Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


samedi 27 mars 2021

 

Vent de révoltes au Sud

(Editorial de PES n° 71 (mars 2021). Pour s’abonner, voir ci-dessous)

 

A cause et malgré le Covid, que les médias dominants ressassent en boucles, il n’y a pas d’autre information que celle de se calfeutrer et de ne voir en rien ce qui se passe en dehors de l’Hexagone. Instiller la peur, l’apathie, modeler nos comportements sont les règles que le pouvoir prétend imposer dans cette démocrature qui est la nôtre.

 

Pourtant, sur toute la planète, les luttes se développent pour faire tomber le pouvoir des tyrans, despotes, dictateurs, autocrates et autres satrapes, pour faire sauter tous les césarismes et mollahcraties, prétendument démocratiques. Malgré la misère, la répression, la guerre, ces luttes comportent des dimensions bien différentes de la période antérieure, celle des années de la décolonisation.

 

L’éducation et le recours à internet permettent aux peuples d’exiger la démocratie radicale et des revendications sociales nouvelles. Mais il y a plus. La désindustrialisation au nord, la délocalisation d’un certain nombre d’industries, ont provoqué, au Sud, l’apparition d’une nouvelle classe ouvrière, notamment en Chine, en Inde et en Indonésie. Rappelons que les ouvriers représentent 50 % de la population mondiale.

 

On ne peut évoquer toutes les luttes dans le cadre de cet édito mais l’énumération des pays qui sont touchés (1) atteste qu’un nouveau printemps des peuples est déjà à l’œuvre dans tous les continents, malgré le Covid ) :

Afrique : Algérie, Maroc (Rif), Tunisie, Mali, Côte d’Ivoire, Cameroun, Sénégal, Guinée Conakry.

Moyen-Orient : Irak, Iran, Kurdistan irakien, Egypte, (Israël), Palestine, Liban

Asie : Hong Kong, Thaïlande, Birmanie, Indonésie, Inde

Amérique latine : Haïti, Chili, Colombie, Pérou, Argentine

Europe et pays de l’Est : Bulgarie, Pologne, Biélorussie, Russie (notamment en Sibérie), Grèce.

 

Bref, le capitalisme qui multiplie ses crises financière, sociale, climatique et sanitaire, prouve que l’oligarchie mondiale, non seulement nous conduit droit dans le mur, mais cherche des solutions de plus en plus répressives. En atteste la montée des xénophobies d’Etat et des nationalismes. Par ailleurs, bien que cela soit tu par les médias, extractivisme, déforestation, élevage intensif, concentrationnaire, provoquent l’apparition de virus qui amplifient encore le caractère délétère du système de globalisation.

 

Il est désormais prouvé que la « destruction créatrice », soit l’importation, par l’invasion militaire, de la « démocratie occidentale », ça ne marche pas.  En effet, les guerres en Irak, en Afghanistan n’ont provoqué que le chaos et des luttes réactives de plus en plus vigoureuses. Il est à prévoir que le djihadisme, lui-même, va entrer dans une période de déclin, à preuve, le souhait en Iran et dans l’ensemble du Moyen-Orient, d’une sécularisation des sociétés. Il est possible, à cet égard, que le débouché des mobilisations au Liban en soit le premier exemple. Le système confessionnel va, en effet, exploser.

 

Que reste-t-il aux oligarchies pour se maintenir au pouvoir et continuer d’exploiter la planète : le nouvel eldorado promu par le Parti du Capitalisme Chinois (PCC) qui, tel le radis, est rouge à l’extérieur et blanc dedans ? Ce serait la voie autoritaire et comportementaliste de la gestion des populations pour instiller le virus de la servilité consentie !

 

GD, le 21 mars 2021

Pour en savoir plus sur le contenu des luttes depuis 2020 : millebabords.org/

 

 

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Merci. L’équipe de réalisation de PES

 

 

des chaises vides

dans une salle

pleine de faibles gens debout

 

une table pléthorique

dans un salon

où des mal-nourris font le service

 

des malles regorgeant d’habits

dans une maison sans chauffage

où des êtres nus grelottent

impuissants

 

des musiciens hors pair

jouant dans un lieu de choix

fréquenté par des sourds

 

des bouquets sublimes aux fleurs

exquises

répandant des senteurs dans un

monde

rendu anosmique par la pollution

 

et la richesse ruisselle à l’envers

du bas vers le haut

des pleurs du labeur aux sourires

complaisants

des publicains paradisiaques

reîtres serviteurs de leurs maîtres

si gentils si polis si affables

si cultivés

 

Pedro Vianna

Paris, I.IV.2019

“De l’inadéquation des choses”

http://poesiepourtous.free.fr 

 

 

Se réapproprier le passé récent (1)

 

Le paysage électoral est nécrosé par le macronisme. La défiance vis-à-vis des partis politiques et même des syndicats est telle qu’elle nécessite un effort particulier pour se réapproprier notre passé, comprendre le moment présent et les difficultés et obstacles qui risquent de survenir dans les prochains mois.

 

Mon propos, ici, se réduit à intervenir sur « le néolibéralisme, une idéologie qui avance masquée ». La question que l’on doit se poser est celle du processus matériel et idéologique qui a permis au néolibéralisme de s’affirmer.

 

Il s’agit, en effet, d’abord, d’un processus structurel de modification du capitalisme, résultant de la crise du fordisme et du keynésianisme. Au sortir de la guerre, après les dégâts provoqués par la crise de 1929 et la montée du fascisme, l’idée s’est imposé de réguler, par l’Etat, le capitalisme, Keynes affirmant qu’il fallait « euthanasier les rentiers du capital ». En outre, la présence de l’Union soviétique, dont les méfaits internes n’étaient guère connus, a amené les forces politiques à instituer un Etat redistributeur ; la reconstruction et la croissance qui s’en sont suivi a très vite buté sur les limites nationales de chaque pays, suscitant la crise des années 1970. Il s’agissait dès lors, pour le capital, de faire sauter un certain nombre de verrous, la liberté du capital, les tarifs douaniers, et de réduire les interventions de l’Etat.

