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samedi 27 mars 2021

 

Birmanie, Sénégal … répressions toujours !

 

Au cours des dernières semaines, on a peu parlé dans les médias de 2 pays qui ont connu des mouvements populaires : la Birmanie et le Sénégal.

 

En Birmanie

 

Après 50 années de dictature militaire, puis 10 de « démocratie » contrôlée par ces mêmes militaires, le Peuple, à travers les élections, s’est exprimé en masse pour accéder à un vrai régime démocratique. La junte s’est sentie menacée, a annulé les élections et repris le pouvoir.

 

Depuis le 1° février 2021, les manifestations quotidiennes réclament le départ des militaires. Malgré la répression féroce, plus de 250 morts annoncés à ce jour (probablement plus), la rue ne cède pas, la contestation ne faiblit pas. Les jeunes sont souvent les fers de lance de ce mouvement. Le Conseil de Sécurité de l’ONU a appelé la junte à « faire preuve de retenue face aux manifestants ». Mais sur le terrain, dans les rues des villes birmanes, les manifestants sont seuls face à la police et à l’armée. Celles-ci les répriment violemment en tirant à balles réelles. Elles agissent également la nuit, coupent internet, téléphone… puis arrêtent les gens à leur domicile. Les premiers cas de tortures, de mutilations sur les cadavres récupérés par les familles, apparaissent. La junte n’a que faire des résolutions onusiennes.

 

La résistance s’est organisée.

La violence de la police et de l’armée s’est accentuée depuis le 3 mars et le 17 mars, la junte a éliminé l’ensemble des journaux papier indépendants et procédé à l’arrestation de nombreux journalistes.

 

Mais cette politique de terreur n’a pas réussi à interrompre les manifestations. Des jeunes hommes et jeunes femmes organisent l’autodéfense et font preuve d’un courage impressionnant. Ils, elles sont les frontliners et se placent devant les manifestants, protégés par des boucliers. Ma Thu Thu, une jeune femme, dès le 28 février, a décidé qu’il fallait protéger les manifestants de la journée de « l’Alliance du thé au lait » (alliance souple de mouvements pro-démocratiques en Thaïlande, à Hong Kong, à Taïwan et maintenant au Myanmar). « J’ai publié cette idée sur facebook et une de mes amies a fait don de 30 boucliers, j’ai discuté avec mes amis masculins et nous avons décidé de nous porter volontaires en première ligne ». Les porteurs de boucliers, le groupe Tank est en première ligne. Juste derrière eux, se place un groupe chargé de contrer les volées de gaz lacrymogènes, notamment en étouffant les grenades avec des sacs d’eau et des morceaux de tissu imbibés, et dans certains cas, en les arrosant avec un extincteur. « Nous savons que nous risquons notre vie » mais « la révolution doit gagner ! »

 

Le Mouvement de désobéissance civile contre le régime militaire a pris d’autres formes : une grève des fonctionnaires, des manifestations de masse dans les rues et un boycott des entreprises liées à l’armée.

 

Depuis février, médecins, enseignants, employés de banques et des chemins de fer sont en grève. Le 8 mars, le pays a été paralysé par l’appel des 9 des plus importants syndicats à l’arrêt complet et prolongé de l’économie. Pour briser la grève, la police et les soldats ont expulsé le 10 mars, manu militari, plus de 1 000 employés des chemins de fer, de leurs logements publics pour avoir participé au mouvement de désobéissance civile. 90 % des 30 000 employés ont rejoint la grève.

 

Parallèlement, le MDC a lancé la campagne de « sanction sociale » (1) contre les familles des hauts responsables du régime. Les proches de la junte militaire ont été identifiés sur  les réseaux sociaux : leur domicile, leur travail, les universités étrangères que leurs enfants fréquentent, etc. et la population est invitée à les ostraciser, à leur faire honte et à boycotter leurs entreprises. Il s’agit, pour les manifestants, de désigner ceux qui maintiennent le pays  dans l’injustice, la misère et les inégalités, de les inciter à faire profil bas, voire  à  condamner le coup d’Etat… Cette campagne est une forme de vindicte pour les anciens prisonniers politiques et militants de longue date en faveur de la démocratie, qui ont subi cette sanction sociale, sous la précédente junte. Ces dissidents n’ont pas seulement été emprisonnés pendant des années et torturés ; après leur libération, eux-mêmes et leurs familles ont été délibérément marginalisés, incapables de se réintégrer dans la société. Leurs proches travaillant dans la fonction publique ont été licenciés, les passeports leur étaient refusés, ce qui les empêchait de fuir à l’étranger ; les enseignants étaient incités à discriminer leurs enfants à l’école, etc. Cet ostracisme a persisté pendant des décennies. Pendant que les généraux et leur entourage envoyaient leurs enfants dans des écoles à l’étranger, les enfants des citoyens du Myanmar n’avaient pas accès à une éducation appropriée ou à un travail permettant de vivre dignement. Ils se sont sentis asservis. Dans une société juste, aucun enfant ne devrait avoir à payer pour les actes de ses parents, mais cette campagne est le produit naturel de décennies d’injustice et de ressentiment. Cet héritage néfaste ne pourra être surmonté que si la dictature militaire prend fin et que la démocratie et les droits de l’homme peuvent s’épanouir.     

