Macron contre
la pauvreté
ou contre
les pauvres ?
En
septembre 2018, nous annoncions, dans PES n° 47, les « réformes » de
Macron pour réduire les dépenses publiques (et notamment, l’assurance-chômage,
les retraites, le plan pauvreté…). Le mouvement des Gilets Jaunes, surgi en
novembre 2018, le fit reculer et lâcher du lest, en décembre, avec des mesures pour le pouvoir d’achat
(revalorisation de la prime d’activité, défiscalisation des HS, suppression de
la hausse de la CSG pour les petites retraites, baisse de l’impôt sur le revenu
et ré-indexation d’une partie des pensions sur l’inflation. Pour autant, il ne
changeait pas de cap : pas touche à la suppression de l’impôt de
solidarité sur la fortune (ISF), ni au CICE – crédit d’impôt pour la
compétitivité et l’emploi - qu’il transformait en baisse de cotisations pour
les entreprises (représentant 20 milliards d’euros en 2019). Ce ne fut pas un
virage social, car ce qu’il a donné d’une main, il va le reprendre de l’autre.
En effet pour financer ces mesures, il veut réaliser des économies sur la
dépense publique et quelques rabots sur les niches fiscales des entreprises (et
non pas sur les ménages les plus riches). Il avance prudemment sur le projet
des retraites (cf PES n° 53, avril 2019), reporté à 2020, pour une mise en
œuvre en 2025, même si certains sont pressés de ponctionner dans les 269
milliards que représentent les pensions versées chaque année. Par contre, la
contre-réforme de l’assurance-chômage est bouclée. Les décrets, signés le 26
juillet, concrétisent les reculs annoncés en juin (voir PES n° 54, mai-juin
2019) : baisser le nombre de
chômeurs indemnisés de 150 000 à 250 000, soit plus de 3.4 milliards
d’économies de 2019 à 2021. « Il y a
un chômeur sur deux qui est indemnisé à l’heure actuelle, avec la réforme,
c’est un sur trois » dénonce le CGT. Comment ? Il leur faudra
avoir travaillé 6 mois sur les 24 derniers mois pour être indemnisés (contre 4
sur 28 actuellement). Le demandeur d’emploi indemnisé, s’il reprend une
activité, ne pourra engranger de nouveaux droits à indemnisation (droits à rechargement) que s’il cotise à nouveau
pendant plus de 6 mois. Quand on sait que sur les 2.6 millions de projets de
recrutement des entreprises en France, 35 % (soit 942 250) concernent des
emplois non durables de moins de 6 mois…(1) et que leur indemnisation sera
calculée, au 1er avril 2020, sur la moyenne de leur rémunération
mensuelle et non plus sur la base de leur salaire journalier (soit 200 euros de
moins par mois selon certaines projections) (1) pour ceux qui cumulent miettes
de boulot et indemnisation, etc…, on comprend vite à qui Macron fait les
poches. Tous ceux-là, qui ne comptent pas à ses yeux, vivront du RSA et autres pauvres
prestations sociales, qu’il compte bien raboter également avec leur « refonte »,
que nous allons examiner.
Rappelons,
au passage, que la loi du 23 juillet 2019 relative à la transformation de la
fonction publique, peut s’appliquer, le Conseil Constitutionnel jugeant début
août que la loi est conforme à la Constitution. Si Macron donne l’impression de
reculer sur l’objectif de 50 000 suppressions de postes dans la fonction
publique d’Etat, il maintient les 70 000 suppressions dans les
collectivités territoriales. Il n’en demeure pas moins que les mesures de la
loi du 23 juillet (qui concerne 5.5 millions d’agents), prévoit notamment un
recours accru aux contractuels, des mobilités facilitées, la rupture
conventionnelle à l’image du privé, etc… facilitant les réductions du nombre de
fonctionnaires protégés par un statut, voué à disparaître, introduisant la
précarisation de l’emploi public.
Nouveau
chantier. Vaincre la pauvreté.
Vœu pieux ou
volonté réelle ?
En Europe.