 

Le support idéologique de cette transformation est à rechercher parmi les intellectuels libéraux qui n’avaient pas renoncé à prôner la liberté du marché. Ainsi, dès la libération du nazisme, des auteurs comme Friedman et Hayek se sont regroupés dans la Société du Mont-Pellerin pour propager des thèses de déréglementation et de liberté du marché. C’est là où se trouve la source du néolibéralisme qui s’est d’abord implanté aux Etats-Unis avec l’Ecole de Chicago. L’expérimentation grandeur nature de leurs idées fut le Chili de Pinochet. Les Golden boys à l’œuvre s’attachèrent à détruire tout ce qu’avait entrepris Allende. Ce fut ensuite le Royaume Uni de Thatcher puis les Etats-Unis de Reagan et, enfin, Mitterrand en 1983, Schröder en Allemagne…, qui entreprirent de détruire ce qu’on a appelé un peu vite « l’Etat social ».

 

Il faut souligner que le capitalisme contient trois composantes : la finance, le secteur industriel et le capital commercial. C’est la domination de la finance qui a provoqué, sur la base d’une surproduction relative, les crises du capitalisme. Pour conquérir de nouveaux marchés, le néolibéralisme s’est doté de politiques qui ont eu des conséquences désastreuses : les Etats se sont obligés à emprunter auprès des banques privées, des sociétés d’assurances, des spéculateurs. Les entreprises ont été organisées (et autorisées) pour se délocaliser, recourir à la sous-traitance, à l’externalisation et à faire baisser le prix de la force de travail, la production s’est modifiée : flux tendus, zéro stock, robotisation. Ce processus s’est accéléré après la chute du mur et de l’URSS ainsi que les théories idéologiques répandues de « la fin de l’histoire » et de l’affirmation péremptoire qu’« il n’y a pas d’alternative ». Les idéologues dominants ont fait croire au caractère prétendument néfaste de l’Etat interventionniste dans l’économie. Ils ont prôné la liberté du marché autorégulateur et valorisé le recours à la Bourse et aux actionnaires.

 

Le recours aux bas salaires dans les pays du Sud a favorisé l’éclosion des inégalités, l’accumulation des richesses par une oligarchie transnationale. Les idéologues néolibéraux, myopes, n’ont pas tiré les leçons de l’histoire économique, celle des crises inhérentes au capitalisme, comme le dernière en date, celle de 2007-2008. L’on peut se poser la question de savoir si les Trente Glorieuses n’ont pas été une parenthèse dans l’histoire du capitalisme qui s’est imposée après les destructions de la 2ème guerre mondiale, et qu’elle s’est refermée. Le capitalisme en est revenu à ses fondamentaux.

 

Le retour de la lutte des classes par la défense d’abord des acquis sociaux, issus, pour la France, du Conseil National de la Résistance, puis de l’émergence de mouvements irrépressibles, comme celui des Gilets Jaunes, incite de nombreux pays à recourir à la répression et au  nationalisme chauvin et xénophobe. C’est ainsi que l’on voit réapparaître des notions justifiant les inégalités : il y a « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien », « il faut avoir une montre Rolex à 30 ans »… En ce sens, on peut parler de darwinisme social, fait par ailleurs de mépris de classe qui gangrène toute la société. Les classes moyennes supérieures méprisant la petite bourgeoisie, celle-ci méprisant à son tour les ouvriers et les employés, ces derniers rejetant les « cas sociaux » et tous pointant du doigt les étrangers et les migrants. Cette concurrence entre groupes sociaux, alimentée par l’idéologie dominante, fait les choux gras de l’extrême droite.

 

Tout cela pour dire qu’il est nécessaire de promouvoir une alternative qui rassemble les classes ouvrières et populaires et tous ceux qui subissent la dégradation de leurs conditions de vie du fait même, entre autres, de la privatisation des services publics. En outre, la dégradation de l’écosystème rend une telle tâche urgente et un effort tout particulier pour modifier le paysage politique de plus en plus liberticide.

 

Il faut installer la conviction que la confrontation des analyses et des opinions est particulièrement nécessaire dans le moment présent, ce qu’ont démontré d’ailleurs les Gilets Jaunes, malgré les insuffisances dont ils étaient porteurs. La séquence qui s’ouvre risque d’être dominée par les présidentielles et même si JL Mélenchon l’emportait au 2ème tour, les tâches et les obstacles impliqueraient un effort de tous pour surmonter les divisions encore trop nombreuses.

 

Gérard Deneux, le 14 mars 2021

 

(1)   Extraits d’une lettre envoyée aux camarades des Insoumis de Haute-Saône

 

Pour en savoir plus :

 

-        Les évangélistes du marché, Deith Dixon, Raison d’agir, 1998

-        Le grand bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Serge Halimi, Fayard, 2004

-        La nouvelle raison du monde (Essai sur la société néolibérale) de Pierre Dardot et Christian Laval, le Découverte, 2010

-        La nouvelle droite (sur la « gauche au pouvoir) de Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, Agone, réédition 2013

-        La décennie. Le grand cauchemar des années 80 (effets idéologiques et structurels du néolibéralisme), François Cusset, la Découverte, 2006

 

Nous avons vu sur youtube

 

La décennie 80 ou comment s’est développé le néolibéralisme

1 – le tournant libéral (1h)   2 – la fin de la politique (1 h)

Les analyses de Frédéric Lordon (économiste), Serge Halimi (directeur du Monde Diplomatique) et François Cusset (auteur de La décennie. Le grand cauchemar des années 80), sur la période charnière du tournant libéral imposé brutalement par Thatcher et Reagan puis plus subtilement par Mitterrand et le PS, n’ont pas pris une ride. Comment « le tournant de la rigueur » a pu s’imposer ainsi que les notions de compétitivité, de privatisation, de  réconciliation des Français avec l’entreprise… ? Fabius, pur produit du système, adopta une forme de modernité à l’américaine, prônant l’ouverture aux marchés… Ce retour sur un passé proche est très éclairant pour aujourd’hui. GD. (infiltres.fr  Daniel Mermet, Là-Bas si j’y suis 2007)  

