Les jeux
troubles du Qatar
Mondial 2022
L'attribution
du mondial de football 2022 à une petite monarchie du Golfe n'a pas fini de
scandaliser. Le petit État gazier est le pays le plus pollueur par habitant au
monde et les infrastructures colossales
nécessaires pour accueillir un tel événement vont aggraver son bilan
écologique déjà calamiteux, sans compter qu'elles devront être climatisées. Ajoutés à ça les soupçons de corruption qui
s'étendent de certains membres de la FIFA à l'ancien président de la République
française, Nicolas Sarkozy… encore lui !
Une enquête portée par la justice américaine affirme que plusieurs
dirigeants ont reçu de l’argent. Le document publié cite l’ancien président de
la Fédération brésilienne de football Ricardo Teixeira et l’ex-président de la
Confédération sud-américaine, Nicolas Leoz. Il mentionne également, de manière
anonyme, l’argentin Julio Grondona, ex-vice-président de la FIFA.
En
France, le Parquet national financier a mené une enquête préliminaire durant
trois ans avant de confier, en 2019, à un juge
d'instruction les investigations pour "corruption active et passive",
"recel" et "blanchiment". Au cœur des soupçons, un déjeuner
organisé à l'Élysée, le 23 novembre 2010 : le gueuleton réunissait Nicolas Sarkozy, Michel Platini alors patron de l'UEFA, Claude Guéant secrétaire général de la présidence de la République, le
prince héritier du Qatar Tamim ben Hamad
al Thani (actuel émir) et Hamad ben Jassem al Thani, premier
ministre qatari de l'époque. Neuf jours plus tard, le 2 décembre 2010, le pays
du Golfe était désigné pour accueillir la Coupe du monde 2022 avec le soutien
décisif, à la dernière minute, de Michel Platini. Une affaire que Blast - un média indépendant - suit de
très près, et pour cause, il est en possession de plusieurs documents émanant
d'une fuite de la haute administration qatarie. Un compte-rendu du déjeuner en
question, rédigé par les autorités qataries, adressé au directeur de cabinet du
prince héritier, stipule qu'un montant de 15
millions d’euros a été transféré à son Excellence le Président Nicolas
Sarkozy en récompense de son soutien à l’Etat du Qatar pour l’organisation du
Mondial 2022 et de l’acquisition du club de Paris Saint-Germain. Le courrier
ajoute qu’« une commission de 2 millions
d’euros est payée à Monsieur Claude Guéant et une commission d’une valeur de 2
millions d’euros à Monsieur Michel Platini » (1).
Mais le scandale ne s'arrête pas là ! Chantre des
Droits de l'Homme, le Qatar embauche, et pour construire ses stades il embauche
beaucoup. Il compte 2,5 millions de travailleurs étrangers sur son territoire
pour une population totale de 2,8 millions d’habitants. Jusqu'en 2020 un nombre
considérable d’employés, pour beaucoup originaires d’Asie (Pakistan, Inde,
Philippines, Népal, Indonésie, Bangladesh, Sri Lanka) sont soumis à la kafala,
un système de mise sous tutelle des
travailleurs étrangers. Une exigence plus ou moins inspirée par la charia,
obligeant l’expatrié à dépendre d’un « parrain » qui peut être une personne
physique ou morale. Littéralement, un emprisonnement dans un carcan de non-droit. Au moment où
ceux-ci posent le pied sur le territoire, leur passeport est confisqué, le
travailleur est attaché à son « maître » et lui est impossible d'aller
travailler ailleurs sans le fameux « NOC » (certificat de non-objection). Pis
encore, il ne peut plus quitter le Qatar sans un visa de sortie et pour
couronner le tout, certains de ces damnés ont dû acheter leur droit au travail
pour des sommes mirobolantes de 600 à 3 000 euros, ce qui peut représenter
entre trois mois et trois ans de salaire. Sans surprise :
sont prohibés les associations, le droit de
grève et les syndicats, un véritable paradis
sur terre pour le patronat où, beaucoup trop souvent, les salaires sont
impayés ou arbitrairement modifiés, les conditions de travail dangereuses et
les horaires excessifs. Une enquête du Guardian
estime à 6 500 les travailleurs migrants morts depuis l'octroi du Mondial en
2010, une moyenne de 12 décès par
semaine. L’ONG Amnesty International a
rendu un rapport sur les violations en matière de « droits humains » le 19 mai
2022 : un document de 62 pages recensant les « responsabilités » sur une
décennie de la Fédération internationale de football (FIFA) dans ces « multiples abus et violations graves et
généralisées des droits du travail ». Le rapport pointe les décès qui n’ont
que rarement fait l’objet d’investigations. En attribuant la Coupe du monde au
Qatar, sans édicter de conditions ou garanties, la FIFA a contribué à un large
éventail d’atteintes au droit du travail qui étaient évitables et prévisibles.
L’ONG rappelle que le choix du Qatar en 2010 était très controversé en raison
d’allégations de corruption, de la chaleur extrême et de son bilan désastreux
en matière de Droits de l’Homme. Les risques pour les ouvriers n’ont même pas
été pris en compte lors du processus de sélection du pays hôte et ne figuraient
pas dans le rapport d’évaluation de la FIFA.