 

Au Sénégal

 

C’est également la jeunesse qui est au 1° rang des mouvements de contestations. Pourtant la situation de départ est totalement différente dans cette ancienne colonie française. Présents dès 1677, les Français utilisent l’île de Gorée comme point de départ des navires d’esclaves vers les Amériques. Un commerce d’arachides, d’or, d’épices… se met en place et assure la prospérité économique des classes blanches dirigeantes. En 1895, le Sénégal fait partie de l’Afrique Occidentale Française (OAF). Les colons blancs continueront à s’enrichir facilement. Quant aux Sénégalais, ils viendront mourir sur le sol français au cours des deux guerres mondiales.

 

Depuis son indépendance en 1960, des présidents élus se sont succédé. Ce pays n’a jamais connu de coup d’Etat. Il a vécu 60 années de démocratie, mais une « démocratie » post coloniale à la française. La feuille de route des dirigeants était, et est toujours, d’assurer à la France un accès privilégié aux richesses du pays et d’en assurer la stabilité. En échange, l’ancien colonisateur ferme les yeux sur les agissements des dirigeants : train de vie fastueux, répression féroce.

 

Léopold Sedar Senghor, 1° président, souvent présenté comme un grand humaniste, n’a pas hésité à emprisonner Mamadou Dia, son opposant en 1962 afin de calmer les velléités de toute l’opposition. Cela lui permit d’être réélu jusqu’en 1980, dans un régime de Parti Unique. Mamadou Dia, lui, restera en prison jusqu’en 1974. Les Présidents se succèderont. Abou Diouf (1981-2001), Abdoulaye Wade (2001-2012), puis Macky Sall, Président actuel, sans changement pour la population. Comme dans beaucoup de pays africains, celle-ci est pauvre. Le revenu moyen par habitant est d’environ 1000 euros/an. 40 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Concernant l’Indice de Développement Humain, le pays était classé en 2018, 160° sur 174. Certes, le Sénégal ne regorge pas de matières premières, il se trouve dans la zone sahélienne, donc pas très favorable pour l’agriculture, mais chaque Sénégalais devrait pouvoir vivre très décemment dans ce pays. Certains y arrivent sans trop de problème :

-        Léopold Sedar Senghor a fini sa vie dans une villa cossue de Normandie. Sa veuve a vendu en février 2021 un tableau de Soulages qui lui appartenait, pour la modique somme de 1,5 million d’euros

-        Macky Sall, le Président actuel, a déclaré une fortune de 2 millions d’euros (7 villas au Sénégal, 1 appartement à Houston au Texas, des parts dans des sociétés immobilières). En outre, il possède 35 véhicules dont la valeur n’est pas connue (certainement des Renault 4 ou des Peugeot 205 !!!).

 

Tant qu’il y avait un peu de croissance, quelques revenus provenant du pétrole, du gaz ou de l’or, tant que la pêche, l’agriculture permettaient de nourrir de nombreuses familles sénégalaises, la population subissait sans rien dire, s’adaptait, se débrouillait… Mais depuis quelques années, la situation s’est détériorée : la baisse des prix des matières premières, les premiers  effets du dérèglement climatique,  la baisse spectaculaire des produits de la pêche, dont la ressource est pillée par les chalutiers-usines étrangers, ont sensiblement dégradé les conditions de vie du peuple sénégalais. S’est rajoutée en 2019 la crise du Covid qui a été un véritable séisme pour l’économie. La diaspora qui, par ses envois d’argent, participait pour 15 % du PIB a très nettement diminué sa manne. Les mesures de confinement ont mis à mal toute l’économie parallèle. Le travail non déclaré fait vivre un grand nombre de Sénégalais, pour eux, l’équation est simple : pas de travail, pas de revenu. L’industrie du tourisme s’est totalement effondrée. La misère est devenue insupportable pour le plus grand nombre.

 

Dans cette situation, il suffisait d’une étincelle pour mettre le feu au pays.  Celle-ci se produisit le 3 mars 2021 quand Ousmane Sonko, Chef de l’Opposition au Président Macky Sall, fut emprisonné pour trouble à l’ordre public. Convoqué au Tribunal pour une affaire privée,  il s’y est rendu accompagné de partisans. Ce déplacement s’est déroulé sans aucune violence, sous une forme festive et musicale. Mal lui en a pris. C’est pour ce soi-disant trouble à l’ordre public qu’il a été incarcéré et non pas pour l’affaire qui l’avait amené au Tribunal. Aux yeux de ses partisans et de toutes personnes un peu sensées, cela est apparu comme un piège grossier pour l’empêcher de se présenter aux prochaines élections présidentielles.