 

Face au désastre qui vient : le communisme désirable (1h15)

 Frédéric Lordon  sur son livre Figures du communisme, la Fabrique, 2021

Le capitalisme est un péril pour l’humanité et la pandémie actuelle l’illustre. Mais nous ne sommes pas dans un tunnel sans fin et une autre organisation sociale est possible si l’on consent à faire appel à l’exercice de l’imagination avec conséquence,  le déni et l’inconséquence étant la plaie de l’époque actuelle. Que faire ? Relever chacun de la précarité, de l’inquiétude de la subsistance, abolir la subordination au travail, déterminer collectivement les limites de la production à même de préserver l’environnement… Pour faire advenir ce régime politico-économique, il faut le nommer : communisme. Encore faut-il qu’il soit vu comme « collectivement désirable » sans quoi il n’a aucune chance d’être « politiquement viable ». GD. (le media - On s’autorise à penser, 18.03.2021)

 

Aude Lancelin et Alain Badiou (philosophe) ont invité Thomas Piketty (1h40)

sur son livre Capital et idéologie

Dévoiler les ressorts de la séquence néolibérale qui sévit depuis les années 80 et proposer des solutions, sans épargner les expériences communistes, tel est le fil conducteur du livre. Les inégalités n’ont pas de fondement naturel. Que faire ? Du réformisme radical, comme Thomas Piketty le suggère ou du communisme dont se revendique Alain Badiou ? GD.

(QG Quartier Général - Contre Courant 18.11.2019)  

 

Qu’est-ce que la politique ?

Entretien avec Alain Badiou mené par Aude Lancelin (1h15)

La politique peut-elle être autre chose que la quête forcenée du pouvoir ? Il y a deux manières de voir : la politique est la prise du pouvoir, on se positionne alors du côté de l’Etat, ou la politique est une relation avec la justice, on se situe alors du côté de la collectivité. Aujourd’hui, dominent les maîtres économiques, les alternances politiques n’y changeant rien, c’est la voie capitaliste. L’autre orientation consiste à défendre l’idée de réappropriation par la collectivité de l’ensemble des moyens financiers et économiques, c’est la voie  de la mise en commun, du communisme. Notre tâche théorique est de faire qu’il y ait deux voies et non plus une seule. Nous avons, parallèlement, à être présents dans tous les mouvements populaires qui naissent afin d’entrer en discussion. L’âme de la politique, c’est la réunion. GD.  (contre courant 30.03.2017)

 

On n’a pas le cul sorti des ronces !

 

La situation n’est pas révolutionnaire. Nous sommes toujours dans la phase de régression due au néolibéralisme qui, après le durcissement des luttes sociales, prend désormais une forme plus conservatrice et autoritaire. A propos de la répression contre les Gilets jaunes et les migrants près de Dunkerque, on peut même parler de terreur d’Etat pour dissuader les manifestants et vis-à-vis des exilés.

 

Après la crise de 2007-2008, celle de l’euro, rien de fondamental n’a changé. Après le renflouement des banques par endettement de l’Etat, la finance n’a guère été régulée, les paradis fiscaux demeurent, la fuite en avant s’et même accentuée avec la macronie ; les tentatives de destruction du droit du travail, du système de retraite, d’indemnisation du chômage se sont toutefois heurtées à de fortes mobilisations sociales. Les privatisations, le laminage des services publics, se sont poursuivis, tout comme l’austérité budgétaire. Si la combinaison de l’irruption des Gilets Jaunes sur la scène publique et la survenue de l’épidémie Covid 19 ont bloqué l’agenda néolibéral, il reste toujours une priorité pour les classes dominantes. Le pouvoir n’attend que l’opportunité de le remettre à l’ordre du jour et ce, au moyen de méthodes encore plus répressives ; l’arsenal législatif et policier s’est renforcé depuis les attentats terroristes : état d’urgence passé dans le droit commun, lois liberticides votées et avec celle sur le « séparatisme » dit « républicain », construction d’un ennemi de l’intérieur : l’islamo-gauchisme dont l’analogie avec le judéo-bolchévisme d’antan fait resurgir l’ombre des années noires. En fait, il s’agit, pour le pouvoir, d’éviter la jonction qui a commencé de s’opérer entre les classes populaires « blanches » y compris les étudiants et celles des quartiers populaires et des exilés sans-papiers.

 

Toutefois, la tentative d’imposer une police de la pensée à l’université, de stigmatiser la recherche en sciences sociales, a provoqué une telle indignation qu’il est possible qu’elle soit vouée à être remisée au placard. Elle démontre, en tout cas, la fébrilité du pouvoir face à la montée de la contestation qui pourrait surgir dès que l’épidémie sera contenue. Pour l’heure, les macroniens distillent la peur, parient sur l’apathie, la division entretenue, le fatalisme qu’ils tentent de répandre en laissant penser qu’il n’y aurait aucune issue positive au cercle de fer dans lequel il entend nous enfermer. C’est ce qu’il veut démontrer à l’occasion de la prochaine présidentielle et, le terreau électoral lui semble propice.

