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samedi 27 mars 2021

 

Nucléaire. En sortir pour s’en sortir ?

 

De nombreux « incidents » émaillent la vie des centrales nucléaires dans le monde, souvent dénommés « internes », c’est-à-dire sans conséquences (visibles) à l’extérieur. En fait, on se souvient uniquement des catastrophes : Three Mile Island (1979), Tchernobyl (1986) et Fukushima (2011). Elles nous rappellent que les centrales vieillissent, que les risques sont d’autant plus grands lorsqu’elles sont implantées dans des zones sismiques. Est-il possible de vivre sereinement dans une zone dite « décontaminée » ? C’est la question que se posent les habitants de la zone de Fukushima, 10 ans après. Quelles mesures ont été prises ? Qui sont les responsables ?

A l’heure de l’écologie à toutes les sauces vertes, ils sont nombreux à penser que le nucléaire est une énergie propre. Alors que choisir ? La course en avant jusqu’au précipice ? Ou la réflexion pour une alternative qui ne peut pas, raisonnablement, être mise en œuvre dans le cadre du capitalisme, fusse-t-il vert.

 

1 – Le mythe de l’énergie sûre et maîtrisée s’écroule

 

Les Japonais n’y croient plus. Le tsunami qui frappe la côte nord-est le 11 mars fait 18 000 victimes, anéantissant les défenses jugées imparables. Les trois réacteurs en service se mettent à l’arrêt mais, dans la salle de commande, les opérateurs ne voient pas que l’eau a envahi les installations, noyé les générateurs diesel de secours et provoqué la panne du système de refroidissement. La température grimpe dans la cuve des réacteurs 1, 2 et 3. Cinq heures plus tard, le cœur du réacteur n° 1 entre en fusion et forme un magma porté à 2 000°C qui attaque l’enceinte de confinement en acier et béton. Dans les trois jours suivants, les réacteurs 2 et 3 entrent en fusion à leur tour. L’hydrogène dégagé par les installations explose au contact de l’oxygène de l’air et endommage la structure. Les scientifiques ont perdu le contrôle de leur créature. Les capteurs de données sont en panne et les militaires et pompiers travaillent à l’aveugle puisque la centrale est plongée dans le noir. Une cinquantaine d’employés restés sur place sous l’autorité du directeur improvisent pour réussir à refroidir l’eau qui enveloppe les réacteurs. Et quand la pression est trop forte dans la cocote des réacteurs, pour qu’elle n’explose pas, ils procèdent à des lâchers de vapeur irradiée dans l’atmosphère. L’eau est rendue à l’océan, fortement contaminée. 80 000 habitants dans un rayon de 20 km sont évacués ; en réalité, ils seront 170 000 « déplacés ». Au lendemain de la catastrophe, les blindés militaires et plus de 100 000 soldats ont envahi les villages avec les mots d’ordre « Ne sortez pas ! Ne fuyez pas !…pendant que les employés de Tepco, fuyaient en masse, ayant reçu consigne de s’en aller à plus de 100 kms ! Il faudra attendre septembre pour avoir une cartographie précise de la situation.

 

On découvrira plus tard, que les travaux de sécurité avaient été négligés, que le condenseur, seul système de refroidissement disponible, n’a pas fonctionné, que les opérateurs n’étaient pas formés pour sa manipulation, que les jauges d’eau ne fonctionnaient pas affichant une situation erronée de la réalité au sein du réacteur.  

 

Qui est coupable ? En 2002, déjà, l’exploitant Tepco avait été accusé de falsification de 29 rapports de sécurité entre 1980 et 1999, dissimulant des avaries techniques. L’agence de sûreté nucléaire pointait le manque de contrôles de 33 éléments de la centrale (dont les générateurs de secours), mais l’agence, dépendant du ministère de l’économie et de l’industrie, entretenait des relations avec la Fédération des compagnies d’électricité, dirigée par… le président de Tepco, celui qui avait promis en 2008 un retour des bénéfices et des dividendes aux 740 000 actionnaires, sacrifiant, au passage, la sécurité !  Il démissionnera le 28 juin. Aucune condamnation n’a été prononcée à ce jour. 

