Guerre commerciale USA-Chine
L’aigle états-unien et le dragon chinois
Au-delà
des clichés, des représentations dominantes, voire complotistes, quelle
évolution du monde se profile derrière le théâtre d’ombres menaçantes de la
« guerre commerciale » entre les Etats-Unis et la Chine ? Pour
tenter d’y voir clair, il convient d’abord de regarder dans le rétroviseur afin
de mesurer l’évolution historique et de cerner la réalité des soubresauts
actuels.
Coup d’œil
dans le rétroviseur
Avant
même la fin de la 2ème guerre mondiale, les accords de Bretton Woods
(22.07.1944) transcrivent la suprématie économique mondiale des Etats-Unis face
à l’URSS, reléguant ainsi l’Empire britannique et la France au rang de
puissances d’une époque révolue. Toutes les monnaies sont arrimées au dollar,
seule devise convertible en or. La guerre du Vietnam va changer la donne. Pour
la financer, les USA impriment à tout va des dollars. Nixon abandonne, par
conséquent, la convertibilité du dollar pour y substituer un taux de change
flottant répondant à la seule règle de l’offre et de la demande. La suprématie
du dollar n’en est pas affectée, il est la monnaie de référence dans les
transactions internationales.
La
crise des années 1970, dite crise pétrolière, est de fait, malgré la hausse
réelle de cette énergie, une crise de surproduction ; les marchés
nationaux sont saturés, le taux d’exploitation insuffisant (ainsi que le taux
de profit). S’ouvre dès lors l’ère de la mondialisation consistant à se
disputer les marchés et surtout à profiter de la main d’œuvre à bas coût
(délocalisations d’entreprises, sous-traitance…). Il faut désormais
« réguler » les marchés et la libre concurrence, sous hégémonie
occidentale, et remettre en cause les « dévaluations compétitives »
des Etats : c’est la création de l’OMC, des banques centrales et donc, la perte
de souveraineté monétaire des Etats.
Avec
l’effondrement de l’URSS, l’Empire US croit pouvoir s’affirmer comme « l’hyperpuissance » mondiale
en prônant le néolibéralisme sur l’ensemble de la planète. Sans entrer dans les
convulsions provoquées par l’introduction du capitalisme sauvage dans les pays
de l’ex-Union soviétique, cette « stratégie du choc » (1) provoque, à
l’aide des Golden Boys US, un bradage des biens publics et l’émergence
d’oligarques plus ou moins maffieux ainsi que la mainmise des multinationales
prédatrices. La résurgence, en Russie
tout particulièrement, d’une bourgeoisie oligarchique et nationaliste sous
Poutine conduit au premier échec de
l’aigle impérial.
Son
deuxième échec est relatif à sa
prétention à remodeler les sociétés du
Moyen-Orient et à imposer, par la guerre, la démocratie mercantile à
l’américaine. La perte de l’Iran (Khomeiny) puis les attentats d’Al Qaïda
contre le World Trade Center conduisent les USA à intervenir militairement en
Afghanistan, en Irak et à une « stratégie de changement de régime ».
Résultats peu glorieux : les USA négocient poussivement leur retrait d’Afghanistan
avec les talibans ; l’explosion de la société irakienne donne naissance à
l’Etat Islamique terroriste ; les forces dominantes dans ce pays meurtri
ont pris leur distance avec leur protecteur mal avisé et se sont rapprochés de
l’Iran des mollahs chiites. Le chaos et la terreur se sont propagés, n’ont pas
mis fin aux ingérences étrangères qui s’exercent jusqu’au Yémen. Quant aux
coups de boutoir des peuples arabes en révolte contre leurs propres tyrans, ils
n’ont pas réussi à faire prévaloir, jusqu’à présent, leurs aspirations à la
liberté, à la démocratie et à la satisfaction de leurs besoins sociaux. Pour
maintenir son influence, en fait son impuissance, Obama, dans son rêve éveillé,
a cru pouvoir « diriger de l’arrière » le chaos provoqué et attisé
par l’ingérence de ses propres alliés (intervention en Libye à l’instigation de
Sarkozy). Puis est venu Trump, le matamore. Peut-il enrayer le déclin des
Etats-Unis ?
Le
troisième échec potentiel, relève de
la croyance de l’empire US, qu’il pourrait assujettir la Chine en prônant le
« doux commerce » par l’exploitation d’une main d’œuvre à bas coût.
