Rouges de colère car les classes populaires ne doivent pas payer la crise du capitalisme.



Verts de rage contre le productivisme qui détruit l’Homme et la planète.



Noirs d’espoir pour une société de justice sociale et d’égalité


lundi 4 juillet 2022

 

Sortir du productivisme

 

Tous les ans, l’ONG Global Footprint Network calcule « le Jour du Dépassement » sur la base de 3  millions de données statistiques de 200 pays. C’est la date à partir de laquelle l’empreinte écologique dépasse la bio-capacité de la planète. Autrement dit, le jour à partir duquel nous avons pêché plus de poissons, abattu plus d’arbres, construit et cultivé sur plus de terres que ce que la nature peut nous procurer au cours d'une année. Cela marque également le moment où nos émissions de gaz à effet de serre par la combustion d’énergies fossiles auront été plus importantes que ce que nos océans et nos forêts peuvent absorber. D’année en année, ce jour intervient plus tôt. En 2021 il est intervenu fin juillet, ce qui signifie que les 5 derniers mois de l’année, nous avons vécu « à crédit » sur les ressources planétaires. Sans vergogne, nos activités pillent les ressources, polluent le sol, l’eau et l’air, modifient le climat, laissent des déchets radioactifs hautement toxiques pour les prochains millénaires, en espérant que nos successeurs trouveront des solutions.

 

STOP. Notre mode de « consommer la Terre » est tout bonnement irresponsable. Nous avons le devoir de laisser à nos descendants une planète sur laquelle ils pourront vivre. Il faut de toute urgence changer de paradigme socio-économique.

 

Jusqu’au 18ème siècle, la société était schématiquement structurée en laborieux pauvres et possédants opulents. La révolution industrielle durcissant encore ce clivage a fait émerger le mouvement ouvrier. Ce dernier a arraché les conquêtes sociales qui ont sensiblement amélioré le sort matériel des travailleurs de sorte qu’une classe moyenne s’est progressivement intercalée entre pauvres et riches. Dans la seconde moitié du 20ème siècle, le credo économique du monde capitaliste mais aussi communiste a été celui du productivisme : produire,  produire toujours plus. Le dogme de la croissance est devenu la religion, toujours au cœur du modèle économique actuel. Grâce au « ruissellement », la croissance productiviste profite peu ou prou à tout le monde, tout en accroissant de façon exponentielle le patrimoine des possédants. Jamais, depuis la Révolution, les riches n’ont été aussi riches et les inégalités de revenus aussi flagrantes, ce dont la société s’accommode pourtant assez bien, du moment qu’il retombe suffisamment de miettes aux classes populaires.

 

Les revendications ouvrières portent sur une répartition des richesses plus équitable, mais sans remettre en cause la société de consommation, accompagnées en cela par les partis de gauche, hormis ceux se réclamant de l’écologie. Depuis Dumont, dans les années 70, le mouvement écologiste clame pourtant que nous vivons dans un monde fini aux ressources limitées, ce que feignent d’ignorer les tenants du productivisme, dans leur perpétuelle fuite en avant.

 

Comme les déboires annoncés se réalisent hélas progressivement, la société commence à prendre conscience de la nécessité d’une transition écologique dont se revendiquent désormais tous les partis politiques, transition officiellement promise par l’équipe gouvernementale issue de la présidentielle. Il faudra vérifier si les réalisations sont à la hauteur des intentions affichées, ce dont on peut douter, du fait de l’absence de remise en cause du modèle économique.

 

Dans l’après-guerre celui-ci s’est développé dans le monde entier sur le mode productiviste, consistant à produire des biens, que le consommateur en ait besoin ou non, et pour les écouler, de lui créer artificiellement les besoins qu’il n’avait pas encore, d’organiser l’obsolescence des produits existant pour pousser à en acheter de nouveaux. Le bonheur s’est réduit au pouvoir de consommer, le pouvoir d’achat devenant le Graal absolu. Gare à ceux « qui ne sont rien », aux laissés pour compte du pouvoir d’achat. Non seulement ils subissent les affres des fins de mois difficiles mais, en outre, ils ont droit au mépris de ceux qui ne devraient manquer de rien mais n’en ont pourtant jamais assez, passent leur vie à courir après ce qu’ils n’ont pas encore, oubliant par là même de jouir de ce qu’ils ont. Consommer toujours plus rend-il heureux ?

 

Je laisse à d’autres le soin de moraliser.  Mon propos est de dire haut et fort qu’il faut remplacer le paradigme productiviste par le modèle de la sobriété durable.

Il s’agit de revenir au bon sens consistant à produire ce dont nous avons besoin de façon respectueuse pour l’environnement et les travailleurs. Ce modèle vertueux, plus coûteux que celui du dumping environnemental et social, du moins à court terme, conduira à limiter notre consommation. En serons-nous pour autant perdants ?