L’Europe,
en 2010, dans sa stratégie « Europe 2020 » affichait l’ambition de
réduire le nombre de pauvres de 20 millions à l’horizon 2020. L’indicateur
servant à suivre cet objectif de réduction de la pauvreté et de l’exclusion
sociale regroupe les personnes concernées par au moins une des trois dimensions
suivantes : la pauvreté monétaire (revenu inférieur à 60% du niveau de vie
médian de l’Etat concerné), les privations matérielles sévères (4 parmi une
liste de 9), la très faible intensité du travail au sein du ménage (20% de
travail annuel).
En
2010, l’Europe comptait 114 millions de citoyens pauvres et exclus sociaux
(dont 80 millions classés pauvres monétaires, soit 16.4% de la population) (2).
En 2016, elle en compte 118 millions (dont 87 millions « pauvres
monétaires » (17.3%)(3) et (4). L’Europe a donc échoué dans sa lutte
contre la pauvreté, alors même que les actionnaires des entreprises européennes
ont vu leurs dividendes continuer à battre des records, pour atteindre près de
350 milliards d’euros. La pauvreté n’est donc pas une fatalité mais le résultat
des politiques menées par les Etats et l’Europe.
En France, est considéré comme « pauvre monétaire »
tout individu vivant avec moins de 60% du niveau de vie médian (1015 euros par
mois en 2015). Ici également, l’engagement de la France de baisser son taux de
pauvreté et d’exclusion sociale de 1.6 million de personnes, a failli. 14.2 %
de la population, soit 8,8 millions sont « pauvres monétaires » en
2016, alors qu’ils étaient 7.8 millions en 2009 (11.2 millions en situation de
pauvreté et d’exclusion sociale) (2). En France, les hommes seuls, les femmes
seules avec enfants, les jeunes de moins de 25 ans et les personnes les moins
diplômées sont les catégories les plus pauvres : pour 2016, le taux de
pauvreté des jeunes monte à 19.8 % pour les moins de 18 ans, soit un enfant sur
5.
Macron institue
le RUA. C’est quoi ça ?
Dans
le cadre de son plan Pauvreté, en 2018, Macron propose le Revenu universel d’activité (RUA) ; c’est le regroupement en
un seul « revenu » d’un certain nombre d’aides sociales existantes,
actuellement versées sous conditions en fonction de la prestation concernée
(handicap, dépendance, sans emploi, etc…).
Même
s’il en porte le nom, ce revenu n’a rien d’universel (« qui s’étend à tout
et à tous » selon le Petit Larousse), contrairement au concept, défendu
par Hamon notamment, du revenu universel, à savoir une somme fixe versée par
l’Etat à chacun, quels que soient ses revenus ou sa situation d’emploi, et sans
contrepartie.
A
l’opposé de ses envolées sur le « pognon de dingue » des minima
sociaux, Macron affiche, avec moult éléments de langage bien codés, qu’il
s’agit de « simplifier le système des
prestations sociales », en fusionnant le plus grand nombre de
dispositifs possible, et ce, « pour
lutter contre le non recours » d’un grand nombre d’ayants-droits. Le 3
juin 2019, la ministre des solidarités et de la Santé, Buzyn, use de propos lénifiants,
pour lancer la concertation sur la mise en place du RUA n’omettant pas de
rassurer : « il ne s’agit en
aucun cas d’une réforme qui pourrait pénaliser les plus vulnérables ».
C’est
pourtant l’inquiétude du Collectif ALERTE et d’un certain nombre d’associations
(Fondation Abbé Pierre, Uniopss (5), France handicap, LDH, Emmaüs France…) et
des « partenaires » sociaux dont la CGT (tous invités à la
concertation) ; ils constatent que les arbitrages budgétaires n’ont
inscrit aucune augmentation et, en concluent qu’il y a grands risques de baisse
des prestations. En effet, il s’agirait de faire mieux, de lutter contre le non
recours (30 % des personnes ayant droit à l’actuel RSA ne le demandent pas),
donc d’augmenter les bénéficiaires, et ce, à budget constant ! Comment
peut-on indemniser plus de personnes avec un budget identique ? Sans aucun
doute en procédant à une baisse générale des montants des prestations et en
sanctionnant ceux qui ne respectent pas l’engagement contractuel qu’ils devront
signer pour percevoir le RUA.