Après l’échec du maoïsme et de sa révolution culturelle, tout semblait permis
dans ce nouvel « atelier du monde ». La Chine, ayant opté pour un
capitalisme d’Etat, après le massacre de la place Tienanmen (avec Deng Xiao
Ping), ne devait-elle pas évoluer vers la démocratie de marché ? C’était
sans compter avec l’armature du parti-Etat des nouveaux mandarins. En quelques
décennies, la Chine est devenue la 2ème puissance mondiale.
C’est
sur ce 3ème échec que porte cet article ; il modifie l’ordre du
monde et, à terme, se révèlera plus cataclysmique que le conflit-embargo qui
menace l’Iran.
De la guerre
commerciale à la guerre des monnaies
En
2016, le PIB chinois atteignait déjà 11 200 milliards de dollars, face aux
18 569 milliards des Etats-Unis. La Chine va-t-elle surpasser la première
puissance mondiale au 21ème siècle ? La désindustrialisation
des USA, suscitée par ses propres multinationales en quête de superprofits
immédiats, ne fut pas sans conséquence. Outre ses effets sociaux sur les
classes ouvrières des Etats-Unis, avec les dirigeants chinois, ils ont dû
accepter en contrepartie de leurs importations, le transfert de leurs
savoir-faire technologiques, notamment dans l’aéronautique, l’électronique, le
nucléaire… S’insurger aujourd’hui contre le « libre commerce
contractuel » est bien dérisoire et ne fait qu’illustrer l’arrogance coutumière des Occidentaux.
La croyance dans leur avance scientifique et technologique immuable et le
mépris à l’encontre de « ces Chinois » qui ne pourraient produire que
du toc et des contrefaçons, la prouvent. Trump a beau tempêter « les Chinois nous volent », menacer
et provoquer la hausse des tarifs douaniers, ses fanfaronnades ont peu d’effet
sur la réalité, tout comme la baisse des impôts sur les sociétés US pour les
ramener au bercail : les importations des produits chinois se sont même
accrus de 27,3% entre juillet 2017 et juillet 2018. Quant aux exportations US
vers la Chine, elles ont poursuivi leur ascension de 14.2% sur la même période.
Et la production manufacturière aux USA est toujours en baisse.
Certes,
le taux de croissance de la Chine s’est tassé à 6,7 % au deuxième trimestre
2018 mais ce sont surtout les agriculteurs états-uniens qui sont affectés par
la réponse du berger à la bergère ; les mesures de rétorsion chinoises, de
hausse des tarifs douaniers, pèsent sur la vente de leurs surplus. La promesse
de leur accorder 12 milliards d’aides ne suffira pas à calmer leur
mécontentement. Et il n’y a pas qu’eux : certains secteurs industriels
sont pénalisés, tout comme la grande distribution (Wall Mart s’approvisionne à
80% en Asie, tout particulièrement en Chine), et en bout de course, les
consommateurs.
Face
à la politique unilatéraliste de Trump, les dirigeants chinois ont d’abord pris
des mesures de même nature, puis s’apercevant que Trump s’entêtait dans la
surenchère tarifaire et que le poids de leurs exportations taxées était
insuffisant pour les contrer sur ce terrain, ils ont dévalué leur propre
monnaie annulant l’impact des hausses tarifaires trumpiennes, provoquant
l’affolement des marchés financiers. Les dévaluations
compétitives sont-elles de retour ? Les règles de l’Organisation
Mondiale du Commerce (OMC) vont-elles devenir obsolètes ? L’unilatéralisme
US va-t-il faire des émules ? Ce qui a déjà fait bondir un dirigeant de Wall
Street affirmant, rageur : « le
patriotisme de Trump ne paie pas les factures » et qu’en tout état de
cause, le retour des transnationales US sur le sol des Etats-Unis est des plus
improbable.
Certes,
le bonimenteur à la mèche blonde veut assurer sa ré-élection en 2020 et cajole
son électorat chauvin et victime de la désindustrialisation. Il représente
également l’une des fractions des classes dominantes la plus agressive pour
empêcher la Chine de devenir la 1ère puissance mondiale du 21ème
siècle, c’est ce qu’avoue crument le vice-président Mike Pence : « Les efforts chinois mettent en cause les
avantages géopolitiques américains et l’ordre international ». De
fait, au-delà de la « guerre commerciale » et désormais de la
« guerre des monnaies », qui fait la une des médias annonçant une
crise économique de plus grande ampleur que celle de 2008. Le basculement du
monde est déjà là.
