Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


mercredi 14 août 2019


Guerre commerciale USA-Chine
L’aigle états-unien et le dragon chinois

Au-delà des clichés, des représentations dominantes, voire complotistes, quelle évolution du monde se profile derrière le théâtre d’ombres menaçantes de la « guerre commerciale » entre les Etats-Unis et la Chine ? Pour tenter d’y voir clair, il convient d’abord de regarder dans le rétroviseur afin de mesurer l’évolution historique et de cerner la réalité des soubresauts actuels.

Coup d’œil dans le rétroviseur

Avant même la fin de la 2ème guerre mondiale, les accords de Bretton Woods (22.07.1944) transcrivent la suprématie économique mondiale des Etats-Unis face à l’URSS, reléguant ainsi l’Empire britannique et la France au rang de puissances d’une époque révolue. Toutes les monnaies sont arrimées au dollar, seule devise convertible en or. La guerre du Vietnam va changer la donne. Pour la financer, les USA impriment à tout va des dollars. Nixon abandonne, par conséquent, la convertibilité du dollar pour y substituer un taux de change flottant répondant à la seule règle de l’offre et de la demande. La suprématie du dollar n’en est pas affectée, il est la monnaie de référence dans les transactions internationales.

La crise des années 1970, dite crise pétrolière, est de fait, malgré la hausse réelle de cette énergie, une crise de surproduction ; les marchés nationaux sont saturés, le taux d’exploitation insuffisant (ainsi que le taux de profit). S’ouvre dès lors l’ère de la mondialisation consistant à se disputer les marchés et surtout à profiter de la main d’œuvre à bas coût (délocalisations d’entreprises, sous-traitance…). Il faut désormais « réguler » les marchés et la libre concurrence, sous hégémonie occidentale, et remettre en cause les « dévaluations compétitives » des Etats : c’est la création de l’OMC, des banques centrales et donc, la perte de souveraineté monétaire des Etats.

Avec l’effondrement de l’URSS, l’Empire US croit pouvoir s’affirmer comme « l’hyperpuissance » mondiale en prônant le néolibéralisme sur l’ensemble de la planète. Sans entrer dans les convulsions provoquées par l’introduction du capitalisme sauvage dans les pays de l’ex-Union soviétique, cette « stratégie du choc » (1) provoque, à l’aide des Golden Boys US, un bradage des biens publics et l’émergence d’oligarques plus ou moins maffieux ainsi que la mainmise des multinationales prédatrices. La résurgence, en Russie tout particulièrement, d’une bourgeoisie oligarchique et nationaliste sous Poutine conduit au premier échec de l’aigle impérial.

Son deuxième échec est relatif à sa prétention à remodeler les sociétés du Moyen-Orient et à imposer, par la guerre, la démocratie mercantile à l’américaine. La perte de l’Iran (Khomeiny) puis les attentats d’Al Qaïda contre le World Trade Center conduisent les USA à intervenir militairement en Afghanistan, en Irak et à une « stratégie de changement de régime ». Résultats peu glorieux : les USA négocient poussivement leur retrait d’Afghanistan avec les talibans ; l’explosion de la société irakienne donne naissance à l’Etat Islamique terroriste ; les forces dominantes dans ce pays meurtri ont pris leur distance avec leur protecteur mal avisé et se sont rapprochés de l’Iran des mollahs chiites. Le chaos et la terreur se sont propagés, n’ont pas mis fin aux ingérences étrangères qui s’exercent jusqu’au Yémen. Quant aux coups de boutoir des peuples arabes en révolte contre leurs propres tyrans, ils n’ont pas réussi à faire prévaloir, jusqu’à présent, leurs aspirations à la liberté, à la démocratie et à la satisfaction de leurs besoins sociaux. Pour maintenir son influence, en fait son impuissance, Obama, dans son rêve éveillé, a cru pouvoir « diriger de l’arrière » le chaos provoqué et attisé par l’ingérence de ses propres alliés (intervention en Libye à l’instigation de Sarkozy). Puis est venu Trump, le matamore. Peut-il enrayer le déclin des Etats-Unis ?