 

Et pourtant, dès 2012, 14 000 victimes ont engagé une trentaine de procès contre le gouvernement pro-nucléaire et l’opérateur Tepco. Procédure classée sans suite en 2013. Les plaignants ont recouru à une procédure de jurés populaires aboutissant en 2015 à la mise en examen de 3 anciens dirigeants. Le procès a débuté en 2017, mais, malgré les preuves démontrant le report volontaire de travaux destinés à prévenir un éventuel tsunami, le tribunal les a acquittés en septembre 2019. Appel a été déposé  qui s’ouvre en 2021.

 

 10 ans plus tard, malgré la campagne de propagande, ils ne sont pas revenus.

 

Dès 2016, les autorités ont levé l’interdiction d’habiter dans le secteur. Des logements ont été construits pour la réinstallation des survivants. Mais, dans la petite ville d’Odaka, par exemple, seuls 3 500 des 14 000 habitants sont revenus, en majorité des personnes âgées, malgré les propos rassurants des autorités sur le taux de radiation à 0.12 micro-sievert par heure, contre 2.74 en 2011. Ce discours ne passe pas. Sur les 80 000 évacués de la zone des 20 kms, 36 200 vivent toujours ailleurs. Nombreux sont ceux revenus contre leur gré, du fait de l’arrêt en 2017 de la prise en charge de leurs loyers. Ils  dénoncent une grave atteinte aux droits humains fondamentaux, celui de vivre sans risque d’irradiation. Il est en effet impossible d’aller se promener dans les forêts ou de ramasser des champignons, qui affichent des taux de radioactivité à plus de 30 000 becquerels/kg, la limite légale étant de 100 Bq/Kg. Malgré tout, le Comité scientifique des Nations Unies pour l’étude des effets des rayonnements ionisants (UNSCEAR), affirmait en 2013 qu’aucun décès et effet néfaste sur la santé des résidents de Fukushima n’étaient attribuables directement aux radiations. Mais les habitants ne sont guère convaincus par un organisme dont les membres sont désignés par les Etats qui possèdent des réacteurs nucléaires.         

 

 Rassurer et s’habituer à « vivre avec »

 

A Tchernobyl, le pouvoir avait décidé d’abandonner la zone. A Fukushima, le gouvernement japonais s’est lancé dans un énorme chantier pour rendre la zone habitable. 8 000 employés travaillent au démantèlement jusqu’en 2051 pour un coût estimé à 200 milliards.

 

La décontamination a consisté à retirer, dans une zone de 50 kms autour de la centrale, 5 à 10 cm de terre, à élaguer les arbres, à passer les bâtiments au  nettoyeur haute pression pour ramener les taux d’exposition à 1 milisievert/an. Mais… il faut trouver un lieu de stockage de la terre et des matériaux contaminés. Pour l’heure ce sont quelque 20 millions de m3 de déchets (représentant 5 000 piscines olympiques) qui sont entreposés en plein air, attendant un lieu de stockage définitif !!!

 

Comble du cynisme, le gouvernement et les autorités nucléaires ont relevé le seuil de contamination acceptable de 1 à 20 millisieverts/an (4 fois supérieur à celui de Tchernobyl) ! Par ailleurs, ils ont stoppé les tests d’irradiation, trop anxiogènes !

 

La vague du tsunami de 15 m ayant submergé les digues, ils reconstruisent un mur de béton de 15 m de haut, derrière lequel se cache désormais le petit village de Taro et bien d’autres. Les pécheurs ne voient plus l’océan, ils le sentent : « Nous sommes dans un port et la mer nous a été ravie. Citadelle ou prison ? » Le littoral nord-est est barré de remparts de béton, de talus ou murailles… Illusions ! Des digues plus hautes, plus larges, plus longues n’arrêteront pas la puissance des vagues gigantesques.  

 

Pour l’heure, la centrale doit toujours être refroidie en permanence et l’eau utilisée irradiée s’accumule sur le site qui va atteindre sa limite de stockage en 2022. Qu’en faire ? Le déverser dans l’océan, après en avoir extrait les éléments radioactifs, semble être l’option retenue… Déjà, 300 tonnes/jour s’écoulent dans le Pacifique.

 

Parallèlement à ces mesures, le gouvernement « normalise la catastrophe », prône la résilience, à savoir « l’art de s’adapter au pire sans élucider les raisons de ce pire » (1). Ainsi, la population a dû apprendre à « vivre avec » la radioactivité, dans un « effroi sans fin » « sous le diktat des dosimètres ». La résilience, concept issu de la science des matériaux pour désigner l’aptitude d’un objet à absorber les chocs, est devenue une « technologie du consentement » qui fait partie de la « langue pétrifiée de la société industrielle » dans laquelle les victimes sont sommées de s’adapter en puisant en elles-mêmes des ressources pour dépasser les épreuves insurmontables, en évitant de s’interroger sur les causes. Au Japon, il y a même un ministère de la résilience ! C’est aussi une manière de couvrir les scandales sur le détournement (par les gangs de yakuzas et de la maffia nippone) des fonds alloués à la reconstruction, 50 % des 144 milliards attribués.

