Algérie
Le
5 juillet 1962, la France quittait l’Algérie après plus d’un siècle de
domination coloniale. 60 ans après, les nostalgiques de l’Algérie française
sont toujours actifs, à Perpignan notamment. Nous publions ci-dessous l’article
d’Olivier Le Cour Grandmaison qui
appelle à prendre une initiative unitaire, anticoloniale et antiraciste le 17
octobre prochain, jour du massacre des Algériens à Paris en 1961.
Glorification
de la colonisation de l’Algérie et révisionnisme historique : le scandale
continue… à Perpignan !
Louis
Aliot, dirigeant bien connu du Rassemblement national et maire de Perpignan, a
décidé de soutenir politiquement et financièrement, à hauteur de 100 000 euros,
la 43ème réunion hexagonale du Cercle algérianiste [1], et d’accueillir ses membres et les
participants au Palais des congrès de cette ville, du 24 au 26 juin 2022. Il se
confirme que la loi scélérate du 23 février 2005, jamais abrogée faut-il le
rappeler, qui établit une interprétation officielle et apologétique de la
colonisation française en Algérie et dans le reste de l’empire, n’était pas
l’épilogue d’une entreprise de réhabilitation de ce passé mais le prologue bien
plutôt. Le discours du candidat Nicolas Sarkozy affirmant, à la veille des
élections présidentielles de 2007, que le « rêve de la colonisation » n’était pas un « rêve de conquête » mais « un rêve de civilisation », celui de
François Fillon quelques années plus tard et, plus généralement, les positions
de la direction des Républicains en témoignent. Fustigeant une prétendue
« repentance » et vantant les aspects supposément
« positifs » de la colonisation de l’Algérie, les responsabilités de
ces derniers sont majeures, établies et accablantes [2]. De même celles de certains intellectuels,
chroniqueurs et bateleurs médiatiques qui, au nom de la lutte contre « la
pensée unique » hier, contre le « décolonialisme » aujourd’hui,
redécouvrent les « beautés » de la colonisation aux couleurs de la
France.
N’oublions
pas l’un des pionniers de cette réhabilitation, A. Finkielkraut, qui
déclarait doctement que l’entreprise coloniale « avait aussi pour but d’éduquer » et « d’apporter la civilisation aux sauvages »
(Haaretz, 18 novembre 2005). Indigne philosophe et vrai idéologue qui,
sur ce sujet entre autres, débite des opinions rebattues en les prenant pour de
fortes pensées. A l’instar des personnalités politiques précitées, il ressasse
les trivialités mensongères de Malet et Isaac, ces historiens officiels qui, de
l’entre-deux-guerres au début des années soixante, n’ont cessé de contribuer à
l’élaboration et à la diffusion de la mythologie impériale-républicaine ;
celle-là même qui, depuis plus d’une décennie, est désormais reprise par les
différentes forces que l’on sait à des fins partisanes et électoralistes. En
ces matières, les uns et les autres ne sont que les piteux ventriloques de
discours élaborés par les élites politiques – mention spéciale à Jules Ferry,
cet ardent promoteur de l’empire et du racisme élitaire de saison – et
académiques de la Troisième République pour légitimer « la course à
l’Afrique » et les guerres de conquête menées en Cochinchine et à
Madagascar.
Sur
ces sujets en particulier, il y a longtemps que le prétendu « front
républicain » a disparu au profit de convergences et de compromissions
toujours plus graves et toujours plus assumées avec l’extrême-droite, les
partisans de l’Algérie française et les soutiens des généraux putschistes. Dans
ce contexte, auquel s’ajoute la spectaculaire progression politique du
Rassemblement national, sinistrement confirmée par les résultats des élections
présidentielles et législatives qui viennent d’avoir lieu, la tenue du Congrès
du Cercle algérianiste dans la ville de Perpignan ne saurait surprendre. Le
soutien apporté par le maire à cette initiative est parfaitement conforme aux
orientations défendues depuis toujours par le Front national et le
Rassemblement qui lui a succédé. Apologie de la colonisation, révisionnisme
historique, mensonges par omission, minorisation et dénégation des massacres,
des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité commis par les armées
françaises entre 1830 et le 19 mars 1962, tels sont quelques-uns des piliers
idéologiques de cette extrême-droite qui demeure fidèle à ses traditions.
