Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 14 août 2019


Macron contre la pauvreté
ou contre les pauvres ?

En septembre 2018, nous annoncions, dans PES n° 47, les « réformes » de Macron pour réduire les dépenses publiques (et notamment, l’assurance-chômage, les retraites, le plan pauvreté…). Le mouvement des Gilets Jaunes, surgi en novembre 2018, le fit reculer et lâcher du lest, en décembre,   avec des mesures pour le pouvoir d’achat (revalorisation de la prime d’activité, défiscalisation des HS, suppression de la hausse de la CSG pour les petites retraites, baisse de l’impôt sur le revenu et ré-indexation d’une partie des pensions sur l’inflation. Pour autant, il ne changeait pas de cap : pas touche à la suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), ni au CICE – crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi - qu’il transformait en baisse de cotisations pour les entreprises (représentant 20 milliards d’euros en 2019). Ce ne fut pas un virage social, car ce qu’il a donné d’une main, il va le reprendre de l’autre. En effet pour financer ces mesures, il veut réaliser des économies sur la dépense publique et quelques rabots sur les niches fiscales des entreprises (et non pas sur les ménages les plus riches). Il avance prudemment sur le projet des retraites (cf PES n° 53, avril 2019), reporté à 2020, pour une mise en œuvre en 2025, même si certains sont pressés de ponctionner dans les 269 milliards que représentent les pensions versées chaque année. Par contre, la contre-réforme de l’assurance-chômage est bouclée. Les décrets, signés le 26 juillet, concrétisent les reculs annoncés en juin (voir PES n° 54, mai-juin 2019) : baisser le  nombre de chômeurs indemnisés de 150 000 à 250 000, soit plus de 3.4 milliards d’économies de 2019 à 2021. « Il y a un chômeur sur deux qui est indemnisé à l’heure actuelle, avec la réforme, c’est un sur trois » dénonce le CGT. Comment ? Il leur faudra avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers mois pour être indemnisés (contre 4 sur 28 actuellement). Le demandeur d’emploi indemnisé, s’il reprend une activité, ne pourra engranger de nouveaux droits à indemnisation (droits à  rechargement) que s’il cotise à nouveau pendant plus de 6 mois. Quand on sait que sur les 2.6 millions de projets de recrutement des entreprises en France, 35 % (soit 942 250) concernent des emplois non durables de moins de 6 mois…(1) et que leur indemnisation sera calculée, au 1er avril 2020, sur la moyenne de leur rémunération mensuelle et non plus sur la base de leur salaire journalier (soit 200 euros de moins par mois selon certaines projections) (1) pour ceux qui cumulent miettes de boulot et indemnisation, etc…, on comprend vite à qui Macron fait les poches. Tous ceux-là, qui ne comptent pas à ses yeux, vivront du RSA et autres pauvres prestations sociales, qu’il compte bien raboter également avec leur « refonte », que nous allons examiner.

Rappelons, au passage, que la loi du 23 juillet 2019 relative à la transformation de la fonction publique, peut s’appliquer, le Conseil Constitutionnel jugeant début août que la loi est conforme à la Constitution. Si Macron donne l’impression de reculer sur l’objectif de 50 000 suppressions de postes dans la fonction publique d’Etat, il maintient les 70 000 suppressions dans les collectivités territoriales. Il n’en demeure pas moins que les mesures de la loi du 23 juillet (qui concerne 5.5 millions d’agents), prévoit notamment un recours accru aux contractuels, des mobilités facilitées, la rupture conventionnelle à l’image du privé, etc… facilitant les réductions du nombre de fonctionnaires protégés par un statut, voué à disparaître, introduisant la précarisation de l’emploi public.

Nouveau chantier. Vaincre la pauvreté.
Vœu pieux ou volonté réelle ?

En Europe.
L’Europe, en 2010, dans sa stratégie « Europe 2020 » affichait l’ambition de réduire le nombre de pauvres de 20 millions à l’horizon 2020. L’indicateur servant à suivre cet objectif de réduction de la pauvreté et de l’exclusion sociale regroupe les personnes concernées par au moins une des trois dimensions suivantes : la pauvreté monétaire (revenu inférieur à 60% du niveau de vie médian de l’Etat concerné), les privations matérielles sévères (4 parmi une liste de 9), la très faible intensité du travail au sein du ménage (20% de travail annuel).
En 2010, l’Europe comptait 114 millions de citoyens pauvres et exclus sociaux (dont 80 millions classés pauvres monétaires, soit 16.4% de la population) (2). En 2016, elle en compte 118 millions (dont 87 millions « pauvres monétaires » (17.3%)(3) et (4). L’Europe a donc échoué dans sa lutte contre la pauvreté, alors même que les actionnaires des entreprises européennes ont vu leurs dividendes continuer à battre des records, pour atteindre près de 350 milliards d’euros. La pauvreté n’est donc pas une fatalité mais le résultat des politiques menées par les Etats et l’Europe.