 

Les partis traditionnels de droite et de « gauche » sont en effet discrédités par les politiques néolibérales qu’ils ont menées. Aucun de leurs leaders n’est en capacité de recueillir un nombre conséquent de suffrages. La statocratie, déjà prégnante depuis des années dans les choix opérés, s’est imposée, avec l’ex-banquier de chez Rothschild et sa cohorte de hauts fonctionnaires issus de l’ENA. Le petit roi de la monarchie républicaine est nu, le voile de la démocratie invoquée est largement déchiré. Sa suite de marcheurs, de gauche et de droite, hétéroclites, issus des classes moyennes supérieures, sans baronnies, risquent demain d’être de tristes paladins en déshérence. Le monarque est en effet résolu à pécher d’autres recrues en eaux troubles. Darmanin est déjà à la manœuvre pour séduire le marais le plus droitier en prétendant que Le Pen n’est pas assez dure avec les « musulmans » et les migrants… Certes, pour couvrir cette dérive fascistoïde, des palabres rassurantes de concertation-bidon et de démocratie participative seront dispensées, notamment en direction des classes moyennes, pour verdir le gris du kaki du petit napoléon, prétendant de nouveau au poste suprême. Il entend rejouer la scène de 2017, lui seul face à l’épouvantail Le Pen, en lui empruntant nombre de ses frasques. Pas idiote, Le Pen se fait cohabitable après s’être dédiabolisée. Elle s’est même convertie à l’Europe libérale et ne conteste plus l’euro. Certes, Macron peut compter sur la division de la kyrielle de prétendants face à lui  au 1er tour du manège présidentialiste et sur l’abstention de nombre de « procureurs » réfractaires, insensibles à la comédie de démocrature proposée. En l’état, un seul adversaire peut troubler le jeu : Mélenchon et le nouveau parti social-démocrate antilibéral et antimonarchiste. Certes, son programme n’est même pas à la hauteur du feu programme commun de 1981. Mais ?

 

En tout état de cause, tout va être entrepris par les classes dominantes et les médias pour glapir à qui mieux mieux contre cet « irresponsable islamo-gauchiste ». Pour Macron et sa bande, 20 % de suffrages exprimés pourraient lui suffire si Mélenchon reste à la niche avec 10 à 15 %. Reste que ses propositions se diffuseront, montrant qu’une autre voie (étroite !) est possible face à l’impasse du Macron compatible avec les idées d’extrême droite… Dans quel climat social ? Telle est la question. La peur, l’atonie, le dégoût des joutes électoralistes sans effet immédiat, les sentiments xénophobes… peuvent entretenir le pourrissement de la situation.

 

En faisant abstraction d’un mouvement social d’ampleur, avant les présidentielles, on peut imaginer plusieurs scénarii.

a)    Le Pen l’emporte sur Macron avec un fort taux d’abstention. Les législatives qui suivent ne lui donnent pas une majorité de députés acquis à sa cause. La cohabitation s’installe entre lepénistes et droite-extrémistes. L’arsenal législatif et répressif permet d’instaurer une démocrature renforcée avec arrestations de nombre de contestataires et d’opposants, surtout dans l’hypothèse de résistances éparpillées…

b)   Macron l’emporte, le néo-management des forces les plus droitières s’imposeront également. A l’issue des législatives, les macroniens pourraient bien être (plus ou moins) laminés. Droite classique et droite-extrême négocieront pied à pied leur entrée au gouvernement. Cette cohabitation new-look serait la plus favorable aux classes dominantes prétendant poursuivre l’agenda néolibéral au forceps, tout en préservant le carcan européen, comme d’ailleurs dans l’hypothèse précédente, mais sans être l’objet de condamnations moralistes.     

c)    Mélenchon l’emporte, les législatives qui suivent ne lui permettent pas d’obtenir un gouvernement homogène pour mettre en œuvre son programme, la composition du Sénat reste en outre un autre obstacle de taille… Peut-il avoir le courage de dissoudre l’Assemblée, de provoquer une Constituante… Les marchés financiers, la Commission européenne seront à la manoeuvre pour balayer au plus vite cette expérience : « Il n’y a pas de démocratie possible en dehors des traités européens contraignants » (Wolfgang Schaüble).

 

Cet examen (trop) rapide de scénarii électoraux implique l’absence du jeu des acteurs sociaux. Or, la période précédant l’épidémie de Covid tend à prouver que les acteurs sociaux ne resteront pas l’arme au pied, malgré la pression qui s’exercera en faveur d’une trêve sociale. Cette supposition se heurte toutefois aux conséquences structurelles de la mondialisation et des politiques d’austérité menées depuis plusieurs années.

 

Sous l’effet des délocalisations, des externalisations, de la désindustrialisation, la classe ouvrière est largement déstructurée : CDD, intérim, chômage, l’ont réduite et atomisée. Certes, des résistances combattives se sont produites mais elles sont, pour l’essentiel, restées défensives tant sur la question des licenciements que sur les contre-réformes du droit du travail, des retraites, de l’indemnisation-chômage, sur les privatisations, voire les restrictions des libertés publiques. Quand elles n’accompagnent pas les régressions néolibérales (CFDT, CFTC…), les directions syndicales ne conduisent les mouvements sociaux qu’à protester (de République à Nation et vice-versa). Les mobilisations contenues, pas assez massives, ont toutefois conduit les gouvernements successifs à adopter la tactique du salami, la découpe tranche par tranche de la résistance ouvrière et populaire. Le retard pris dans la mise en œuvre de l’agenda néolibéral a conduit le chargé d’affaires de la grande bourgeoisie, Macron, à l’intransigeance répressive. Mal lui en prit. Le surgissement des Gilets Jaunes, leur impétuosité, l’ont amené à ravaler sa morgue vis-à-vis des « Gaulois réfractaires ».

 

Dans la même période, la logique de la globalisation avait fait sentir ses effets délétères : crise de 2007-2008, crise de l’euro, échec de l’expérience sociale-démocrate grecque et retour de la droite extrême, prise de conscience de la nature du capitalisme y compris sur l’écosystème désormais en péril, accroissement des inégalités, stagnation de l’économie réelle et gonflement des profits financiers, appauvrissement dramatique des étudiants, une partie de la jeunesse déglinguée sans repères, menaces toujours présentes d’attentats djihadistes… Peur tétanisante et révoltes semblent se conjuguer comme pour mieux se neutraliser. Le pouvoir peut compter sur la xénophobie et le racisme qu’il distille, n’hésitant plus à reprendre à son compte les propos lepénistes. Classes moyennes et retraités angoissés, syndicats crypto-fascistes dans la police, sont autant de ressources pour maintenir la démocrature qui s’est installée.

 

Toutefois, la gestion catastrophique et chaotique de la crise sanitaire, la droitisation du gouvernement Macron, voient s’effilocher les rangs des Macron-compatibles parmi les socialo-centristes et la droite centriste.