Le
basculement du monde capitaliste
L’Asie, la Chine en tête, est la région qui génère à elle seule les 2/3 du PIB mondial. Sa croissance est
de 5,8 % par an. La guerre commerciale de Trump produit d’ailleurs des effets
d’aubaine pour certains pays de ce secteur. Soit ils se substituent en partie à
la Chine, soit ils profitent des délocalisations chinoises dans leurs pays. Et
Trump, furieux, de s’en prendre au Vietnam : « Il profite de nous encore plus que la Chine » !
Plus
fondamentalement, 43 % des échanges de produits chinois se font dans cette
partie du monde. L’abandon par Trump du partenariat transatlantique (TAFTA ou TTIP)
lancé par Obama, a laissé un vide, vite comblé par la Chine, par un accord de
libre-échange (RCEP) (2). Ils ont même suscité la création d’une banque
asiatique d’investissement pour éviter l’isolement financier et diplomatique en
y associant 57 pays fondateurs, y compris le Royaume (des)Uni, la France et
l’Allemagne.
Bref,
il n’y a que Trump pour croire qu’il peut asphyxier la Chine comme l’ont fait
les Etats-Unis, dans les années 1980, à l’encontre du Japon et ce, en leur
imposant des taxes exorbitantes. L’histoire ne repasse pas les mêmes plats. La
réponse d’un dignitaire chinois est sans équivoque : évoquant ce
précédent, sarcastique, il énonce sa vérité : « nous avons un marché de 1,4 milliard d’habitants que Trump et ses
conseillers auront du mal à détruire ».
La stratégie de Pékin ne manque pas d’inquiétantes assurances :
« Nous voulons construire une communauté
d’avenir partagé par l’Humanité » ; ce sont les USA qui « sapent la stabilité stratégique globale »
et le multilatéralisme néo-libéral. Et de rappeler le droit de la Chine de
construire, partout, des infrastructures facilitant l’acheminement de leurs
marchandises (nouvelle route de la soie), leurs capitaux, et de « déployer des capacités défensives »
en mer de Chine du Sud entre autres. Outre les îlots aménagés en terrains
d’aviation, dans la lignée de l’installation d’une base navale à Djibouti
(2017), ils viennent de conclure un accord avec le Cambodge pour y construire
une base militaire qui jouxtera l’aéroport construit sur 4 500 hectares
par leurs soins.
Se
faire reconnaître comme puissance incontournable implique un activisme diplomatique tout azimut.
Profitant du désengagement américain de l’ONU, de son unilatéralisme méprisant,
voire odieux : « ils délèguent
un nombre impressionnant de diplomates » ; et, lorsque les
faucons de Trump s’en prennent au Conseil des Droits de l’Homme, considérant
que c’est « une fosse septique de
parti-pris politique » contre la politique d’Israël vis-à-vis des
Palestiniens, ils facilitent l’investissement de la Chine dans cette instance.
Celle-ci pourra ainsi y défendre son principe de non-ingérence et sa vision
pour le moins restrictive des droits de l’Homme, d’autant qu’elle est devenue
le 2ème contributeur de l’ONU et qu’elle a versé 200 millions de dollars
pour la création d’un fonds des Nations Unies pour la paix et le développement…
Rien de surprenant, sinon pour les ignares, que l’élection du ministre chinois
de l’agriculture à la tête de la FAO, ridiculisant, par 142 voix contre 71, la
candidature française qui, par machiavélisme cynique, avait fait campagne pour
le recours aux pesticides en Afrique ( !), aux OGM sur l’ensemble de la planète
( !) sans pour autant faire hurler Hulot, les Verts et encore moins les
macroniens. Que pouvait peser ce soutien propagandiste aux empoisonneurs
affairistes, face au carnet de chèques de Xi Jin Ping ? Sa tournée en
Afrique a même convaincu les tenants (de plus en plus distants, il est vrai) de
la Françafrique en voie d’obsolescence : les voix du Cameroun, de la Côte
d’Ivoire, du Tchad, de la Centrafrique… se sont allègrement portées sur le
candidat chinois. Quant au candidat géorgien, soutenu par les Etats-Unis, avec
ses 17 voix, il a ridiculisé l’aigle impérial dont les serres sont bienécornées.
