Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


samedi 27 mars 2021

 

Se réapproprier le passé récent (1)

 

Le paysage électoral est nécrosé par le macronisme. La défiance vis-à-vis des partis politiques et même des syndicats est telle qu’elle nécessite un effort particulier pour se réapproprier notre passé, comprendre le moment présent et les difficultés et obstacles qui risquent de survenir dans les prochains mois.

 

Mon propos, ici, se réduit à intervenir sur « le néolibéralisme, une idéologie qui avance masquée ». La question que l’on doit se poser est celle du processus matériel et idéologique qui a permis au néolibéralisme de s’affirmer.

 

Il s’agit, en effet, d’abord, d’un processus structurel de modification du capitalisme, résultant de la crise du fordisme et du keynésianisme. Au sortir de la guerre, après les dégâts provoqués par la crise de 1929 et la montée du fascisme, l’idée s’est imposé de réguler, par l’Etat, le capitalisme, Keynes affirmant qu’il fallait « euthanasier les rentiers du capital ». En outre, la présence de l’Union soviétique, dont les méfaits internes n’étaient guère connus, a amené les forces politiques à instituer un Etat redistributeur ; la reconstruction et la croissance qui s’en sont suivi a très vite buté sur les limites nationales de chaque pays, suscitant la crise des années 1970. Il s’agissait dès lors, pour le capital, de faire sauter un certain nombre de verrous, la liberté du capital, les tarifs douaniers, et de réduire les interventions de l’Etat.

 

Le support idéologique de cette transformation est à rechercher parmi les intellectuels libéraux qui n’avaient pas renoncé à prôner la liberté du marché. Ainsi, dès la libération du nazisme, des auteurs comme Friedman et Hayek se sont regroupés dans la Société du Mont-Pellerin pour propager des thèses de déréglementation et de liberté du marché. C’est là où se trouve la source du néolibéralisme qui s’est d’abord implanté aux Etats-Unis avec l’Ecole de Chicago. L’expérimentation grandeur nature de leurs idées fut le Chili de Pinochet. Les Golden boys à l’œuvre s’attachèrent à détruire tout ce qu’avait entrepris Allende. Ce fut ensuite le Royaume Uni de Thatcher puis les Etats-Unis de Reagan et, enfin, Mitterrand en 1983, Schröder en Allemagne…, qui entreprirent de détruire ce qu’on a appelé un peu vite « l’Etat social ».

 

Il faut souligner que le capitalisme contient trois composantes : la finance, le secteur industriel et le capital commercial. C’est la domination de la finance qui a provoqué, sur la base d’une surproduction relative, les crises du capitalisme. Pour conquérir de nouveaux marchés, le néolibéralisme s’est doté de politiques qui ont eu des conséquences désastreuses : les Etats se sont obligés à emprunter auprès des banques privées, des sociétés d’assurances, des spéculateurs. Les entreprises ont été organisées (et autorisées) pour se délocaliser, recourir à la sous-traitance, à l’externalisation et à faire baisser le prix de la force de travail, la production s’est modifiée : flux tendus, zéro stock, robotisation. Ce processus s’est accéléré après la chute du mur et de l’URSS ainsi que les théories idéologiques répandues de « la fin de l’histoire » et de l’affirmation péremptoire qu’« il n’y a pas d’alternative ». Les idéologues dominants ont fait croire au caractère prétendument néfaste de l’Etat interventionniste dans l’économie. Ils ont prôné la liberté du marché autorégulateur et valorisé le recours à la Bourse et aux actionnaires.

 

Le recours aux bas salaires dans les pays du Sud a favorisé l’éclosion des inégalités, l’accumulation des richesses par une oligarchie transnationale. Les idéologues néolibéraux, myopes, n’ont pas tiré les leçons de l’histoire économique, celle des crises inhérentes au capitalisme, comme le dernière en date, celle de 2007-2008. L’on peut se poser la question de savoir si les Trente Glorieuses n’ont pas été une parenthèse dans l’histoire du capitalisme qui s’est imposée après les destructions de la 2ème guerre mondiale, et qu’elle s’est refermée. Le capitalisme en est revenu à ses fondamentaux.

 

Le retour de la lutte des classes par la défense d’abord des acquis sociaux, issus, pour la France, du Conseil National de la Résistance, puis de l’émergence de mouvements irrépressibles, comme celui des Gilets Jaunes, incite de nombreux pays à recourir à la répression et au  nationalisme chauvin et xénophobe. C’est ainsi que l’on voit réapparaître des notions justifiant les inégalités : il y a « ceux qui réussissent et ceux qui ne sont rien », « il faut avoir une montre Rolex à 30 ans »… En ce sens, on peut parler de darwinisme social, fait par ailleurs de mépris de classe qui gangrène toute la société. Les classes moyennes supérieures méprisant la petite bourgeoisie, celle-ci méprisant à son tour les ouvriers et les employés, ces derniers rejetant les « cas sociaux » et tous pointant du doigt les étrangers et les migrants. Cette concurrence entre groupes sociaux, alimentée par l’idéologie dominante, fait les choux gras de l’extrême droite.

 

Tout cela pour dire qu’il est nécessaire de promouvoir une alternative qui rassemble les classes ouvrières et populaires et tous ceux qui subissent la dégradation de leurs conditions de vie du fait même, entre autres, de la privatisation des services publics. En outre, la dégradation de l’écosystème rend une telle tâche urgente et un effort tout particulier pour modifier le paysage politique de plus en plus liberticide.

 

Il faut installer la conviction que la confrontation des analyses et des opinions est particulièrement nécessaire dans le moment présent, ce qu’ont démontré d’ailleurs les Gilets Jaunes, malgré les insuffisances dont ils étaient porteurs. La séquence qui s’ouvre risque d’être dominée par les présidentielles et même si JL Mélenchon l’emportait au 2ème tour, les tâches et les obstacles impliqueraient un effort de tous pour surmonter les divisions encore trop nombreuses.

 

Gérard Deneux, le 14 mars 2021

 

(1)   Extraits d’une lettre envoyée aux camarades des Insoumis de Haute-Saône

 

Pour en savoir plus :

 

-        Les évangélistes du marché, Deith Dixon, Raison d’agir, 1998

-        Le grand bond en arrière. Comment l’ordre libéral s’est imposé au monde, Serge Halimi, Fayard, 2004

-        La nouvelle raison du monde (Essai sur la société néolibérale) de Pierre Dardot et Christian Laval, le Découverte, 2010

-        La nouvelle droite (sur la « gauche au pouvoir) de Jean-Pierre Garnier et Louis Janover, Agone, réédition 2013

-        La décennie. Le grand cauchemar des années 80 (effets idéologiques et structurels du néolibéralisme), François Cusset, la Découverte, 2006