Birmanie,
Sénégal … répressions toujours !
Au
cours des dernières semaines, on a peu parlé dans les médias de 2 pays qui ont
connu des mouvements populaires : la Birmanie et le Sénégal.
En Birmanie
Après
50 années de dictature militaire, puis 10 de « démocratie » contrôlée
par ces mêmes militaires, le Peuple, à travers les élections, s’est exprimé en
masse pour accéder à un vrai régime démocratique. La junte s’est sentie
menacée, a annulé les élections et repris le pouvoir.
Depuis
le 1° février 2021, les manifestations quotidiennes réclament le départ des
militaires. Malgré la répression féroce, plus de 250 morts annoncés à ce jour
(probablement plus), la rue ne cède pas, la contestation ne faiblit pas.
Les jeunes sont souvent les fers de lance de ce mouvement. Le Conseil de
Sécurité de l’ONU a appelé la junte à « faire preuve de retenue face
aux manifestants ». Mais sur le terrain, dans les rues des villes
birmanes, les manifestants sont seuls face à la police et à l’armée. Celles-ci
les répriment violemment en tirant à balles réelles. Elles agissent également
la nuit, coupent internet, téléphone… puis arrêtent les gens à leur domicile.
Les premiers cas de tortures, de mutilations sur les cadavres récupérés par les
familles, apparaissent. La junte n’a que faire des résolutions onusiennes.
La résistance s’est organisée.
La violence de la police et de l’armée s’est
accentuée depuis le 3 mars et le 17 mars, la junte a éliminé l’ensemble des
journaux papier indépendants et procédé à l’arrestation de nombreux
journalistes.
Mais cette politique de terreur n’a pas réussi à
interrompre les manifestations. Des jeunes hommes et jeunes femmes organisent
l’autodéfense et font preuve d’un courage impressionnant. Ils, elles sont les frontliners et se placent devant les
manifestants, protégés par des boucliers. Ma Thu Thu, une jeune femme, dès le
28 février, a décidé qu’il fallait protéger les manifestants de la journée de « l’Alliance du thé au lait »
(alliance souple de mouvements pro-démocratiques en Thaïlande, à Hong Kong, à
Taïwan et maintenant au Myanmar). « J’ai
publié cette idée sur facebook et une de mes amies a fait don de 30 boucliers,
j’ai discuté avec mes amis masculins et nous avons décidé de nous porter
volontaires en première ligne ». Les porteurs de boucliers, le groupe Tank est en première ligne. Juste
derrière eux, se place un groupe chargé de contrer les volées de gaz
lacrymogènes, notamment en étouffant les grenades avec des sacs d’eau et des
morceaux de tissu imbibés, et dans certains cas, en les arrosant avec un
extincteur. « Nous savons que nous risquons notre vie » mais « la
révolution doit gagner ! »
Le Mouvement
de désobéissance civile contre le régime militaire a pris d’autres formes : une grève des
fonctionnaires, des manifestations de masse dans les rues et un boycott des
entreprises liées à l’armée.
Depuis février, médecins, enseignants, employés de
banques et des chemins de fer sont en grève. Le 8 mars, le pays a été paralysé
par l’appel des 9 des plus importants syndicats à l’arrêt complet et prolongé
de l’économie. Pour briser la grève, la police et les soldats ont expulsé le 10
mars, manu militari, plus de 1 000 employés des chemins de fer, de leurs
logements publics pour avoir participé au mouvement de désobéissance civile. 90
% des 30 000 employés ont rejoint la grève.
Parallèlement, le MDC a lancé la campagne de « sanction sociale » (1) contre les
familles des hauts responsables du régime. Les proches de la junte militaire
ont été identifiés sur les réseaux
sociaux : leur domicile, leur travail, les universités étrangères que
leurs enfants fréquentent, etc. et la population est invitée à les ostraciser,
à leur faire honte et à boycotter leurs entreprises. Il s’agit, pour les
manifestants, de désigner ceux qui maintiennent le pays dans l’injustice, la misère et les inégalités,
de les inciter à faire profil bas, voire à
condamner le coup d’Etat… Cette campagne est une forme de vindicte pour
les anciens prisonniers politiques et militants de longue date en faveur de la
démocratie, qui ont subi cette sanction sociale, sous la précédente junte. Ces
dissidents n’ont pas seulement été emprisonnés pendant des années et
torturés ; après leur libération, eux-mêmes et leurs familles ont été
délibérément marginalisés, incapables de se réintégrer dans la société. Leurs
proches travaillant dans la fonction publique ont été licenciés, les passeports
leur étaient refusés, ce qui les empêchait de fuir à l’étranger ; les
enseignants étaient incités à discriminer leurs enfants à l’école, etc. Cet
ostracisme a persisté pendant des décennies. Pendant que les généraux et leur
entourage envoyaient leurs enfants dans des écoles à l’étranger, les enfants
des citoyens du Myanmar n’avaient pas accès à une éducation appropriée ou à un
travail permettant de vivre dignement. Ils se sont sentis asservis. Dans une
société juste, aucun enfant ne devrait avoir à payer pour les actes de ses
parents, mais cette campagne est le produit naturel de décennies d’injustice et
de ressentiment. Cet héritage néfaste ne pourra être surmonté que si la
dictature militaire prend fin et que la démocratie et les droits de l’homme
peuvent s’épanouir.