La
concertation en cours est bien cadrée et les marges de manœuvre semblent bien
étroites, ce qui n’est pas pour rassurer les « concertés ». Ainsi, il
est déjà décidé qu’APL (aide personnalisée au logement), RSA (Revenu de
solidarité active) et prime d’activité seront fusionnés dans le RUA ; il
est aussi question d’y intégrer AAH
(allocation adulte handicapé), l’ASPA (allocation de solidarité aux personnes
âgées, l’ASS (Allocation de solidarité spécifique) pour les chômeurs en fin de
droits. Par contre, il n’est pas question des Jeunes 18-25 ans, qui ne peuvent
percevoir le RSA (sauf sous conditions très spécifiques) et doivent se
contenter de la Garantie-Jeunes (484€ par mois pendant un an renouvelable une
fois, au lieu du moins maigre RSA à 559€ !). Le RUA sera versé sous
conditions précisées dans un contrat d’engagement réciproque, le bénéficiaire
s’engageant à chercher du travail, sous peine de sanctions à définir, puisque
le RUA est censé « inciter à la reprise d’activité ». Un service
public de l’insertion, accompagnant chaque bénéficiaire, sera créé (alors même,
qu’à ce jour, un bénéficiaire sur 2 n’est pas accompagné). Enfin, l’enveloppe
budgétaire d’environ 37 milliards € correspond à ce qu’elle était en 2017, RSA
(11 milliards), APL (18 milliards) et prime d’activité (8 milliards) cumulés.
Toutes
les autres aides sociales seront examinées pour une possible intégration au
RUA. Les associations sont d’autant plus en alerte que l’AAH (1,1 million de
personnes), par exemple, est une prestation spécifique attachée à la situation
individuelle de la personne. Comment les intégrer au RUA alors que certaines ne
pourront jamais travailler ? De même, intégrer les APL pose un énorme
problème. L’APL n’est pas un minima social mais une aide personnalisée
permettant l’entrée ou le maintien dans un logement. Bon nombre de familles,
sur les 6.5 millions de ménages qui la perçoivent, sont au-dessus des minima
sociaux. Les associations ont la plus grande crainte que des économies ne
soient proposées sur cette allocation, appauvrissant tous les ménages qui y ont
droit. En effet, du fait de la situation économique et de l’emploi, de
l’incitation à demander le RUA pour ceux qui n’exerçaient pas leurs droits, la
hausse des bénéficiaires du RUA va augmenter et, s’il n’y a pas de rallonge
budgétaire, les prestations baisseront, c’est mathématique. Macron prendra donc
aux pauvres pour redonner aux plus pauvres.
Par
ailleurs, les associations sont très méfiantes sur la volonté de
« simplifier », « donner accès automatique »,
« réajuster tous les 3 mois », alors que les aides actuelles (certes
pas toujours très lisibles) ont des critères d’obtention spécifiques et des
calculs de leur montant différents. Selon une enquête du ministère des affaires
sociales, en 2015, les minima sociaux et prestations sociales ont compté, 4.15
millions de personnes, si l’on y ajoute conjoints et enfants, on atteint le
chiffre d’environ 7 millions de personnes qui vivent (ou survivent) avec ces
prestations. Le RSA, l’AAH, le minimum vieillesse et l’ASS comptent le plus
d’allocataires, respectivement : 1 860 000, 1 090 200,
552 600 et 454 000. Cela a représenté une dépense de 26.2 milliards
d’euros (1,2 % du PIB), soit 2,3 % du montant des prestations sociales globales
(incluant notamment Allocations familiales, APL, etc.). On comprend pourquoi,
ceux qui veulent diminuer les dépenses publiques lorgnent sur les sommes
versées qui en font saliver certains ; les aides au logement, par exemple,
représentent à elles seules 18 milliards €. Sans l’ensemble des prestations et
aides sociales, la part de la population vivant en dessous du seuil de pauvreté
serait de de 22,3 % au lieu de 14,2 %.