Le troisième échec potentiel, relève de la croyance de l’empire US, qu’il pourrait assujettir la Chine en prônant le « doux commerce » par l’exploitation d’une main d’œuvre à bas coût. Après l’échec du maoïsme et de sa révolution culturelle, tout semblait permis dans ce nouvel « atelier du monde ». La Chine, ayant opté pour un capitalisme d’Etat, après le massacre de la place Tienanmen (avec Deng Xiao Ping), ne devait-elle pas évoluer vers la démocratie de marché ? C’était sans compter avec l’armature du parti-Etat des nouveaux mandarins. En quelques décennies, la Chine est devenue la 2ème puissance mondiale.

C’est sur ce 3ème échec que porte cet article ; il modifie l’ordre du monde et, à terme, se révèlera plus cataclysmique que le conflit-embargo qui menace l’Iran.

De la guerre commerciale à la guerre des monnaies

En 2016, le PIB chinois atteignait déjà 11 200 milliards de dollars, face aux 18 569 milliards des Etats-Unis. La Chine va-t-elle surpasser la première puissance mondiale au 21ème siècle ? La désindustrialisation des USA, suscitée par ses propres multinationales en quête de superprofits immédiats, ne fut pas sans conséquence. Outre ses effets sociaux sur les classes ouvrières des Etats-Unis, avec les dirigeants chinois, ils ont dû accepter en contrepartie de leurs importations, le transfert de leurs savoir-faire technologiques, notamment dans l’aéronautique, l’électronique, le nucléaire… S’insurger aujourd’hui contre le « libre commerce contractuel » est bien dérisoire et ne fait qu’illustrer l’arrogance coutumière des Occidentaux. La croyance dans leur avance scientifique et technologique immuable et le mépris à l’encontre de « ces Chinois » qui ne pourraient produire que du toc et des contrefaçons, la prouvent. Trump a beau tempêter « les Chinois nous volent », menacer et provoquer la hausse des tarifs douaniers, ses fanfaronnades ont peu d’effet sur la réalité, tout comme la baisse des impôts sur les sociétés US pour les ramener au bercail : les importations des produits chinois se sont même accrus de 27,3% entre juillet 2017 et juillet 2018. Quant aux exportations US vers la Chine, elles ont poursuivi leur ascension de 14.2% sur la même période. Et la production manufacturière aux USA est toujours en baisse.

Certes, le taux de croissance de la Chine s’est tassé à 6,7 % au deuxième trimestre 2018 mais ce sont surtout les agriculteurs états-uniens qui sont affectés par la réponse du berger à la bergère ; les mesures de rétorsion chinoises, de hausse des tarifs douaniers, pèsent sur la vente de leurs surplus. La promesse de leur accorder 12 milliards d’aides ne suffira pas à calmer leur mécontentement. Et il n’y a pas qu’eux : certains secteurs industriels sont pénalisés, tout comme la grande distribution (Wall Mart s’approvisionne à 80% en Asie, tout particulièrement en Chine), et en bout de course, les consommateurs.

Face à la politique unilatéraliste de Trump, les dirigeants chinois ont d’abord pris des mesures de même nature, puis s’apercevant que Trump s’entêtait dans la surenchère tarifaire et que le poids de leurs exportations taxées était insuffisant pour les contrer sur ce terrain, ils ont dévalué leur propre monnaie annulant l’impact des hausses tarifaires trumpiennes, provoquant l’affolement des marchés financiers. Les dévaluations compétitives sont-elles de retour ? Les règles de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) vont-elles devenir obsolètes ? L’unilatéralisme US va-t-il faire des émules ? Ce qui a déjà fait bondir un dirigeant de Wall Street affirmant, rageur : « le patriotisme de Trump ne paie pas les factures » et qu’en tout état de cause, le retour des transnationales US sur le sol des Etats-Unis est des plus improbable.

Certes, le bonimenteur à la mèche blonde veut assurer sa ré-élection en 2020 et cajole son électorat chauvin et victime de la désindustrialisation. Il représente également l’une des fractions des classes dominantes la plus agressive pour empêcher la Chine de devenir la 1ère puissance mondiale du 21ème siècle, c’est ce qu’avoue crument le vice-président Mike Pence : « Les efforts chinois mettent en cause les avantages géopolitiques américains et l’ordre international ». De fait, au-delà de la « guerre commerciale » et désormais de la « guerre des monnaies », qui fait la une des médias annonçant une crise économique de plus grande ampleur que celle de 2008. Le basculement du monde est déjà là.