 

Qui plus est, ce qui peut perturber les spéculations électorales ci-dessus, c’est bien le surgissement sur la scène présidentielle des mouvements sociaux. Ce que l’on peut espérer c’est qu’ils défilent par vagues successives tout en se conjuguant. L’esquisse d’une telle radicalisation est en germe. Dans la dernière séquence, avant le confinement Covid (et même pendant) les rangs des protestations dans les défilés se sont garnis d’étudiants, d’avocats, de journalistes, d’écolos (Extinction Rébellion), et surtout de populations issues des quartiers populaires et des migrants sans-papiers, entraînés en grande partie par le Comité Adama. Les convergences des luttes contre toutes les oppressions et dominations pourraient se réaliser. Le fond de l’air pourrait devenir rouge et vert de rage contre le système capitaliste débridé, à condition toutefois que les corporatismes et les logiques d’appareil cèdent face à la compréhension que la large alliance à opérer nécessite de prendre en compte toutes les oppressions : exploitation, précarisation, paupérisation, sexisme, racisme. Faire caler (même en partie) le pouvoir de l’oligarchie nécessitera néanmoins le dépassement des manifestations de rues ou de ronds-points : grèves avec occupation des lieux de travail, débat sur la reconversion-restructuration de l’économie au service des besoins du pays. Dans l’hypothèse d’une « victoire » de Mélenchon au 2ème tour des présidentielles, il faudra que cet hypothétique mouvement persiste à pousser les Insoumis à rompre avec les traités européens, avec l’euro, avec l’UE, à socialiser pour le moins les banques et les grandes entreprises. On peut rêver mais l’avancée réelle, quelle qu’elle soit, dépendra de l’entrée en masse de la jeunesse étudiante et populaire dans la lutte.

 

Toutefois, force est de constater qu’il n’existe pas véritablement de parti et d’organisations révolutionnaires (pour le moment), à la hauteur des enjeux de la période, celle d’une rupture franche avec le système capitaliste. Il y a encore trop de chapelles, de tendances engoncées dans leurs particularités. Peuvent-elles dépasser leurs divisions parfois purement passéistes ? Un premier débat s’est apparemment instauré, à l’initiative du NPA avec Lutte Ouvrière, le comité Adama, Extinction Rébellion, la France Insoumise et des syndicalistes… Il peut être prometteur pour autant que les luttes sociales et écologiques poussent en ce sens. Ce qui serait décisif, en effet, c’est le surgissement d’une contestation massive se traduisant par des débats dans tout le pays, créant par elle-même de nouvelles « institutions » durables, en situation de se fédérer, posant ainsi la question du pouvoir populaire à instaurer. Cette démocratie en actes, susceptible de former une nouvelle hégémonie,  devra s’imposer dans l’adversité de points de vue contradictoires,  en se focalisant sur la question cruciale Que faire ? dans le moment présent, pour affaiblir, diviser l’oligarchie régnante. Les débats intenses dans une séquence de tension doivent trouver leur terrain de résolution tout en préservant le ou les minorités (qui peuvent avoir raison) et en s’acharnant à trouver le juste équilibre entre fortes individualités et le collectif. L’émancipation est à ce prix, celui de la démocratie vivante qui dépasse les antagonismes. A défaut, une défaite de ce mouvement serait lourde de conséquences régressives…

 

Evoquer les contradictions internes à la formation sociale française ne peut faire l’impasse sur l’évolution de la situation internationale. Elle pourrait avoir une incidence non négligeable sur la situation en France. Il suffit, pour conclure, d’évoquer d’une part, les vagues de mobilisations dans nombre de pays, la fracturation en cours de l’Union européenne, la survenue de la prochaine crise financière et économique marquée cette fois par la récession, la détérioration encore plus prononcée de la planète et d’autre part, les répressions, la montée du nationalisme xénophobe et raciste, l’extension de guerres impériales.

 

Bref, à la croisée des chemins, nous sommes entre rêves et cauchemars, entre éco-socialisme libérateur de toutes les oppressions et barbarie capitaliste.

 

Gérard Deneux, le 2 mars 2021 

 

Une place pour Goasguen

Bientôt, les Parisiens auront le plaisir de flâner place Claude-Goasguen, du nom de ce député et ancien ministre. Grâce au vote d’Anne Hidalgo et de certains élus PCF, la mairie rendra hommage à cette figure de la droite, partisan de l’Algérie française, ancien dirigeant de la Corpo d’Assas, syndicat d’extrême droite, opposant au Pacs et au mariage pour tous…

Une place inaugurée dans le quartier de la Muette : ça ne s’invente pas !

Politis 18/24 mars 2021

 

 

Croizat éternels regrets

Il faut renflouer la sécurité sociale.

Qui siphonner ? Obsédante question virale !

Amputer les pensions des plus gâtés : bronca

Négliger les aides au foyer : corrida

 

Amish ?

Le pognon de dingue se trouve dans les pognes

Du patronat. ISF et redressement,

Sanctions pour pilleurs de ressources et charognes

Qui empoisonnent avec leurs déversements.

 

Colette Vallet, Besançon septembre 2020

envoyé par Bébert, abonné.

 

Une ZAD culturelle ?