En France, est considéré comme « pauvre monétaire » tout individu vivant avec moins de 60% du niveau de vie médian (1015 euros par mois en 2015). Ici également, l’engagement de la France de baisser son taux de pauvreté et d’exclusion sociale de 1.6 million de personnes, a failli. 14.2 % de la population, soit 8,8 millions sont « pauvres monétaires » en 2016, alors qu’ils étaient 7.8 millions en 2009 (11.2 millions en situation de pauvreté et d’exclusion sociale) (2). En France, les hommes seuls, les femmes seules avec enfants, les jeunes de moins de 25 ans et les personnes les moins diplômées sont les catégories les plus pauvres : pour 2016, le taux de pauvreté des jeunes monte à 19.8 % pour les moins de 18 ans, soit un enfant sur 5.

Macron institue le RUA. C’est quoi ça ?

Dans le cadre de son plan Pauvreté, en 2018, Macron propose le Revenu universel d’activité (RUA) ; c’est le regroupement en un seul « revenu » d’un certain nombre d’aides sociales existantes, actuellement versées sous conditions en fonction de la prestation concernée (handicap, dépendance, sans emploi, etc…).

Même s’il en porte le nom, ce revenu n’a rien d’universel (« qui s’étend à tout et à tous » selon le Petit Larousse), contrairement au concept, défendu par Hamon notamment, du revenu universel, à savoir une somme fixe versée par l’Etat à chacun, quels que soient ses revenus ou sa situation d’emploi, et sans contrepartie.

A l’opposé de ses envolées sur le « pognon de dingue » des minima sociaux, Macron affiche, avec moult éléments de langage bien codés, qu’il s’agit de « simplifier le système des prestations sociales », en fusionnant le plus grand nombre de dispositifs possible, et ce, « pour lutter contre le non recours » d’un grand nombre d’ayants-droits. Le 3 juin 2019, la ministre des solidarités et de la Santé, Buzyn, use de propos lénifiants, pour lancer la concertation sur la mise en place du RUA n’omettant pas de rassurer : « il ne s’agit en aucun cas d’une réforme qui pourrait pénaliser les plus vulnérables ».

C’est pourtant l’inquiétude du Collectif ALERTE et d’un certain nombre d’associations (Fondation Abbé Pierre, Uniopss (5), France handicap, LDH, Emmaüs France…) et des « partenaires » sociaux dont la CGT (tous invités à la concertation) ; ils constatent que les arbitrages budgétaires n’ont inscrit aucune augmentation et, en concluent qu’il y a grands risques de baisse des prestations. En effet, il s’agirait de faire mieux, de lutter contre le non recours (30 % des personnes ayant droit à l’actuel RSA ne le demandent pas), donc d’augmenter les bénéficiaires, et ce, à budget constant ! Comment peut-on indemniser plus de personnes avec un budget identique ? Sans aucun doute en procédant à une baisse générale des montants des prestations et en sanctionnant ceux qui ne respectent pas l’engagement contractuel qu’ils devront signer pour percevoir le RUA.  

La concertation en cours est bien cadrée et les marges de manœuvre semblent bien étroites, ce qui n’est pas pour rassurer les « concertés ». Ainsi, il est déjà décidé qu’APL (aide personnalisée au logement), RSA (Revenu de solidarité active) et prime d’activité seront fusionnés dans le RUA ; il est  aussi question d’y intégrer AAH (allocation adulte handicapé), l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes âgées, l’ASS (Allocation de solidarité spécifique) pour les chômeurs en fin de droits. Par contre, il n’est pas question des Jeunes 18-25 ans, qui ne peuvent percevoir le RSA (sauf sous conditions très spécifiques) et doivent se contenter de la Garantie-Jeunes (484€ par mois pendant un an renouvelable une fois, au lieu du moins maigre RSA à 559€ !). Le RUA sera versé sous conditions précisées dans un contrat d’engagement réciproque, le bénéficiaire s’engageant à chercher du travail, sous peine de sanctions à définir, puisque le RUA est censé « inciter à la reprise d’activité ». Un service public de l’insertion, accompagnant chaque bénéficiaire, sera créé (alors même, qu’à ce jour, un bénéficiaire sur 2 n’est pas accompagné). Enfin, l’enveloppe budgétaire d’environ 37 milliards € correspond à ce qu’elle était en 2017, RSA (11 milliards), APL (18 milliards) et prime d’activité (8 milliards) cumulés.

Toutes les autres aides sociales seront examinées pour une possible intégration au RUA. Les associations sont d’autant plus en alerte que l’AAH (1,1 million de personnes), par exemple, est une prestation spécifique attachée à la situation individuelle de la personne. Comment les intégrer au RUA alors que certaines ne pourront jamais travailler ? De même, intégrer les APL pose un énorme problème. L’APL n’est pas un minima social mais une aide personnalisée permettant l’entrée ou le maintien dans un logement. Bon nombre de familles, sur les 6.5 millions de ménages qui la perçoivent, sont au-dessus des minima sociaux. Les associations ont la plus grande crainte que des économies ne soient proposées sur cette allocation, appauvrissant tous les ménages qui y ont droit. En effet, du fait de la situation économique et de l’emploi, de l’incitation à demander le RUA pour ceux qui n’exerçaient pas leurs droits, la hausse des bénéficiaires du RUA va augmenter et, s’il n’y a pas de rallonge budgétaire, les prestations baisseront, c’est mathématique. Macron prendra donc aux pauvres pour redonner aux plus pauvres.