Le basculement du monde capitaliste

L’Asie, la Chine en tête, est la région qui génère à elle seule les 2/3 du PIB mondial. Sa croissance est de 5,8 % par an. La guerre commerciale de Trump produit d’ailleurs des effets d’aubaine pour certains pays de ce secteur. Soit ils se substituent en partie à la Chine, soit ils profitent des délocalisations chinoises dans leurs pays. Et Trump, furieux, de s’en prendre au Vietnam : « Il profite de nous encore plus que la Chine » !

Plus fondamentalement, 43 % des échanges de produits chinois se font dans cette partie du monde. L’abandon par Trump du partenariat transatlantique (TAFTA ou TTIP) lancé par Obama, a laissé un vide, vite comblé par la Chine, par un accord de libre-échange (RCEP) (2). Ils ont même suscité la création d’une banque asiatique d’investissement pour éviter l’isolement financier et diplomatique en y associant 57 pays fondateurs, y compris le Royaume (des)Uni, la France et l’Allemagne.

Bref, il n’y a que Trump pour croire qu’il peut asphyxier la Chine comme l’ont fait les Etats-Unis, dans les années 1980, à l’encontre du Japon et ce, en leur imposant des taxes exorbitantes. L’histoire ne repasse pas les mêmes plats. La réponse d’un dignitaire chinois est sans équivoque : évoquant ce précédent, sarcastique, il énonce sa vérité : « nous avons un marché de 1,4 milliard d’habitants que Trump et ses conseillers auront du mal à détruire ».

La stratégie de Pékin ne manque pas d’inquiétantes assurances : « Nous voulons construire une communauté d’avenir partagé par l’Humanité » ; ce sont les USA qui « sapent la stabilité stratégique globale » et le multilatéralisme néo-libéral. Et de rappeler le droit de la Chine de construire, partout, des infrastructures facilitant l’acheminement de leurs marchandises (nouvelle route de la soie), leurs capitaux, et de « déployer des capacités défensives » en mer de Chine du Sud entre autres. Outre les îlots aménagés en terrains d’aviation, dans la lignée de l’installation d’une base navale à Djibouti (2017), ils viennent de conclure un accord avec le Cambodge pour y construire une base militaire qui jouxtera l’aéroport construit sur 4 500 hectares par leurs soins. 

Se faire reconnaître comme puissance incontournable implique un activisme diplomatique tout azimut. Profitant du désengagement américain de l’ONU, de son unilatéralisme méprisant, voire odieux : « ils délèguent un nombre impressionnant de diplomates » ; et, lorsque les faucons de Trump s’en prennent au Conseil des Droits de l’Homme, considérant que c’est « une fosse septique de parti-pris politique » contre la politique d’Israël vis-à-vis des Palestiniens, ils facilitent l’investissement de la Chine dans cette instance. Celle-ci pourra ainsi y défendre son principe de non-ingérence et sa vision pour le moins restrictive des droits de l’Homme, d’autant qu’elle est devenue le 2ème contributeur de l’ONU et qu’elle a versé 200 millions de dollars pour la création d’un fonds des Nations Unies pour la paix et le développement… Rien de surprenant, sinon pour les ignares, que l’élection du ministre chinois de l’agriculture à la tête de la FAO, ridiculisant, par 142 voix contre 71, la candidature française qui, par machiavélisme cynique, avait fait campagne pour le recours aux pesticides en Afrique ( !), aux OGM sur l’ensemble de la planète ( !) sans pour autant faire hurler Hulot, les Verts et encore moins les macroniens. Que pouvait peser ce soutien propagandiste aux empoisonneurs affairistes, face au carnet de chèques de Xi Jin Ping ? Sa tournée en Afrique a même convaincu les tenants (de plus en plus distants, il est vrai) de la Françafrique en voie d’obsolescence : les voix du Cameroun, de la Côte d’Ivoire, du Tchad, de la Centrafrique… se sont allègrement portées sur le candidat chinois. Quant au candidat géorgien, soutenu par les Etats-Unis, avec ses 17 voix, il a ridiculisé l’aigle impérial dont les serres sont bienécornées.