 

Le mouvement des intermittents s’amplifie. Au 18 mars, 63 lieux de culture sont occupés par les intermittents du spectacle, les artistes, mais aussi les intérimaires, précaires, saisonniers, extra-hôteliers, les étudiants, etc. « Nous ne voulons pas d’aumône, nous voulons travailler ! ». « Nous ne pouvons supporter que le chômage soit la seule perspective donnée aux artistes et techniciens, nous attendions que le gouvernement mette en place un plan d’urgence de soutien à l’emploi pour garantir le paiement de salaires, pour tenir des résidences artistiques et des répétitions ». Le 11 mars, le 1er ministre a concédé 10 millions € pour le Fonds d’urgence spécifique de solidarité pour les artistes et les techniciens du spectacle, 20 millions de budgets supplémentaires pour soutenir les équipes artistiques, la garantie d’accorder des indemnités journalières pour les intermittentes du spectacle  en congés maternité ou celles et ceux en maladie, privés de ce droit en raison de l’absence d’activité salariée.  Ces promesses ne sont absolument pas à la hauteur des besoins pour maintenir une activité dans le spectacle vivant. Le gouvernement ne veut pas céder sur le durcissement des conditions d’accès à l’assurance chômage et sur la baisse des indemnisations des chômeurs au 1er juillet. Rien pour garantir le droit aux congés payés, à la médecine du travail, à la retraite, à la santé, pour les intermittents Silence sur la situation précaire des artistes auteurs pour lesquels il n’est pas envisagé de fonds de solidarité, ni de garantie de leurs droits sociaux. La colère gronde ! Ce n’est pas avec des mesurettes que l’on éteint un mouvement social. Lorsqu’un gouvernement ne comprend rien, la seule réponse est la mobilisation.

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Nucléaire. En sortir pour s’en sortir ?

 

De nombreux « incidents » émaillent la vie des centrales nucléaires dans le monde, souvent dénommés « internes », c’est-à-dire sans conséquences (visibles) à l’extérieur. En fait, on se souvient uniquement des catastrophes : Three Mile Island (1979), Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011). Elles nous rappellent que les centrales vieillissent, que les risques sont d’autant plus grands lorsqu’elles sont implantées dans des zones sismiques. Est-il possible de vivre sereinement dans une zone dite « décontaminée » ? C’est la question que se posent les habitants de la zone de Fukushima, 10 ans après. Quelles mesures ont été prises ? Qui sont les responsables ?

A l’heure de l’écologie à toutes les sauces vertes, ils sont nombreux à penser que le nucléaire est une énergie propre. Alors que choisir ? La course en avant jusqu’au précipice ? Ou la réflexion pour une alternative qui ne peut pas, raisonnablement, être mise en œuvre dans le cadre du capitalisme, fusse-t-il vert.

 

1 – Le mythe de l’énergie sûre et maîtrisée s’écroule

 

Les Japonais n’y croient plus. Le tsunami qui frappe la côte nord-est le 11 mars fait 18 000 victimes, anéantissant les défenses jugées imparables. Les trois réacteurs en service se mettent à l’arrêt mais, dans la salle de commande, les opérateurs ne voient pas que l’eau a envahi les installations, noyé les générateurs diesel de secours et provoqué la panne du système de refroidissement. La température grimpe dans la cuve des réacteurs 1, 2 et 3. Cinq heures plus tard, le cœur du réacteur n° 1 entre en fusion et forme un magma porté à 2 000°C qui attaque l’enceinte de confinement en acier et béton. Dans les trois jours suivants, les réacteurs 2 et 3 entrent en fusion à leur tour. L’hydrogène dégagé par les installations explose au contact de l’oxygène de l’air et endommage la structure. Les scientifiques ont perdu le contrôle de leur créature. Les capteurs de données sont en panne et les militaires et pompiers travaillent à l’aveugle puisque la centrale est plongée dans le noir. Une cinquantaine d’employés restés sur place sous l’autorité du directeur improvisent pour réussir à refroidir l’eau qui enveloppe les réacteurs. Et quand la pression est trop forte dans la cocote des réacteurs, pour qu’elle n’explose pas, ils procèdent à des lâchers de vapeur irradiée dans l’atmosphère. L’eau est rendue à l’océan, fortement contaminée. 80 000 habitants dans un rayon de 20 km sont évacués ; en réalité, ils seront 170 000 « déplacés ». Au lendemain de la catastrophe, les blindés militaires et plus de 100 000 soldats ont envahi les villages avec les mots d’ordre « Ne sortez pas ! Ne fuyez pas !…pendant que les employés de Tepco, fuyaient en masse, ayant reçu consigne de s’en aller à plus de 100 kms ! Il faudra attendre septembre pour avoir une cartographie précise de la situation.

 

On découvrira plus tard, que les travaux de sécurité avaient été négligés, que le condenseur, seul système de refroidissement disponible, n’a pas fonctionné, que les opérateurs n’étaient pas formés pour sa manipulation, que les jauges d’eau ne fonctionnaient pas affichant une situation erronée de la réalité au sein du réacteur.  

 

Qui est coupable ? En 2002, déjà, l’exploitant Tepco avait été accusé de falsification de 29 rapports de sécurité entre 1980 et 1999, dissimulant des avaries techniques. L’agence de sûreté nucléaire pointait le manque de contrôles de 33 éléments de la centrale (dont les générateurs de secours), mais l’agence, dépendant du ministère de l’économie et de l’industrie, entretenait des relations avec la Fédération des compagnies d’électricité, dirigée par… le président de Tepco, celui qui avait promis en 2008 un retour des bénéfices et des dividendes aux 740 000 actionnaires, sacrifiant, au passage, la sécurité !  Il démissionnera le 28 juin. Aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour. 

 

Et pourtant, dès 2012, 14 000 victimes ont engagé une trentaine de procès contre le gouvernement pro-nucléaire et l’opérateur Tepco. Procédure classée sans suite en 2013. Les plaignants ont recouru à une procédure de jurés populaires aboutissant en 2015 à la mise en examen de 3 anciens dirigeants. Le procès a débuté en 2017, mais, malgré les preuves démontrant le report volontaire de travaux destinés à prévenir un éventuel tsunami, le tribunal les a acquittés en septembre 2019. Appel a été déposé  qui s’ouvre en 2021.

 

 10 ans plus tard, malgré la campagne de propagande, ils ne sont pas revenus.