 

En comparant deux caddies alimentaires équivalents, l’un en bio, l’autre en conventionnel, le premier revient sensiblement plus cher et n’est clairement pas accessible à tous. La qualité serait donc réservée à ceux « qui ont les moyens », sauf à revoir nos habitudes : en substituant partiellement des protéines végétales à la viande, en diminuant ou supprimant les aliments industriels (plats cuisinés, biscuiterie, boissons, …), en consommant des produits de saison et de proximité, la bio est à la portée de tout un chacun, pour le plus grand bien de l’environnement, de notre santé et de nos papilles.

 

L’inéluctable changement de paradigme nécessite que les opérateurs politico-économiques et les citoyens l’intègrent dans leurs schémas de pensée. A-t-on besoin de changer régulièrement de smartphone, de renouveler sa garde-robe, son électroménager, voire son mobilier, quand ils sont encore fonctionnels ou réparables ?  Il est temps de troquer le pouvoir d’achat contre le pouvoir de vivre.

 

Les producteurs se doivent de satisfaire nos besoins réels, dans le cadre d’une bonne gestion des ressources, du respect de l’environnement et des salariés. Clairement, cela va à l’encontre des préoccupations des investisseurs qui ne jurent que par le profit. Il ne faudra pas attendre de changement à ce niveau sans pression politique forte ; or, le pouvoir politique ne bougera véritablement que s’il sent une volonté des citoyens. Sommes-nous prêts à vouloir sortir de la société de consommation ?

 

A notre niveau de consommateurs, interrogeons-nous avant l’achat si la chose convoitée répond à un besoin, une envie, ou s’il s’agit simplement d’une compulsion par conditionnement sociétal, puis évaluons le rapport prix / qualité en y incluant la dimension environnementale et sociale. L’objectif n’est pas de se frustrer au nom d’une quelconque ascèse, mais d’avoir une attitude de consom’acteur responsable. Il est souvent objecté que la sobriété volontaire préconisée contracte l’activité économique, crée chômage et paupérisation. C’est effectivement le cas dans le schéma productiviste, celui auquel nous sommes formatés et dont il faut se libérer. Prendre le temps de la réflexion avant d’acheter et consommer durable, conduit à consommer moins, donc inéluctablement à produire moins, ce qui est d’ailleurs l’objectif de ce nécessaire renversement de paradigme. Produire moins, implique à priori un moindre besoin de main d’œuvre, sauf à remettre de l’humain à la place des machines, à réparer les produits industriels, à prendre la peine de recycler les objets en fin de vie, à développer parallèlement les services actuellement manquants… Ainsi pourra-t-on largement compenser les emplois détruits par la diminution de la production. Le coût des produits en sera plus élevé, ce qui impactera les ménages les plus défavorisés. C’est pourquoi cette révolution du système productif ne pourra pas se faire sans une remise en cause du partage des richesses. Par la négociation ou la contrainte, il faudra prélever sur les profits et resserrer les grilles salariales afin que chacun puisse disposer de ce dont il a besoin.

 

Le futur n’est pas « écrit ». Il découle des liens de causes à effets et dépend de notre volonté d’agir sur les causes aux effets néfastes. L’avenir, c’est nous qui l’écrivons. Faisons le choix d’un futur durable.

 

François Vetter

 

Où est la sortie ?

 

François commence par un constat irréfutable. Le désastre écologique est déjà là, la planète ne nous supporte plus. Qui joue du violon sur le Titanic ? L’iceberg heurté par le paquebot Humanité s’appelle-t-il productivisme ? « Sommes-nous victimes d’un paradigme socio-économique », c’est-à-dire d’un modèle de type grammatical engendrant par lui-même ses structures productivistes nées de la révolution industrielle ? Comment en sortir et faire advenir le paradigme de la « sobriété durable » ? Est-ce possible dans le cadre du système ?

 

Après avoir laissé entendre que le paradigme serait un modèle évolutif par lui-même, un processus sans sujets, sans moteurs, sans acteurs, François affirme que les consomm-acteurs pourraient être les promoteurs du changement. Certes, l’on ne peut contester, avec l’écologiste Fressoz, que « l’on » est passé successivement d’une économie reposant sur les énergies hydrauliques, puis sur celles du charbon, du pétrole, de l’’uranium, aujourd’hui des renouvelables, et ce, sans transition. A chaque fois, lors du passage d’une économie dominante à une autre, il y a eu accumulation, recours à toutes les énergies précédentes de manière cumulative. Mais qui est ce « on », sinon les classes dominantes féodales puis capitalistes ?

 

Par ailleurs, peut-on mettre sur le même plan de responsabilité tous les consommateurs ? Les 10 % les plus riches de la planète qui sont responsables de la moitié des émissions de CO2 ? Les 1 % des plus riches qui génèrent 175 fois plus de CO2 que les 10 % des plus pauvres ? Ou encore les 90 plus grandes entreprises responsables à elles seules de 63 % des émissions de gaz à effet de serre depuis 1850 ?