Vers une nouvelle guerre froide ?

On peut craindre qu’elle soit déjà déclarée. Les propos tenus par le général chinois Wei Peng, invité à Singapour au forum de la défense Asie-Pacifique, illustrent l’état de tension à laquelle sont parvenues les deux superpuissances : « Des pays viennent montrer leurs muscles au nom de la liberté de navigation ». « La proportion des forces américaines est facteur de déstabilisation de la Chine ». « Si les Etats-Unis veulent un combat, nous combattrons jusqu’à la fin ». « La Chine doit être réunifiée. Si quelqu’un veut séparer Taïwan de la Chine, l’APC (l’armée populaire chinoise) n’aura d’autre choix que de combattre à n’importe quel prix ». Ces déclarations, le 31 mai dernier, font référence, non seulement à l’influence américaine dans le Pacifique (Taïwan, la Corée) mais prennent sens, actuellement, au vu de la mobilisation à Hong Kong.

Quoi qu’il en soit, dans l’affrontement qui s’exacerbe (3), plutôt que recourir à des élucubrations sur la possibilité d’une guerre chaude de destruction mutuelle, mieux vaut examiner les atouts et les faiblesses des deux superpuissances.

A terme, la suprématie du dollar dans les transactions commerciales semble devoir être remise en cause. Encore faut-il que prévale l’affaiblissement progressif du dollar. Il y a encore loin de la coupe aux lèvres. Il n’en demeure pas moins que les sanctions états-uniennes contre les pays tiers et leurs entreprises, l’existence même du droit exorbitant d’extraterritorialité de la justice américaine, la concurrence de l’euro, du yuan, sont autant de facteurs et de raisons de résistance à l’unilatéralisme de Trump.

Il semble, néanmoins, que ce dernier et ses faucons soient résolus à faire plier la Chine, y compris en utilisant ses alliés et serviteurs. L’arrestation, au Canada, de la directrice financière de la firme chinoise Huawei, promotrice de la 5G, sa demande d’extradition, révèlent que l’on s’approche de points de rupture difficilement réversibles. Derrière le prétexte fallacieux d’espionnage, la véritable question est de savoir si, et malgré les pressions américaines, cette nouvelle technologie chinoise de la 5G s’imposera face à celles moins performantes des Etats-Unis. Les représailles chinoises contre le Canada ne se sont pas fait attendre : les importations de colza canadien ont été stoppées (1/4 de la vente à l’étranger), tout comme celles des porcs. Ottawa doit donc prendre en considération que son économie pourrait autrement être plus affectée que celle de la Chine. En 2018, le marché chinois est le 2ème plus important pour l’écoulement de leurs propres marchandises ; les investissements chinois dans ce pays sont loin d’être négligeables (en euros, 11 milliards).

Cette guerre économique et commerciale n’est peut-être qu’un avant-goût de ce qui pourrait advenir : la Chine détient l’essentiel des terres rares, nécessaires à la fabrication des nouvelles technologies. Si elle ne faisait que restreindre l’approvisionnement de certains pays, elle les contraindrait, pour le moins, à prendre la mesure de la force de l’Empire du Milieu.

En outre, Pékin est le 1er des créanciers des USA et détient 1 120 milliards de dollars de bons du Trésor US. En exportant massivement aux Etats-Unis, la Chine, jusqu’en 2010, a  placé ses recettes, générées par ses excédents commerciaux, dans les obligations états-uniennes. La dette des Etats-Unis, ce talon d’Achille, est pour l’heure préservé grâce à la suprématie du dollar et au taux d’emprunt américain (2 à 2,5 %). D’ailleurs, les Chinois le savent. En mai dernier, ils ont arrêté d’acheter des bons du Trésor US, liquidé 10 milliards d’obligations qu’ils détenaient, tout en s’apercevant que les rendements des prêts consentis par d’autres pays (l’euro, le yen japonais…) étaient bien inférieurs. Brader les obligations US risquerait de faire fondre la valeur de ses propres ressources libellées en dollar, et affecterait d’autres pays.