 

Dès 2016, les autorités ont levé l’interdiction d’habiter dans le secteur. Des logements ont été construits pour la réinstallation des survivants. Mais, dans la petite ville d’Odaka, par exemple, seuls 3 500 des 14 000 habitants sont revenus, en majorité des personnes âgées, malgré les propos rassurants des autorités sur le taux de radiation à 0.12 micro-sievert par heure, contre 2.74 en 2011. Ce discours ne passe pas. Sur les 80 000 évacués de la zone des 20 kms, 36 200 vivent toujours ailleurs. Nombreux sont ceux revenus contre leur gré, du fait de l’arrêt en 2017 de la prise en charge de leurs loyers. Ils  dénoncent une grave atteinte aux droits humains fondamentaux, celui de vivre sans risque d’irradiation. Il est en effet impossible d’aller se promener dans les forêts ou de ramasser des champignons, qui affichent des taux de radioactivité à plus de 30 000 becquerels/kg, la limite légale étant de 100 Bq/Kg. Malgré tout, le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR), affirmait en 2013 qu’aucun décès et effet néfaste sur la santé des résidents de Fukushima n’étaient attribuables directement aux radiations. Mais les habitants ne sont guère convaincus par un organisme dont les membres sont désignés par les Etats qui possèdent des réacteurs nucléaires.         

 

 Rassurer et s’habituer à « vivre avec »

 

A Tchernobyl, le pouvoir avait décidé d’abandonner la zone. A Fukushima, le gouvernement japonais s’est lancé dans un énorme chantier pour rendre la zone habitable. 8 000 employés travaillent au démantèlement jusqu’en 2051 pour un coût estimé à 200 milliards.

 

La décontamination a consisté à retirer, dans une zone de 50 kms autour de la centrale, 5 à 10 cm de terre, à élaguer les arbres, à passer les bâtiments au  nettoyeur haute pression pour ramener les taux d’exposition à 1 milisievert/an. Mais… il faut trouver un lieu de stockage de la terre et des matériaux contaminés. Pour l’heure ce sont quelque 20 millions de m3 de déchets (représentant 5 000 piscines olympiques) qui sont entreposés en plein air, attendant un lieu de stockage définitif !!!

 

Comble du cynisme, le gouvernement et les autorités nucléaires ont relevé le seuil de contamination acceptable de 1 à 20 millisieverts/an (4 fois supérieur à celui de Tchernobyl) ! Par ailleurs, ils ont stoppé les tests d’irradiation, trop anxiogènes !

 

La vague du tsunami de 15 m ayant submergé les digues, ils reconstruisent un mur de béton de 15 m de haut, derrière lequel se cache désormais le petit village de Taro et bien d’autres. Les pécheurs ne voient plus l’océan, ils le sentent : « Nous sommes dans un port et la mer nous a été ravie. Citadelle ou prison ? » Le littoral nord-est est barré de remparts de béton, de talus ou murailles… Illusions ! Des digues plus hautes, plus larges, plus longues n’arrêteront pas la puissance des vagues gigantesques.  

 

Pour l’heure, la centrale doit toujours être refroidie en permanence et l’eau utilisée irradiée s’accumule sur le site qui va atteindre sa limite de stockage en 2022. Qu’en faire ? Le déverser dans l’océan, après en avoir extrait les éléments radioactifs, semble être l’option retenue… Déjà, 300 tonnes/jour s’écoulent dans le Pacifique.

 

Parallèlement à ces mesures, le gouvernement « normalise la catastrophe », prône la résilience, à savoir « l’art de s’adapter au pire sans élucider les raisons de ce pire » (1). Ainsi, la population a dû apprendre à « vivre avec » la radioactivité, dans un « effroi sans fin » « sous le diktat des dosimètres ». La résilience, concept issu de la science des matériaux pour désigner l’aptitude d’un objet à absorber les chocs, est devenue une « technologie du consentement » qui fait partie de la « langue pétrifiée de la société industrielle » dans laquelle les victimes sont sommées de s’adapter en puisant en elles-mêmes des ressources pour dépasser les épreuves insurmontables, en évitant de s’interroger sur les causes. Au Japon, il y a même un ministère de la résilience ! C’est aussi une manière de couvrir les scandales sur le détournement (par les gangs de yakuzas et de la maffia nippone) des fonds alloués à la reconstruction, 50 % des 144 milliards attribués.

 

2 - Réaliser une « société verte », une ambition du pouvoir nippon ?

 

Après Fukushima, va-t-on assister à un arrêt ou pas du nucléaire ? Pour le Japon, l’arrêt est contraint.  De 3ème producteur mondial d’électricité nucléaire avec 54 réacteurs (après les USA et la France), il en comptait, mi-2020, 33 dont 24 sont toujours en arrêt longue durée et, sur les 9 ré-autorisés, 5 étaient à nouveau à l’arrêt fin 2020.

 

L’arrêt des centrales de 2011 à 2015 a augmenté le recours au charbon, au gaz et au pétrole, et les émissions de gaz à effet de serre. Alors, le Japon affiche sa vitrine « verte » : des champs recouverts de panneaux photovoltaïques, des villes, en bord de mer, éclairées à 92% au solaire, à l’éolien et à la géothermie, l’ouverture, en 2020, de la plus grande centrale au monde de production d’hydrogène, au photovoltaïque. Et l’interdiction annoncée par le gouvernement, d’ici à 2035, des ventes de véhicules neufs à essence ou diesel. Mais, derrière cette vitrine, la réalité est la dépendance du Japon au pétrole et au charbon, ce dernier représentait 32 % de la production totale d’électricité en 2019. Comment faire, alors que la consommation d’électricité devrait croitre de 30 à 50 % d’ici à 2050 ? Alors que le Green Deal européen de décembre 2019 évoque des taxes carbone sur les importations de pays jugés trop peu engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Le groupe US Apple, par exemple, a annoncé ne plus vouloir travailler en 2030 avec des fournisseurs qui n’utilisent pas d’électricité 100 % renouvelable. Les groupes nippons, comme Sony, sont très inquiets. Le 1er ministre Suga, fin 2020,  annonçait vouloir réduire à néant les émissions de Gaz à effet de serre d’ici 2050, tout en confirmant que l’industrie nucléaire sera essentielle pour atteindre cet objectif avec la construction de 22 nouvelles centrales.