Pour
l’heure les associations et autres organisations qui luttent contre la pauvreté ont fait connaître leur
opposition à une solution qui déshabillerait le pauvre Paul pour rhabiller le
plus pauvre Pierre. Et elles ne sont guère rassurées par Macron qui nous refait
le coup du « grand débat bis » sur le mode enfumage avant gazage, en
proposant, à l’issue de la concertation des associations, des syndicats
salariés et patronaux, des collectivités territoriales, une consultation
publique, en ligne, et des réunions partout en France, et, enfin par la mise en
place d’un jury de citoyens ( ?) pour aboutir, en fin d’année à une
synthèse des travaux, base du projet de loi présenté courant 2020 au Parlement,
pour une mise en application en 2023. Nous aurons à intervenir pour dire ce qui
se cache derrière ce nouveau chantier macronien.
<<<>>>
En
effet, les propos rassurants annonçant des objectifs bienveillants sonnent
faux, la manipulation des opinions est en marche. Rodés que sont un certain
nombre d’associations et de syndicats, rodés que nous sommes aux mensonges de
Macron et Cie, nous ne laisserons pas grignoter les pauvres revenus qui sont
des droits et non des
« aides » pour les personnes fragilisées par le système imposé par
ceux qui nous gouvernent, celles que Macron et son entourage de nantis désigneront
comme des « profiteurs » qui ne veulent pas chercher de travail. Le
RUA risque de faire de nombreux perdants, de faire basculer dans l’exclusion
totale celles et ceux qui n’auront pas pu répondre aux engagements signés dans
le contrat d’accompagnement. Sommes-nous en route pour le traitement de la
pauvreté à deux vitesses, avec un minimum vital, le RUA pour survivre, et les
petits boulots mal payés acceptés sous la menace de se faire sucrer son RUA, et
l’ouverture au marché privé pour des prestations complémentaires ? D’autant
qu’il y a encore à veiller aux grains qui s’annoncent sur les mesures relatives
à la perte d’autonomie, au financement de l’hôpital et de la Santé (l’Aide
Médicale d’Etat pour les exilés sans statut, par exemple, est dans le
collimateur de Macron) et sur bien d’autres régressions à venir.
Il
faut absolument rappeler un certain nombre de droits inaliénables de la
Déclaration universelle des Droits de l’Homme
Tous les êtres humains naissent libres
et égaux en dignité et en droits (art.
1)
Toute personne a droit à la sécurité
sociale ; elle est fondée à obtenir la satisfaction des droits
économiques, sociaux et culturels, indispensables à sa dignité et au libre
développement de sa personnalité
(art. 22)
Toute personne a droit au travail, au
libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de
travail et à la protection contre le chômage. Quiconque travaille a droit à une
rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu’à sa famille une
existence conforme à la dignité humaine et complétée, s’il y a lieu, par tous
autres moyens de protection sociale
(art. 23)
Toute personne a droit à un niveau de
vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille (art. 25).
Odile
Mangeot
Le
07.08.2019
(2)
Données Eurostat
Observatoire des inégalités
(3)
étude DREES – Direction de la recherche, des
études, de l’évaluation et des statistiques 2016.
(4)
Population en
Europe : 2010 = 503 200 000. 2015 = 508 504 000.
Projection 2020 = 515 600 000
(5)
Union nationale
interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs, sanitaires et sociaux
Encart
1
Un
homme gare son vélo devant l’Elysée. Un policier arrive.
« Ne laissez pas votre vélo ici. Vous êtes devant
le palais présidentiel où passent le président, les ministres, les députés, les
sénateurs »
« Ne vous inquiétez pas, je vais mettre un
cadenas ».
Encart 2‘
« La
rage du sage »
Vous êtes très attaché à la colère. La colère est un
don. L’abbé Pierre disait même qu’elle a été son don le plus précieux. La
colère qui est pourtant l’un des sept péchés capitaux ! J’avais adoré ça.
La colère est une force extraordinaire. Après, il faut l’architecturer, être
capable d’en faire un carburant durable, pas juste un moteur à explosion.
J’appelle ça la « rage du sage ».
Si tu n’as pas de colère, que veux-tu faire d’important ? Tu ne peux pas
changer le monde sans ce feu là…
Siné Mensuel n° 85 (avril 2019), transmis par Bébert