Vers une
nouvelle guerre froide ?
On
peut craindre qu’elle soit déjà déclarée. Les propos tenus par le général
chinois Wei Peng, invité à Singapour au forum de la défense Asie-Pacifique,
illustrent l’état de tension à laquelle sont parvenues les deux
superpuissances : « Des pays
viennent montrer leurs muscles au nom de la liberté de navigation ». « La proportion des forces américaines
est facteur de déstabilisation de la Chine ». « Si les Etats-Unis veulent un combat, nous
combattrons jusqu’à la fin ». « La Chine doit être réunifiée. Si quelqu’un veut séparer Taïwan de
la Chine, l’APC (l’armée populaire chinoise) n’aura d’autre choix que de
combattre à n’importe quel prix ». Ces déclarations, le 31 mai
dernier, font référence, non seulement à l’influence américaine dans le
Pacifique (Taïwan, la Corée) mais prennent sens, actuellement, au vu de la
mobilisation à Hong Kong.
Quoi
qu’il en soit, dans l’affrontement qui s’exacerbe (3), plutôt que recourir à
des élucubrations sur la possibilité d’une guerre chaude de destruction
mutuelle, mieux vaut examiner les atouts
et les faiblesses des deux
superpuissances.
A
terme, la suprématie du dollar dans
les transactions commerciales semble devoir être remise en cause. Encore faut-il
que prévale l’affaiblissement progressif du dollar. Il y a encore loin de la
coupe aux lèvres. Il n’en demeure pas moins que les sanctions états-uniennes
contre les pays tiers et leurs entreprises, l’existence même du droit
exorbitant d’extraterritorialité de la justice américaine, la concurrence de l’euro,
du yuan, sont autant de facteurs et de raisons de résistance à l’unilatéralisme
de Trump.
Il
semble, néanmoins, que ce dernier et ses faucons soient résolus à faire plier
la Chine, y compris en utilisant ses alliés et serviteurs. L’arrestation, au Canada,
de la directrice financière de la firme chinoise Huawei, promotrice de la 5G,
sa demande d’extradition, révèlent que l’on s’approche de points de rupture
difficilement réversibles. Derrière le prétexte fallacieux d’espionnage, la
véritable question est de savoir si, et malgré les pressions américaines, cette
nouvelle technologie chinoise de la 5G s’imposera face à celles moins
performantes des Etats-Unis. Les représailles chinoises contre le Canada ne se
sont pas fait attendre : les importations de colza canadien ont été
stoppées (1/4 de la vente à l’étranger), tout comme celles des porcs. Ottawa
doit donc prendre en considération que son économie pourrait autrement être
plus affectée que celle de la Chine. En 2018, le marché chinois est le 2ème
plus important pour l’écoulement de leurs propres marchandises ; les
investissements chinois dans ce pays sont loin d’être négligeables (en euros, 11
milliards).
Cette
guerre économique et commerciale n’est peut-être qu’un avant-goût de ce qui
pourrait advenir : la Chine détient l’essentiel des terres rares, nécessaires à la fabrication des nouvelles
technologies. Si elle ne faisait que restreindre l’approvisionnement de
certains pays, elle les contraindrait, pour le moins, à prendre la mesure de la
force de l’Empire du Milieu.
En
outre, Pékin est le 1er des créanciers des USA et détient 1 120
milliards de dollars de bons du Trésor US. En exportant massivement aux
Etats-Unis, la Chine, jusqu’en 2010, a
placé ses recettes, générées par ses excédents commerciaux, dans les
obligations états-uniennes. La dette des
Etats-Unis, ce talon d’Achille, est pour l’heure préservé grâce à la
suprématie du dollar et au taux d’emprunt américain (2 à 2,5 %). D’ailleurs,
les Chinois le savent. En mai dernier, ils ont arrêté d’acheter des bons du
Trésor US, liquidé 10 milliards d’obligations qu’ils détenaient, tout en
s’apercevant que les rendements des prêts consentis par d’autres pays (l’euro,
le yen japonais…) étaient bien inférieurs. Brader les obligations US risquerait
de faire fondre la valeur de ses propres ressources libellées en dollar, et
affecterait d’autres pays.