Quant
aux risques sanitaires relatifs à la chaleur
extrême, ils ont été, eux, bien pris en compte… pour les joueurs, les
spectateurs, les représentants officiels et la famille FIFA. Selon l’ONG,
malgré les réformes récentes du travail lancées dans l’émirat, des problèmes
structurels persistent et des milliers de travailleurs sont toujours victimes
d’abus et d’exploitation. Elle demande à la FIFA d’indemniser les familles de
plusieurs centaines de milliers d’ouvriers lésés, blessés ou morts sur les
chantiers. Sous la pression
internationale le Qatar a révisé son « code du travail » et autorisé, le 30
août 2020, les travailleurs migrants à changer d’emploi sans avoir à obtenir au
préalable le consentement de leur « maître » ainsi qu’à
quitter le territoire sans visa de sortie. Reste à traduire ces avancées du
papier à la réalité. Dans un pays où la main-d’œuvre étrangère est
historiquement très peu encadrée, il ne suffit pas de frapper d’illégalité une
certaine pratique pour qu’elle disparaisse. Par exemple, en l’absence d’un
régime d’inspection et de sanction suffisamment dissuasif, la confiscation des
passeports des ouvriers continue à proliférer, alors qu’elle est interdite par
la loi.
En matière de droits de l'homme le Qatar ne s'arrête pas là.
Comme toute monarchie qui se respecte la coutume veut qu'elle réprime sévèrement la moindre contestation. La dernière en date menée par quatre militants,
dont deux avocats, s’est traduite par une condamnation très lourde, le 10 mai
2022, prison à perpétuité pour trois d’entre eux et 15 ans pour le quatrième.
Ils avaient osé protester pacifiquement contre la loi ségrégationnelle, promulguée
par l'émir le 19 juillet 2021, interdisant les membres de la tribu Al Murra de
présenter des candidats et du droit de vote aux élections du conseil
consultatif.
Ce Mondial n'en a pas fini d’attiser les polémiques. Six mois
avant son coup d'envoi, décalé à novembre en raison des fortes chaleurs estivales qui s'abattent sur la région, les restrictions commencent à tomber. Elles visent les supporters à qui
seront interdites les relations hors mariage ; l’infraction constatée
pourra atteindre jusqu’à 7 ans d'emprisonnement. Tout ce qui a rapport aux
luttes LGBT ( drapeau, banderoles arc en ciel…) sera également interdit. Pour
rappel, dans le pays, un musulman
condamné pour « acte homosexuel » risque la peine de mort. Et pour prouver
son « ouverture d’esprit », l’émir autorisera l'alcool mais uniquement
aux supporters étrangers et dans les espaces dédiés, les fans zones ; il
est donc interdit sur la voie publique. La tenue vestimentaire des femmes
étrangères sera contrôlée, ces dernières sont conviées à faire preuve de
modestie, aucune épaule ou genou apparent.
Bien que les grandes compétitions sportives aient toujours constitué
des enjeux entremêlés entre la politique et le sport, celle du Mondial 2022
restera emblématique. Elle révèle, en effet, l'évolution des relations
internationales et la place qu’y occupe le Qatar. Cette petite monarchie d’à
peine 250 000 ressortissants, promouvant l'islam radical, finançant le terrorisme,
bafouant les droits de l'homme, des travailleurs, a gagné son pari : elle
s'est acheté un Mondial de foot à coup de gazodollars avec la complicité de
dirigeants véreux.
MR
(1) https://www.blast-info.fr/articles/2021/qatar-connection-la-liste-des-cadeaux-de-lemir-a-nicolas-sarkozy-claude-gueant-et-michel-platini-w9DY2I4PSg2U0h-EIYOMsQ
Le football, une industrie
mondialisée et financiarisée
Plus de la
moitié des clubs de Ligue 1 battront bientôt pavillon étranger. Le mouvement ne
cesse de s’amplifier
-
PSG
et AS Monaco achetés par le fonds souverain Qagtyar
Sports Investments
-
Olympique
lyonnais négocie avec l’homme d’affaires US John Textor
-
SCO
d’Angers va être vendu à un fonds d’investissement US
-
la
vente d’AS Saint-Etienne est annoncée
On
assiste à la financiarisation du foot avec la constitution de conglomérats qui
achètent plusieurs clubs
-
le
City Football Group, détenu
majoritairement par un fonds émirati a acheté Manchester City, Troyes est sa 10ème
acquisition
-
le
fonds américain 777 Partners a acheté
le Red Star de Sain-Ouen ; il est propriétaire du Genoa (Italie), de Vasco
da Gama (Brésil) et du Standard de Liège (Belgique)
-
la
holding Bolt Football, potentiel
repreneur de l’AS Saint-Etienne, est actionnaire minoritaire de Crystal Palace (Angleterre)
et d’une demi-douzaine de clubs en Europe et aux USA
-
RedBird Capital Partners, nouveau propriétaire du Milan AC
l’est aussi du Toulouse FC
etc.
Pour exister au plus haut niveau, pas de salut sans un actionnariat puissant !
source : le Monde 21.06.2022