 

2 - Réaliser une « société verte », une ambition du pouvoir nippon ?

 

Après Fukushima, va-t-on assister à un arrêt ou pas du nucléaire ? Pour le Japon, l’arrêt est contraint.  De 3ème producteur mondial d’électricité nucléaire avec 54 réacteurs (après les USA et la France), il en comptait, mi-2020, 33 dont 24 sont toujours en arrêt longue durée et, sur les 9 ré-autorisés, 5 étaient à nouveau à l’arrêt fin 2020.

 

L’arrêt des centrales de 2011 à 2015 a augmenté le recours au charbon, au gaz et au pétrole, et les émissions de gaz à effet de serre. Alors, le Japon affiche sa vitrine « verte » : des champs recouverts de panneaux photovoltaïques, des villes, en bord de mer, éclairées à 92% au solaire, à l’éolien et à la géothermie, l’ouverture, en 2020, de la plus grande centrale au monde de production d’hydrogène, au photovoltaïque. Et l’interdiction annoncée par le gouvernement, d’ici à 2035, des ventes de véhicules neufs à essence ou diesel. Mais, derrière cette vitrine, la réalité est la dépendance du Japon au pétrole et au charbon, ce dernier représentait 32 % de la production totale d’électricité en 2019. Comment faire, alors que la consommation d’électricité devrait croitre de 30 à 50 % d’ici à 2050 ? Alors que le Green Deal européen de décembre 2019 évoque des taxes carbone sur les importations de pays jugés trop peu engagés dans la lutte contre le réchauffement climatique ? Le groupe US Apple, par exemple, a annoncé ne plus vouloir travailler en 2030 avec des fournisseurs qui n’utilisent pas d’électricité 100 % renouvelable. Les groupes nippons, comme Sony, sont très inquiets. Le 1er ministre Suga, fin 2020,  annonçait vouloir réduire à néant les émissions de Gaz à effet de serre d’ici 2050, tout en confirmant que l’industrie nucléaire sera essentielle pour atteindre cet objectif avec la construction de 22 nouvelles centrales.

 

Energies fossiles ou nucléaire ? Réduire la dépendance au charbon est un immense défi sans le nucléaire. Mais le nucléaire est devenu très impopulaire, d’autant que le 13 février un nouveau séisme faisait trembler la terre nippone. Tepco, la compagnie d’électricité, eut beau tenter de rassurer, elle dut avouer des fuites d’eau contaminée et le dysfonctionnement des sismomètres installés dans le bâtiment du réacteur 3 de la centrale endommagée en 2011 !   

 

A son apogée, en 2002, le parc nucléaire mondial comptait 438 réacteurs, 412 en 2020. La part du nucléaire dans la production mondiale d’électricité représentait 17.5 % en 1996 et 10.3 % en 2019. Ce mouvement va-t-il se poursuivre ? Il semble que non. Pékin a construit 37 des 63 nouveaux réacteurs achevés dans 9 pays au cours des 10 ans écoulés. Corée du sud, Inde ou Russie ont poursuivi la construction de réacteurs Les Etats Unis ne peuvent laisser le champ libre au duopole russo-chinois.

 

En Europe, le parc est vieux : 90 sur 107 réacteurs en service, le sont depuis plus de 30 ans. Belgique, Espagne, Suède ont annoncé leur sortie respectivement pour 2025, 2028 et 2045. La Suisse irait jusqu’au bout de l’âge de ses réacteurs. L’Allemagne arrêterait ses 3 derniers réacteurs fin 2022. Après Fukushima, seuls 3 sont entrés en service (République tchèque, Roumanie). Reste la France avec son prototype EPR, toujours en construction à Flamanville, avec 11 ans de retard et un coût six fois plus que prévu (19 milliards), avec une cuve et des soudures défectueuses. Et pourtant EDF souhaite en construire 6 nouveaux !