Reste
la suprématie militaire US et sa
présence massive dans le Pacifique : 370 000 militaires, 2 000
avions, 200 navires et sous-marins… La stratégie indopacifique des USA, rendue
publique le 30 mai, indique qu’ils veulent en découdre : dans le cadre de
la « préparation à la guerre, il
faut constituer une force conjointe capable de gagner tous les conflits »,
« en investissant massivement dans
les armes de haute intensité ». « Le partenariat avec d’autres pays de la zone doit passer par des exercices
militaires nombreux pour atteindre l’interopérabilité ». Le projet,
par exemple, de manœuvres annuelles le long des côtes de la Corée du Nord, à
proximité de la Chine, est de plus en plus mal accepté. Mis à part le Japon et…
l’Inde, ce partenariat n’est qu’embryonnaire.
Dans
la conjoncture actuelle, l’embargo contre l’Iran constitue une menace réelle
vis-à-vis de l’approvisionnement de la Chine en pétrole, même si la Russie
peut, en partie, y suppléer. Pour l’heure, Pékin a réagi modérément aux coups
de menton de Trump. Jusqu’à quand ? Dans l’attente d’une alliance
réprobatrice contre la guerre du pétrole qui agite la planète tout en …
l’étouffant ? (voir encart).
Forces et
faiblesses des deux superpuissances
Elles
sont à chercher dans les contradictions internes de ces deux pays.
Les Etats-Unis sont plus divisés que jamais. Et d’abord ethniquement :
les Afro-américains, les Mexicains, les Asiatiques, bref, les non-blancs seront
bientôt les plus nombreux (4). Les inégalités sociales sont abyssales. Les
différentes classes dominantes sont, elles-mêmes, divisées sur la manière de
gouverner le pays. Les diatribes à caractère raciste de Trump et de ses faucons
attisent les conflits internes. Les élections présidentielles de 2020
démontreront peut-être que l’ère Trump aura été un phénomène éphémère ?
Malgré la reprise de l’économie américaine, dopée à la baisse d’impôts pour les
entreprises et les plus riches, le rêve américain est un cauchemar, et ce, pas
seulement pour les migrants.
En
outre, il semble inconcevable même pour le Pentagone, de mener une guerre
d’occupation de la Chine. Inconcevable d’y envoyer, comme au Vietnam
500 000 hommes (au moins !). D’ailleurs, la guerre en Irak, la lutte
contre l’Etat Islamique, ont démontré que les Etats-Unis ne pouvaient
« diriger que de l’arrière » (Obama) et dans les airs. Restent donc
les bombardements massifs comme au Yémen et en Syrie, en utilisant la chair à
canons locale…
A
l’opposé, la société chinoise est
maintenue dans le corset de fer d’une cohésion nationaliste, favorisée par la
prospérité économique, l’existence d’une classe moyenne, l’ascension sociale
qui y règne et ce, malgré des inégalités criantes. L’absence de liberté produit
certes des dissidents mais il n’y a pas véritablement d’opposition.
L’importance du Parti-Etat et ses
moyens répressifs tuent dans l’œuf toute expression opposée au système. Face à
l’exploitation dont les ouvriers sont victimes, la « régulation
répressive » a pu, pour le moment, contenir les mouvements grévistes. La
« contrôlocratie » qu’a
mise en place le régime confucéen, bien plus que communiste,
semble efficace, acceptée et correspond au poids des traditions culturelles
héritées de l’histoire : les maîtres du ciel gouvernent pour le bien de
tous. Teng Biao, avocat de la défense des droits de l’Homme, arrêté en 2011,
lui qui s’est exilé en 2014, exprime son pessimisme : « Depuis Deng Xiaoping, la censure est totale,
l’oubli de la révolution culturelle et le massacre de la place Tienanmen, dont
il fut l’instigateur, s’est imposé (2 600 morts selon la Croix Rouge
internationale) ». « Les
méthodes employées aujourd’hui ne doivent en rien à Mao qui gouvernait par
mouvements de masse interposés ». « Les Chinois, tout particulièrement la classe moyenne, se sont mis à
vénérer et soutenir ceux qui détiennent l’argent et le pouvoir ». Ce
sont les mêmes qui « organisent un
pillage frénétique des ressources, provoquent la dévastation galopante de l’environnement ».
