier dans les zones où la
classe ouvrière a acquis un certain savoir-faire, a dû composer avec le despotisme
patronal. Outre les pays de l’Est, c’est le cas notamment de la Chine, convertie
à une forme de capitalisme d’Etat. Le PCC est, de fait, devenu le Parti du
Capitalisme Chinois. Les nouveaux mandarins à la tête de cette caste
bureaucratique et, sous leur joug, de capitalistes privés, prétendent faire de
l’Empire du Milieu la puissance rivalisant avec l’impérialisme étatsunien qui,
après son apogée, amorce sa phase de déclin. Certes, rien n’est joué. A preuve,
l’instabilité de la formation sociale aux Etats-Unis et le réveil de la classe
ouvrière en Chine.
Contrairement
à l’idée encore répandue, la Chine n’est plus l’atelier du monde. Outre ses
industries traditionnelles, elle maîtrise désormais les technologies les plus
avancées. Elle dispose de plus de 4 000 entreprises de robotique. La
prolétarisation des campagnes et la concentration d’ouvriers dans d’immenses
complexes oppressifs ont fait surgir une conscience collective s’opposant à
l’arbitraire patronal et aux répressions étatiques. Ce que relate le
journaliste Jack Qiu confirme le réveil de la classe ouvrière. Jasic dans le
Shenzhen est une entreprise de construction de robots industriels de soudure.
Cette immense usine s’est dotée d’un système hiérarchique de gardes-chiourmes.
A toute infraction, même mineure, s’applique un barème d’amendes ; le
refus d’obéissance est sanctionné par un licenciement sans indemnités. Face aux
plaintes, concernant en particulier les heures supplémentaires non rémunérées
et la réticence des patrons à autoriser le syndicat officiel, le 22 mai, l’agence
d’Etat s’est fendue d’un rappel à l’ordre. Mais, lorsque 89 ouvriers ont tenté
de créer un syndicat, les intimidations, les accusations mensongères se sont
déversées sur eux. Battus, emprisonnés et licenciés. Dès le 20 juillet, des
ouvriers de l’usine, ainsi que ceux des entreprises avoisinantes, se sont
mobilisés via les réseaux sociaux, malgré la censure. Plus d’une cinquantaine
d’universités se sont déclarées solidaires. Des étudiants se sont déplacés pour
soutenir la lutte. Des groupes maoïstes, comptant nombre de retraités, ont
ressorti les drapeaux rouges pour se joindre à la contestation. Autour de l’usine,
étudiants, ouvriers, militants ont organisé « une campagne de sensibilisation la plus populaire que l’on ait vue en
Chine depuis une décennie ». Des lettres ouvertes ont été envoyées aux
plus hauts dignitaires. A la brutalité policière et aux provocations de nervis infiltrés, ont répondu dénonciations
et chants révolutionnaires… jusqu’au 24 août. A 5 heures du matin, des
policiers en tenue de combat ont pris d’assaut une maison occupée par 45
étudiants. Au total, 80 arrestations. Si certains ont été relâchés, c’est pour
mieux déverser une propagande de reprise en main. L’agence de presse officielle
Xinhua affirmant que « les désordres
sont fomentés par des forces étrangères ».
Il
n’empêche, on assiste depuis quelques années à un réveil de la classe ouvrière
et à sa tentative de s’instituer en classe pour soi, autonome vis-à-vis du
Parti qui prétend la représenter. Ce que vivent en effet les travailleurs outre
le despotisme, c’est le recul de leurs droits sociaux et de leur dignité. Cette
bonne nouvelle, encore bien timide, est à rapporter au potentiel qui gît dans
tous les pays du Sud. Les ouvriers dans le monde n’ont jamais été aussi
nombreux. Dans certains pays, comme le Qatar ou l’Arabie Saoudite, ils forment
une majorité de sans-droits. Le jour où ils s’éveilleront, comme ce fut le cas
dans l’Angleterre du 19ème siècle, le monde en sera bouleversé.
GD,
le 25.10.2018