Par ailleurs, les associations sont très méfiantes sur la volonté de « simplifier », « donner accès automatique », « réajuster tous les 3 mois », alors que les aides actuelles (certes pas toujours très lisibles) ont des critères d’obtention spécifiques et des calculs de leur montant différents. Selon une enquête du ministère des affaires sociales, en 2015, les minima sociaux et prestations sociales ont compté, 4.15 millions de personnes, si l’on y ajoute conjoints et enfants, on atteint le chiffre d’environ 7 millions de personnes qui vivent (ou survivent) avec ces prestations. Le RSA, l’AAH, le minimum vieillesse et l’ASS comptent le plus d’allocataires, respectivement : 1 860 000, 1 090 200, 552 600 et 454 000. Cela a représenté une dépense de 26.2 milliards d’euros (1,2 % du PIB), soit 2,3 % du montant des prestations sociales globales (incluant notamment Allocations familiales, APL, etc.). On comprend pourquoi, ceux qui veulent diminuer les dépenses publiques lorgnent sur les sommes versées qui en font saliver certains ; les aides au logement, par exemple, représentent à elles seules 18 milliards €. Sans l’ensemble des prestations et aides sociales, la part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté serait de de 22,3 % au lieu de 14,2 %.

Pour l’heure les associations et autres organisations qui luttent  contre la pauvreté ont fait connaître leur opposition à une solution qui déshabillerait le pauvre Paul pour rhabiller le plus pauvre Pierre. Et elles ne sont guère rassurées par Macron qui nous refait le coup du « grand débat bis » sur le mode enfumage avant gazage, en proposant, à l’issue de la concertation des associations, des syndicats salariés et patronaux, des collectivités territoriales, une consultation publique, en ligne, et des réunions partout en France, et, enfin par la mise en place d’un jury de citoyens ( ?) pour aboutir, en fin d’année à une synthèse des travaux, base du projet de loi présenté courant 2020 au Parlement, pour une mise en application en 2023. Nous aurons à intervenir pour dire ce qui se cache derrière ce nouveau chantier macronien.
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En effet, les propos rassurants annonçant des objectifs bienveillants sonnent faux, la manipulation des opinions est en marche. Rodés que sont un certain nombre d’associations et de syndicats, rodés que nous sommes aux mensonges de Macron et Cie, nous ne laisserons pas grignoter les pauvres revenus qui sont des droits et non des « aides » pour les personnes fragilisées par le système imposé par ceux qui nous gouvernent, celles que Macron et son entourage de nantis désigneront comme des « profiteurs » qui ne veulent pas chercher de travail. Le RUA risque de faire de nombreux perdants, de faire basculer dans l’exclusion totale celles et ceux qui n’auront pas pu répondre aux engagements signés dans le contrat d’accompagnement. Sommes-nous en route pour le traitement de la pauvreté à deux vitesses, avec un minimum vital, le RUA pour survivre, et les petits boulots mal payés acceptés sous la menace de se faire sucrer son RUA, et l’ouverture au marché privé pour des prestations complémentaires ? D’autant qu’il y a encore à veiller aux grains qui s’annoncent sur les mesures relatives à la perte d’autonomie, au financement de l’hôpital et de la Santé (l’Aide Médicale d’Etat pour les exilés sans statut, par exemple, est dans le collimateur de Macron) et sur bien d’autres régressions à venir.

Il faut absolument rappeler un certain nombre de droits inaliénables de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme
Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits (art. 1)
Toute personne a droit à la sécurité sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits économiques, sociaux et culturels, indispensables à sa dignité et au libre développement de sa personnalité (art. 22)
Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale (art. 23)   
Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille (art. 25).

Odile Mangeot
Le 07.08.2019  

(2)   Données Eurostat Observatoire des inégalités
(3)    étude DREES – Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques 2016.
(4)   Population en Europe : 2010 = 503 200 000. 2015 = 508 504 000. Projection 2020 = 515 600 000
(5)   Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs, sanitaires et sociaux

Encart 1
Un homme gare son vélo devant l’Elysée. Un policier arrive.
« Ne laissez pas votre vélo ici. Vous êtes devant le palais présidentiel où passent le président, les ministres, les députés, les sénateurs »
« Ne vous inquiétez pas, je vais mettre un cadenas ».

Encart 2‘
«  La rage du sage »
Vous êtes très attaché à la colère. La colère est un don. L’abbé Pierre disait même qu’elle a été son don le plus précieux. La colère qui est pourtant l’un des sept péchés capitaux ! J’avais adoré ça. La colère est une force extraordinaire. Après, il faut l’architecturer, être capable d’en faire un carburant durable, pas juste un moteur à explosion. J’appelle ça la « rage du sage ». Si tu n’as pas de colère, que veux-tu faire d’important ? Tu ne peux pas changer le monde sans ce feu là…
Siné Mensuel n° 85 (avril 2019), transmis par Bébert