 

Tout comme en Birmanie, une grande part de la population honnit le pouvoir en place de Macky Sall. Elle est descendue dans la rue pour exprimer son mécontentement, sa lassitude, son désir de changement. Face à ces mouvements populaires, le pouvoir sénégalais a répondu par la violence. Au moins 10 personnes ont été tuées (probablement plus), 600 blessés, sans doute plus aussi car les chiffres sont difficiles à vérifier. Les armes utilisées contre les manifestants,  grenades lacrymogènes, lanceurs de balles en caoutchouc, blindés, armes à feu, sont quasiment toutes made in France. La France étant considérée, à juste titre, comme le principal soutien du pouvoir en place, de nombreux magasins français ont été détruits ou pillés.  

En Birmanie, les mêmes causes produisant les mêmes effets ce sont des magasins chinois qui ont été saccagés.

 

Dans ces deux pays, à partir de situations totalement différentes, on arrive au même résultat : une grande partie du peuple, seul, face à des pouvoirs qui agissent pour leurs propres intérêts, au service d’une puissance qui les téléguide, au détriment de la population. Aucune solution démocratique réelle n’étant en vue, ne reste que la rue pour faire valoir ses justes droits, avec tous les dangers que cela représente. Rien à attendre du côté international, seules quelques déclarations qui ont dû faire sourire les dirigeants birmans et sénégalais.

 

Le point commun entre ces deux pays est le même espoir dans  la jeunesse, plus informée, plus éduquée que les générations précédentes. Dans ces deux cas, c’est elle qui mène la lutte et la résistance. Elle a compris la situation dans le pays, elle a compris qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même.

 

En Birmanie, c’est le mouvement de désobéissance civile qui touche tout le pays, menée principalement par les enseignants et les cheminots. A noter que les moines bouddhistes encore très influents auprès de la population très âgée n’y participent pas, contrairement à 2007 où ils étaient en première ligne.  Le bras de fer continue donc depuis près de 2 mois. On aurait pu penser que le 22-2-2021, journée considérée comme cruciale pour les manifestants, en référence à la passion des Birmans pour l’astrologie et la numérologie, mais, ce jour-là, l’armée voulut, violemment, mettre un coup d’arrêt à la contestation, en jetant toutes ses forces dans la bataille. La répression fut terrible mais n’a pas arrêté le mouvement. La lutte continue. Elle peut toujours basculer en faveur soit du peuple soit de la junte. Mais l’on ne peut que s’inquiéter d’une Birmanie qui se ferme tous les jours davantage (journalistes, internet et téléphones mobiles… Seuls les journaux d’Etat sont disponibles.

 

Même constat au Sénégal. Ousmane Sonko a été libéré sous la pression de la rue. Mais il est toujours inculpé et soumis à un contrôle judiciaire. Après une médiation, le Mouvement de Défense de la Démocratie (M2D) a accepté de suspendre les manifestations. En retour, il attend la libération des prisonniers politiques, une commission indépendante pour indemniser les familles des victimes, la traduction en justice des responsables de la répression et l’arrêt immédiat du complot fomenté contre Ousmane Sonko. Le pouvoir a tenté de dépolitiser la crise, dans un espace politique sénégalais déjà en ruines, Macky Sall s’étant débarrassé de tous ses rivaux. Il s’apprête à briguer un 3ème mandat.

 

La situation parait calme mais les raisons de la colère sont toujours bien réelles et il suffira d’une nouvelle étincelle pour enflammer à nouveau le pays.

 

Jean-Louis Lamboley, le 20 mars 2021  

 

(1)  Extraits d’un article paru le 18 mars 2021 sur le site alencontre.org/ 

 

Des activistes demandent à Total de suspendre ses paiements

 

Présent en Birmanie depuis 1992, le groupe français y exploite principalement les champs en mer Yadana et Sein, qui assurent la moitié de la consommation du gaz du pays, et  12% de celle de la Thaïlande, via un gazoduc de la compagnie nationale MOGE.

« Total est préoccupé par la situation et espère une solution pacifique ». Cette déclaration de Total a déclenché sur le réseau social de vives réactions des opposants à l’armée birmane, certains lui demandant de « couper l’électricité ».

Le groupement d’activistes "Justice pour la Birmanie" a, de son côté, estimé que Total devait faire suivre ses paroles d’actes « en suspendant tous les paiements à la junte militaire illégale ».

L’enquêteur des droits de l’homme des Nations Unies sur la Birmanie, Tom Andrews, a déclaré dans un rapport, début mars, que les pays devraient imposer des sanctions à la société Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), désormais contrôlée par l’armée et qui représente sa plus importante source de revenus.

Selon les dernières données disponibles, Total a versé à la Birmanie 786,5 millions de dollars sur la période 2015-2019, dont 166,6 millions au ministère des Finances et 619,9 millions à MOGE.