 

Il faut « se préparer à l’inimaginable », affirmait, en 2011, le directeur de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Rassurant non ? En France, après 2011, quelles mesures ont été prises ?  EDF a créé une force d’action rapide du nucléaire (FARN) (3 000 personnes pouvant se déployer dans n’importe quelle centrale en moins de 24 heures), a prévu un générateur diesel d’ultime secours dans les 56 réacteurs du parc ainsi qu’une source d’eau « ultime » pérenne d’ici fin 2022 pour chaque centrale. Mais, dix ans après Fukushima et plus de 30 ans après Tchernobyl, les systèmes de refroidissement des enceintes de confinement ne sont pas installés, les visites décennales ont débuté en 2019, pour les réacteurs les plus anciens dont la maintenance laisse à désirer entraînant des incidents croissants. Qu’importe ! Macron a prolongé leur vie jusqu’à 50, voire 60 ans, et les aménagements post-Fukushima ne seront pas mis en place avant 2034. Greenpeace note qu’aucun réacteur n’est actuellement à niveau. Fuite en avant suicidaire et aventureuse en matière de sécurité, générant de surcroît, d’autres déchets alors même que le centre d’enfouissement de Bure est très contesté.

 

Quelles alternatives ? Au moment où il est plus qu’urgent de limiter les émissions de gaz à effet de serre, le nucléaire semble avoir la faveur, considéré comme « propre » d’autant que la demande en électricité augmente (véhicules, transports…) et que les sources d’énergie renouvelable sont insuffisantes. En France, la quête de terrains pour installer champs photovoltaïques, éoliens, est de plus en plus cruciale. Aujourd’hui, trois régions (Hauts de France, Grand Est et Occitanie) réunissent environ 65 % des quelque 8 000 éoliennes du pays et du fait des radars nucléaires et civils, des couloirs aériens et sites protégés, près de la moitié du territoire est interdite aux projets éoliens. En conséquence, la filière réclame la « libération de l’espace » : les préfets doivent identifier les zones propices au développement de l’éolien. Il faudra, ensuite, lever les contraintes ! Pour l’heure, les développeurs implantent des éoliennes plus performantes, plus puissantes. Même dilemme pour les centrales photovoltaïques pour lesquelles il faut trouver des terrains d’accueil, comme le photovoltaïque flottant (sur des retenues d’eau). Les idées ne manquent pas : deux énergéticiens français (Neoen et Engie) envisagent d’installer un parc photovoltaïque d’envergure en Gironde : un milliard d’euros pour  la consommation annuelle d’électricité de 600 000 personnes… en procédant à l’abattage de plus de 1 000 hectares de forêt de pins ! Le capitalisme vert est très inventif !

 

C’est par où la sortie ?

 

Quand sera-t-il question, pour les « décideurs », les « développeurs », les accros à la rentabilité financière, de stopper la course au productivisme, de remettre en cause le mythe de la croissance exigeant toujours plus d’énergie ? Jamais ! Au contraire, Fukushima ouvre une « nouvelle ère », celle du « capitalisme apocalyptique » qui cherche à « rentabiliser le malheur », « où le libéralisme effréné tente de préserver l’équilibre coûts-bénéfices en retournant l’un des pires désastres en occasion de profit ! » (2) Les catastrophes ne suffisent pas à sonner l’alerte dans leurs  certitudes ! Nous reste la conviction qu’est possible la connexion entre salariés défendant leurs emplois, soucieux des risques encourus par l’humanité, avec les défenseurs de l’écosystème. Un chantier titanesque posant les questions politiques essentielles pour une société de sobriété énergétique, pour un autre avenir possible que celui de la course vers la catastrophe annoncée.   

 

Fukushima a modifié les manifestations antinucléaires qui n’étaient plus des foules alignées sur des partis, des syndicats, mais un moment de convergence entre les luttes écologiques et antiautoritaires. Des centaines de personnes ont déserté la société de consommation, certaines se situant en rupture radicale avec le capitalisme (2). Même si le mouvement s’est épuisé en 2017, il a profondément changé l’esprit des luttes au Japon.

 

Odile Mangeot, le 17 mars 2021    

 

(1)   Thierry Ribault  Contre la résilience. A Fukushima et ailleurs,  2021, l’Echappée

(2)   Sabu Kohso Radiation et révolution : capitalisme apocalyptique et luttes pour la vie au Japon, 2021, Divergences

 

sources : Reporterre, bastamag, Politis, le Monde, Observatoire du nucléaire, CRIIRAD