Reste la suprématie militaire US et sa présence massive dans le Pacifique : 370 000 militaires, 2 000 avions, 200 navires et sous-marins… La stratégie indopacifique des USA, rendue publique le 30 mai, indique qu’ils veulent en découdre : dans le cadre de la « préparation à la guerre, il faut constituer une force conjointe capable de gagner tous les conflits », « en investissant massivement dans les armes de haute intensité ». « Le partenariat avec d’autres pays de la zone doit passer par des exercices militaires nombreux pour atteindre l’interopérabilité ». Le projet, par exemple, de manœuvres annuelles le long des côtes de la Corée du Nord, à proximité de la Chine, est de plus en plus mal accepté. Mis à part le Japon et… l’Inde, ce partenariat n’est qu’embryonnaire.

Dans la conjoncture actuelle, l’embargo contre l’Iran constitue une menace réelle vis-à-vis de l’approvisionnement de la Chine en pétrole, même si la Russie peut, en partie, y suppléer. Pour l’heure, Pékin a réagi modérément aux coups de menton de Trump. Jusqu’à quand ? Dans l’attente d’une alliance réprobatrice contre la guerre du pétrole qui agite la planète tout en … l’étouffant ? (voir encart).

Forces et faiblesses des deux superpuissances

Elles sont à chercher dans les contradictions internes de ces deux pays.

Les Etats-Unis sont plus divisés que jamais. Et d’abord ethniquement : les Afro-américains, les Mexicains, les Asiatiques, bref, les non-blancs seront bientôt les plus nombreux (4). Les inégalités sociales sont abyssales. Les différentes classes dominantes sont, elles-mêmes, divisées sur la manière de gouverner le pays. Les diatribes à caractère raciste de Trump et de ses faucons attisent les conflits internes. Les élections présidentielles de 2020 démontreront peut-être que l’ère Trump aura été un phénomène éphémère ? Malgré la reprise de l’économie américaine, dopée à la baisse d’impôts pour les entreprises et les plus riches, le rêve américain est un cauchemar, et ce, pas seulement pour les migrants.

En outre, il semble inconcevable même pour le Pentagone, de mener une guerre d’occupation de la Chine. Inconcevable d’y envoyer, comme au Vietnam 500 000 hommes (au moins !). D’ailleurs, la guerre en Irak, la lutte contre l’Etat Islamique, ont démontré que les Etats-Unis ne pouvaient « diriger que de l’arrière » (Obama) et dans les airs. Restent donc les bombardements massifs comme au Yémen et en Syrie, en utilisant la chair à canons locale…

A l’opposé, la société chinoise est maintenue dans le corset de fer d’une cohésion nationaliste, favorisée par la prospérité économique, l’existence d’une classe moyenne, l’ascension sociale qui y règne et ce, malgré des inégalités criantes. L’absence de liberté produit certes des dissidents mais il n’y a pas véritablement d’opposition. L’importance du Parti-Etat et ses moyens répressifs tuent dans l’œuf toute expression opposée au système. Face à l’exploitation dont les ouvriers sont victimes, la « régulation répressive » a pu, pour le moment, contenir les mouvements grévistes. La « contrôlocratie » qu’a mise en place le régime confucéen, bien plus que communiste, semble efficace, acceptée et correspond au poids des traditions culturelles héritées de l’histoire : les maîtres du ciel gouvernent pour le bien de tous. Teng Biao, avocat de la défense des droits de l’Homme, arrêté en 2011, lui qui s’est exilé en 2014, exprime son pessimisme : « Depuis Deng Xiaoping, la censure est totale, l’oubli de la révolution culturelle et le massacre de la place Tienanmen, dont il fut l’instigateur, s’est imposé (2 600 morts selon la Croix Rouge internationale) ». « Les méthodes employées aujourd’hui ne doivent en rien à Mao qui gouvernait par mouvements de masse interposés ». « Les Chinois, tout particulièrement la classe moyenne, se sont mis à vénérer et soutenir ceux qui détiennent l’argent et le pouvoir ». Ce sont les mêmes qui « organisent un pillage frénétique des ressources, provoquent la dévastation galopante de l’environnement ». Pour les entreprises étrangères, « l’ouverture économique » de la Chine fut (est encore) une aubaine. Elles ont d’ailleurs « aidé le gouvernement à systématiser la censure et la surveillance ». « Le miracle économique chinois repose sur l’exploitation, la corruption, les privatisations et les injonctions sociales ». Ce régime d’économie mixte d’Etat mixte, où les patrons privés sont membres du parti ou sous son contrôle, peut perdurer : l’énorme appareil de « protection de la stabilité » repose sur trois piliers : l’enrichissement des Chinois, le souvenir des sujétions qu’à subies la Chine (guerre de l’opium, traités inégaux, invasion japonaise) et le contrôle des esprits. Pour l’heure, à moins d’une crise économique globale, seuls la mobilisation à Hong Kong, son indépendantisme latent, la volonté de conserver les libertés acquises, constituent l’épine intolérable dans la queue du dragon chinois. Selon les dernières nouvelles, voulant éviter une répression militaire de type Tienanmen, les dignitaires chinois renforcent la police de Hong Kong, y compris en moyens humains et matériels. A suivre… car une répression trop féroce ternirait l’image de la gouvernance des bonzes de Pékin et révèlerait la réalité de leurs sourires carnassiers.