Pour les entreprises étrangères, « l’ouverture économique » de la Chine
fut (est encore) une aubaine. Elles ont d’ailleurs « aidé le gouvernement à systématiser la censure et la surveillance ».
« Le miracle économique chinois
repose sur l’exploitation, la corruption, les privatisations et les injonctions
sociales ». Ce régime d’économie mixte d’Etat mixte, où les patrons
privés sont membres du parti ou sous son contrôle, peut perdurer :
l’énorme appareil de « protection de la stabilité » repose sur trois
piliers : l’enrichissement des Chinois, le souvenir des sujétions qu’à
subies la Chine (guerre de l’opium, traités inégaux, invasion japonaise) et le
contrôle des esprits. Pour l’heure, à moins d’une crise économique globale,
seuls la mobilisation à Hong Kong, son indépendantisme latent, la volonté de
conserver les libertés acquises, constituent l’épine intolérable dans la queue
du dragon chinois. Selon les dernières nouvelles, voulant éviter une répression
militaire de type Tienanmen, les dignitaires chinois renforcent la police de
Hong Kong, y compris en moyens humains et matériels. A suivre… car une
répression trop féroce ternirait l’image de la gouvernance des bonzes de Pékin
et révèlerait la réalité de leurs sourires carnassiers.
Le
silence assourdissant des dirigeants occidentaux prouve, s’il en est besoin,
que les troubles dans la péninsule chinoise ne sont que des évènements ne devant
pas affecter leurs propres affaires lucratives. Trump, prudent, vient
d’ailleurs de déclarer qu’il s’agit là-bas d’une affaire intérieure chinoise :
la lutte pour l’hégémonie entre les deux superpuissances doit se dérouler et
recourir à d’autres moyens que ceux d’une mobilisation populaire incontrôlable.
Gérard
Deneux, le 10.08.2019
(1)
lire La stratégie du choc. La montée du
capitalisme du désastre. Naomi Klein – Actes Sud
(2)
Partenariat économique régional global entre 16 pays autour de l’océan
Pacifique : les 10 membres de l’ASEAN (Birmanie, Brunei, Cambodge,
Indonésie, Laos, Malaisie, Philippines, Singapour, Thaïlande, Vietnam) +
Australie, Chine, Inde, Japon, Corée du Sud, Nouvelle Zélande (comme
alternative au TPP – Accord de Partenariat transpacifique, abandonné par
Trump).
(3)
il faudrait, mais ce n’est guère possible dans le cadre de cet article,
examiner la situation particulière de Hong Kong, les raisons et la nature de la
mobilisation de la population
(4)
lire à ce sujet Le nouveau rêve américain
de Sylvain Cypel, ed. Autrement, où sont analysées les grandes tendances de
l’évolution de la société américaine (évolution démographique, population
blanche minoritaire vers 2040, métissage, crise économique, opposition
idéologique…)
Encart
« La
guerre du pétrole »
Quelques
repères historiques pour saisir qu’elle n’est que la combinaison des logiques de concurrence et de puissance.
1
– la demande de pétrole continue de croître : 100 millions de barils de
pétrole consommés par jour
2
– la surconsommation se combine avec la surproduction. Les Etats-Unis sont en
effet devenus, par l’exploitation du pétrole de schiste, un nouveau géant
pétrolier, voire le 1er producteur. L’offre massive a provoqué une
baisse drastique des prix en 2014 (le baril est passé de 100 dollars à
30 !).
3
– l’OPEP et la Russie ont réduit leur production pour faire remonter le prix du
baril
4
– Trump veut réduire la puissance de l’OPEP et de la Russie et vendre le
pétrole américain. Les sanctions contre l’Iran et le Venezuela poursuivent cet
objectif
5
– un prix trop élevé pour les Etats-Unis entre en contradiction avec le développement
des transnationales
6
– l’Arabie Saoudite, bien que « complaisante » vis-à-vis des
Etats-Unis, prétend néanmoins maintenir un prix élevé, notamment pour financer
sa guerre au Yémen
7
– S’il y a trop de pétrole sur le marché, les prix s’effondreront, comme à
l’automne 2018 (- 30 %)
8
– OPEP et Russie se réunissent en urgence en décembre 2018 et décident de
réduire leur production, provoquant la remontée du cours du pétrole… à suivre…