Au Sénégal
C’est
également la jeunesse qui est au 1° rang des mouvements de contestations.
Pourtant la situation de départ est totalement différente dans cette ancienne
colonie française. Présents dès 1677, les Français utilisent l’île de Gorée
comme point de départ des navires d’esclaves vers les Amériques. Un commerce
d’arachides, d’or, d’épices… se met en place et assure la prospérité économique
des classes blanches dirigeantes. En 1895, le Sénégal fait partie de l’Afrique
Occidentale Française (OAF). Les
colons blancs continueront à s’enrichir facilement. Quant aux Sénégalais, ils
viendront mourir sur le sol français au cours des deux guerres mondiales.
Depuis
son indépendance en 1960, des présidents élus se sont succédé. Ce pays
n’a jamais connu de coup d’Etat. Il a vécu 60 années de démocratie, mais une « démocratie » post coloniale
à la française. La feuille de route des dirigeants était, et est toujours,
d’assurer à la France un accès privilégié aux richesses du pays et d’en assurer
la stabilité. En échange, l’ancien colonisateur ferme les yeux sur les
agissements des dirigeants : train de vie fastueux, répression féroce.
Léopold
Sedar Senghor, 1° président, souvent présenté comme un grand humaniste, n’a pas
hésité à emprisonner Mamadou Dia, son opposant en 1962 afin de calmer les velléités
de toute l’opposition. Cela lui permit d’être réélu jusqu’en 1980, dans un
régime de Parti Unique. Mamadou Dia, lui, restera en prison jusqu’en 1974. Les
Présidents se succèderont. Abou Diouf (1981-2001), Abdoulaye Wade (2001-2012),
puis Macky Sall, Président actuel, sans changement pour la population. Comme
dans beaucoup de pays africains, celle-ci est pauvre. Le revenu moyen par
habitant est d’environ 1000 euros/an. 40 % des habitants vivent sous
le seuil de pauvreté. Concernant l’Indice de Développement Humain, le pays
était classé en 2018, 160° sur 174. Certes, le Sénégal ne regorge pas de
matières premières, il se trouve dans la zone sahélienne, donc pas très
favorable pour l’agriculture, mais chaque Sénégalais devrait pouvoir vivre très
décemment dans ce pays. Certains y arrivent sans trop de problème :
-
Léopold Sedar
Senghor a fini sa vie dans une villa cossue de Normandie. Sa veuve a vendu en
février 2021 un tableau de Soulages qui lui appartenait, pour la modique somme
de 1,5 million d’euros
-
Macky Sall, le
Président actuel, a déclaré une fortune de 2 millions d’euros (7 villas au
Sénégal, 1 appartement à Houston au Texas, des parts dans des sociétés
immobilières). En outre, il possède 35 véhicules dont la valeur n’est pas
connue (certainement des Renault 4 ou des Peugeot 205 !!!).
Tant
qu’il y avait un peu de croissance, quelques revenus provenant du pétrole, du
gaz ou de l’or, tant que la pêche, l’agriculture permettaient de nourrir de
nombreuses familles sénégalaises, la population subissait sans rien dire,
s’adaptait, se débrouillait… Mais depuis quelques années, la situation s’est détériorée :
la baisse des prix des matières premières, les premiers effets du dérèglement climatique, la baisse spectaculaire des produits de la pêche,
dont la ressource est pillée par les chalutiers-usines étrangers, ont
sensiblement dégradé les conditions de vie du peuple sénégalais. S’est rajoutée
en 2019 la crise du Covid qui a été un véritable séisme pour l’économie.
La diaspora qui, par ses envois d’argent, participait pour 15 % du PIB a très
nettement diminué sa manne. Les mesures de confinement ont mis à mal toute
l’économie parallèle. Le travail non déclaré fait vivre un grand nombre de Sénégalais,
pour eux, l’équation est simple : pas de travail, pas de revenu.
L’industrie du tourisme s’est totalement effondrée. La misère est devenue
insupportable pour le plus grand nombre.
Dans
cette situation, il suffisait d’une étincelle
pour mettre le feu au pays. Celle-ci
se produisit le 3 mars 2021 quand Ousmane Sonko, Chef de l’Opposition
au Président Macky Sall, fut emprisonné pour trouble à l’ordre public. Convoqué
au Tribunal pour une affaire privée, il
s’y est rendu accompagné de partisans. Ce déplacement s’est déroulé sans aucune
violence, sous une forme festive et musicale. Mal lui en a pris. C’est pour ce
soi-disant trouble à l’ordre public qu’il a été incarcéré et non pas pour
l’affaire qui l’avait amené au Tribunal. Aux yeux de ses partisans et de toutes
personnes un peu sensées, cela est apparu comme un piège grossier pour
l’empêcher de se présenter aux prochaines élections présidentielles.