Le silence assourdissant des dirigeants occidentaux prouve, s’il en est besoin, que les troubles dans la péninsule chinoise ne sont que des évènements ne devant pas affecter leurs propres affaires lucratives. Trump, prudent, vient d’ailleurs de déclarer qu’il s’agit là-bas d’une affaire intérieure chinoise : la lutte pour l’hégémonie entre les deux superpuissances doit se dérouler et recourir à d’autres moyens que ceux d’une mobilisation populaire incontrôlable.

Gérard Deneux, le 10.08.2019


(1) lire La stratégie du choc. La montée du capitalisme du désastre. Naomi Klein – Actes Sud
(2) Partenariat économique régional global entre 16 pays autour de l’océan Pacifique : les 10 membres de l’ASEAN (Birmanie, Brunei, Cambodge, Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam) + Australie, Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Nouvelle Zélande (comme alternative au TPP – Accord de Partenariat transpacifique, abandonné par Trump).
(3) il faudrait, mais ce n’est guère possible dans le cadre de cet article, examiner la situation particulière de Hong Kong, les raisons et la nature de la mobilisation de la population
(4) lire à ce sujet Le nouveau rêve américain de Sylvain Cypel, ed. Autrement, où sont analysées les grandes tendances de l’évolution de la société américaine (évolution démographique, population blanche minoritaire vers 2040, métissage, crise économique, opposition idéologique…)

Encart

« La guerre du pétrole »

Quelques repères historiques pour saisir qu’elle n’est que la combinaison des logiques de concurrence et de puissance.
1 – la demande de pétrole continue de croître : 100 millions de barils de pétrole consommés par jour
2 – la surconsommation se combine avec la surproduction. Les Etats-Unis sont en effet devenus, par l’exploitation du pétrole de schiste, un nouveau géant pétrolier, voire le 1er producteur. L’offre massive a provoqué une baisse drastique des prix en 2014 (le baril est passé de 100 dollars à 30 !).
3 – l’OPEP et la Russie ont réduit leur production pour faire remonter le prix du baril
4 – Trump veut réduire la puissance de l’OPEP et de la Russie et vendre le pétrole américain. Les sanctions contre l’Iran et le Venezuela poursuivent cet objectif
5 – un prix trop élevé pour les Etats-Unis entre en contradiction avec le développement des transnationales
6 – l’Arabie Saoudite, bien que « complaisante » vis-à-vis des Etats-Unis, prétend néanmoins maintenir un prix élevé, notamment pour financer sa guerre au Yémen
7 – S’il y a trop de pétrole sur le marché, les prix s’effondreront, comme à l’automne 2018 (- 30 %)
8 – OPEP et Russie se réunissent en urgence en décembre 2018 et décident de réduire leur production, provoquant la remontée du cours du pétrole… à suivre…