 

La réduction de l’empreinte écologique n’est pas une question de choix individuel. Elle dépend notamment du  niveau de revenu, de l’accès au logement, aux transports… C’est-à-dire d’un système de production, d’infrastructures, de luttes associatives. Il suffit de penser au tri, au recyclage, aux réseaux de circuits courts pour s’en convaincre : l’action individuelle est une illusion, l’individu est en effet inséré dans des systèmes de production et de consommation dont il ne peut se défaire seul. Il peut toutefois en prendre conscience pour agir avec d’autres.

 

Pour chercher la sortie, il serait nécessaire d’éclairer ou de définir un certain nombre de notions ou de termes dont l’emploi occulte la réalité historique.

 

S’agissant du productivisme, force est de constater que la croissance exponentielle du capitalisme est inscrite dans ses gènes. Cette dynamique qui lui est propre est aiguisée notamment par la concurrence, la recherche du profit maximum. Même si elle y est liée, cette notion ne doit pas être confondue avec la productivité du travail qui résulte de l’amélioration des connaissances, des techniques, de l’utilisation de machines et de technologies substituant la machine à l’homme, le travail vivant au travail mort, de l’organisation et de la division du travail aliénant les travailleurs (taylorisme, new management).

 

Cette définition renvoie à d’autres questions plus historiques. Comment un tel système capitaliste - pas seulement industriel mais aussi extractiviste et d’exploitation humaine - a-t-il pu engendrer, avec l’industrie textile, entre autres, le recours massif à l’esclavage puis le colonialisme, les deux guerres mondiales, le fascisme, puis, lors de la période des Trente Glorieuses, le néo-colonialisme, la mondialisation financière, le surgissement de blocs de puissances concurrentes agitant le recours à la guerre généralisée ?

 

S’agissant de l’après-guerre, ou sur ce qu’il est convenu d’appeler les Trente  Glorieuses, il convient  de ne pas se méprendre sur sa signification. Ce ne fut qu’une parenthèse dans l’histoire du capitalisme et elle s’est refermée. Cette période de reconstruction fut marquée à la fois par l’apparente volonté d’éviter le retour des crises financières comme celle de 1929-30. Elle se conjugua avec l’impératif de contenir, de s’opposer à l’extension du « communisme » tel qu’il s’installait à l’Est de l’Europe. En outre, la reconstruction industrielle s’est traduite par la reconversion de l’industrie de guerre, en particulier de la chimie, afin de galvaniser les rendements agricoles, la concentration des terres et, en définitive, l’agro-business. La croissance qui en a résulté était inscrite dans la logique du capital et ce, jusqu’à un certain point, celui de la saturation des marchés intérieurs. Dès la fin des années 1970, les enveloppes nationales déjà pénétrées par les multinationales US craquent. La recherche du profit maximum incite aux délocalisations et à la désindustrialisation… L’heure est au néolibéralisme et au retour de la domination sans frein du capital financier. Tout ceci pour souligner que saisir la réalité dans sa complexité, la situer dans la conjoncture historique, nécessite une analyse approfondie. Ainsi, les 10 millions de pauvres, en France, et tous les migrants qui errent sur le territoire, n’ont même pas le pouvoir d’achat pour vivre décemment ; ils n’ont de fait aucune responsabilité dans l’imposition du productivisme ; ils en sont les victimes, y compris dans le recours à la malbouffe. Le bio n’est pas à leur portée, surtout s’ils résident dans les quartiers dits difficiles.

 

A l’échelle de la planète, d’autres questions pourraient être soulevées sur la contradiction entre le Nord et le Sud, sur la production de richesses et sa répartition… vers le haut de la pyramide sociale, sur lesdits investisseurs prédateurs, gavés de subventions, échappant à l’impôt ; comme dit l’un d’entre eux : oui, la lutte des classes existe, mais c’est ma classe (de milliardaires) qui la gagne tous les jours.

 

Alors, où est la sortie ? Certes dans le changement de mode de production et de consommation peut répondre aux questions démocratiques suivantes : qu’est-ce que l’on produit pour satisfaire quels besoins ? Dans quelles conditions cette production s’effectue-t-elle ?

 

Mais si la classe dominante des capitalistes, des affairistes, des « bien en cour », a une  conscience de classe pour défendre ses privilèges, « ceux d’en bas », les exploités, les dominés, les démunis, les opprimés, sont encore pleins d’illusions, à la recherche de boucs émissaires, ou, plus largement, désappointés. Certes, il existe une fraction de plus en plus importante de la population qui aspire à mieux se mouvoir, se loger, sans sombrer dans le consumérisme, mais leurs bonnes volontés individuelles ne sauraient suffire pour trouver la sortie du système, même si elles y contribuent.

 

GD