Tout
comme en Birmanie, une grande part de la population honnit le pouvoir en place de
Macky Sall. Elle est descendue dans la rue pour exprimer son mécontentement, sa
lassitude, son désir de changement. Face à ces mouvements populaires, le
pouvoir sénégalais a répondu par la violence. Au moins 10 personnes ont été
tuées (probablement plus), 600 blessés, sans doute plus aussi car les chiffres
sont difficiles à vérifier. Les armes
utilisées contre les manifestants, grenades lacrymogènes, lanceurs de balles en caoutchouc,
blindés, armes à feu, sont quasiment toutes made in France.
La France étant considérée, à juste titre, comme le principal soutien du
pouvoir en place, de nombreux magasins français ont été détruits ou pillés.
En
Birmanie, les mêmes causes produisant les mêmes effets ce sont des magasins
chinois qui ont été saccagés.
Dans
ces deux pays, à partir de situations totalement différentes, on arrive au même
résultat : une grande partie du peuple, seul, face à des pouvoirs qui
agissent pour leurs propres intérêts, au service d’une puissance qui les
téléguide, au détriment de la population. Aucune solution démocratique réelle n’étant
en vue, ne reste que la rue pour faire valoir ses justes droits, avec tous les
dangers que cela représente. Rien à attendre du côté international, seules quelques
déclarations qui ont dû faire sourire les dirigeants birmans et sénégalais.
Le
point commun entre ces deux pays est le même espoir dans la jeunesse, plus informée, plus
éduquée que les générations précédentes. Dans ces deux cas, c’est elle qui mène
la lutte et la résistance. Elle a compris la situation dans le pays,
elle a compris qu’elle ne pouvait compter que sur elle-même.
En Birmanie, c’est le mouvement de désobéissance civile qui
touche tout le pays, menée principalement par les enseignants et les cheminots.
A noter que les moines bouddhistes encore très influents auprès de la
population très âgée n’y participent pas, contrairement à 2007 où ils étaient
en première ligne. Le bras de fer
continue donc depuis près de 2 mois. On aurait pu penser que le 22-2-2021,
journée considérée comme cruciale pour les manifestants, en référence à la
passion des Birmans pour l’astrologie et la numérologie, mais, ce jour-là, l’armée
voulut, violemment, mettre un coup d’arrêt à la contestation, en jetant toutes
ses forces dans la bataille. La répression fut terrible mais n’a pas arrêté le
mouvement. La lutte continue. Elle peut toujours basculer en faveur soit du
peuple soit de la junte. Mais l’on ne peut que s’inquiéter d’une Birmanie qui
se ferme tous les jours davantage (journalistes, internet et téléphones
mobiles… Seuls les journaux d’Etat sont disponibles.
Même
constat au Sénégal. Ousmane Sonko a
été libéré sous la pression de la rue. Mais il est toujours inculpé et soumis à
un contrôle judiciaire. Après une médiation, le Mouvement de Défense de la
Démocratie (M2D) a accepté de suspendre les manifestations. En retour, il
attend la libération des prisonniers politiques, une commission indépendante
pour indemniser les familles des victimes, la traduction en justice des
responsables de la répression et l’arrêt immédiat du complot fomenté contre
Ousmane Sonko. Le pouvoir a tenté de dépolitiser la crise, dans un espace
politique sénégalais déjà en ruines, Macky Sall s’étant débarrassé de tous ses
rivaux. Il s’apprête à briguer un 3ème mandat.
La
situation parait calme mais les raisons de la colère sont toujours bien réelles
et il suffira d’une nouvelle étincelle pour enflammer à nouveau le pays.
Jean-Louis
Lamboley, le 20 mars 2021
(1) Extraits d’un article paru le 18 mars 2021 sur le site
alencontre.org/
Des activistes
demandent à Total de suspendre ses paiements
Présent
en Birmanie depuis 1992, le groupe français y exploite principalement les
champs en mer Yadana et Sein, qui assurent la moitié de la consommation du gaz
du pays, et 12% de celle de la
Thaïlande, via un gazoduc de la compagnie nationale MOGE.
« Total
est préoccupé par la situation et espère une solution pacifique ». Cette
déclaration de Total a déclenché sur le réseau social de vives réactions des
opposants à l’armée birmane, certains lui demandant de « couper
l’électricité ».
Le
groupement d’activistes "Justice
pour la Birmanie" a, de son côté, estimé que Total devait faire suivre
ses paroles d’actes « en suspendant
tous les paiements à la junte militaire illégale ».
L’enquêteur
des droits de l’homme des Nations Unies sur la Birmanie, Tom Andrews, a déclaré
dans un rapport, début mars, que les pays devraient imposer des sanctions à la
société Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE), désormais contrôlée par l’armée
et qui représente sa plus importante source de revenus.
Selon
les dernières données disponibles, Total
a versé à la Birmanie 786,5 millions de dollars sur la période 2015-2019,
dont 166,6 millions au ministère des Finances et 619,9 millions à MOGE.