Il
faut y ajouter la glorification des généraux qui, pour défendre l’Algérie
française, ont pris les armes contre la République, le 21 avril 1961. En
élevant « au rang de citoyens d’honneur de la ville des représentants des
familles d’Hélie Denoix de Saint-Marc, des généraux Edmond Jouhaud et André
Zeller… [3] », Louis Alliot persévère dans cette
voie, ce qui jette une lumière pour le moins singulière sur la conversion des
dirigeants du RN aux « valeurs républicaines ». Commandant par
intérim du 1er régiment étranger de parachutistes, Denoix de
Saint-Marc a joué un rôle de premier plan lors de la tentative de coup d’Etat à
Alger, ce qui lui a valu d’être condamné à dix ans de réclusion criminelle par
le Haut tribunal militaire. Ayant réussi à s’échapper, Jouhaud a poursuivi son
combat au sein de l’organisation terroriste, OAS, laquelle est responsable de
l’assassinat de 2360 personnes, auxquelles s’ajoutent 5419 blessés,
majoritairement algériens [4]. Arrêté le 24 mars 1962, Jouhaud est condamné
à mort puis gracié par le général de Gaulle, et sa peine commuée en détention à
perpétuité. Zeller, qui a rejoint le « quarteron de généraux »
putschistes, écope lui de quinze ans d’emprisonnement. Signalons enfin que le
programme officiel des journées perpignanaises du Cercle algérianiste prévoit
que l’ancien membre d’un commando de l’OAS à Oran, Gérard Rosenzweig, impliqué
dans plusieurs attentats, remette le « Prix universitaire
algérianiste » en tant que président du jury. Tels sont quelques-uns des
multiples honneurs qui seront rendus à des hommes, anciens criminels lourdement
condamnés par la justice, décédés ou vivants, dont le point commun est d’avoir
défendu l’Algérie française, par tous les moyens, y compris les pires.
Un
scandale, assurément. Nonobstant l’initiative locale et courageuse du
« Collectif 66 pour une histoire franco-algérienne non falsifiée »,
ce scandale ne semble pas, à l’heure où ces lignes sont écrites, susciter
l’indignation et la mobilisation nationales que l’on serait en droit d’attendre
des gauches partisanes, syndicales et associatives pour s’opposer à cette
nouvelle offensive de l’extrême-droite. Non seulement, cette dernière ne
désarme pas mais, plus grave encore, elle se sent pousser des ailes en raison
de la conjoncture politique que l’on sait. Une telle situation devrait obliger
celles et ceux qui ne se résignent pas à cette progression, jusqu’à présent
irrésistible, et à ses conséquences depuis longtemps désastreuses sur tous les
plans. Eu égard à l’importance politique et stratégique que le RN accorde à ce
43ème Congrès du Cercle algérianiste, une riposte d’ampleur
s’impose. Organisons-là lors des prochaines commémorations des massacres du 17
octobre 1961 en en faisant une initiative unitaire, anticoloniale et
antiraciste, pour la vérité historique, la justice et la reconnaissance des
crimes de guerres et des crimes contre l’humanité commis par la France en
Algérie et dans les autres territoires de l’empire.
O.
Le Cour Grandmaison, le 23.06.2022
Derniers
ouvrages parus : Ennemis mortels. Représentations de l’islam et
politiques musulmanes en France à l’époque coloniale, La Découverte, 2019
et avec O. Slaouti (dirs), Racismes de France, La Découverte, 2020.
[1]. Créé le 1er novembre 1973 pour
réhabiliter les combats des partisans de l’Algérie française et la colonisation
de ce territoire, ce Cercle, qui se présente comme une « association
culturelle des Français d’Afrique du Nord », n’a cessé de rendre hommage
aux anciens terroristes de l’OAS et aux généraux putschistes, entre autres.
[2] Avec la finesse qui le caractérise, L.
Wauquiez livre aux Français ébahis cette analyse dont la profondeur et la
rigueur laissent pantois : « Ajoutez (…) une repentance systématique
et vous comprendrez pourquoi des jeunes issus de [ l’] école en viennent à
prendre les armes contre leur propre pays. » Le Figaro, 14 février
2016.
[3]. Cf. le programme : 43ème
Congrès national du cercle
[4]. Y. Benot, « La décolonisation de
l’Afrique française (1943-1962) », in Le Livre noir du colonialisme,
XVIe-XXIe siècle. De l’extermination à la repentance,
sous la dir. de L Ferro, Paris, R. Laffont, 2003, pp. 517-556.