 

Energies fossiles ou nucléaire ? Réduire la dépendance au charbon est un immense défi sans le nucléaire. Mais le nucléaire est devenu très impopulaire, d’autant que le 13 février un nouveau séisme faisait trembler la terre nippone. Tepco, la compagnie d’électricité, eut beau tenter de rassurer, elle dut avouer des fuites d’eau contaminée et le dysfonctionnement des sismomètres installés dans le bâtiment du réacteur 3 de la centrale endommagée en 2011 !   

 

A son apogée, en 2002, le parc nucléaire mondial comptait 438 réacteurs, 412 en 2020. La part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité représentait 17.5 % en 1996 et 10.3 % en 2019. Ce mouvement va-t-il se poursuivre ? Il semble que non. Pékin a construit 37 des 63 nouveaux réacteurs achevés dans 9 pays au cours des 10 ans écoulés. Corée du sud, Inde ou Russie ont poursuivi la construction de réacteurs Les Etats Unis ne peuvent laisser le champ libre au duopole russo-chinois.

 

En Europe, le parc est vieux : 90 sur 107 réacteurs en service, le sont depuis plus de 30 ans. Belgique, Espagne, Suède ont annoncé leur sortie respectivement pour 2025, 2028 et 2045. La Suisse irait jusqu’au bout de l’âge de ses réacteurs. L’Allemagne arrêterait ses 3 derniers réacteurs fin 2022. Après Fukushima, seuls 3 sont entrés en service (République tchèque, Roumanie). Reste la France avec son prototype EPR, toujours en construction à Flamanville, avec 11 ans de retard et un coût six fois plus que prévu (19 milliards), avec une cuve et des soudures défectueuses. Et pourtant EDF souhaite en construire 6 nouveaux !

 

Il faut « se préparer à l’inimaginable », affirmait, en 2011, le directeur de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Rassurant non ? En France, après 2011, quelles mesures ont été prises ?  EDF a créé une force d’action rapide du nucléaire (FARN) (3 000 personnes pouvant se déployer dans n’importe quelle centrale en moins de 24 heures), a prévu un générateur diesel d’ultime secours dans les 56 réacteurs du parc ainsi qu’une source d’eau « ultime » pérenne d’ici fin 2022 pour chaque centrale. Mais, dix ans après Fukushima et plus de 30 ans après Tchernobyl, les systèmes de refroidissement des enceintes de confinement ne sont pas installés, les visites décennales ont débuté en 2019, pour les réacteurs les plus anciens dont la maintenance laisse à désirer entraînant des incidents croissants. Qu’importe ! Macron a prolongé leur vie jusqu’à 50, voire 60 ans, et les aménagements post-Fukushima ne seront pas mis en place avant 2034. Greenpeace note qu’aucun réacteur n’est actuellement à niveau. Fuite en avant suicidaire et aventureuse en matière de sécurité, générant de surcroît, d’autres déchets alors même que le centre d’enfouissement de Bure est très contesté.

 

Quelles alternatives ? Au moment où il est plus qu’urgent de limiter les émissions de gaz à effet de serre, le nucléaire semble avoir la faveur, considéré comme « propre » d’autant que la demande en électricité augmente (véhicules, transports…) et que les sources d’énergie renouvelable sont insuffisantes. En France, la quête de terrains pour installer champs photovoltaïques, éoliens, est de plus en plus cruciale. Aujourd’hui, trois régions (Hauts de France, Grand Est et Occitanie) réunissent environ 65 % des quelque 8 000 éoliennes du pays et du fait des radars nucléaires et civils, des couloirs aériens et sites protégés, près de la moitié du territoire est interdite aux projets éoliens. En conséquence, la filière réclame la « libération de l’espace » : les préfets doivent identifier les zones propices au développement de l’éolien. Il faudra, ensuite, lever les contraintes ! Pour l’heure, les développeurs implantent des éoliennes plus performantes, plus puissantes. Même dilemme pour les centrales photovoltaïques pour lesquelles il faut trouver des terrains d’accueil, comme le photovoltaïque flottant (sur des retenues d’eau). Les idées ne manquent pas : deux énergéticiens français (Neoen et Engie) envisagent d’installer un parc photovoltaïque d’envergure en Gironde : un milliard d’euros pour  la consommation annuelle d’électricité de 600 000 personnes… en procédant à l’abattage de plus de 1 000 hectares de forêt de pins ! Le capitalisme vert est très inventif !

 

C’est par où la sortie ?

 

Quand sera-t-il question, pour les « décideurs », les « développeurs », les accros à la rentabilité financière, de stopper la course au productivisme, de remettre en cause le mythe de la croissance exigeant toujours plus d’énergie ? Jamais ! Au contraire, Fukushima ouvre une « nouvelle ère », celle du « capitalisme apocalyptique » qui cherche à « rentabiliser le malheur », « où le libéralisme effréné tente de préserver l’équilibre coûts-bénéfices en retournant l’un des pires désastres en occasion de profit ! » (2) Les catastrophes ne suffisent pas à sonner l’alerte dans leurs  certitudes ! Nous reste la conviction qu’est possible la connexion entre salariés défendant leurs emplois, soucieux des risques encourus par l’humanité, avec les défenseurs de l’écosystème. Un chantier titanesque posant les questions politiques essentielles pour une société de sobriété énergétique, pour un autre avenir possible que celui de la course vers la catastrophe annoncée.   

 

Fukushima a modifié les manifestations antinucléaires qui n’étaient plus des foules alignées sur des partis, des syndicats, mais un moment de convergence entre les luttes écologiques et antiautoritaires. Des centaines de personnes ont déserté la société de consommation, certaines se situant en rupture radicale avec le capitalisme (2). Même si le mouvement s’est épuisé en 2017, il a profondément changé l’esprit des luttes au Japon.

 

Odile Mangeot, le 17 mars 2021    

 

(1)   Thierry Ribault  Contre la résilience. A Fukushima et ailleurs,  2021, l’Echappée

(2)   Sabu Kohso Radiation et révolution : capitalisme apocalyptique et luttes pour la vie au Japon, 2021, Divergences

 

sources : Reporterre, bastamag, Politis, le Monde, Observatoire du nucléaire, CRIIRAD